Grosses délivrées aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ORDONNANCE DU 11 MARS 2010
(n° 109 ,5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/11444
Décision déférée : Ordonnance rendue le 30 Juin 2004 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de PARIS
Nature de la décision : contradictoire
Nous, Jean- Jacques GILLAND, Vice - président placé près la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l'article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;
assistée de Fatia HENNI, greffier présent lors des débats ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 28 janvier 2010 :
- LA SOCIETE EUROPEENNE d'EXPERTISES (S.E.E.T)
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 8])
[Localité 3]
- Monsieur [U] [O]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentés par Maître Frédéric RICHERT, avocat plaidant pour la SELAFA Bureau CMS Francis LEFEBVRE, avocats au barreau de STRASBOURG
APPELANTS
et
- LE DIRECTEUR GENERAL DES FINANCES PUBLIQUES
DIRECTION NATIONALE D'ENQUETES FISCALES
Pris en la personne du chef des services fiscaux
[Adresse 6]
[Localité 7]
représenté Dominique HEBRARD MINC, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉE
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 28 janvier 2010, l'avocat des appelants et l'avocat de l'intimé ;
Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 11 mars 2010 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
* * * * * *
Avons rendu l'ordonnance ci-après :
CIRCONSTANCES ENTOURANT LA PRÉSOMPTION DE FRAUDE
La S.A.R.L. de droit luxembourgeois Européenne d'Expertises Techniques -SEET- a pour activité l'expertise pour le compte de compagnies d'assurances et Monsieur [U] [O], déclaré résident luxembourgeois depuis le 12 février 2000, a une activité d'expertise en matière d'assurances par l'intermédiaire des S.A.R.L. Européenne d'expertises Techniques et Cabinet Européen de Contrôle d'Expertise -CECE- exerçant les activités de gérant et d'expert dans la première.
Ils exerceraient sur le territoire national, de manière occulte, une activité d'expertise pour le compte de compagnies d'assurances sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et, ainsi, omettraient de passer les écritures comptables y afférentes et se soustrairaient à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu (BNC ou BIC), sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée.
ORDONNANCE DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION
La direction nationale des enquêtes fiscales a présenté une requête au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, à fins de visites domiciliaires et saisies éventuelles dans les locaux et dépendances de cette société, situés dans son ressort.
CIRCONSTANCES DE LA VISITE ET DES SAISIES
Une visite domiciliaire et des saisies ont été faites le 1er juillet 2004 dans les locaux indiqués et des documents ont été saisis.
PROCÉDURE JUDICIAIRE
La S.A.R.L. de droit luxembourgeois Européenne d'Expertises Techniques et Monsieur [U] [O] ont interjeté appel de l'ordonnance rendue le 30 juin 2004 contre la direction nationale des enquêtes fiscales (direction générale des finances publiques).
Les appelants exposent que l'ordonnance a été rendue en l'absence de présomption de fraude au sens de l'article L 16 B du livre de procédure fiscale, l'Administration fiscale n'ayant produit aucun élément permettant de présumer une quelconque fraude, s'appuyant sur des pièces anciennes hétéroclites ou présentés de manière fallacieuse voire mensongère, alors qu'ils exercent leurs activité de manière parfaitement régulière et qu'il aurait été plus simple de leur demander de simples éclaircissements.
Ils précisent que l'élément matériel de l'infraction reprochée n'est pas établi par l'Administration fiscale qui a fondé sa requête sur une pure construction intellectuelle.
Ils considèrent que la procédure employée est disproportionnée, l'administration fiscale disposant de moyens d'investigation moins coercitifs pour obtenir les informations recherchées.
Ils soulèvent l'absence de contrôle effectif du juge des libertés et de la détention, qui s'est borné, selon eux, à parapher un ordonnance pré-rédigée par l'administration fiscale, accompagnée d'un volume important de documents quasiment impossible à examiner dans un bref délai, dont certains, provenant de saisies antérieures ou sans rapport avec la demande présentée, auraient dûs être écartés, mettant à néant le contrôle juridictionnel effectif auquel tout justiciable à droit, la motivation devant être l'oeuvre personnelle du magistrat.
Ils dénoncent une simple signature d'une ordonnance pré-rédigée, en violation de l'article 6 de la Convention précitée et la privant de son droit à un procès équitable et le non respect du principe de recours effectif dont ils ont été privés selon eux.
Ils réclament l'annulation de l'ordonnance attaquée, qu'il soit dit que les visites et saisies effectuées sont nulles et de nul effet et le paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En réponse à ses adversaires, la direction générale des finances publiques (direction nationale des enquêtes fiscales) demande, après avoir répondu point par point aux arguments des redevables, la confirmation de l'ordonnance déférée et le paiement de la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 3 septembre 2009, les débats ont été rouverts, à l'audience du 28 janvier 2010, afin d'entendre les explications orales complètes, notamment sur la distinction concrète entre Monsieur [U] [O] et la SEET.
A l'audience du 28 janvier 2010, les parties ont été entendues dans leurs explications.
SUR CE
Considérant que, selon la jurisprudence tant nationale qu'européenne, la visite domiciliaire est un procédé compatible avec l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, dès lors que l'ordonnance qui l'a autorisée est entourée de garanties suffisantes et susceptible de recours, comme le démontre, en l'espèce, le présent appel ; qu'en conséquence, la pétition de principe des appelants n'est pas fondée ;
Considérant que l'ordonnance déférée est motivée sur plus de huit pages, que l'adoption des motifs de la requérante, à la supposer avérée par la seule considération de l'identité des moyens développés entre la requête et la décision de justice, ne permet pas aux appelants de présumer que le juge a fait l'économie de l'examen de la cause et des pièces, mêmes nombreuses, qui ont été fournies ;
Considérant que les appelants ne savent rien des conditions de temps ou de lieu dans lesquelles le juge des libertés et de la détention a délibéré avant de délivrer l'ordonnance qui lui était demandée ;
Considérant qu'en ce qui concerne la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, la possibilité d'interjeter appel devant le premier président de la cour d'appel assure aux appelants le droit à un procès équitable ; que ces moyens sont rejetés ;
Considérant qu'il résulte incontestablement des pièces de la cause et du dossier que la S.A. de droit luxembourgeois Européenne d'Expertises Techniques a son siège social à [Adresse 2], pour gérant Monsieur [U] [O] et pour activité l'expertise au profit des compagnies d'assurances tant au Luxembourg qu'à l'étranger ; que son site internet mentionnait deux adresses en France, dont une à [Adresse 11] et l'autre à [Localité 9] (Meurthe-et-Moselle), 37 rue du pavillon, ce qui permettait de penser qu'elle disposait de locaux en France ; que l'analyse de la téléphonie à l'adresse parisienne, ouverte au nom du Cabinet [U] [O], permettait de constater qu'en septembre et octobre 32003, la totalité des appels émis étaient des renvois vers les numéros de téléphone et de télécopie de la S.A.R.L. Cabinet Européen d'Expertise, société de droit luxembourgeois, ayant son siège à [Adresse 8], vers son établissement français à [Localité 9] (Meurthe-et-Moselle), 37 rue du pavillon ; qu'il était démontré que les compagnies d'assurances Axa et Siaci lui avaient versé des honoraires alors qu'elle était inconnue de la direction des résidents à l'étranger et n'était pas répertoriée auprès des centres des impôts compétents en France ; que cela laisse supposer qu'elle ne dispose pas des moyens propres, au Luxembourg, pour une activité conforme à son objet social déclaré et qu'elle bénéficiait en France de moyens lui permettant d'exercer son activité d'expertise, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes ;
Considérant que Monsieur [U] [O] était le gérant de la S.A.R.L. Cabinet Européen de Contrôle et d'Expertise, société ayant son siège social à [Localité 9] (Meurthe-et-Moselle), qui a vendu à la S.A.R.L. Cabinet Européen d'Expertise sa branche expertise pour ne conserver que l'activité de transactions immobilières ; qu'au cours des années 2001, 2002 et 2003, la compagnie d'assurances Axa a versé des honoraires, à hauteur de 723387 euros, à Monsieur [U] [O] au nom :
-du Cabinet [U] [O], domicilié à [Adresse 2], -de [U] [O], domicilié à [Adresse 5],
-du Cabinet [U] [O], domicilié à [Adresse 5],
- du Cabinet [U] [O]-Cabinet Européen de Contrôle et d'Expertise, domicilié à [Adresse 5],
somme globale sur laquelle celle de 283367 euros avait été adressée à [Localité 9], [Adresse 5] ; qu'il en est de même pour la compagnie d'assurances Siaci qui a versé une somme globale de 520523 euros au Cabinet [U] [O], dénomination commerciale de la S.A.R.L. Cabinet Européen de Contrôle et d'Expertise ; que ces versements sont intervenues en France, alors que cette société n'avait plus qu'une activité de transaction immobilière et dont le chiffre d'affaires déclaré au titre de ces trois années était inférieur à la somme perçue de la compagnie d'assurances ;
Considérant que Monsieur [U] [O], déclaré résident luxembourgeois, avait déclaré postérieurement résider avec son épouse à [Localité 10] (Meurthe-et-Moselle) [Adresse 4] ; qu'il disposait de neuf comptes bancaires ouverts en France mentionnant un adresse pour huit d'entre eux en Meurthe-et-Moselle et pour un à Paris, [Adresse 1], qu'il apparaissait qu'il avait perçu a des adresses en France des honoraires et des remboursements de frais à son nom propre alors qu'il était inconnu du centre des impôts des non résidents pour une activité individuelle et que la page d'accueil du site internet '[U][O].com' se présentait à l'entête Cabinet [U] [O], avec indication d'une adresse à [Adresse 2] et des bureaux à [Adresse 5], et à [Adresse 11], avec mention de numéros de téléphone et de télécopie ;
Considérant que ces éléments, rassemblés, même si certains ont plus de trois ans, ont permis au juge de première instance d'apprécier l'existence de présomptions d'agissement justifiant l'acceptation de la mesure sollicitée, n'étant pas tenu d'établir l'existence des agissements suspectés, le défaut de passation des déclarations fiscales constituant un indice de l'omission de passation des écritures comptables, agissement visé par l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, le juge n'ayant qu'à vérifier l'existence de soupçons d'agissement frauduleux et non la réalité des dits agissements ;
Considérant que la fraude consiste dans le fait pour une personne de soustraire à l'impôt tout ou partie de la matière imposable, que le fait pour un opérateur économique exerçant son activité en France de ne pas souscrire de déclarations pour l'un ou l'autre impôts commerciaux auxquels elle devrait être soumise ne peut qu'être présumé volontaire ; que les présomptions retenues concernaient l'existence d'une activité régulière en France par une personne physique s'étant déclarée résidente au Luxembourg et par une société de droit non national, dont il pouvait être présumé qu'elle ne disposait pas de moyens à l'adresse de son siège et qu'elle était gérée à partir des locaux en France ; qu'une visite domiciliaire est justifiée, comme en l'espèce, quand il existe des signaux d'une situation fiscale pour le moins atypique et nécessitant des vérifications sérieuses.
Considérant que le magistrat d'appel, sans être tenu de s'expliquer autrement sur la proportionnalité de la mesure qu'il examine, doit apprécier l'existence ou non de présomptions de fraude; qu'en l'espèce il est certain que l'administration fiscale n'avait pas la possibilité de mettre en oeuvre des moyens classiques de vérification ; que les pièces produites en défense ne démontrent aucunement une présentation fallacieuse des faits, les qualités de chacune des parties étant clairement exposées l'existence du nom commercial 'Cabinet [U] [O]' ayant été mentionnée pas plus qu'elle ne peuvent expliquer les éléments rappelés en faisant état d'une convention de services matériels et humains conclue entre les société Cabinet Européen de Contrôle d'Expertise et Européenne d'Expertises Techniques, qui ne peut à elle seule expliquer les éléments suspects relevés ;
Considérant, qu'en conséquence, l'ensemble des griefs avancés sont écartés, et que le magistrat de première instance disposait des éléments suffisants pour présumer la fraude ; que l'ordonnance déférée est confirmée en toute ses dispositions ;
Considérant que l'intimée doit être indemnisée de ses frais de procédure à hauteur de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS
CONFIRMONS en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 30 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle a autorisé une visite domiciliaire et des saisies de documents,
CONDAMNONS la S.A. de droit luxembourgeois Européenne d'Expertises Techniques -SEET- et Monsieur [U] [O] à payer à la direction générale des finances publiques (direction nationale des enquêtes fiscales) la somme de 1000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LE GREFFIER
Fatia HENNI
LE DELEGUE DU PREMIER PRESIDENT
Jean-Jacques GILLAND