RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRET DU 11 Mars 2010
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/08094
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Mars 2008 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - Section Industrie - RG n° 07/00268
APPELANT
Monsieur [F] [M]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K.136
INTIMEES
SA LA ROMAINVILLE
Zone Industrielle
[Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Me Jean GERARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K100
Me [K] [Z]
- Administrateur judiciaire de SA LA ROMAINVILLE
[Adresse 3]
[Localité 8]
représenté par Me Jean GERARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K100
Me [N] [R]
- Représentant des créanciers de SA LA ROMAINVILLE
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté par Me Jean GERARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K100
AGS CGEA IDF EST
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Vanina FELICI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1985
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Janvier 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Françoise FROMENT, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Françoise FROMENT, président
Mme Claudette NICOLETIS, conseiller
Mme Marie-Ange LEPRINCE, conseiller
Greffier : Madame Pierrette BOISDEVOT, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Madame Pierrette BOISDEVOT, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
*
Vu l'appel interjeté le 22 mai 2008 par [F] [M] d'un jugement prononcé le 4 mars 2008 par le Conseil de Prud'hommes de Bobigny qui, statuant sur les demandes de rappel de salaires qu'il avait formées avec plusieurs autres salariés à l'encontre de la SA LA ROMAINVILLE , a prononcé la jonction des instances opposant ces salariés à la SA LA ROMAINVILLE et a débouté ces derniers, dont [F] [M], de leurs demandes, les condamnant aux dépens.
Vu les conclusions développées oralement à l'audience du 29 janvier 2010 par [F] [M] et visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles il sollicite l'infirmation de la décision déférée et la fixation de sa créance au passif de la SA LA ROMAINVILLE à :
-17 509,00 € à titre de rappel de primes à compter du 1er janvier 2002 et 1 750,90 € au titre des congés payés afférents
-3 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
la décision devant être déclarée opposable à l'AGS.
Vu les conclusions contradictoirement échangées, visées le 29 janvier 2010 par le greffier et développées oralement à l'audience du même jour aux termes desquelles la SA LA ROMAINVILLE, Maître [Z], commissaire à l'exécution du plan de la SA LA ROMAINVILLE et Maître [R], représentant des créanciers de la SA LA ROMAINVILLE, mise en redressement judiciaire le 26 juillet 2006 et bénéficiaire d'un plan de continuation, pour une durée de 10 ans, depuis le 5 juin 2007, sollicitent la confirmation de la décision déférée.
Vu les conclusions contradictoirement échangées, visées le 29 janvier 2010 par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles l'AGS CGEA IDF EST entend voir, à titre principal, confirmer la décision déférée et, à titre subsidiaire, se voir décerner acte de ce qu'elle s'en rapporte dans la limite de 9 095,10 € au titre de la demande de rappel de salaires du 23 avril 2002 au 26 juillet 2006, les autres sommes n'entrant pas dans le cadre de sa garantie.
MOTIFS ET DECISION DE LA COUR
Considérant qu'il est constant que :
- [F] [M] a été engagé par la SA LA ROMAINVILLE le 1er décembre 1980, la relation contractuelle étant soumise à la convention collective nationale de la boulangerie et de la pâtisserie industrielle,
-jusque 1992, il lui était versé deux primes : une prime d'ancienneté et une prime annuelle,
-par courrier du 12 février 1992, la SA LA ROMAINVILLE lui a proposé l'instauration d'une nouvelle méthode de calcul des salaires, entraînant la suppression des deux primes sus-visées et l'instauration d'une prime de production et d'une gratification annuelle, avec effet rétroactif au 1er janvier 1992, cette lettre lui demandant de la signer pour acceptation et lui précisant que l'absence de réponse au 17 février 1992 valait acceptation, le montant de la prime de production le concernant étant de 56,00 F par jour,
-par lettre du 8 décembre 1999, [F] [M] a été informé de la suppression de l'usage ainsi institué et de la cessation du paiement de la prime de production à compter du 1er janvier 2000 ;
Considérant que [F] [M] qui conteste cette suppression fait valoir :
-à titre principal que, s'agissant d'une prime contractuelle, elle ne pouvait être modifiée sans son accord exprès,
-à titre subsidiaire, si cette prime était analysée comme un usage dans l'entreprise, qu'elle n'a pas été dénoncée avec un délai de prévenance suffisant, puisque la dénonciation n'est intervenue que 3 semaines avant la suppression effective de la prime ;
Considérant que la SA LA ROMAINVILLE et les organes de la procédure répliquent que la prime de production ne constituait aucunement un élément du contrat de travail de [F] [M] mais un engagement unilatéral de l'employeur auquel il pouvait être mis fin, ce qu'il a fait régulièrement après consultation du comité d'entreprise, information individuelle de chaque salarié et respect d'un délai de prévenance suffisant puisque le comité d'entreprise a été informé le 4 novembre 1999 et [F] [M] le 8 décembre, pour une prime supprimée au 31 janvier suivant, des négociations ayant par ailleurs eu lieu dans le cadre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail ;
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de la lettre du 12 février 1992 que :
-la prime de production et la gratification annuelle remplaçaient l'ancien système basé sur la prime d'ancienneté et la prime annuelle
- le montant nominal de la prime de production ne pouvait pas diminuer, le montant alloué chaque mois étant fonction du nombre de journées de présence du salarié
-l'employeur demandait au salarié de lui retourner la lettre signée et précédée de la mention 'lu et approuvé' jusqu'au 17 février 2002 et précisait expressément que, passé ce délai, il considérerait comme tacitement approuvée toute lettre ne lui ayant pas été retournée ;
Considérant qu'il existait en effet précédemment un usage, et non un engagement unilatéral de l'employeur, puisque ces primes étaient générales pour tous les salariés engagés avant 1987 (pour la prime d'ancienneté) et 1989 (pour la prime annuelle), fixe puisque calculée selon des règles pré-déterminées et constante puisque versées selon des périodicités régulières, jusqu'à la lettre du 12 février 1992 , en vertu duquel la SA LA ROMAINVILLE versait aux salariés une prime d'ancienneté et une prime annuelle ;
Considérant que, comme le soutient à juste titre, [F] [M] , cet usage, que l'employeur aurait pu dénoncer purement et simplement après consultation des représentants du personnel, information individuelle des salariés et respect d'un délai raisonnable, faisait en réalité partie du socle contractuel liant les parties, l'employeur, considérant lui-même que c'était un élément contractuel, ayant expressément sollicité l'accord de ses salariés pour le modifier , ce qu'il n'était nullement obligé de faire si l'usage n'avait pas été contractualisé ;
Considérant que si la poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions ne vaut pas acceptation tacite d'une modification de ce dernier et que l'employeur ne peut s'en prévaloir , il n'en demeure pas moins que le salarié est, lorsque l'employeur lui-même a pris l'initiative de préciser que le silence du salarié vaudrait acceptation, en droit de se prévaloir de la modification de ce qui est devenu en tout état de cause à ce moment précis, par l'accord des parties, un élément du contrat de travail ;
Considérant dès lors en l'espèce que la SA LA ROMAINVILLE ne pouvait, par sa lettre du 8 décembre 1999, informer [F] [M] que sa prime de production serait supprimée le mois suivant, sans recueillir son accord préalable ;
Considérant que c'est donc à tort que la SA LA ROMAINVILLE a, avec un délai de prévenance individuelle en tout état de cause insuffisant puisqu'applicable 3 semaines plus tard , à compter du mois de janvier 2000, peu important que [F] [M] ait, du fait de ses mandats, été informé dans le cadre de la consultation des représentants du personnel, supprimé la prime de production dont il bénéficiait ;
Considérant qu'il y a lieu, infirmant la décision déférée de ce chef, de faire droit à la demande de [F] [M] à ce titre, cette demande étant arrêtée au 29 janvier 2010, date des débats devant la présente Cour, étant observé qu'il n'est pas établi que sur la période en cause [F] [M] aurait eu des absences qu'il n'aurait pas prises en compte ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de [F] [M] l'intégralité des frais irrépétibles qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits ; qu'il y a lieu, au regard par ailleurs de la situation de la SA LA ROMAINVILLE , de lui allouer la somme de 1 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Considérant, sur la garantie de l'AGS, qu'il résulte des dispositions de :
- L.3253-8 du Code du Travail que l'assurance mentionnée à l'article L3253-6 couvre :
1-les sommes dues au salarié à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre de la convention de reclassement personnalisé
2-les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
-pendant la période d'observation
-dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession
-dans les 15 jours suivant le jugement de liquidation
-pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire
3-les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposée la convention de reclassement personnalisé, sous réserve que l'administrateur, l'employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé cette convention aux intéressés au cours de l'une des périodes indiquées au 2 sus-visé, y compris les contributions dues par l'employeur dans le cadre de cette convention et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié
4-lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues :
-au cours de la période d'observation
-au cours des 15 jours suivant le jugement de liquidation
-au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L621-4 et L621-9 du code de commerce
-pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation
la garantie des sommes mentionnées aux 1, 2 et 4 incluant les cotisations et les contributions sociales et salariales d'origine légale ou d'origine conventionnelle ;
Considérant que la garantie de l'AGS n'est que subsidiaire, sa mise en jeu impliquant une insuffisance de fonds de la part de la société débitrice ;
Considérant dès lors que si cette garantie est due au titre des sommes exigibles au jour du jugement prononçant le redressement judiciaire, elle sera également due pour le surplus des sommes en cas d'insuffisance de fonds de la SA LA ROMAINVILLE, cette garantie n'étant en tout état de cause due que dans la limite des plafonds réglementaires et ne s'étendant pas à l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Par ces Motifs
Infirme la décision attaquée,
Statuant à nouveau,
Fixe la créance de [F] [M] à l'encontre de la SA LA ROMAINVILLE à :
- 17 509,00 € au titre du rappel de prime de production et à 1 750,90 € au titre des congés payés afférents,
-1 500,00 € au titre de l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Déclare la présente décision opposable à l'AGS CGEA IDF EST et dit que cet organisme sera tenu à garantie :
-de la somme de 9 095,10 € au titre du rappel de prime dû au 26 juillet 2006,
-du surplus de la somme allouée au titre de la prime en cas d'insuffisance de fonds de la SA LA ROMAINVILLE,
et ce dans la limite des plafonds applicables,
Condamne la SA LA ROMAINVILLE aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT