Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5-7
ARRÊT DU 30 MARS 2010
(n° 59,12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 2009/13348
Décision déférée à la Cour : rendue le 05 mars 2009
par l'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS
DEMANDEURS AU RECOURS :
- La société KELLY, S.A.S.
Prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est : [Adresse 6]
- M. [Y] [B].
Né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 7] (Maroc)
De nationalité : Française
dirigeant de sociétés
demeurant : [Adresse 4]
représentés par la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY,
avoués associés près la Cour d'Appel de PARIS
assistés de Maître Jérome SUTOUR et Maître Didier JOSEPH,
avocats au barreau des HAUTS DE SEINE
Cabinet CMS FRANCIS LEFEBVRE
[Adresse 2]
EN PRÉSENCE DE :
- L'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Mme [K] [T] et Mme [Z] [G], munies d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 février 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
- M. Thierry FOSSIER, Président
- M. Christian REMENIERAS, Conseiller
- Mme Hélène JOURDIER, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU
MINISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, Substitut Général, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Thierry FOSSIER, président et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.
* * * * * *
CIRCONSTANCES FAITS ET PROCEDURE
A - OPERATEURS EN PRESENCE
La société anonyme à directoire et conseil de surveillance NORTENE SA (« NORTENE »), est la société mère du groupe NORTENE, qui est spécialisé dans la fabrication et la distribution de produits destinés au jardinage, à l'équipement et la décoration de jardins.
La société NORTENE SA est cotée au fixing au compartiment C d'EUROLIST d'EURONEXT [Localité 8].
La SAS KELLY, dirigée par M. [B], développe à travers une filiale à 100 p.100 dénommée SICATEC et dirigée par M. [C], des activités concurrentes de celles de NORTENE. Ces opérateurs ont acquis environ 82.000 titres NORTENE dans la perspective d'une prise de contrôle et ont engagé dans le courant de 2006 des pourparlers à cet effet.
Mais dans un communiqué publié au BALO en date du 21 juillet 2006, NORTENE SA annonçait un chiffre d'affaire prévisionnel consolidé en baisse à 124 millions d'euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2006.
Les pourparlers entre KELLY et NORTENE ont cessé le 8 septembre 2006. La SAS KELLY et son dirigeant ont dès lors commencé à liquider leurs titres NORTENE, par fractions et par l'intermédiaire d'un prestataire de services d'investissement, Chakelian.
Dans un second communiqué publié le 13 Septembre 2006, cette société annonçait un chiffre d'affaire prévisionnel consolidé de 119 millions d'euros ainsi qu'un résultat « autour d'1 million d'euros » au titre de l'exercice clos le 30 Septembre 2006.
Les états comptables définitifs de NORTENE SA ont en réalité fait apparaître, au titre de l'exercice clos au 30 septembre 2006, un chiffre d'affaire effectif de 119,6 millions d'euros ainsi qu'une perte comptable de 4,8 millions d'euros.
A la demande de NORTENE SA, afin de faire face à ces difficultés économiques, un mandataire ad-hoc a été désigné le 31 Octobre 2006, afin notamment d'aider la société à réunir les fonds nécessaires à la poursuite de son activité.
Dans le cadre de cette mission, le mandataire ad'hoc de NORTENE SA a contacté le 4 Décembre 2006 la société GSTI, société mère de KELLY, en la personne de son secrétaire général M. [H]. KELLY détenait encore 7,4% de NORTENE SA (environ 59.000 titres).
Antérieurement au 4 Décembre 2006, la société KELLY avait déjà cédé une partie des ses titres NORTENE SA. Postérieurement à cette date, la société KELLY a poursuivi l'opération de vente, cédant 58 681 actions NORTENE, pour un montant total de 997 024,75 euros, durant la période allant du 7 au 13 Décembre 2006, liquidant ainsi l'intégralité de sa participation dans le capital de NORTENE SA.
B - ENQUETE ET SANCTIONS
Au regard de l'existence d'un écart important entre les chiffres prévisionnels et les comptes définitifs de NORTENE SA au titre de l'exercice clos le 30 Septembre 2006 ainsi que de l'augmentation significative du nombre de transactions portant sur les titres NORTENE SA pour la période allant du 7 au 13 Décembre, et plus particulièrement durant ce dernier jour, le Secrétaire général de l'AMF a ouvert, le 15 Mars 2007, une enquête portant sur le marché du titre NORTENE SA sur la période débutant le 1er Juin 2006.
Le 29 janvier 2008, la commission spécialisée n 2 du Collège de l'AMF a examiné le rapport d'enquête transmis, par la Direction des Enquêtes et de Surveillance des Marchés, conformément à l'article L621-15 du Code monétaire et financier.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 18 Février 2008, le Président de l'AMF, sur décision de la commission spécialisée n 2 a notifié plusieurs griefs à la Société NORTENE SA, M. [A] [V], la société KELLY et M. [Y] [B].
Concernant la Société KELLY et M. [Y] [B], il leur a été reproché « entre le 6 et le 13 décembre 2006, [d'] avoir utilisé une information privilégiée relative à la situation particulièrement obérée de la Société NORTENE et au risque corrélatif d'un état de cessation des paiements imminent », de tels actes étant susceptibles de caractériser un manquement d'initié tel que prévu aux articles 621-1, 622-1 et 622-2 du Règlement général de l'AMF.
Par une décision en date du 5 Mars 2009 ('la Décision'), la commission des sanctions de l'Autorité des Marchés Financiers a prononcé une sanction de 150 000 euros à l'encontre de la Société KELLY ainsi qu'une sanction de 5000 euros à l'encontre de M. [Y] [B] pris en qualité de dirigeant de ladite société, pour manquement d'initié, sur le fondement des articles 621-1, 622-1 et 622-2 combinés du Règlement général de l'AMF.
Par actes séparés en date du 19 juin 2009, la Société KELLY et M. [Y] [B] ont formé recours contre la Décision. La jonction a été prononcée.
LA COUR
Vu la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marches financiers en date du 5 mars 2009 ;
Vu les mémoires en recours déposés le 3 juillet 2009 par M. [Y] [B] et par la SAS KELLY aux fins de :
A titre principal,
Constater que les règles relatives à l'audition des témoins fixées par l'article L621-10 du Code monétaire et financier n'ont pas été respectées lors de la visite des inspecteurs de la DESM du 16 Octobre 2007 dans les locaux de la société GSTI, ce qui entraîne la nullité tant de la remise des documents intervenue à cette occasion que de l'audition de M. [W] [H], retranscrite dans le procès-verbal dressé le 16 Octobre 2007 par les inspecteurs de la DESM ;
Dire et juger que la procédure d'enquête n'a pas été menée de façon loyale ;
En conséquence :
Prononcer la nullité de l'instruction et des poursuites diligentées à l'encontre de la SAS KELLY et de M. [Y] [B] du fait des irrégularités de procédure ;
Prononcer la nullité de la décision rendue le 5 Mars 2009 par la Commission des Sanctions de l'AMF dans le cadre de cette procédure ;
A titre subsidiaire,
Dire que le principe de légalité des délits et des peines implique que les manquements susceptibles d'être sanctionnés par l'AMF soient définis de façon claire et précise ;
Dire que l'article 622-1 du Règlement Général de l'AMF, qui a fondé les poursuites dirigées contre la Société KELLY et M. [B] ainsi que les sanctions prononcée à leur encontre, n'est ni clair ni précis ;
Constater que l'interprétation qu'a retenue la Commission des sanctions de l'AMF dans la décision attaquée dépasse et ajoute à la lettre de l'article 622-1 du Règlement Général de l'AMF ;
En conséquence,
Prononcer la nullité de la décision rendue le 5 Mars 2009 par la Commission des Sanctions de l'AMF sur le fondement de l'article 622-1 du Règlement général de l'AMF pour illégalité ;
A titre très subsidiaire, sur le fond,
Infirmer la décision de la Commission des Sanctions de l'AMF du 5 Mars 2009 en ce qu'elle a infligé une sanction de 150.000 euros à l'encontre de la Société KELLY et 5000 euros à l'encontre de M. [B] au motif que ceux-ci auraient, en connaissance de cause, utilisé une information privilégiée, en violation des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du Règlement Général de l'AMF ;
Dire et juger que les informations présentées par l'AMF comme privilégiées ne venaient que confirmer des informations connues du public et qu'il n'est pas établi que ces informations aient eu, à elles seules, une incidence sur le cours de l'action NORTENE ;
Constater que M.[B], et partant la Société KELLY, n'avaient pas conscience de détenir des informations privilégiées, et que l'AMF n'a pas établi à quelle date M.[B] avait eut connaissance de ces informations ;
Constater que la décision de céder la totalité des titres NORTENE détenus par KELLY a été prise le 15 Septembre 2006 et que des ordres ont été donnés en ce sens dés le 15 Septembre 2006 à M. [N] [C], dirigeant de la Société SICATEC ;
Constater par la suite que M. [B] n'est pas intervenu dans la cession des titres NORTENE ;
Constater que les informations prétendument privilégiées ont été sans incidence sur ces cessions, faites par des personnes qui n'en avaient pas connaissance ;
Dire et juger que les informations privilégiées n'ont pas été utilisées par la Société KELLY.
Constater que M. [B] n'a passé aucun ordre ni n'a donné aucune instruction de cession des titres NORTENE postérieurement au 4 Décembre 2006 et qu'aucun manquement n'est susceptible de lui être reproché à titre personnel ;
En conséquence :
Dire et juger que la SAS KELLY et M.[B] ne se sont rendus coupables d'aucun manquement à la réglementation susvisée ;
Dire n'y avoir lieu à sanction à l'encontre de la SAS KELLY et de M. [B] ;
A titre infiniment subsidiaire, sur le quantum des sanctions,
Réformer la décision de la décision de la Commission des sanctions de l'AMF du 5 Mars 2009 en ce qu'elle a infligé une sanction de 150.000 euros à la SAS KELLY et de 5000 euros à M. [B] ;
Dire et juger que les sanctions d'un montant de 150.000 euros et 5000 euros prononcées respectivement à l'encontre de la SAS KELLY et de M. [B] sont disproportionnées eu égard aux circonstances du dossier et à la bonne foi de M. [B] ;
Dire que les sanctions prononcées contre la SAS KELLY et M. [B] ne sauraient être que symbolique ;
En tout état de cause,
Condamner l'AMF à verser les sommes de 10.000 euros tant à la SAS KELLY qu'à M. [B] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner l'AMF aux entiers dépens de l'instance ;
Vu les observations en réplique déposées conjointement par M. [Y] [B] et par la SAS KELLY le 12 janvier 2010, identiques aux précédentes sauf à préciser qu'il est demandé à la cour de :
Constater par la suite que M. [B] n'est pas intervenu dans la cession des titres NORTENE, cession qui a été mise en 'uvre par M. [N] [C] et des salariés de la société Sicatec ;
Dire et juger que les informations privilégiées n'ont pas été utilisées par la Société KELLY ou Monsieur [B] ;
Ramener à 7.500 euros les prétentions fondées sur l'article 700 CPC ;
Vu les observations de l'Autorité des marchés financiers en date du 6 novembre 2009 ;
Vu le mémoire de procédure aux fins de sursis à statuer, déposé conjointement par M. [Y] [B] et par la SAS KELLY le 10 novembre 2009 ;
Vu les observations de Monsieur le Procureur Général en date du 3 février 2010 ;
Ouï les parties, les représentants de l'Autorité des marchés financiers et Monsieur l'Avocat Général à l'audience du 09 février 2010, les conseils de M. [B] et de la SAS KELLY ayant eu la parole en dernier ;
SUR QUOI
Considérant à titre liminaire qu'il sera donné acte aux requérants qu'ils renoncent aux termes du mémoire de procédure aux fins de sursis à statuer, déposé le 10 novembre 2009 ;
A ' Sur la procédure
Considérant, sur la violation des règles d'audition de témoins, que la société KELLY et M. [B] soutiennent que l'AMF a manqué à son devoir de loyauté dans la conduite de l'enquête et a violé les règles de procédure applicables aux auditions de témoins prévues par le CMF (art L621-10, L621-11 et R621-35) ; qu'aux termes de l'article R621-35 du CMF ayant vocation à s'appliquer au stade de l'enquête, l'audition de toute personne susceptible de fournir des informations s'accompagne d'un formalisme rigoureux ; qu'ainsi la convocation doit être adressée 8 jours avant la date de l'audition, la convocation doit mentionner l'ordre de mission, la convocation doit rappeler le droit, pour la personne auditionnée, de se faire assister du conseil de son choix ;
Que ces règles de procédure n'ont pas été respectées en l'espèce puisque le procès-verbal de remise de document du 16 Octobre 2007 contient la retranscription intégrale des «déclarations spontanées» faites par M. [H] (secrétaire général de la GSTI) ; que ces déclarations ont été consignées sur-le-champ sans que soient respectées les prescriptions de l'article R 621-35 CMF ; que leur longueur, ainsi que l'ancienneté des faits qu'elles relatent, laissent voir que ces déclarations n'ont rien eu de spontanées et ont été des réponses à un interrogatoire des agents de l'AMF ; qu'autrement dit, et en droit, le PV de remise de document dressé le 16 Octobre 2007 doit en réalité être analysé en un PV d'audition, qui a été rédigé en violation de R621-35 du CMF ; qu'en conséquence, ce procès-verbal doit être annulé ; que la remise de documents subséquente intervenue le 16 octobre doit également être annulée ;
Mais considérant que l'existence de la procédure spécifique d'audition encadrée par les articles L621-11 et R621-35 CMF ne fait pas échec à la possibilité ouverte aux enquêteurs de consigner les déclarations et témoignages spontanés ;
Qu'il appartient alors aux enquêteurs de consigner les déclarations spontanées de témoins à la double condition que le PV réponde aux exigences de R 621-35 in fine du CMF et que l'entretien se déroule dans des conditions qui ne sont pas de nature à affecter ni la portée des propos relatés, ni la loyauté de la procédure ;
Que tel a été le cas en l'espèce, les enquêteurs ayant d'abord pris soin de communiquer préalablement à l'interlocuteur dont les propos ont été consignés une copie des articles L621-9-3 et L621-10 du CMF ainsi qu'un document récapitulatif de ses droits ;
Qu'en fait, les déclarations de M. [H] se présentent comme des énonciations chronologiques, qui s'enchaînent naturellement et constituent un récit cohérent, en quoi les soupçons des requérants sur « l'interrogatoire » qu'aurait subi M. [H] apparaissent gratuits ; qu'il faut encore observer que M. [H] a choisi librement des pièces à joindre au procès-verbal, a refusé d'en donner d'autres, a signé sans réserves toutes les pages du procès-verbal, autant d'éléments qui ne sont pas plausibles dans l'hypothèse d'un interrogatoire autoritaire ; qu'enfin et en droit, ni la longueur ni la précision des détails ne suffisent à faire douter de la spontanéité des déclarations d'une personne entendue (Crim., 20 sept. 1993) ou de la sincérité de leur retranscription ;
Que le moyen doit être écarté ;
Considérant, sur la violation du principe de la légalité des délits et des peines, que la société KELLY et M. [B] soutiennent que l'article 622-1 du Règlement général de l'AMF ayant servi de base aux poursuites est contraire au principe de légalité des délits et des peines ; qu'au regard de la jurisprudence de la Cour E.D.H., l'article 622-1 RGAMF doit être assimilé à une sanction de nature pénale ; que ce texte, ayant servi de fondement à la sanction en l'espèce, est d'une portée beaucoup trop générale et définit le manquement d'initié de manière obscure et imprécise ; que par suite l'article 622-1 RGAMF est affecté d'une dimension arbitraire et disproportionnée, qu'il est donc source d'insécurité juridique et contraire au principe de légalité des délits et des peines ;
Qu'en témoigne le fait que l'AMF ait pu en d'autres circonstances établir des cas d'exemption de la poursuite en présence de « motifs impérieux » et en particulier de la disproportion de la sanction avec telle ou telle situation factuelle ; que la décision attaquée doit donc être annulée comme reposant sur 622-1 RGMF qui est contraire au principe de légalité des délits et des peines ;
Mais considérant que selon l'article 622-1 al.1 RGMF, la personne détentrice d'une information privilégiée doit s'abstenir d'utiliser celle-ci, en acquérant ou en cédant ou en tentant d'acquérir ou de céder pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ;
Qu'ainsi libellé, ce texte décrit l'action prohibée de manière claire et évoque le cas de l'abstention ; qu'il fixe l'objet du manquement, à savoir les instruments financiers, et établit le lien nécessaire entre cet objet et la qualification d'initié ; qu'il prévoit une éventuelle interposition de tiers ;
Qu'il ne présente ni incertitude technique ni disproportion et ne constitue pas une prohibition si générale qu'elle obérerait l'activité économique et en l'occurrence, la vie des marchés ;
Que la possibilité de s'exonérer de la poursuite pour des circonstances de fait, à supposer qu'elle ait été reconnue dans d'autres affaires que la présente tant par l'AMF que par la cour d'appel, ne serait pas de nature à créer une incertitude, en général ou au cas particulier, ni à traduire une disproportion, mais relève du pouvoir d'interprétation qu'impose le principe de personnalité des poursuites et des sanctions ;
Qu'en conséquence, ce texte, ayant servi de fondement à la condamnation prononcée par la commission des sanctions, n'est pas contraire au principe de légalité des peines et délits ;
B ' Sur le caractère privilégié des informations
Considérant que la société KELLY et M. [B] soutiennent que l'AMF n'a pas démontré, comme l'exige l'article 621-1 du RGAMF, l'existence d'une information privilégiée définie comme une information précise, qui n'a pas été rendue publique, qui concerne directement ou indirectement un ou plusieurs émetteurs de titres, et qui si elle avait été rendue publique aurait pu avoir une impacte sur l'évolution des cours du titre concerné ; que les informations communiquées par NORTENE à la GSTI et prétendûment susceptibles de constituer des informations privilégiées furent la désignation d'un mandataire ad'hoc, le montant des pertes enregistrées par NORTENE en 2005/2006, la nécessité d'un financement immédiat de la société NORTENE, les difficultés de trésorerie de la société NORTENE, la valorisation du groupe NORTENE en cas d'augmentation de capital ; que ces informations ne peuvent cependant pas être considérées comme privilégiées au sens de l'article 621-1 RGAMF, qu'il manque une des quatre conditions cumulatives strictement exigées par l'article 621-1 RGAMF pour les qualifier comme telles, à savoir soit le caractère confidentiel de l'information soit son caractère décisif sur les cours ;
Qu'en effet, concernant le montant des pertes enregistrées par NORTENE en 2005/2006, cette information n'était pas confidentielle au moment des faits reprochés, car le niveau des pertes était déjà connu du marché grâce à diverses publications et estimations réalisées par la presse spécialisée (« Journal des Finances » par exemple) ; que concernant la nécessité d'un financement immédiat des achats de la société NORTENE pour la saison 2007, cette information n'était pas davantage confidentielle au moment des faits reprochés, car la nécessité de procéder au refinancement de NORTENE était connue du marché, dès lors que dans un communiqué en date du 23 Novembre 2006, NORTENE annonçait déjà au grand public la mise en 'uvre d'une opération de recapitalisation nécessaire au développement de la société et qu'un article paru dans « La Vie Financière » en date du 13 Octobre 2006 faisait déjà état de la nécessité de trouver de nouveaux moyens de financement ; que concernant les difficultés de trésorerie de NORTENE, cette information n'était pas non plus confidentielle au moment des faits reprochés, car dans le communiqué en date du 23 Novembre 2006, NORTENE faisait déjà état de difficultés de trésorerie susceptible de mettre en cause la «pérennité du groupe» ;
Qu'en outre, concernant la désignation d'un mandataire ad'hoc, cette information, si elle avait été portée à la connaissance du marché au moment des faits reprochés, n'aurait pas eu d'incidence sur le cours du titre NORTENE, car le marché était informé de la mauvaise santé de NORTENE et l'information relative à la désignation d'un mandataire aurait au un effet neutre ; que concernant la valorisation du groupe NORTENE (entre 10 et 12 euros par action en cas d'augmentation contre 17 euros le 1er décembre 2006) en cas d'augmentation de capital, cette information communiquée à la GSTI n'aurait, si elle avait été portée à la connaissance du marché au moment des faits reprochés, pas eu d'incidence sur le cours du titre NORTENE car le marché avait anticipé les effets dilutifs de l'augmentation de capital pour les actionnaires ;
Que réciproquement, c'est l'annonce le 15 décembre d'une procédure de conciliation organisée par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a fait « plonger » le cours ;
Qu'enfin, la société KELLY et M. [B] font valoir que ce dernier ainsi que les dirigeants de la GSTI n'avaient pas conscience que les informations transmises par le mandataire ad'hoc de NORTENE présentaient un caractère privilégié ; qu'ils ont d'ailleurs spontanément et en toute bonne foi collaboré à l'enquête menée par l'AMF ;
Mais considérant qu'aux termes de l'article 621-1 du RGAMF, l'information privilégiée est définie comme une information précise, qui n'a pas été rendue publique, qui concerne directement ou indirectement un ou plusieurs émetteurs de titres, et qui si elle avait été rendu publique aurait pu avoir une incidence sensible sur l'évolution des cours du titre concerné ;
Que les informations visées dans la notification des griefs portaient sur la mauvaise situation financière de NORTENE et le risque imminent pour cette dernière d'être en état de cessation de paiement ; que les informations communiquées par le mandataire ad'hoc dans son appel téléphonique du 4 décembre 2006 faisaient état de la nomination de ce dernier afin de pérenniser la société et de trouver des financements complémentaire visant à échapper à la mise en liquidation judiciaire ; que ces informations communiquées par téléphone recouvrent donc effectivement les informations retenues dans les griefs ; que leur teneur telle que relatée par M. [H] consistait en :
-la nomination d'un mandataire ad hoc et sa mission au sein de Nortene c'est à dire 'favoriser des accords avec les créanciers pour pérenniser la société';
- le montant des pertes enregistrées par la société Nortène au titre de l'exercice clos le 30 décembre 2006, de l'ordre de 4,3 millions d'euros;
- la nécessité de la mise en oeuvre d'une augmentation de capital dans les plus brefs délais;
- la valorisation de Nortène à hauteur de 10 à 12 euros par action dans le cadre de l'augmentation de capital à venir;
- la nécessité d'un financement immédiat des achats de la société pour la saison suivante ;
Qu'ainsi définies, ces informations réunissaient les quatre conditions cumulatives exigées par 621-1 RGAMF pour être qualifiées d'informations privilégiées ;
Qu'en premier lieu, ces informations communiquées par téléphone étaient précises car la désignation d'un mandataire ad'hoc implique la saisine du tribunal de commerce, évoque des difficultés sérieuses susceptibles de relever non plus d'une simple recapitalisation, d'un plan social ou d'un rapprochement industriel plus ou moins urgent, comme dans les mois précédents le 4 décembre 2006, mais d'une procédure collective potentielle, et engage une mission légalement détaillée qui ne peut tromper ni les créanciers ni les tiers ni les porteurs de parts ;
Que spécialement, les informations décrivaient avec précision les difficultés de trésorerie de Nortène chiffrées à 8 millions d'euros, la valorisation de l'augmentation de capital qui devait représenter entre 10 et 12 euros par action Nortène, le besoin de financement qui était expressément destiné à financer les achats de Nortène pour la saison suivante, les pertes estimées à 300 000 euros et les 'non valeurs' qui étaient chiffrées à 4 millions d'euros, autant de détails dont le public ne dispose en général pas et ne disposait pas en l'espèce ;
Qu'en deuxième lieu, les informations les plus alarmantes communiquées par téléphone, n'étaient pas encore publiques à la date des faits reprochés ;
Que s'il est vrai que certaines informations données le 4 décembre 2006 étaient déjà connues du public pour partie (les pertes nettes consolidées de 470 000 euros, la survenance prochaine d'une augmentation de capital à hauteur de 10 à 12 millions d'euros à un prix de 13,60 à 17 euros, les difficultés de trésorerie de Nortène à hauteur de 4 millions d'euros et le besoin de financement pour assurer la pérennité et le développement du groupe), ces données laissaient croire à une situation financière moins dégradée comme en témoigne l'énoncé comparatif de ce que ne connaissait pas le public :
- la non valeur de 4 millions d'euros;
- les difficultés de trésorerie qui étaient deux fois plus importantes;
- la nécessité de désigner un mandataire ad hoc dans la mesure où la pérennité de la société était en cause;
- la mission du mandataire ad hoc désigné par le président du tribunal de commerce de Nanterre consistant à 'favoriser des accords avec les créanciers pour pérenniser la société'; la désignation d'un mandataire ad'hoc démontrant que la société était en grande difficulté et par conséquent le risque de procédure collective n'ont été révélés au public que dans un communiqué en date du 14 février 2007 ;
Qu'ainsi, la Commission des sanctions de l'AMF a pu à bon droit considérer que
l'information transmise par le mandataire ad hoc le 4 décembre 2006 demeurait inconnue du marché ;
Qu'en troisième lieu, les informations communiquées par téléphone concernaient directement la société NORTENE émettrice des titres dont les opérations de cession font l'objet de l'enquête ;
Qu'en quatrième et dernier lieu, la diffusion auprès du public des informations communiquées par téléphone était susceptible d'avoir une incidence sensible sur le cours des titres NORTENE ; qu'en effet, ces informations, en énonçant de manière générale qu'un mandataire était désigné pour tenter de pérenniser la société et en mettant à jour en particulier les risques très réels de disparition pure et simple de la société NORTENE, auraient été de nature à dissuader le marché d'investir sur ce titre, ce qui aurait fait naître une irrépressible tendance baissière ;
Que la conjugaison de ces données avec d'autres, notamment la survenance prochaine d'une augmentation de capital à un prix de 10 à 12 euros et non au prix de 13,60 à 17 euros connu du marché soit à un prix inférieur au cours du titre, la 'non valeur' de 4 millions d'euros qui montrait la dégradation de la situation de l'entreprise, l'éventualité d'une liquidation et donc d'une cessation d'activité qui aurait ramené la valeur des titres à l'actif net de la société, les besoins de trésorerie de la société fixés à 8 millions d'euros alors que les estimations dont pouvait disposer le public ne portaient que sur un montant de 4 millions d'euros, aurait concourru à déterminer un épargnant à se détourner du titre Nortène ;
C ' Sur l'utilisation des informations par la SAS KELLY et M.[B]
Considérant que la société KELLY et M. [B] soutiennent qu'au vu de l'article 622-1 RGAMF, selon lequel la personne détentrice d'informations privilégiées doit s'abstenir d'utiliser celles-ci, en l'espèce, ni M. [B], ni la Société KELLY n'ont « utilisé » les informations transmises par le mandataire ad'hoc''le 4 décembre 2006 et que ces informations n'ont pas déterminé la ventes litigieuse des titres NORTENE ;
Qu'en effet, la décision de céder la participation dans NORTENE a été prise par la GSTI et KELLY dès le mois de Septembre 2006, en un ordre unique pour les 82.000 titres environ dont elles disposaient, comme le démontre la retranscription du compte rendu de réunion GSTI-KELLY du 8 Septembre 2006 (pièce n 8 des requérants) ; que l'intention de KELLY de liquider sa participation au capital de NORTENE s'est traduite par des opérations de cessions continues et régulières (quasi quotidiennes) passées sur le marché entre le 21 Septembre 2006 et le 4 décembre 2006 (date de communication des informations privilégiées) ; que compte tenu de la faible liquidité du marché et de la faiblesse du flottant, l'intermédiaire désigné par KELLY avait choisi d'écouler progressivement les titres NORTENE par petits volumes d'environ 200 à 300 titres par semaine, et « au mieux » ; que postérieurement au 4 Décembre 2006 (date de communication des informations privilégiées), les cessions se sont poursuivies selon la même logique, le prix de vente étant aux alentours de 16,90 euros ; que le 12 décembre 2006, à la suite d'une recommandation parue à la Lettre de la Bourse, il est apparu une très forte augmentation de la demande de titres NORTENE et que ceci a entraîné une très nette augmentation du cours de NORTENE ; que cette tendance a permis à KELLY de liquider d'un coup le solde de sa participation au capital de NORTENE à 16,90 euros (qui correspond au niveau de prix auquel KELLY s'était régulièrement positionné jusqu'alors) ;
Mais considérant que dés l'instant où M. [B] a été mis en possession des informations privilégiées, il était ainsi que sa société dans l'obligation de s'abstenir d'intervenir sur le titre concerné, sauf impérieuse nécessité ;
Nota bene : je retire donc ici l'adjectif « absolue » après le mot « obligation », ce qui figurait encore dans Schoenlaub ou dans Frydmann (au visa exprès, d'ailleurs, de la directive CE !!), de sorte d'entrer dans les considérations qui suivent, relatives à la réfragabilité de la présomption de mauvaise foi, posée par la CJCE dans son arrêt Spector du 23.12.2009 sur question préjudicielle(notamment parag. 31.32.35.36.37.39.44.45.46.47.48.53.55.57.58.59.60 et par Mme [O] parag. 54.57). Mais je « traduis » en droit national, je ne fais donc qu'utiliser les articulations du fort bon raisonnement juridique luxembourgeois pour éviter la question de la rétroactivité de la jurisprudence européenne ; ça ne pose pas de problème, le droit français est la transposition très fidèle des directives CE.
Qu'en effet, le code monétaire et financier, non plus que le RGAMF, ne définissent pas l'opération interdite comme devant être effectuée en connaissance de cause, mais se bornent à interdire aux initiés primaires d'utiliser une information privilégiée lorsqu'ils effectuent une opération de marché, le substantif « utilisation » ayant été délibérément préféré à celui d' « exploitation » de l'information ; que ces dispositions restreignent donc les éléments constitutifs de l'opération prohibée d'une part aux personnes susceptibles de relever de leur champ d'application, d'autre part aux agissements purement matériels de l'opération ;
Que réciproquement, les dispositions applicables ne prévoient pas expressément de conditions subjectives relatives à l'intention qui a inspiré les agissements matériels ; qu'il n'est pas imposé à l'AMF de rechercher si l'opérateur a été mu par une intention spéculative, ou a poursuivi un but frauduleux ou avoir agi de propos délibéré ou par négligence ; qu'il n'est même pas nécessaire que l'AMF établisse que l'information privilégiée a déterminé la décision d'effectuer l'opération de marché en cause ;
Qu'autrement dit, l'élément moral du manquement est présumé, en raison du lien étroit existant entre Kelly et Nortène, l'émetteur du titre sur lequel porte l'information privilégiée, ce qui implique une responsabilité particulière et exclut en principe que l'auteur ait pu opérer sans avoir conscience de ses agissements et sans avoir intégré l'information privilégiée dans le processus d'investissement ou de désinvestissement ;
Que cette analyse est d'autant moins contestable que la finalité de la législation apparaît clairement comme étant d'assurer l'intégrité des marchés et de renforcer la confiance des investisseurs ; que l'efficacité du dispositif serait amoindrie si elle était conditionnée à la recherche systématique d'un élément moral ;
Qu'une telle présomption ne saurait pour autant porter atteinte à une autre présomption « d'innocence » plus fondamentale, consacrée par la Convention ESDH en son article 6-2 applicable en l'espèce et effectivement invoquée par les requérants ; qu'autrement dit, la présomption relative à l'élément moral du manquement d'initié est réfragable, de sorte que la prohibition d'utilisation d'une information privilégiée ne soit pas automatique et demeure une riposte appropriée et nécessaire pour protéger l'intégrité des marchés et la confiance des investisseurs ; que singulièrement sur ce dernier point, la réfragabilité de la présomption permet de vérifier que tous les investisseurs ont été placés sur un pied d'égalité, qu'aucun d'eux ne s'est trouvé dans une position avantageuse dont il aurait tiré profit au détriment de ceux qui ignoraient l'information privilégiée ;
Que cette réfragabilité est également indispensable au fonctionnement des marchés car elle permet ' et elle y suffit, contrairement aux énonciations des requérants dans leurs écritures ' de sauvegarder les activités des professionnels de l'investissement et des prestataires de service, et permet aussi d'exclure la qualification d'initié dans le cadre d'une offre publique d'acquisition ou dans celui d'une proposition de fusion, sans encourir les sanctions prévues par la loi ;
Que cependant et en l'espèce, la société KELLY et M. [B] ne démontrent pas pour quelles raisons la présomption susdite ne s'appliquerait pas à eux ; qu'ils ne poursuivaient aucune opération de rapprochement, d'acquisition ou de fusion, perspective qu'ils avaient abandonnée depuis le 8 septembre 2006 ; qu'ils n'articulent aucun autre motif que celui d'avoir parachevé une opération de liquidation débutée plusieurs mois auparavant et d'avoir profité de la rumeur d'une meilleure liquidité du titre ; que ce disant, ils font eux-mêmes la démonstration au moins d'une coupable négligence, car la loi leur faisait obligation au contraire de suspendre immédiatement leur ordre de vendre dès l'appel téléphonique du mandataire ad hoc ;
Que du tout, il s'évince que les requérants ne sont pas fondés à soutenir la rationalité et la licéité de leur comportement et qu'ils étaient dans l'obligation de s'abstenir d'intervenir sur le titre concerné, à défaut d'une quelconque nécessité de vendre ;
D - Sur le quantum de la sanction prononcée
Considérant que la société KELLY et M. [B] soutiennent que M.[B] n'est pas rompu au droit des marchés financiers et qu'il n'avait pas conscience de disposer d'informations privilégiées ; que M. [B] et la Société KELLY ont agi en toute bonne foi, sans volonté de dissimuler leurs intentions ; qu'il conviendrait donc de prendre en compte ces faits d'espèce afin de modérer le quantum des sanctions prononcée à l'encontre de M. [B] et de la Société KELLY ;
Mais considérant que par application de l'article L 621-15-III C.M.F., le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ;
Que le montant de l'avantage procuré par l'utilisation des informations privilégiées lors de la cession a été exactement évalué par la commission des sanctions en multipliant le nombre de titres cédés (58681) par la différence entre le cours moyen de cession (16.99) et le cours moyen atteint après la publicité donnée à la désignation d'un mandataire ad hoc le 4 décembre précédent (14.49) ; que le bénéfice retiré de l'utilisation de ces informations par la SAS KELLY et M. [B] a donc été de 146.116 euros ;
Que dès lors, en limitant la condamnation de la Société KELLY à 150.000 euros d'amende, soit le bénéfice indû réalisé par cette dernière, et celle de M. [B] à 5.000 euros d'amende, la commission des sanctions a respecté la règle de proportionnalité des sanctions ;
E - Publicité de la décision
Considérant que la société KELLY et M. [B] soutiennent que l'impact commercial de la publication de la décision est manifestement disproportionné par rapport au but poursuivi par le législateur de publier les décisions ;
Mais considérant qu'en faisant application de L621-12 V du Code monétaire et financier, la commission des Sanctions a pu considérer que, au regard des faits de l'espèce, aucune circonstance n'est de nature à démontrer que la publicité de la décision aurait des conséquences disproportionnées sur la situation des personnes, ni qu'un risque de perturbation des marchés ait été à craindre ;
PAR CES MOTIFS
Rejette les recours de M. [Y] [B] et de la S.A.S. KELLY ;
Les condamne aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Benoit TRUET-CALLU Thierry FOSSIER