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30/03/2010 | FRANCE | N°09/02644

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 30 mars 2010, 09/02644


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 30 MARS 2010



(n° 135, 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02644



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/14389





APPELANTS



Monsieur [T] [N] [P]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représenté par la SCP BERNABE - CHA

RDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Pascal MURZEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C 793



Monsieur [C] [F]

[Adresse 4]

[Localité 8]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 30 MARS 2010

(n° 135, 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02644

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/14389

APPELANTS

Monsieur [T] [N] [P]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Pascal MURZEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C 793

Monsieur [C] [F]

[Adresse 4]

[Localité 8]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Pascal MURZEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C 793

S.A.R.L. MAPA, exerçant sous l'enseigne La Table de [C] [F]', prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Pascal MURZEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C 793

INTIMES

Maître [D] [M]

[Adresse 2]

[Localité 9]

représenté par Me Dominique OLIVIER, avoué à la Cour

assisté de Me D. BERNARD, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE

SCP BERNARD HUGUES JEANNIN & Associés

Maître [I] [S]

[Adresse 3]

[Localité 10]

représenté par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assisté de Me Marie-José GONZALEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P 499

SCP INTERBARREAUX PETIT-RONZEAU, avocats au barreau de PONTOISE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 février 2010, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre entendu en son rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile, en présence de Madame GUEGUEN, conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre

Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller

Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN

MINISTERE PUBLIC :

représenté à l'audience par Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général

ARRET :

- contradictoire

- rendu publiquement

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

**********

MM. [P] et [F] ont signé, pour le compte de la SARL MAPA, le 29 avril 2005, une promesse synallagmatique d'achat et de vente d'un fonds de commerce de restauration exploité par la SARL VILLANO, titulaire du bail qu'elle avait conclu avec la SCI propriétaire, dont la gestion était assurée par le gérant d'une société SATRAG.

La veille, M. [S], notaire, a suggéré à M. [M], avocat des acquéreurs, de s'assurer auprès du bailleur de ce que les loyers étaient à jour et qu'aucune procédure de résiliation du bail n'étaient en cours.

M. [M], rédacteur de l'acte de cession, s'est enquis par lettre du 19 juillet 2005 auprès de la société SATRAG des difficultés possibles de la cession et il lui a été répondu le 26 juillet suivant qu'un huissier avait été mandaté pour délivrer un commandement de payer la somme de 10 329,89 € correspondant au loyer du 2ème trimestre 2005. Il a fait connaître à cette même société, par correspondance du 28 juillet 2005, que la signature de l'acte définitif était prévue le 3 août suivant et lui a demandé 'de ne pas délivrer de commandement' mais de lui 'adresser les décomptes des loyers' indiquant qu'ils seront réglés par le séquestre.

Le jour de la signature, un huissier s'est présenté pour faire opposition à la cession au nom de la SCI propriétaire du fait du non respect des clauses du bail et de deux commandements infructueux délivrés les 10 novembre 2004 et 26 juillet 2005. Nonobstant cette opposition, l'acte a été régularisé et M. [S], notaire, a été désigné séquestre du prix jusqu'à expiration des délais d'opposition ou jusqu'à l'obtention des certificats de radiation des inscriptions éventuelles ou des oppositions sur le prix. Le même jour, M. [M] lui a écrit pour lui demander de régler les causes du commandement dès sa transmission.

M. [M] a fait notifier la cession à la société SATRAG le 10 août 2005.

Par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris du 21 octobre 2005, l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail de la société VILLANO pour non paiement des loyers étaient prononcées et un commandement de quitter les lieux et aux fins de saisie vente lui a été délivré le 23 novembre 2005.

La société VILLANO a adressé à la société MAPA copie des deux commandements le 26 novembre 2005.

Par correspondances échangées le 25 novembre 2005, M. [M] a obtenu de M. [S], qu'il interrogeait à cet effet, l'assurance que le bailleur n'avait formé aucune opposition entre ses mains au titre des loyers impayés, qu'il restait encore 10 000,21 € disponibles sur le prix versé au prêteur du vendeur et l'affirmation qu'il n'était pas dans ses pouvoirs de séquestre de régler la créance due à la SCI puisque seuls les créanciers opposants pouvaient l'être, après autorisation du cédant.

Puis, le 28 novembre, la SCI propriétaire a fait opposition au prix de vente entre les mains de M. [S] pour la somme de 17 471,67 €. Elle a, postérieurement, signifié à la société MAPA une tentative d'expulsion.

Le lendemain, M. [S] a rappelé à M. [M] qu'il lui avait conseillé de surseoir à la cession tant que tout n'était pas réglé ou de demander au propriétaire-bailleur une attestation faisant apparaître que le règlement des loyers était à jour.

La société SATRAG a ensuite écrit le 7 décembre 2005 à M. [M] que, après qu'il soit passé outre son opposition, le notaire, ès qualités, ne lui avait versé aucune somme et que la société VILLANO restait redevable de celle de 21 227,64 € à parfaire en fonction de la décision rendue par le tribunal de grande instance le 24 octobre 2005.

M. [M], interrogeant de nouveau M. [S] le 4 janvier 2006, sur un versement éventuel au profit de la SCI propriétaire s'est vu répondre que, du fait de toutes les oppositions en cours, il n'y avait plus de possibilité de régler la somme concernée mais qu'il attendait des instructions du gérant de la société VILLANO afin de distribuer les sommes au marc le franc entre tous les créanciers venant à égalité.

La société VILLANO a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 16 janvier 2006, transformée en liquidation le 27 avril. M. [S] a adressé au mandataire liquidateur le solde du compte séquestre, soit 10 000,21 €, et la liste des oppositions reçues.

La société MAPA a été effectivement expulsée avec le concours de la force publique le 23 mars 2006. Le juge des référés, saisi de l'opposabilité à son égard de l'ordonnance du 21 octobre 2005 qui avait constaté l'acquisition de la clause résolutoire et ordonné l'expulsion, s'est déclaré incompétent pour en connaître par ordonnance du 3 mai 2006. Sa cessation d'activité a entraîné sa radiation administrative du registre du commerce le 4 septembre 2007.

Elle a alors, avec MM. [P] et [F], recherché la responsabilité contractuelle de M. [M] [ainsi que celle de la société CPEC, formaliste qui ne figure plus en cause d'appel] auquel ils reprochent différentes fautes tenant à la rédaction de l'acte de cession et à ses suites, celui-ci ayant attrait M. [S] pour obtenir qu'il le garantisse de toutes condamnations.

Par jugement du 21 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Paris a condamné M. [M] à payer à la SARL MAPA la somme de 30 000 € de dommages et intérêts et 6 000 € d'indemnité procédurale ainsi que les dépens, sauf ceux de M. [S] qu'il a laissé à sa charge, et a condamné la SARL MAPA à payer 4 000 € d'indemnité procédurale à la société CPEC [le formaliste qui n'est plus dans la cause].

CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,

Vu l'appel de ce jugement par la société MAPA, MM. [P] et [F] en date du 9 février 2009 à l'encontre du seul M. [M],

Vu leurs dernières conclusions déposées le 11 janvier 2010 selon lesquelles ils demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que M. [M] avait commis des fautes dans l'exécution de son mandat en vue de l'acquisition d'un fonds de commerce mais son infirmation quant au montant du préjudice pour condamner M. [M] à verser 412 340 € à la société MAPA, 229 000 € à M. [P] et 263 309,26 € à M. [F], ainsi que la somme 6 000 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'appel de ce jugement par M. [M] en date du 2 avril 2009 à l'encontre de la société MAPA, de MM. [P] et [F] et de M. [S],

Vu ses dernières conclusions déposées le 30 juillet 2009 selon lesquelles, poursuivant la réformation du jugement, il sollicite la condamnation de la société MAPA et de MM. [P] et [F] in solidum à lui payer les sommes de 1 € de dommages et intérêts pour 'action abusive et vexatoire' et de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, subsidiairement ' vu l'article 1382 du code civil' la condamnation de M. [S] à 'le relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre' ou de celle du tribunal en cas de confirmation et à lui payer 10 000 € de frais irrépétibles,

Vu l'ordonnance de jonction des deux procédures en date du 18 mai 2009,

Vu les dernières conclusions déposées le 31 décembre 2009 aux termes desquelles M. [S] demande de 'dire et juger' qu'il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle, subsidiairement, au constat de l'absence de preuve d'un préjudice certain, réel et actuel en relation avec un manquement de l'étude, de débouter M. [M] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

SUR CE,

Considérant qu'à l'appui de leur appel, MM. [P], [F] et la SARL MAPA, qui rappellent qu'ils n'ont aucun reproche à formuler à l'encontre de M. [S], soutiennent que M. [M] a commis plusieurs fautes à l'origine de la perte de leur fonds de commerce consistant à n'avoir pas fait toutes les vérifications utiles avant la rédaction de son acte et à n'avoir pas fait les déclarations ou pris les garanties que la situation de ses clients et leur sécurité juridique imposaient ; que, notamment, il ne s'est pas informé de la situation financière de la venderesse, déjà compromise, sur laquelle le notaire avait appelé son attention, qu'il ne s'est pas soucié d'une éventuelle dette locative et de ses suites bien que la société SATRAG lui en ait fait part, ce qui aurait permis aux acquéreurs de régler l'arriéré à la SCI propriétaire et, par voie de conséquence, de conserver leur bail, qu'il a maintenu la cession nonobstant l'opposition formulée par elle en considérant qu'elle était sans valeur, qu'il n'a pas régulièrement notifié la cession en le faisant au mandataire et non à la propriétaire, ce qui a eu pour conséquence qu'elle a pu obtenir l'expulsion de sa locataire 'et de tous occupants de son chef', qu'il a rédigé de manière erronée le mécanisme des oppositions sur le prix en les domiciliant à son cabinet alors que le notaire était séquestre, de sorte que ce dernier ne pouvait libérer les fonds, qu'il n'a engagé aucune procédure postérieure pour permettre d'arrêter le mécanisme de l'expulsion alors qu'ils étaient en mesure d'apurer la dette de loyers ;

Considérant qu'à l'inverse M. [M] fait valoir que le caractère déficitaire de l'affaire était connu, qu'une attestation du bailleur, telle que suggérée par M. [S], était sans intérêt puisqu'il connaissait la situation qu'il avait demandée à la société SATRAG avant la signature de la promesse et qui ne montrait qu'un trimestre de retard, qu'elle aurait été sans portée puisque aucune solidarité n'était prévue dans l'acte ; que la dette était personnelle au cédant et qu'il avait été demandé au séquestre de la régler ; que la signification de l'acte, bien que faite à la société SATRAG et non à la SCI propriétaire, était parfaitement régulière puisque la bailleresse connaissait la cession, la même personne, M. [U], étant PDG de l'une et gérant de l'autre et le bail prévoyant la remise d'un exemplaire 'au bailleur ou à son gestionnaire', qu'il n'a pas été débattu de ce point devant le juge des référés ; qu'il n'y avait pas lieu de reporter la signature de l'acte, l'opposition formulée étant dépourvue de portée juridique, pouvant seulement jouer sur le prix, et le seul engagement prévu, de solidarité sur les loyers entre les parties, préservant les droits de la propriétaire ; que le montant de l'arriéré n'était pas 'inquiétant' et que le prix de vente le couvrait largement ; que lors de la naissance des difficultés, il ne pouvait, comme il l'a fait, que recommander un confrère qui n'a pas été suivi dans sa suggestion de faire opposition à l'ordonnance de référé ; que le préjudice résulte de l'effet cumulé du 'comportement frauduleux du bailleur' et de 'celui malheureux de la société MAPA' alors que la société VILLANO, qui connaissait sa dette de loyer et le fait, qu'ajoutée à d'autres, elle dépassait le prix de cession, a donné son accord à M. [S] pour qu'il règle sa banque prêteuse et n'a pas comparu devant le juge des référés et, ainsi, pas fait valoir la cession intervenue ; que le préjudice vient également des 'négligences' de M. [S] qui a favorisé ses clients dans la distribution du prix au détriment des créanciers alors que, séquestre, il devait d'abord obtenir l'accord de la société VILLANO pour régler les loyers et, si sa mission le lui interdisait, il devait l'avertir de la difficulté ; qu'il indique que la perte du commerce est dû à la mauvaise gestion de la SARL MAPA qui n'a pas payé ses propres loyers et affirme l'absence de lien causal entre les fautes reprochées et le préjudice puisqu'aucune 'décision définitive n'est intervenue sur la validité de la signification' de la cession ; qu'il conteste le préjudice allégué dans toutes ses composantes ;

Sur la responsabilité de M. [M] :

1. Considérant que M. [M], rédacteur unique de l'acte de cession, avait pour obligation d'assurer l'efficacité de son acte et de prendre toutes les mesures utiles à assurer la protection de ses clients, acquéreurs du fonds de commerce litigieux ; qu'en particulier il devait vérifier, avant la signature définitive, qu'aucune dette non réglée ne subsistait qui pouvait ultérieurement peser sur eux ou, dans l'affirmative, insérer à l'acte les clauses indispensables pour en éviter la charge aux acquéreurs ;

Considérant que M. [M] avait connaissance, avant la cession, des termes du bail conclu entre la SCI propriétaire et la société venderesse et de l'existence du non paiement d'un terme échu ainsi que de la délivrance d'un commandement de le payer, visant la clause résolutoire, tous faits qu'il ne conteste pas ; qu'en outre, ainsi que le souligne M. [S], il avait été particulièrement mis en garde par celui-ci, la veille de la signature de la promesse, sur le fait qu'il convenait de s'assurer du règlement des dits loyers et des intentions du bailleur quant à la pérennité du bail ; que pour autant, malgré ces éléments qui auraient dû l'alerter et l'inciter à modifier certaines clauses de l'acte de cession ou à prendre, dans l'intérêt de ses clients, des garanties à l'encontre du cédant, ou à tout le moins, à se rapprocher de la SCI propriétaire pour convenir avec elle des modalités de règlement de la dette par prélèvement sur le prix et d'engagement corrélatif d'abandon des poursuites, M. [M] a non seulement maintenu la cession à la date initialement prévue mais n'a modifié aucunement l'acte, y compris sur de nombreuses autres erreurs signalées par M. [S], ni fait quelque démarche que ce soit pour apporter une solution à la difficulté rencontrée ; que de plus, alors que le jour de la signature s'est présenté un huissier pour faire opposition à la cession au nom de la bailleresse et rappeler les commandements délivrés, M. [M] s'est contenté d'affirmer que cette opposition était sans valeur sans prendre quelque mesure que ce soit pour en annuler ou limiter les conséquences préjudiciables prévisibles ;

Considérant que sa carence est, comme l'ont justement retenu les premiers juges et comme le mettent en avant MM. [P], [F] et la SARL MAPA, constitutive d'une faute dont il doit répondre des conséquences, le fait qu'il n'y ait pas de solidarité prévue entre cédant et cessionnaire dans l'acte qu'il a rédigé étant sans influence, dès lors que la solidarité entre preneurs successifs quant au règlement des loyers était mentionnée dans le bail, comme devient, pour la même raison, sans portée l'observation selon laquelle la dette de loyers était 'personnelle au cédant' ;

Considérant que pour s'affranchir des conséquences préjudiciables de cette faute, M. [M] ne saurait sérieusement soutenir qu'il avait demandé au séquestre de régler les causes du commandement alors que celui-ci fait opportunément observer d'une part qu'il lui appartenait de trouver une solution à cette difficulté, connue de lui, avant la signature définitive et d'autre part que la mission de séquestre, telle qu'elle est libellée dans l'acte de cession, rédigé par M. [M], ne le lui permettait pas, la clause en question ne l'autorisant à se dessaisir de fonds qu'au profit des créanciers formant opposition ou des créanciers titulaires d'un privilège ou d'un nantissement, ce qui n'était pas le cas de la SCI bailleresse ;

2. Considérant qu'il est également fait reproche à M. [M] d'avoir procédé à une signification de la cession à la propriétaire inefficace ; qu'il est constant qu'il a accompli cette formalité auprès de la société SATRAG, présentée comme mandataire de la propriétaire ; que pour s'exonérer de toute responsabilité à ce titre M. [M] fait valoir que le bail prévoyait une remise de l'acte soit au propriétaire soit à son gestionnaire ;

Considérant cependant que, si le bail prévoit en effet que 'En cas de cession, un exemplaire de la cession devra être remis gratuitement au propriétaire ou à son gestionnaire, dix jours au plus tard avant l'expiration du délai d'opposition', l'acte de vente, qui rappelle cette clause sous l'intitulé 'cession de droit au bail' (page 5, 2ème paragraphe) stipule néanmoins également sous l'intitulé 'Notification du bailleur' (même page, 7ème paragraphe) que 'Il est précisé que la notification de la cession sera faite au bailleur conformément à l'article 1690 du code civil, par le cabinet de Maîtres [W] et [M], Avocats et au frais du cessionnaire' ; que, loin d'affranchir ainsi M. [M] de la formalité prévue envers le bailleur, il résulte expressément de l'acte dont il est le rédacteur qu'il s'engageait à l'accomplir envers ce dernier ;

Qu'au surplus, et comme le font judicieusement observer MM. [P], [F] et la SARL MAPA, il ne ressort nullement du bail qu'une société dénommée SATRAG serait la mandataire de la SCI bailleresse, cette dernière ayant seulement été représentée à cet acte 'par son gérant statutaire, Monsieur [E] [U], désigné au cours des présentes sous le nom de bailleur', de sorte qu'une notification de la cession litigieuse à la société SATRAG était nécessairement irrégulière, la considération selon laquelle M. [U] serait également le 'PDG' de la dite société étant sans incidence ;

Considérant qu'il s'en déduit que, ce faisant, M. [M] a commis une faute dont il doit répondre des conséquences préjudiciables pour ses clients ;

Sur la responsabilité de M. [S] :

Considérant que M. [M] reproche à ce notaire d'avoir favorisé ses propres clients, à savoir la société VILLANO, en payant, sur les fonds disponibles, les créanciers de cette dernière au lieu de payer les échéances de loyers visées par le commandement, comme il le lui avait demandé ; qu'il a, outrepassant ses pouvoirs de séquestre, payé la dette de cette société à la banque créancière, sans solliciter son accord pour le faire ;

Considérant cependant que la mission du séquestre, telle que rédigée dans l'acte sous la plume unique de M. [M], comme indiqué ci-avant, n'autorisait pas M. [S] à payer à qui que ce soit quelque dette que ce soit sauf, ainsi qu'il le fait observer justement, aux créanciers opposants ou bénéficiaires d'un nantissement ; qu'en effet aux termes de cette clause 'le vendeur sera tenu ainsi qu'il s'y oblige à rapporter les mainlevées des oppositions et inscriptions dans le mois de la notification qui lui en sera faite au domicile ci après élu pour l'exécution des présentes' (page 21) ; que le même acte mentionne sous l'intitulé 'privilèges et nantissements' que le fonds a fait l'objet d'un nantissement au profit de la banque CCF et que 'le vendeur s'engage à affecter les fonds à provenir de la vente à l'extinction de toutes les causes des inscriptions éventuelles prises sur le fonds de commerce' (page 20) ; que c'est en conformité avec ces stipulations que M. [S] a réglé sur le prix de vente le seul créancier ayant formé opposition et bénéficiaire d'un nantissement ; qu'outre celui-ci, saisi d'oppositions d'autres créanciers, et alors que la SARL VILLANO avait été placée en liquidation judiciaire, il n'a fait que renvoyer ceux-ci vers le liquidateur ;

Considérant que, s'agissant de la créance de la SCI propriétaire, la clause ci-dessus rappelée ne permettait à M. [S] d'en régler les causes que si elle formait régulièrement opposition, ce qui n'a été le cas que le 28 novembre 2005 ; que, quelles qu'aient été les invitations faites sur ce sujet par M. [M], elles n'étaient juridiquement pas de nature à permettre le paiement de créances par le séquestre, alors qu'il avait au contraire prévu une formalisme particulier dans l'acte pour ce faire ; qu'en tout état de cause M. [M] est mal venu d'adresser un tel reproche à M. [S], qui l'avait mis en garde sur le risque pouvant exister quant à une dette de loyer, et qu'il n'a pas jugé utile de tenir compte de cet avertissement ;

Considérant dans ces conditions que le jugement, qui a écarté toute faute de M. [S], sera confirmé de ce chef ;

Sur les conséquences :

Considérant qu'il n'est pas discuté que, faute de signification régulière d'une part et de paiement des loyers visés par le commandement d'autre part, la SCI propriétaire a pu poursuivre la procédure d'expulsion jusqu'à son terme et que cela a entraîné la perte du fonds de commerce ; qu'il n'est pas contestable que le fonds de commerce, quoiqu'en dise M. [M], constituait l'essentiel de la cession ;

Considérant que, une fois révélée la certitude de l'expulsion, MM. [P], [F] et la SARL MAPA n'ont cependant pas suivi les conseils qui leur étaient alors dispensés, suivant lesquels ils avaient une chance sérieuse d'éviter cette issue, en formant tierce opposition à l'ordonnance de référé qui avait fait droit à la demande de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et d'expulsion, cette ordonnance ayant été rendue en l'absence de la SARL VILLANO et sans que soit évoquée la cession intervenue, à condition de présenter une proposition de règlement de la dette ; qu'au lieu d'agir ainsi, ils ont saisi de la difficulté née de leur expulsion, en pure perte, le juge des référés qui s'est déclaré incompétent, non sans relever l'absence de tout règlement ; qu'ils ont ainsi, comme le fait observer M. [M] et comme l'a retenu le tribunal, contribué à leur préjudice ;

Considérant qu'à ce titre MM. [P], [F] et la SARL MAPA réclament pour les deux premiers une condamnation à hauteur respectivement de 229 000 € et de 263 309,26 € et pour la société d'une somme globale de 412 340 € représentant des indemnités compensatrices d'emprunts divers contractés (pour 207 425 €), de dettes vis à vis de fournisseurs (pour 83 690 €), de dettes fiscales et sociales (pour 49 064 €) et des comptes courants d'associés (à raison de 53 160 € pour M. [F] et 19 743 € pour M. [P]) ; qu'ils indiquent que, nonobstant l'arrêt de leur activité, ils ont dû continuer à régler les charges courantes et qu'ils ont dû assumer ensuite le licenciement de leurs salariés et que, du fait de cet arrêt brutal, ils se sont trouvés confrontés à des dettes devenues immédiatement exigibles ; qu'il en est ainsi, notamment, du prêt contracté pour l'acquisition, pour la garantie duquel, étant tous deux cautions, ils sont aujourd'hui poursuivis ;

Considérant toutefois que, d'une part les sommes représentatives des apports en compte courant constituent des dettes de la SARL MAPA envers les associés et qu'elles ne peuvent donc, comme demandé, être également incluses dans le préjudice global de la société, d'autre part les sommes équivalentes à des dettes de la société envers des tiers ressortissent de la vie normale de la société et, comme le soulignent à juste titre M. [M] et M. [S], elles ne peuvent donc constituer un préjudice indemnisable ;

Considérant également que, s'agissant de l'atteinte portée à leur image et du préjudice moral des associés, MM. [P] et [F] n'apportent pas la preuve de ce chef de préjudice, d'autant qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'ils ont pu retrouver un emploi à la hauteur de leurs qualités ;

Considérant en définitive que le seul chef de préjudice indemnisable pour la SARL MAPA seule, directement en lien causal avec la faute de M. [M], est constitué par l'obligation de rembourser immédiatement les emprunts contractés et de licencier du personnel, MM. [P] et [F] exclus ;

Que s'agissant des emprunts, il y a lieu de retenir que ce n'est pas le montant de l'emprunt qui constitue le préjudice, son remboursement faisant partie de l'exercice normal de l'exploitation du fonds de commerce, mais le fait qu'il soit immédiatement exigible du fait de la perte du fonds ; que si MM. [P], [F] et la SARL MAPA font valoir que le bilan des quelques mois d'exercice de l'activité du restaurant ont 'été bénéficiaires et très prometteurs' et en déduisent que leur chiffre d'affaires aurait été suffisant pour couvrir les dettes et rembourser, sur le temps prévu, les emprunts contractés, les éléments versés aux débats, joints au constat du juge des référés que les loyers courants n'étaient pas payés, ne laissent pas présumer une activité aussi florissante qu'ils se plaisent à la décrire ; qu'en tout état de cause rien ne permet d'affirmer avec certitude, ainsi qu'ils le font, que les prêts auraient toujours été remboursés à leurs échéances sans encombre ni que le restaurant aurait été prospère à long terme ;

Que dans ces circonstances, le préjudice invoqué par la SARL MAPA a pour origine partielle aussi bien une insuffisance d'activité que le fait qu'elle n'ait pas voulu, comme l'y incitait l'avocat qui l'avait conseillée sur les suites de l'expulsion, ou pu alors, payer, outre ses loyers courants, les échéances en retard ; qu'il ne peut donc consister qu'en une proportion des sommes réclamées au titre des prêts, étant observé que, si les appelants versent les lettres de licenciement des trois salariés de l'entreprise, ils ne fournissent aucune pièce relative au paiement corrélatif des indemnités dues ne justifiant ainsi pas de la réalité du préjudice invoqué ;

Que leur préjudice à ce titre sera évalué, au vu des prêts contractés, à la moitié arrondie du montant réclamé, soit 103 000 €, le jugement étant réformé en ce sens ;

Considérant que, compte tenu de la solution retenue, il n'y a pas lieu d'accorder à M. [M] de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que les circonstances légitiment l'octroi, à MM. [P], [F] et la SARL MAPA d'une part, à M. [S] d'autre part, d'indemnités procédurales dans la mesure précisée au dispositif ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

dit que M. [S] n'avait pas commis de faute,

dit que M. [M] avait commis des fautes en lien avec le préjudice subi par la SARL MAPA,

rejeté les demandes d'indemnisation de MM. [P] et [F] pour leurs préjudices personnels,

débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts,

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau des autres chefs,

Condamne M. [M] à payer à la SARL MAPA la somme de 103 000 € (cent trois mille euros) de dommages et intérêts,

Condamne M. [M] à payer à MM. [P], [F] et la SARL MAPA la somme totale de 6 000 € (six mille euros) et à M. [S] la somme de 4 000 € (quatre mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 09/02644
Date de la décision : 30/03/2010

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°09/02644 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-03-30;09.02644 ?
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