Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRET DU 10 MARS 2010
(n° 68 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 07/18678
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Octobre 2007
Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2006001809
APPELANTE
Madame [L] [D] épouse [P]
[Localité 3]
représentée par la SCP CALARN-DELAUNAY, avoués à la Cour
assistée de Me GASTAUD Jean-Pierre, avocat au barreau de PARIS, toque G 430
plaidant pour la SELARL GASTAUD-LELLOUCHE-MONOD, avocats
INTIMES
Monsieur [U] [K]
[Adresse 1]
[Localité 2] (SUISSE)
représenté par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assisté de Me LANDIVAUX Ludovic, avocat au barreau de PARIS - toque K 170
plaidant pour la SELARL PARDO-BOULANGER et associés
SAS TARTINE ET CHOCOLAT
nouvelle dénomination de la SAS FINANCIERE TCF
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assisté de Me LANDIVAUX Ludovic, avocat au barreau de PARIS - toque K 170
plaidant pour la SELARL PARDO-BOULANGER et associés
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 février 2010, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M.LE FEVRE, président et M.ROCHE, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M.LE FEVRE, président
M.ROCHE, conseiller
M.VERT, conseiller
Greffier lors des débats : Mme CHOLLET
ARRET
- contradictoire
- prononcé publiquement par M. LE FEVRE, président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M.LE FEVRE, président et Mme CHOLLET, greffier.
LA COUR,
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 16 octobre 2007 qui a débouté madame [L] [D] épouse [P] de ses demandes, notamment de dommages et intérêts en raison de manoeuvres dolosives prétendues à l'occasion de la conclusion d'un contrat de vente d'actions, dirigés à l'encontre de la SAS FINANCIERE TCF et de son principal associé Monsieur [U] [K], l'a condamnée à payer à la SAS FINANCIERE TCF la somme de 1 Million d'euros au titre d'une clause de garantie, a accordé à Monsieur [U] [K] et à la société TCF chacune 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et a ordonné l'exécution provisoire sous réserve de fourniture par les bénéficiaires d'une caution bancaire ;
Vu l'appel de madame [P] et ses conclusions du 12 février 2009 par lesquelles elle demande à la Cour d'infirmer le jugement ; dire, sur le fondement de l'article 1591 du Code civil, nulle 'de nullité absolue' la convention de vente des actions de la SA CBP intervenue le 5 avril 2004 entre elle-même et la société FINANCIERE TCF ainsi que les conventions de même date 'distinctes mais indivisibles' constitutives, avec la cession, d'un 'ensemble contractuel' ; constater l'impossibilité de restitution en nature ; condamner les intimés in solidum au paiement de 12 millions d'euros ; désigner un expert pour évaluer l'indemnité compensatrice ; subsidiairement, condamner in solidum les intimés, sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, très subsidiairement de l'article 1134 du même code, à lui payer 12 millions d'euros de dommages et intérêts, et réclame 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civil ;
Vu les conclusions du 30 janvier 2009 de la SAS FINANCIERE TCF et de Monsieur [U] [K] qui demandent à la Cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il n'a pas statué sur la demande de mise hors de cause de Monsieur [K] et en ce qu'il a rejeté leur demande au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile ; prononcer cette mise hors de cause ; condamner madame [P] à leur payer chacun 50 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive, 30 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et prononcer une amende civile ;
Vu la dénonciation de changement de dénomination en date du 31 juillet 2009 justifiée par la production de la copie d'un procès verbal de décision de l'associé unique, de la SAS TARTINE ET CHOCOLAT, nouvelle dénomination de TCF FINANCIERE ;
Considérant que madame [L] [P], principal actionnaire de la SA CBP, fabricant et distributeur avec sa filiale la société BRONKS de vêtements et articles divers pour enfants sous la marque TARTINE ET CHOCOLAT, a cédé, par acte sous seing privé du 5 avril 2004, à la SAS FINANCIERE TCF ayant pour actionnaire monsieur [U] [K] sa participation dans CBP; que le contrat comportait une clause de garantie pour un montant de 1 million d'euros ; que Madame [P] soutient que le prix était indéterminé et qu'elle a été victime d'une tromperie; que les sociétés CBP et BRONKS ont été déclarées en redressement judiciaire le 22 juillet 2004, que TCF a mis en oeuvre la garantie le 11 février 2005 ; que la Cour se réfère pour le surplus à l'exposé des faits du Tribunal ;
Considérant que l'appelante, quoique invoquant à titre principal l'indétermination du prix, argumente en premier lieu sur la tromperie dont elle aurait été victime de la part du 'groupe [K]' et de son 'animateur' Monsieur [K] et paraît estimer qu'il aurait été préférable pour elle d'accepter une autre offre, qui lui aurait été faite par le 'groupe SALMON-ARC-EN-CIEL' ; mais que madame [P], qui n'est ni mineure ni majeure protégée, était parfaitement à même d'apprécier la valeur respective des offres qui lui étaient faites ; qu'elle connaissait parfaitement la situation de ses sociétés qu'elle dirigeait et notamment le niveau d'endettement et donc le risque de procédure collective, même si l'actif, constitué notamment par des marques, était important, mais non immédiatement disponible ; qu'il est inhabituel que ce soit le vendeur, supposé connaître la chose vendue, qui se prétende trompé par l'acheteur ; qu'en tout cas la procédure collective n'a été mise en oeuvre qu'après plusieurs mois de négociation avec les créanciers, qui n'ont pas abouti; que c'est le Tribunal de commerce et non Monsieur [K] ni la société TCF, qui a constaté l'état de cessation des paiements ; que la cour peut d'autant moins dire que les négociations avec les créanciers ont été menées de manière déloyale dans le but de ne pas les faire aboutir que TCF était assistée d'un mandataire ad hoc nommé par le Tribunal de commerce ;
Considérant que le même jour, 5 avril 2004, que la cession des titres, la société CBP, nouvellement contrôlée par TCF, a conclu un contrat de collaboration avec la SARL [L] [P] COUTURE, CPC, gérée par madame [P], stipulant que CBP confiait à CPC, pendant 5 ans, une 'mission de suivi et d'accompagnement du développement de la marque TARTINE ET CHOCOLAT' ; qu'apparemment les prestations n'ont pas eu lieu, ni en conséquence les paiements qui auraient dû en être la contrepartie; qu'en tout cas la SARL CPC est une personne juridique distincte de Madame [P] ; qu'en l'absence de cette société à la procédure, la Cour ne peut aucunement annuler ce contrat dont madame [P], qui n'y était pas partie, n'a aucune qualité pour demander la nullité ; que la Cour ne peut pas tirer de conséquences de ce contrat dans le cadre du présent litige ; qu'à supposer qu'il puisse y avoir une quelconque créance au titre de ce contrat, ce serait celle de la SARL CPC sur la SA CBP, aussi absente de la présente procédure, et non de Madame [P] personne physique sur la société TCF devenue TARTINE ET CHOCOLAT ; qu'il ne pourrait y avoir aucune compensation entre les créances de la société CPC sur la société CBP et les dettes de madame [P] à l'égard de TCF devenue TARTINE ET CHOCOLAT ;
Considérant que la Cour ne peut pas plus tirer de conséquences, dans les relations entre TCF et Madame [P], de l'engagement de caution des obligations de cette dernière, consenti au demeurant en violation des dispositions d'ordre public de l'article L223-21 du Code de commerce, par la SARL [L] [P] COUTURE, dès lors qu'indépendamment même de cette violation et de la validité du cautionnement, la garantie de la SARL n'est pas appelée ; qu'il ne peut donc y avoir non plus aucune 'compensation' à ce titre ;
Considérant sur la prétendue indétermination du prix que le contrat de vente des actions stipule expressément en son article 2 'prix de cession' que la cession est consentie moyennant un prix de 1 500 000 € soit 25,51 € par action, la cession des autres participations étant consentie pour 1 € ; qu'en outre Madame [P] cédait sa créance (sur la SA CBP) pour 308 911,57 € ; que ces sommes, sans être très importantes, ne sont pas négligeables et constituent un véritable prix; que Madame [P] s'estime lésée compte tenu du prix auquel ont eu lieu, ultérieurement, des cessions d'actif dans le cadre de ou postérieurement à la procédure collective ; mais que Madame [P], femme d'affaire avisée, a consenti au prix ; qu'elle pouvait avoir recours à un expert pour évaluer les actifs et déterminer le prix, ce qu'elle n'a pas fait ; que les intimés remarquent d'ailleurs que la somme totale perçue à divers titre par Madame [P] s'élève à
2 278 288,57€ ; que le prix payé à l'autre actionnaire de CBP, la société 3I pour le rachat de sa participation minoritaire a été de 525 000 € et qu'elle a abandonné son compte courant ; que les dettes de la société CBP atteignaient 11 millions d'euros ; que Madame [P] ne saurait légitimement prétendre, par une réévaluation rétroactive du prix de 12 millions d'euros ou des dommages et intérêts de même montant ou calculé après expertise, bénéficier du redressement de la situation de la société postérieurement à la cession ;
Considérant que pour arguer de l'indétermination du prix, Madame [P] se réfère à l'article 6 du contrat 'mise en jeu des déclarations et garanties' indiquant que l'engagement de payer au titre de la garantie ci-dessous analysée, est 'à titre de réduction du prix de cession' ; mais qu'outre que la garantie est limitée à 1 million d'euros et donc clairement déterminée, il n'y a pas eu de réduction de prix, Madame [P] en ayant perçu la totalité ; que la garantie n'a été mise en jeu que postérieurement au redressement judiciaire ; qu'en raison de sa rédaction maladroite et peu juridique, la clause de garantie doit être interprétée, ce qui est fait ci-dessous, mais qu'il n'en résulte ni indétermination du prix ni preuve d'un vice du consentement;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et des motifs non contraires du Tribunal que la Cour adopte qu'il ne peut être fait droit aux demandes d'annulation et de paiement de l'appelante, ni à sa demande d'expertise, sur aucun des fondements allégués à titre principal et subsidiaire ;
Considérant sur la garantie et la demande de paiement à ce titre de 1 million d'euros faite à Madame [P] que celle-ci est fondée sur une combinaison de l'article 5-6 'comptes clients' et l'article 6-1 b) 'garanties des comptes clients' ; que l'article 5-6 stipule qu'à 'l'exception des créances douteuses apparaissant comme telles dans les comptes consolidés de la société au 30 septembre 2003, [L] [P] accepte expressément que les comptes clients de la société ou des filiales, quel que soit leur terme ou leur échéance, seront réputés impayés et entraîneront la mise en jeu de l'indemnisation prévue à l'article 6 ci-après s'ils n'ont pas été recouvrés dans un délai de six mois à compter de la date des présentes pour quelque raison que ce soit' ; qu'il est stipulé à l'article 6-1 b) 'garantie des comptes clients' que [L] [P] s'engage 'à payer à l'acquéreur à titre de réduction de prix une somme égale au préjudice résultant de l'application de l'article 5-6 ci-dessus' ; que la rédaction très défectueuse de ces clauses pourrait laisser croire que Madame [P] s'était engagée à payer les comptes clients mêmes pour les dettes non échues et que le prix en serait diminué d'autant ; que Madame [P] aurait alors fait une avance pour les dettes non échues des clients ; mais que ce n'est pas ce qui lui a été demandé et que ce n'est pas ainsi que le contrat doit être interprété ; qu'il convient d'appliquer les articles 1156 et suivants, notamment 1157 et 1161 du Code civil ; que l'engagement est qualifié de garantie ; que c'est ce terme qui défini la nature de l'engagement et donc 'le sens qui résulte de l'acte entier' comme le dit l'article 1161 de ce code, ou de la clause entière ; qu'une garantie ne peut concerner qu'une dette échue et impayée ; qu'au surplus il est stipulé que la garantie est la compensation d'un 'préjudice'; qu'aucun préjudice ne peut résulter du non paiement de dettes non échues ; que les dettes payées à la date de la mise en oeuvre de la garantie ne constituent pas un 'préjudice' ; que la garantie de Madame [P] ne pouvait donc concerner que des dettes échues et impayées à la date à laquelle elle a été appelée ; que la garantie ne peut en outre concerner les dettes de fournisseurs nées antérieurement à la cession ; qu'en effet, eu égard à la nécessité de cohérence de l'acte de cession et à la rationalité économique, la volonté des parties n'a pu être que Madame [P] garantisse le fonctionnement de la société postérieurement à son abandon de tout intérêt et de toute responsabilité dans celle-ci ;
Considérant que la garantie de Madame [P] a été appelée par mise en demeure du 11 février 2005 ; qu'il y est indiqué que 'le montant total des comptes clients s'élève à
1 508 507,34 €' ; que cette affirmation, au demeurant imprécise quant au contenu des comptes clients, ne constitue pas une preuve ;
Considérant que le seul élément objectif à la disposition de la Cour est une attestation, en date du 18 janvier 2005, du commissaire aux comptes de CBP, aux termes de laquelle le 'solde des créances clients', ayant leur origine antérieurement au 5 avril 2004, 'demeurant impayées' ce terme supposant qu'elles étaient échues, étaient de 382 892,42 € au total ; mais que ceci résultait des comptes au 30 septembre 2004 ; que des paiements ont pu, et ont vraisemblablement été effectués, pour un montant que la Cour ne peut déterminer, entre le 30 septembre 2004 et le 11 février 2005 ; que la seule créance qui n'a pu être payée est celle de la SA BRONKS, en redressement judiciaire, pour un montant de 201 512,87 € ; mais que selon les énonciations du jugement entrepris, un plan de continuation a été adopté le 28 décembre 2004, ce qui implique un nouvel échéancier ; que selon le tableau versé aux débats, pièce 23 des intimés, le premier versement d'un montant de 66 010,07 € au titre du 'compte courant TCF' devait être fait le 28 janvier 2006 ; qu'aucune dette de BRONKS à l'égard de TCF n'était donc échue à la date du 11 février 2005 ;
Considérant en conséquence que la société TARTINE ET CHOCOLAT ne fait pas la preuve, qui lui incombe, qu'à la date du 11 février 2005 il y avait des dettes à l'égard de TCF entrant dans le champs de la garantie, nées antérieurement au 5 avril 2004, échues et impayées ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé une condamnation au titre de la garantie et que la société TARTINE ET CHOCOLAT sera déboutée de ce chef ;
Considérant sur la situation de Monsieur [K] qu'il n'est pas 'hors de cause' puisque des demandes sont faites à son égard ; qu'il résulte de ce qui précède et du fait qu'il n'est pas personnellement partie aux actes critiqués, qu'elles ne sont pas fondées, Madame [P] faisant d'ailleurs une constante confusion entre les sociétés et leurs associés ou dirigeants, qu'il s'agisse de ses sociétés ou d'autres ;
Considérant qu'aucun abus de procédure n'est démontré ; que la Cour fait d'ailleurs partiellement droit aux demandes de l'appelante ;
Considérant que chaque partie triomphant et succombant partiellement devant la Cour, sauf Monsieur [K], mais qui n'a pas conclu de manière distincte de TCF, il est équitable de laisser à chacune d'elles la charge de ses frais irrépétibles et dépens d'appel qu'elle a engagé ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné Madame [L] [D] épouse [P] au paiement de la somme de 1 000 000 € au titre de la mise en jeu de la garantie du compte client.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Laisse à chacune d'elles la charge des dépens d'appel qu'elle a engagé.
LE GREFFIER LE PRESIDENT