RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 04 Mars 2010
(n° 8 , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/01108 LL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Décembre 2008 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MELUN RG n° 07-00154
APPELANTE
SA BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
Guyancourt
[Localité 6]
représentée par Me Abdelrak LASMARI, avocat au barreau de PARIS, toque : C181
INTIMEE
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE SEINE ET MARNE (URSSAF 77)
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par M. [R] en vertu d'un pouvoir général
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2010, en audience publique, les parties représentées ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Greffier : Mademoiselle Séverine GUICHERD, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Mademoiselle Séverine GUICHERD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société Bouygues Bâtiment Ile de France d'un jugement rendu le 12 décembre 2008 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun dans un litige l'opposant à l'URSSAF de Seine et Marne ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler qu'un accord d'intéressement a été conclu le 18 décembre 2001 concernant l'établissement de [Localité 7] de la société Bouygues Bâtiment Ile de France ; qu'à la suite d'un contrôle effectué au sein de cette société, l'URSSAF de Seine et Marne a réintégré dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale les primes d'intéressement versées aux salariés, du 1er novembre 2003 au 31 décembre 2004, au motif que l'accord précité n'avait pas été déposé auprès de la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) pour enregistrement ; que l'URSSAF a notifié à la société une mise en demeure en date du 11 octobre 2006 portant redressement de la somme totale de 189.780 euros ; que le redressement a été contesté devant la commission de recours amiable ; que cette réclamation a été rejetée et la société a saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 12 décembre 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun a débouté la société Bouygues Bâtiment Ile de France de ses prétentions ;
La société fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions aux termes desquelles il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et d'annuler le redressement litigieux. A titre subsidiaire, il est demandé de constater la faute commise par l'URSSAF qui, dans une lettre d'observations du 24 septembre 2003 rédigée après un précédent contrôle, n'a pas précisé la date de l'accord d'intéressement vérifié, l'empêchant ainsi de rapporter la preuve de l'accord tacite allégué, et de condamner cet organisme à lui payer la somme de 189.780 euros à titre de dommages-intérêts.
Elle considère que les sommes versées aux salariés au titre de l'intéressement devaient être exclues de l'assiette des cotisations sociales bien qu'il ne lui soit pas possible de justifier du respect de la formalité du dépôt de l'accord d'intéressement du 18 décembre 2001 à la DDTEFP. Elle soutient, en effet, que cet accord avait déjà été vérifié par l'URSSAF de Seine et Marne, lors d'un précédent contrôle portant sur la période du 1er décembre 2000 au 31 décembre 2002, sans donner lieu à observations de la part de cet organisme. Elle se prévaut, en conséquence, d'une décision implicite d'acceptation faisant obstacle au redressement, en application de l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale. Elle fait état de la lettre de l'URSSAF de Seine et Marne en date du 24 septembre 2003 qui mentionne expressément le contrat d'intéressement parmi les documents examinés lors de ce premier contrôle et ne formule aucune observation au sujet de cet intéressement. Elle soutient que l'accord d'intéressement précédemment vérifié est bien celui du 18 décembre 2001 et non celui du 15 juin 1999, qui s'est appliqué du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001. Elle soutient, en effet, que l'intéressement faisant l'objet du redressement était applicable dès le 1er janvier 2002 et a donné lieu au versement d'un premier acompte en décembre 2002.
A titre subsidiaire, elle reproche à l'URSSAF de ne pas avoir précisé la date de l'accord d'intéressement contrôlé, ce qui l'empêche de rapporter la preuve d'une décision implicite et lui cause ainsi un préjudice égal au montant du redressement. Elle indique qu'une telle négligence constitue de la part de l'organisme de recouvrement un manquement à ses obligations en matière de rédaction des lettres d'observations, lesquelles doivent contenir un maximum de précisions afin de garantir les droits des cotisants. Elle estime que cette faute engage la responsabilité de l'URSSAF sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
L'URSSAF de Seine et Marne fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions tendant à la confirmation du jugement. Elle indique, en effet, que l'accord d'intéressement du 18 décembre 2001 n'a pas été déposé auprès de la DDTEFP alors que l'article L 441-2 du code du travail impose le respect de cette formalité pour bénéficier des exonérations de cotisations. Elle prétend que le contrôle effectué le 24 septembre 2003 n'a pas porté sur cet accord d'intéressement, de sorte que la société Bouygues Bâtiment Ile de France ne peut invoquer l'existence d'une décision implicite. Elle fait observer que la vérification faite en 2003 portait sur la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002, au cours de laquelle les salariés ont reçu uniquement les primes d'intéressement résultant de l'accord d'intéressement du 15 juin 1999, alors que celui de 2001 n'a donné lieu à versement de primes qu'à compter de novembre 2003, en dehors de la période contrôlée en 2003. Elle considère qu'il n'existe, en l'espèce, aucune incertitude sur l'identité de l'accord d'intéressement et fait remarquer que la lettre d'observations du 24 septembre 2003 ne mentionne qu'un seul contrat d'intéressement, ce qui démontre bien que l'accord du 18 décembre 2001 n'avait pas fait l'objet d'un contrôle conjoint avec celui de 1999. En tout état de cause, elle rappelle que le versement de l'intéressement suppose l'établissement préalable des comptes et résultats sociaux en fonction desquels il est calculé, de sorte que l'intéressement résultant de l'accord de décembre 2001 ne pouvait être mis en oeuvre avant la clôture de l'exercice comptable 2002 qui est intervenue au début de l'année 2003, en dehors de la période précédemment contrôlée. S'agissant de la demande subsidiaire en paiement de dommages-intérêts, elle en conteste la recevabilité au regard de l'article 564 du code de procédure civile dès lors qu'elle n'a pas été soumise aux premiers juges. En tout état de cause, elle prétend n'avoir nullement engagée sa responsabilité dès lors qu'il n'existe pas d'incertitude sur l'accord d'intéressement ayant fait l'objet du contrôle précédent et qu'aucun préjudice n'a été causé à la société Bouygues Bâtiment Ile de France qui ne pouvait bénéficier d'une décision implicite.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
SUR QUOI LA COUR :
Considérant qu'en application de l'article L 441-2, alinéa 8, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, pour ouvrir droit aux exonérations de cotisations de sécurité sociale, l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour du septième mois suivant la date de sa prise d'effet et déposé par la partie la plus diligente au plus tard dans les quinze jours suivant sa conclusion à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du lieu où il a été conclu ; que cette exigence vaut également lors du renouvellement de l'accord ;
Considérant qu'il appartient à l'employeur, qui se prévaut de telles exonérations, de rapporter la preuve de ce que les formalités prescrites ont été observées dans le délai imparti ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le récépissé du dépôt de l'accord d'intéressement conclu le 18 décembre 2001 et portant sur les exercices 2002 à 2004 n'a pu être produit par la société ;
Sur l'existence d'une décision implicite de l'URSSAF au sujet de l'accord d'intéressement du 18 décembre 2001
Considérant que pour bénéficier cependant de l'exonération des cotisations relativement aux sommes versées au titre de cet intéressement, la société Bouygues Bâtiment Ile de France invoque l'existence d'une décision implicite de l'URSSAF ;
Considérant qu'en application de l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale, l'absence d'observations vaut accord implicite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l'organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en connaissance de cause. Le redressement ne peut porter sur des éléments qui, ayant fait l'objet d'un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n'ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme ;
Considérant qu'en l'espèce, pour soutenir que l'accord d'intéressement du 18 décembre 2001 avait déjà été vérifié par l'URSSAF qui n'avait alors relevé aucune anomalie, la société Bouygues Bâtiment Ile de France se prévaut d'un contrôle réalisé dans le même établissement, dépendant à cette époque de la société OF construction, et portant sur la période du 1er décembre 2000 au 31 décembre 2002 ;
Considérant que, selon la lettre d'observations de l'URSSAF en date du 24 septembre 2003, un contrat d'intéressement figurait bien parmi les documents consultés et son examen n'a donné lieu à aucune observations ;
Considérant, cependant, que l'URSSAF fait observer à juste titre que l'accord d'intéressement concerné par ce précédent contrôle ne peut être celui du 18 décembre 2001, qui n'a donné lieu à aucun versement au cours de la période examinée, mais est celui du 15 juin 1999 relatif aux exercices 1999 à 2001 ;
Considérant qu'il n'est pas contesté, en effet, que les primes versées durant la période ayant fait l'objet de ce premier contrôle sont celles échues entre le 1er décembre 2000 et le 31 décembre 2002, c'est à dire les primes de l'exercice 1999 versées en 2000, celles de l'exercice 2000 versées en 2001 et celles de l'exercice 2001 versées en 2002 ; que la totalité des primes d'intéressement distribuées au cours de la période précédemment contrôlée relevait donc de l'accord du 15 juin 1999 qui, lui, avait été régulièrement déposé ;
Considérant qu'en revanche, les primes d'intéressement distribuées en exécution de l'accord du 18 décembre 2001, relatif aux exercices 2002 à 2004, n'ont pu faire l'objet d'une vérification à l'occasion de ce premier contrôle dès lors qu'en vertu de l'article 5 de cet accord, la régularisation de leur versement n'est intervenu qu'au cours de l'année suivant celle de l'exercice de référence ;
Considérant qu'ainsi, si l'accord du 18 décembre 2001 a bien été conclu antérieurement au premier contrôle, il ne pouvait cependant faire l'objet d'aucune vérification avant le versement effectif des primes d'intéressement qui constitue le fait générateur des cotisations et qui, en l'espèce, se situe en 2003, postérieurement à la période contrôlée ;
Considérant qu'au surplus, la distribution de primes d'intéressement est subordonnée à la réalisation, au cours de l'exercice, des critères prévus dans l'accord instituant ledit intéressement, de sorte qu'elle ne peut être décidée avant la clôture des comptes de l'exercice annuel ;
Considérant que s'agissant de l'accord d'intéressement du 18 décembre 2001, la distribution afférente à l'exercice 2002 n'a donc pu intervenir avant le mois de janvier 2003, postérieurement à la période précédemment contrôlée ;
Considérant que c'est donc à tort que la société Bouygues Bâtiment Ile de France considère que le contrôle de la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002 constituerait une décision implicite faisant obstacle au redressement ;
Considérant que la décision des premiers juges qui ont rejeté la demande d'annulation du redressement sera donc confirmée ;
Sur les dommages-intérêts
Considérant que si la demande de dommages-intérêts formulée par la société Bouygues Bâtiment est recevable en raison de son caractère accessoire à la demande principale tirée de l'invocation d'une décision implicite, l'existence d'une faute engageant la responsabilité de l'URSSAF n'est cependant aucunement justifiée ;
Considérant qu'en effet, l'accord d'intéressement applicable au cours du précédent contrôle était exclusivement celui du 15 juin 1999 ;
Considérant qu'il n'existait donc aucune confusion possible sur ce point et, d'ailleurs, la lettre d'observations du 24 septembre 2003 précise bien qu'un seul contrat d'intéressement a été consulté ;
Considérant que, dès lors, il apparaît que l'URSSAF de Seine et Marne n'a pas commis de faute à l'occasion de ses opérations de contrôle ;
Considérant que la société Bouygues Bâtiment Ile de France qui, elle, n'a pas respecté son obligation de déposer l'accord d'intéressement ne saurait transférer à cet organisme les conséquences de sa propre négligence ;
Que sa demande en paiement de dommages-intérêts sera donc rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Déclare la société Bouygues Bâtiment Ile de France recevable mais mal fondée en son appel ;
Confirme le jugement entrepris ;
Rejette la demande de la société Bouygues Bâtiment Ile de France en paiement de dommages-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à application du droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ;
Le Greffier, Le Président,