RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRET DU 03 Mars 2010
(n° 3 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/07929-CR
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Avril 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section Activités diverses RG n° 06/03003
APPELANTE
Mademoiselle [F] [E]
[Adresse 1]
[Localité 6]
comparant en personne, assistée de Me Sylvie GEROSA-RAULIN, avocat au barreau de MELUN
INTIMÉE
SAS SWISS POST SOLUTIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Mickael VALETTE, avocat au barreau de PARIS, toque : P584
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claudine ROYER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Alain CHAUVET, Président
Madame Anne-Marie LEMARINIER, Conseillère
Madame Claudine ROYER, Conseillère
Greffier : Mme Evelyne MUDRY, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Alain CHAUVET, Président et par Evelyne MUDRY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement du 3 avril 2008 auquel la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de PARIS a :
dit Mademoiselle [F] [E] mal fondée en sa demande et l'en a déboutée,
l'a condamnée aux dépens et dit n'y avoir lieu à indemnité au titre des frais non compris dans les dépens.
Mademoiselle [F] [E] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 23 mai 2008.
Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 20 janvier 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens et arguments aux termes desquelles Mademoiselle [F] [E] demande à la Cour de :
la dire recevable et bien fondée en son appel,
réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, compte tenu de l'allongement signification du temps de trajet entre les deux sites,
constater de surcroît qu'en réalité, la société IOS DATA SERVICES a poursuivi partie de son activité dont celle exercée par elle sur le site de [Localité 8] jusqu'en avril 2006,
en conséquence, dire la mesure dépourvue de toute base légale à double titre,
condamner in solidum la SAS IOS DATA SERVICES et la SAS GLOBAL BUSINESS SERVICES PLUS FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
* 7440 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 4960 euros à titre de rappel de salaire du 1er janvier 2006 au 30 avril 2006,
* 496 euros au titre des congés payés afférents,
le tout, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
condamner sous la même solidarité la SAS IOS DATA SERVICES et la SAS GLOBAL BUSINESS SERVICES PLUS à lui payer la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 20 janvier 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens et arguments aux termes desquelles SWISS POST SOLUTIONS SAS venant aux droits de GLOBAL BUSINESS SERVICES PLUS FRANCE, elle-même venant aux droits de la SAS INTERNATIONAL OUTSOURCING SERVICES (IOS) DATA SERVICES, demande à la Cour de :
constater que le déménagement de [Localité 8] à [Localité 7] s'est opéré dans un même secteur géographique,
constater que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
constater que Mademoiselle [E] ne peut prétendre à un quelconque rappel de salaire,
constater que Mademoiselle [E] ne justifie d'aucun préjudice
en conséquence ,
débouter Mademoiselle [E] de l'intégralité de ses demandes,
confirmer en toutes choses les dispositions du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 3 avril 2008
y ajoutant,
condamner Mademoiselle [E] à payer à la Société IOS la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner Mademoiselle [E] aux entiers dépens.
*
MOTIFS
Suivant contrat de travail du 13 mai 1996, Madame [F] [E] a été engagée comme opératrice de saisie par la SOCIÉTÉ DE SERVICES TECHNIQUES BUREAUTIQUE (SSTB) devenue par la suite IOS DATA SERVICES, dans un premier temps pour une durée déterminée de 2 mois, jusqu'au 12 juillet 1996, puis par avenant intervenu à cette date, pour une durée indéterminée à compter du 13 juillet 1996. Son lieu de travail était situé [Adresse 3].
Par courrier du 18 octobre 2005 remis en main propre contre décharge, Madame [E] s'est vu notifier un changement de son lieu de travail, transféré à [Adresse 2] à compter du 21 novembre 2005.
Par lettre du 19 octobre 2005, la société IOS DATA SERVICES a convoqué Madame [E] à un entretien préalable à un licenciement fixé au 25 octobre 2005. Puis elle l'a licenciée par lettre du 28 octobre 2005 en ces termes :
« (...) Suite aux réunions du comité d'entreprise des 29 septembre et 12 octobre 2005, et conformément à la réunion d'information avec l'ensemble du personnel du 30 septembre 2005, la Direction vous a informée par courrier remis en main propre contre décharge le 18 octobre 2005 du changement de votre lieu de travail:
A compter du 21 novembre 2005 à 9 h 00, votre nouveau lieu de travail est [Adresse 2].
Cette décision était justifiée par la stratégie d'IOS tendant à avoir un site de production organisé et optimisé afin d'avoir une meilleure gestion des flux de production et satisfaire le client dans les meilleures conditions de coût, de qualité et de délais et ce, grâce au regroupement des deux sites de [Localité 8] et de [Localité 7] qui dégage de véritables potentiels de polyvalence et de savoir faire.
Ce courrier vous a été remis dans le cadre d'un entretien individuel avec un membre de la Direction des Ressources Humaines qui vous a informée des alternatives qui s'offraient à vous lors duquel vous avez exprimé votre refus de travailler sur ce nouveau site de [Localité 7].
Il vous précisait qu'à défaut de vous conformer à ce nouveau lieu de travail, vous vous y exposiez à un éventuel licenciement.
En effet, le changement de votre lieu de travail n'entraînait aucune modification de votre contrat de travail dans la mesure où elle ne s'accompagnait pas d'une modification de votre durée de travail, de votre rémunération et de vos fonctions.
De plus, le site de [Localité 7], lequel est très bien desservi par les transports en commun, se situe dans la même zone géographique que votre lieu de travail actuel.
Par ailleurs, ce courrier vous proposait le bénéfice d'une période probatoire d'un mois à compter de votre arrivée sur le site de [Localité 7] et à l'issue de laquelle vous pouviez exercer votre refus.
Enfin, afin de favoriser et de faciliter votre prise de décision quant à ce déménagement ce courrier précisait que la Direction avait mis en place avec la collaboration des membres du comité d'entreprise un ensemble de mesures d'accompagnement, lesquelles étaient détaillées en annexe.
Or, vous avez réitéré votre refus d'aller sur ce nouveau lieu de travail par courrier remis en main propre contre décharge à la Direction en date du 18 octobre 2005.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de l'entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation.
C'est pourquoi, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.(...) ».
Contestant ce licenciement, Madame [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui a rendu la décision déférée.
*
Sur le licenciement
Madame [E] conteste la décision de première instance qui a estimé que son lieu de travail avait été transféré dans le même secteur géographique avec une distance et un temps de transport presque identiques. Elle considère que le changement de site lui occasionnerait une heure de transport de plus (soit 5 heures par jour au total) pour un aller et retour de [Localité 6] à [Localité 7] par les transports en commun dont elle tributaire. Madame [E] fait par ailleurs valoir que la société a maintenu sur son ancien site de [Localité 8] trois services (la saisie CNP, la saisie de masse et la mise sous pli) dont le sien, le service de la saisie de masse ayant été maintenu sur place jusqu'en avril 2006 ; que les premiers juges ont retenu à tort que l'employeur n'avait aucune obligation de l'affecter au service de saisie CNP. Madame [E] maintient que la société IOS ne peut prétendre justifier son licenciement par le transfert d'activité à la date du 21 novembre 2005 et que celui-ci est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Société SWISS POST SOLUTIONS SAS soutient que conformément aux règles en la matière, le déménagement du site, décidé dans le seul intérêt de l'entreprise, a été effectué dans le même secteur géographique ; que ce déménagement n'a pas eu d'impact significatif sur la situation personnelle de Mademoiselle [E], le trajet en voiture étant plus court et augmenté seulement de 10 minutes par les transports en commun . Elle considère que le changement des conditions de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au salarié. La Société SWISS POST SOLUTIONS rappelle que de nombreuses mesures d'accompagnement ont été mises en place pour les salariés afin d'atténuer les effets du déménagement et que le comité d'entreprise a rendu un avis favorable au transfert ; que devant le refus fautif de la salariée de travailler sur le site de [Localité 7], l'employeur en a tiré les conséquences qui s'imposaient en procédant au licenciement qui selon elle était parfaitement fondé.
La mutation d'un salarié non soumis à une obligation contractuelle ou conventionnelle de mobilité, ou dont le contrat ne comporte pas une clause stipulant de manière claire et précise que l'intéressé exécutera son travail exclusivement en un lieu, emporte modification du contrat dès lors que le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent . Il en est ainsi quelles que soient les conséquences de cette mutation pour le salarié : absence de trajet supplémentaire ou faible trajet supplémentaire. En revanche, il peut être tenu compte d'une manière générale de la desserte en moyens de transport de chacun de ces sites de travail.
Pour statuer, la cour est tenue d'apprécier le changement du lieu de travail de façon objective, sans prise en compte de la situation personnelle de la salariée, et pour cela de rechercher si son nouveau lieu d'affectation, était situé dans un secteur géographique différent ou non du lieu de sa précédente affectation.
En l'espèce, le lieu de la nouvelle affectation de Madame [E] était fixé à compter du 21 novembre 2005 au [Adresse 2] alors qu'elle travaillait à [Adresse 3].
La Société SWISS POST SOLUTIONS considère que ses nouveaux locaux à [Localité 7] sont situés dans le secteur géographique de la région parisienne, en proche banlieue, et sont très bien desservis par les moyens de transport en commun.
Il résulte des pièces produites que la ville de [Localité 7] est située à 23 km de [Localité 8] , et que la desserte du nouveau site se fait essentiellement par le RER B ou C, et un bus dont l'arrêt se trouve à 500 mètres du lieu de travail , l'arrêt le plus proche étant celui de [Localité 5] / [Localité 7] ; qu'il est proche des autoroutes A 10, A 6 et A 86, de la nationale A 188.
Le site de [Localité 8] était quant à lui rapidement desservi par le métro parisien ou le bus avec peu de marche entre métro et lieu de travail.
Quoi qu'en dise la Société SWISS POST SOLUTIONS qui considère que PARIS et PALAISEAU sont situés dans un même secteur géographique, il résulte des pièces produites que la desserte du nouveau site de [Localité 7] et les conditions de transport par RER et Bus avec un arrêt à 500 mètres de l'usine, sont sans commune mesure avec la desserte du site de [Localité 8] en termes de coût, de fréquence des moyens de transport, de temps de trajet et de pénibilité du transport ; que cela est si vrai que l'entreprise a mis en place avec le comité d'entreprise, de nombreuses mesure d'accompagnement pour atténuer les difficultés liées au transfert (prime de mobilité, prise en charge intégrale de la carte orange pendant un an, prise en charge des frais de déménagement si celui-ci doit s'imposer avec bénéfice du Locapass et Mobilipass, mise en place d'aménagement d'horaires dans des cas spécifiques). Contrairement à ce que soutient l'employeur les sites de [Localité 8] et [Localité 7] ne sauraient être considérés comme faisant partie du même secteur géographique au regard de la desserte en moyens de transport du nouveau site.
Il s'agit bien ici d'une modification du contrat de travail et l'employeur ne pouvait l'imposer à Madame [E] sans son accord. Dès lors le licenciement intervenu pour refus fautif de la salariée se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en l'absence de réintégration, le salarié est en droit d'obtenir une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois, en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail.
Madame [E] demande une somme de 7 440 euros (6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au moment de son licenciement, elle avait plus de 10 ans d'ancienneté. Selon les pièces produites, son salaire moyen était de 1240 euros par mois. Elle a fait une mission d'intérim du 9 au 31 octobre 2006 et a perçu des indemnités de chômage jusqu'au 2 janvier 2008.
Compte tenu de ces éléments il y a lieu d'allouer à Madame [E] la somme de 7440 euros qu'elle réclame. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
Sur la demande de rappel de salaire et de congés payés afférents
Soutenant que la Société IOS a continué son activité sur le site de [Localité 8] jusqu'au 30 avril 2006, et qu'elle aurait pu travailler sur ce site jusqu'à cette date, Madame [E] demande le paiement de son salaire pour la période du 1er avril 2008 (après la fin de son préavis) au 30 avril 2006.
La Société SWISS POST SOLUTIONS fait observer à juste titre que la salariée ne peut prétendre obtenir un rappel de salaire postérieurement au préavis alors qu'elle ne faisait plus partie des effectifs de l'entreprise. Il est certain que le contrat de travail étant rompu par le licenciement, aucun rappel de salaire ne peut être exigé postérieurement au préavis.
Madame [E] sera donc déboutée de sa demande à ce titre et de sa demande de congés payés afférents.
La Société SWISS POST SOLUTIONS qui succombe supportera les dépens et indemnisera Madame [F] [E] des frais exposés par elle en appel à hauteur de 1000 euros.
*
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Dit que le licenciement notifié à Madame [F] [E] le 28 octobre 2005 est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société SWISS POST SOLUTIONS SAS à payer à Madame [F] [E] la somme de 7 440 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
Condamne la Société SWISS POST SOLUTIONS SAS à payer à Madame [F] [E] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
Condamne la Société SWISS POST SOLUTIONS SAS aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,