Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 17 MARS 2010
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/11670
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Mai 2008 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2006052812
APPELANTE
La société VENTE-PRIVEE.COM, S.A.S
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par la SCP BAUFUME-GALLAND-VIGNES, avoués à la Cour
assistée de Me Cyril FABRE, et Me Sabine CHAUVEAU, avocats au barreau de PARIS, toque : K37
INTIMÉE
La société PMC DISTRIBUTION, S.A.R.L.
ayant son siège [Adresse 7],
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour
assistée de Me Stanley CLAISSE, avocat au barreau de Toulouse,
plaidant pour la SELARL MORVILLIERS/SENTENAC
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Décembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER : lors des débats : Mme Jacqueline VIGNAL
ARRÊT : - Contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l'appel interjeté le 13 juin 2008 par la société VENTE PRIVEE.COM, (SAS), du jugement rendu le 14 mai 2008 par le tribunal de commerce de Paris dans l'instance l'opposant à la société PMC DISTRIBUTION, (SARL) ;
Vu les ultimes écritures respectivement signifiées le 14 décembre 2009 par la société VENTE PRIVEE . COM, appelante, et la société PMC DISTRIBUTION, intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 15 décembre 2009 ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
- la société VENTE PRIVEE. COM, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de [Localité 4] depuis le 30 janvier 2001, édite un site internet accessible à l'adresse www.vente-privée.com , sur lequel elle propose à la vente, à un cercle restreint de membres inscrits, des produits de marque à des prix attractifs,
- la société PMC DISTRIBUTION, inscrite en 2004 au registre du commerce et des sociétés de Toulouse, exploite le site internet accessible à l'adresse www.club-privé.fr, par lequel elle offre en vente, à un public d'acheteurs préalablement sélectionnés, des produits de luxe à prix réduit,
- reprochant à la société PMC DISTRIBUTION d'avoir purement et simplement reproduit pour les besoins d'une activité concurrente de commerce électronique, l'architecture de son site internet, la société VENTE PRIVEE.COM, a fait établir des procès-verbaux de constat par l'Agence de protection des programmes et introduit suivant assignation devant le tribunal de commerce de Paris du 4 août 2006 la présente instance en contrefaçon de droits d'auteur, concurrence déloyale et parasitisme,
- les premiers juges ont, entre autres dispositions, rejeté l'exception d'incompétence territoriale, écarté le grief de contrefaçon mais retenu à la charge de la société PMC DISTRIBUTION des actes de concurrence déloyale et de parasitisme et l'ont condamnée de ce chef à payer à la société VENTE PRIVEE. COM la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral, dit n'y avoir lieu de prononcer des mesures d'interdiction, de publication,
- la société appelante VENTE PRIVEE . COM demande à la cour, pour l'essentiel, de dire que la société PMC DISTRIBUTION a commis outre des actes de concurrence déloyale et parasitaires, des actes de contrefaçon de droits d'auteur, la condamner à payer la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés, lui faire interdiction de reproduire sur son site internet ou sur tout autre support, les éléments textuels, graphiques, architecturaux du site internet www.vente-privee.com sous astreinte de 7500 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt, ordonner la publication de la décision de justice dans la presse écrite et en page de garde du site internet accessible à l'adresse www.club-privé.fr aux frais de la société intimée à concurrence d'un montant de 30 000 euros HT,
- la société intimée PMC DISTRIBUTION, demande à la cour, par réformation du jugement entrepris, de dire que le tribunal de commerce de Paris était territorialement incompétent pour connaître du litige, en toute hypothèse, de débouter la société appelante de toutes ses prétentions ;
Sur la procédure,
Considérant que la société VENTE PRIVEE. COM prie la cour, in limine litis, d'écarter des débats les pièces nouvellement produites par la société DMC DISTRIBUTION, visées en annexe des conclusions signifiées dans l'intérêt de cette dernière le 14 décembre 2009 sous les numéros 37 à 70 ;
Considérant que le respect du principe de la contradiction impose, au sens des articles 15 et 16 du Code de procédure civile, que les parties se fassent connaître mutuellement en temps utile, les moyens de fait, les moyens de droit et les éléments de preuve sur lesquels elles fondent leurs prétentions afin que chacune soit à même d'organiser loyalement sa défense ;
Considérant qu'en l'espèce, les pièces contestées ayant été versées aux débats par la société DMC DISTRIBUTION le 14 décembre 2009 alors que la clôture de l'instruction, initialement prévue pour le 8 décembre 2009, a été reportée au 15 décembre 2009 et prononcée à cette date, la société VENTE PRIVEE . COM s'est trouvée, au mépris du principe précité, dans l'impossibilité de les examiner, qu'en conséquence, la demande tendant à les voir écarter des débats doit être accueillie dans les termes du dispositif ci-après ;
Sur l'exception d'incompétence,
Considérant que la société PMC DISTRIBUTION fait grief au jugement déféré d'avoir retenu la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris alors que la société défenderesse a son siège social à [Localité 6], tandis que la société demanderesse subit le préjudice allégué à [Localité 4] où elle a son siège social et qu'il appartenait en conséquence à la société VENTE PRIVEE . COM de porter ses demandes devant le tribunal de commerce de Toulouse ou encore devant celui de Bobigny ;
Considérant, en droit, qu'en vertu des dispositions de l'article 46 du Code de procédure civile, le demandeur peut, en matière délictuelle, saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
Considérant qu'en l'espèce la société demanderesse allègue à la charge de la société PMC DISTRIBUTION des actes de contrefaçon de droits d'auteur à raison de la reprise des caractéristiques originales du site www.vente-privee.com sur le site www.club-privé.fr ainsi que des fautes de concurrence déloyale et de parasitisme à raison de l'activité marchande exercée par l'intermédiaire de ce site ;
Considérant qu'il n'est pas démenti que le site incriminé propose à la vente au détail des produits de luxe, que les consommateurs auxquels il s'adresse se répartissent sur l'ensemble du territoire national ( s'agissant, par hypothèse, d'un public restreint ), qu'il est accessible en tous points de ce territoire et en particulier à [Localité 5] ;
Que par voie de conséquence et dès lors que le consommateur est à même, depuis Paris, de réceptionner les contenus argués de contrefaçon et de procéder à l'achat en ligne des produits offerts à la vente sur le site en cause, c'est à raison, au regard des dispositions précitées, que le tribunal de commerce de Paris, dans le ressort duquel sont réalisés les faits dommageables, a retenu sa compétence pour connaître de la cause ;
Sur les droits d'auteur,
Considérant en droit, qu'en vertu des dispositions de l'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ; que cette protection est conférée, en vertu de l'article L 112-1 du même Code, à toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination;
Qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection de l'oeuvre sans formalités et du seul fait de la création d'une forme originale ;
Considérant en l'espèce, que la société VENTE PRIVEE.COM prétend bénéficier des droits de l'auteur sur l'architecture ou la structure du site internet de vente à distance www.vente-privee.com ;
Que sa qualité à agir au fondement du droit d'auteur n'est pas discutée ; qu'elle est en toute hypothèse établie en vertu de la présomption selon laquelle, en l'absence de revendication de quiconque s'en prétendrait l'auteur, celui qui exploite l'oeuvre est tenu à l'égard des tiers contrefacteurs pour titulaire des droits de propriété incorporelle sur cette oeuvre ;
Que l'accès à la protection par le droit d'auteur de l'oeuvre revendiquée étant par contre contesté, il incombe à la société VENTE PRIVEE . COM d'administrer la preuve d'un apport créatif, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que l'oeuvre, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit digne de bénéficier, à raison de son caractère original, de la protection conférée par les dispositions précitées du livre Ier du Code de la propriété intellectuelle ;
Qu'il convient de préciser à cet égard, tant la société VENTE PRIVEE . COM se prévaut d'avoir été l'une des premières entreprises à introduire en France la vente à distance sur le réseau internet, que le concept commercial est de libre parcours, que seule la mise en forme du concept est susceptible d'ouvrir droit à une protection par le droit d'auteur et encore, à l'exclusion des éléments répondant à des contraintes techniques, fonctionnelles ou organisationnelles ;
Considérant que le site www.vente-privee.com doit être regardé, selon la société VENTE PRIVEE.COM, comme original à raison des choix qui président à l'ordonnancement et au titre des rubriques, à une structure globale comprenant des bandes-annonces animées pour présenter les ventes et un blog de discussion entre les responsables du site et les clients, à une présentation générale où dominent les couleurs noir et rose, tous éléments qui concourent, toujours selon elle, à conférer au site un aspect tout à la fois ludique et sécurisant ;
Or considérant que les pièces de la procédure établissent que nombre de sites marchands donnent à voir en page d'accueil, à l'instar du site revendiqué, les fenêtres blanches où introduire les informations relatives à l'identification du client au côté desquelles figurent, de manière récurrente, les mentions : mot de passe oublié - devenir membre- qui sommes-nous , ainsi que, logées dans des onglets situés en partie supérieure, les rubriques intitulées : Accueil- Mon club - Le blog - Mon compte - Parrainage- Aide - Contact- Mon panier , tous éléments qui sont commandés par des impératifs utilitaires ou fonctionnels, au demeurant soulignés par la société VENTE PRIVEE . COM qui insiste sur la facilité d'accès et la fluidité de navigation offertes par son site et ne présentent, en ce qui concerne le site litigieux, aucune forme singulière de nature à traduire un quelconque effort créatif ;
Que la bande annonce animée, présentée comme une méthode astucieuse et particulièrement expressive de présenter les ventes et lancer les invitations à y participer ne revêt pas des caractéristiques esthétiques, que la société VENTE PRIVEE.COM se garde de décrire, séparables de tout caractère fonctionnel ;
Que la mise en place d'un espace de dialogue interactif entre les animateurs du site et la clientèle atteste tout au plus d'un savoir-faire commercial mais ne justifie aucunement d'une recherche esthétique empreinte de la personnalité de l'auteur ;
Que la prédominance des couleurs rose et noir invoquée comme ne devant rien au hasard mais procédant d'un choix délibéré de nature à identifier le site auprès de la clientèle, n'est pas au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour perceptible d'emblée ni de nature à conférer au site en cause une physionomie particulière qui le distingue des autres sites relevant du même secteur d'activité ;
Qu'en définitive, qu'ils soient pris séparément ou combinés dans leur ensemble, les éléments invoqués par la société VENTE PRIVEE . COM sont dénués de pertinence au regard du critère d'originalité requis en la cause faute de porter la marque d'un effort personnel de création ;
Que le site revendiqué ne saurait en conséquence, par confirmation du jugement entrepris, bénéficier de la protection conférée au titre du droit d'auteur, de sorte que, l'action en contrefaçon, initiée au fondement de l'atteinte portée à ce droit, ne peut qu'être rejetée ;
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme,
Considérant en droit, que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous réserve de l'absence de faute préjudiciable à un exercice paisible et loyal du commerce tenant, notamment, à la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou à la captation parasitaire des investissements d'autrui ;
Or considérant qu'il s'évince de l'examen des procès-verbaux de constat produits par la société VENTE PRIVEE . COM que le site incriminé affiche sur toutes ses pages et de manière parfaitement visible le logo 'CLUB PRIVE' destiné à l'identifier auprès du public, que ce logo a pour particularité de mettre en exergue les lettres B et P inscrites en caractères gras et placées dos à dos et se distingue nettement du logo 'vente-privee.com' du site opposé, écrit dans une police différente et accompagné d'éléments figuratifs en forme d'oiseau et de papillon, que par ailleurs, l'élément de ressemblance évoqué par la société appelante tenant à la reprise des couleurs rose et noir n'est pas d'évidence perceptible au regard de la présence d'autres couleurs telles que, notamment, le vert sur le site de la société intimée et le bleu sur celui de la société appelante, de même que celui tiré du recours à des mannequins pour présenter les vêtements offerts à la vente, parfaitement banal eu égard à ce que montrent les autres sites de comparaison ;
Qu'en conséquence, n'est pas justifiée en l'espèce une quelconque circonstance de nature à susciter dans l'esprit d'une clientèle normalement attentive et raisonnablement informée et avisée, une confusion entre les entreprises compétitrices et à créer par là -même un risque de voir cette clientèle se détourner d'une entreprise vers l'autre ;
Que n'est pas davantage établie une captation du savoir-faire, du travail intellectuel et des investissements d'autrui par suite de la reproduction par la société PMC DISRIBUTION d'un mode de fonctionnement que la société VENTE PRIVEE.COM aurait conçu et mis en oeuvre force étant de relever que le mode de fonctionnement détaillé par cette dernière en pages 38 et 39 de ses écritures : participation aux ventes conditionnée par l'inscription à un club, les personnes inscrites sont alors des membres, quelques jours avant le début de la vente les membres sont destinataires d'invitations adressées par courrier électronique etc.., à supposer qu'elle en ait été la conceptrice et l'initiatrice, ce qui n'est pas au demeurant établi, recouvre un concept commercial dont l'exploitation par d'autres n'est pas en soi critiquable et correspond en toute hypothèse au mode de fonctionnement couramment observé auprès des sites marchands opérant à la date des faits litigieux, soit en 2006 ;
Qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a retenu des faits de concurrence déloyale et de parasitisme ;
Sur les autres demandes,
Considérant qu'il s'infère du sens de l'arrêt que les demandes en réparation, interdiction et publication doivent être rejetées ;
Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande formée par la société PMC DISTRIBUTION au fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société VENTE PRIVEE.COM succombant à l'instance doit être déboutée de sa demande sur ce même fondement et condamnée à supporter les dépens de l'instance qui seront, pour ceux afférents à la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du Code précité ;
PAR CES MOTIFS,
Ecarte des débats les pièces numérotées 37 à 70, visées en annexe des conclusions signifiées le 14 décembre 2009 par la société PMC DISTRIBUTION,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a retenu la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris et rejeté la demande au fondement de contrefaçon de droits d'auteur,
Statuant à nouveau,
Déboute la société VENTE PRIVEE.COM de toutes ses prétentions,
La condamne à verser à la société PMC DISTRIBUTION la somme de 10 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de l'instance qui seront, pour ceux afférents à la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du Code précité.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,