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19/03/2010 | FRANCE | N°10/03901

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 4, 19 mars 2010, 10/03901


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 4



ARRÊT DU 19 MARS 2010



(n° 196 ,6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/03901



Décision déférée à la Cour : ordonnance du 02 Mars 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/51842







APPELANTS



S.A. D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE LE POINT SEBDO,

agissant en la personne de

son Président.

[Adresse 2]

[Localité 5]



représentée par Maître Chantal BODIN-CASALIS, avoué près la Cour

assistée de Maître Renaud LE GUNEHEC, plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, av...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 4

ARRÊT DU 19 MARS 2010

(n° 196 ,6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/03901

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 02 Mars 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/51842

APPELANTS

S.A. D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE LE POINT SEBDO,

agissant en la personne de son Président.

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Maître Chantal BODIN-CASALIS, avoué près la Cour

assistée de Maître Renaud LE GUNEHEC, plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : P141

Monsieur [M] [P]

JOURNAL LE POINT

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Maître Chantal BODIN-CASALIS, avoué près la Cour

assisté de Maître Renaud LE GUNEHEC, plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : P141

Monsieur [Z] [T]

JOURNAL LE POINT

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Maître Chantal BODIN-CASALIS, avoué près la Cour

assisté de Maître Renaud LE GUNEHEC, plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : P141

INTIMES

Madame [J] [D] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués près la Cour

assistée de Maître Georges KIEJMAN, plaidant pour la SCP KIEJMAN ET MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS.

Monsieur [M] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour

assistée de Maître Georges KIEJMAN, plaidant pour la SCP KIEJMAN ET MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B249.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Mars 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jacques LAYLAVOIX, Président de chambre

Monsieur David PEYRON, Conseiller

Madame Catherine BOUSCANT, Conseillère

qui en ont délibéré sur le rapport de Monsieur Jacques LAYLAVOIX.

Greffier, lors des débats : Madame Lydie GIRIER-DUFOURNIER

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jacques LAYLAVOIX, président et par Mademoiselle Fatia HENNI, greffier auquel la minute du présent arrêt est remise.

Vu l'ordonnance de référé prononcée le 2 mars 2010 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, qui, saisi sur assignation délivrée à la requête de [J] [D], épouse [I], à la suite de la publication dans le numéro 1951 du 4 février 2010 de l'hebdomadaire Le Point d'un article annoncé en page de couverture par le titre 'Affaire [I] : Comment gagner un milliard ' ', accompagné par la reproduction de sa photographie et de celle de [Y] [F], article évoquant les importantes donations faites par [J] [I] à celui-ci et auquel étaient annexés de larges extraits des procès-verbaux d'audition de différentes personnes ayant été entendus dans le cadre de l'enquête de police effectuée sur plainte de [W] [I] - [H], a :

- donné acte aux défendeurs de ce qu'ils renonçaient à invoquer la nullité de l'assignation,

- dit que la reproduction par l'hebdomadaire Le Point dans son numéro 1951 du 4 février 2010 d'actes de procédure extraits de l'enquête préliminaire diligentée par le parquet de Nanterre dans l'affaire dite '[I]', à savoir quatre dépositions publiées en page 53, 54 et 55 sous le titre 'Exclusif : les femmes qui accusent', constituent une violation de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881,

- débouté [J] [I] de ses demandes fondées sur l'article 9 du code civil,

- Condamné in solidum [Z] [T], [M] [P] et la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point H, outre aux dépens, à payer à [J] [I] une provision de 3000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant de la publication illicite d'actes de procédure correctionnelle ainsi que la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du CPC ;

Vu l'appel interjeté contre cette ordonnance le 9 mars 2010 par la société anonyme 'le Point S.E.B.D.O.', Monsieur [M] [P] et Monsieur [Z] [T], qui, aux termes de leurs conclusions signifiées le 11 mars 2010, poursuivent l'infirmation partielle de l'ordonnance déférée et demandent à la cour de déclarer [J] [I] irrecevable à agir, subsidiairement, de dire n'y avoir lieu à référé, tant sur le grief tiré de la violation de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 que sur le grief tiré d'une atteinte à la vie privée et au droit à l'image, de débouter [J] [I] des fins de son appel incident et de ses prétentions et de la condamner aux dépens ainsi qu'à verser à la société précitée la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

Vu les conclusions signifiées le 11 mars 2010 par [J] [I], intimée et appelante à titre incident, qui demande à la cour de :

- dire que les commentaires de Monsieur [P] tendant à faire croire que sa santé mentale est déficiente constitue une atteinte grave à l'intimité de sa vie privée et que la reproduction de plusieurs photographies la représentant dans l'intimité de son appartement constitue une violation de son droit à l'image,

- ordonner la publication dans le plus prochain numéro de l'hebdomadaire Le Point à paraître immédiatement après la signification de l'arrêt, sous astreinte de 20 000 euros par numéro de retard, d'un communiqué, tel que rédigé dans ces conclusions, ce communiqué devant être publié au pied de la première page de couverture de l'hebdomadaire Le Point en caractères jaunes sur fond noir dans un encart de 21cm sur 6cm de hauteur, surmonté du titre ' Le Point condamné à la demande de Mme [J] [I]' en lettres jaunes de 1cm de hauteur,

- subsidiairement, annoncer ce communiqué sur la page de couverture et poursuivre la publication de son texte sur une page intérieure qui lui sera entièrement consacrée à l'exclusion de tout autre commentaire rédactionnel ou publicité, cette publication devant avoir lieu sous astreinte de 20 000 euros par numéro paraissant sans le communiqué,

- ordonner la publication du même communiqué sur le site www.lepoint.fr dans la rubrique actualités - société pendant une durée équivalente à celle de la mise en ligne de l'article intitulé 'Affaire [I] : Comment gagner un milliard (sans se fatiguer)',

- à titre de réparation complémentaire, condamner conjointement et solidairement les appelants à lui verser une provision d'un montant de 50 000 euros en réparation du préjudice moral qui lui a été causé,

- les condamner aux dépens de première instance et d'appel ainsi que solidairement à lui payer la somme de 10 000 euros pour ses frais de procédure non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il convient de se référer à l'exposé très complet de la procédure initiale et des faits figurant dans l'ordonnance déférée ; qu'il y a seulement lieu de rappeler que [W] [L] a déposé au mois de décembre 2007 une plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Nanterre pour abus de faiblesse à la suite de dons très importants consentis par sa mère [J] [I] à [Y] [F], qu'une enquête préliminaire a été ouverte au cours de laquelle il a été procédé à un certain nombre d'auditions de témoins, notamment de quatre personnes employées par [J] [I], et dont la publication de très larges extraits des procès-verbaux d'audition dans le numéro 1951 du 4 février 2010 du journal hebdomadaire Le Point est incriminée, que [W] [L] a fait délivrer une citation directe du même chef à [Y] [F] devant le tribunal correctionnel de Nanterre, lequel n'a pas encore examiné l'affaire sur le fond ; qu'il doit être souligné [J] [I] a affirmé avoir été libre et pleinement consciente de ses actes ;

Considérant que les appelants contestent la recevabilité à agir de [J] [I] en soutenant qu'elle n'a pas subi de préjudice direct et certain du fait de la citation de certain procès-verbaux de déclaration de témoins, mais qu'elle se borne seulement à prétendre avoir subi un tel préjudice, et qu'on ne peut considérer comme une atteinte à sa vie privée le fait d'évoquer son état de santé déficient, lequel est la question centrale de l'affaire, qui est largement évoqué dans les organes de presse depuis plusieurs mois ;

Mais considérant que le premier juge a exactement relevé que [J] [I] a déposé devant le tribunal correctionnel de Nanterre des conclusions d'intervention volontaire comportant à titre subsidiaire une constitution de partie civile, au cas où l'action publique serait considérée par le tribunal comme étant valablement engagée ; qu'elle précise que cette constitution de partie civile a pour objet de convaincre le tribunal qu'elle n'est pas victime de prétendus agissements délictueux de [Y] [F] à son égard et souligne que la publication incriminée la présente comme une femme manipulée et affaiblie ;

Qu'elle est ainsi en droit d'exciper du fait de cette publication d'un préjudice personnel la rendant recevable à agir sur le double fondement des articles 38 de la loi du 29 juillet 1881 et de l'article 809 du code de procédure civile, comme l'a justement retenu le premier juge, aux termes de motifs pertinents que la cour fait siens ;

Considérant que le droit à la liberté d'expression, affirmé par l'article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, peut faire l'objet en vertu du même texte de restrictions prévues par la loi dans certaines conditions, notamment, comme il a été rappelé dans l'ordonnance déférée, dans un but de protection de la réputation ou des droits d'autrui ou encore pour garantir l'autorité et l'impartialité de la justice ;

Que la restriction à la liberté d'expression des organes de presse, que constitue l'interdiction posée par l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 de publier des actes de procédure avant qu'il en soit fait état lors du jugement, répond à la finalité exigée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés ;

Que l'exigence pesant sur le journaliste de vérifier ses sources et de confronter les différents éléments dont il dispose sur un sujet dans le cadre d'une enquête sérieuse avant de livrer des informations au public n'implique nullement la reproduction littérale de documents utilisés pour son enquête, lorsque, comme en l'espèce, cette publication se heurte à une prohibition édictée par la loi gouvernant le régime de la presse, qu'il ne saurait méconnaître ;

Qu'il s'ensuit que la prétention des appelants à voir déclarer incompatible l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 avec les dispositions conventionnelles n'est pas fondée ;

Considérant que les procès-verbaux de déposition de quatre des témoins entendus par les services de police dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée à la suite du dépôt de plainte de Madame [L] constituent à l'évidence des actes de procédure, même si cette enquête a été classée sans suite ;

Qu'en effet, les procès-verbaux en cause ont ensuite été versés par le Procureur de la République à la procédure correctionnelle engagée sur citation directe de Madame [L] et font donc corps avec cette procédure, la circonstance qu'ils ont été communiqués à la demande de la partie civile et non d'initiative par le parquet important peu à cet égard ;

Que, dès lors, la publication de larges extraits de ces procès-verbaux constitue bien une violation de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 et, par là, un trouble illicite ;

Que les quatre témoignages ainsi livrés au public présentent [J] [I] comme une femme dans un état de santé psychologique dégradé, aisément manipulable et soumise à l'influence de [Y] [F], ce que le lecteur est d'autant plus porté à tenir pour vrai qu'ils lui sont présentés comme émanant de personnes ayant, de par leurs fonctions auprès d'elle (infirmière, femme de chambre, secrétaire), occupé une place particulière les rendant observateurs privilégiés de sa vie privée ; que [J] [I], qui conteste fermement se trouver dans un tel état psychologique, est fondée à se prévaloir du préjudice moral que lui occasionne la publication de tels témoignages ;

Considérant que le premier juge, ayant justement rappelé les principes qui gouvernent la nécessaire conciliation entre, d'une part, le droit de toute personne au respect de sa vie privée et son droit de contrôler l'utilisation qui est faite de son image, d'autre part, le droit à la liberté d'expression et le droit du public à être informé des événements d'actualité ou d'intérêt général, en a justement déduit qu'aucune atteinte à la vie privée ou au droit à l'image de [J] [I] n'était caractérisée avec l'évidence requise en référé ;

Qu' à cet égard le simple constat de l'évocation de l'état de santé psychologique de Madame [I] dans le corps de l'article, exempt à ce sujet de tout détail relevant de la sphère intime, et dans les témoignages publiés, au demeurant pour l'essentiel consacrés à la relation du comportement et des manoeuvres prêtés à [Y] [F], ne suffit pas à caractériser une atteinte particulière à la vie privée de l'intimée, qui excède les limites de l'information légitime que le public est en droit d'attendre sur une affaire, déjà largement médiatisée, soumise à la justice ; qu'il en va de même de l'emploi sur la page de couverture du terme 'séduisant', qui, placé entre des guillemets qui en relativisent le sens, ne saurait viser une opération de séduction amoureuse au sens propre, menée à bien par [Y] [G] [F] vis à vis de [J] [I] ;

Que la publication, pour illustrer l'article, de la photographie d'un portrait de [J] [I], posant à son domicile manifestement pour un professionnel sans doute à des fins de diffusion de son image, relève de la même analyse et ne présente ainsi pas de caractère illicite fondant un droit à réparation au titre de la protection du droit à l'image ;

Considérant que le premier juge a justement retenu que les mesures de publication judiciaire sollicitées par [J] [I] étaient disproportionnées et donc injustifiées au regard de l'atteinte fondée sur la violation de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Qu'en revanche, l'obligation de réparer le préjudice moral découlant de cette atteinte n'étant pas sérieusement contestable, il a insuffisamment apprécié le montant de la provision devant être allouée à l'intimée ; que ce montant sera ainsi fixé à 10 000 euros ;

Considérant qu'eu égard au sens du présent arrêt, les appelants supporteront les dépens, seront déboutés de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du CPC et condamnés à payer sur le même fondement la somme de 5000 euros pour les frais hors dépens qu'elle a exposés en appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme l'ordonnance déférée, sauf sur le montant de la provision allouée à [J] [I],

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne in solidum [Z] [T], [M] [P] et la société d'exploitation de l'Hebdomadaire Le Point à payer à [J] [I] une provision de 10 000 euros ainsi que la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du CPC,

Condamne les mêmes aux dépens d'appel et admet la SCP Dubosq Pellerin au bénéfice de l'article 699 du CPC.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 10/03901
Date de la décision : 19/03/2010

Références :

Cour d'appel de Paris A4, arrêt n°10/03901 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-03-19;10.03901 ?
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