Grosses délivrées aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ORDONNANCE DU 25 FEVRIER 2010
(n° 98 ,5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/11323
Décision déférée : ordonnance rendue le 31 Mai 1999 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de PARIS
Nature de la décision : Contradictoire
Nous, Jean-Jacques GILLAND, Vice -président à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l'article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;
assistée de Fatia HENNI, greffier présente lors des débats ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 14 janvier 2010 :
- SARL REAUMUR AUTOMATIC
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 6]
[Localité 8]
- SARL SOCIETE GESTION COMMERCIALE ET D'ENTREPRISE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 8]
- SARL RAPID SERVICE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 10]
- SARL LAVERIE TEINTURERIE DE LA TOUR D'AUVERGNE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 5]
[Localité 10]
- SARL TEINTURERIE LE FLEURON
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 9]
- SARL TOUS SERVICES
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 11]
représentées par maître Prosper SEBBAM de la SELARL ZAMOUR & Associés, avocats au barreau de PARIS
APPELANTE
et
- LE DIRECTEUR GENERAL DES FINANCES PUBLIQUES
DIRECTION NATIONALE D'ENQUETES FISCALES
Pris en la personne du chef des services fiscaux
[Adresse 7]
[Localité 12]
représenté par MaîtreDominique HEBRARD MINC, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉ
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 14 janvier 2010, l'avocat de l'appelante et l'avocat de l'intimé ;
Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 25 février 2010 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
* * * * * *
Avons rendu l'ordonnance ci-après :
CIRCONSTANCES ENTOURANT LA PRÉSOMPTION DE FRAUDE
Les S.A.R.L. Réaumur Automatic, Rapid Service, Laverie Teinturerie de la tour d'Auvergne, Teinturerie le Fleuron et Tous Services ont pour objet une activité de teinturerie, pressing, laverie automatique, nettoyage à sec et/ou de blanchisserie, seule la société de Gestion Commerciale et d'Entreprise avait pour activité l'achat, la vente et la location de fonds de commerce et exploitait un fonds de commerce de teinturerie de luxe.
Elles sont présumées occulter une partie de leurs chiffres d'affaires en ne déclarant pas l'intégralité des recettes réalisées et se soustrairaient ainsi à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée, en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer des écritures inexactes ou fictives dans les documents comptables dont la tenue est obligatoire.
ORDONNANCE DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION
La direction nationale des enquêtes fiscales a présenté une requête au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, à fins de visites domiciliaires et saisies éventuelles dans les locaux et dépendances de ces sociétés, situés dans son ressort.
CIRCONSTANCES DE LA VISITE ET DES SAISIES
Une visite domiciliaire et des saisies ont été faites le 3 juin 1999 dans les locaux indiqués et des documents ont été saisis.
PROCÉDURE JUDICIAIRE
Les différentes S.A.R.L. ont interjeté appel de l'ordonnance rendue le 31 mai 1999 contre la direction nationale des enquêtes fiscales (direction générale des finances publiques).
Les appelantes exposent que l'ordonnance rendue en l'absence de contrôle effectif du juge des libertés et de la détention, qui n'a pu valablement examiner la requête s'étant borné, selon elles, à parapher un ordonnance pré-rédigée par l'administration fiscale, accompagnée d'un volume important de documents quasiment impossible à examiner dans un bref délai, mettant à néant le contrôle juridictionnel effectif auquel tout justiciable à droit.
Elles dénoncent une simple signature d'une ordonnance pré-rédigée, qui plus est, dans trois tribunaux, à [Localité 15], [Localité 13] et [Localité 14], et dans des termes identiques, le même jour ou presque, en violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la privant, ainsi, de son droit à un procès équitable.
Elles font valoir que l'ordonnance a été rendue sans que l'Administration ait communiqué au magistrat de première instance toutes les pièces en sa possession concernant la situation des personnes soupçonnées de fraude, notamment des pièces en provenance des autorités britanniques numérotées 8-A dont seule une partie a été produite, tronquant ainsi, selon elles, les informations données.
Elles ajoutent que certaines pièces sont en langue anglaise et non traduites et qu'ainsi l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539 a été violée, les actes et documents produits au juge devant tous être traduits, que ces pièces auraient dû être écartées et ne pouvaient servir à motiver l'ordonnance rendue.
Selon elles, l'ordonnance a été rendue en l'absence de présomption de fraude au sens de l'article L 16 B du livre de procédure fiscale, n'étant fondée que sur des présupposés et des soupçons, notamment qu'elles minoraient dans leur comptabilité et leur déclaration fiscale leurs chiffres d'affaires pour échapper au paiement de l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée en se fondant sur le fait qu'elles auraient un capital détenu majoritairement par les mêmes personnes, qu'elles déclaraient des chiffres d'affaires voisins, des résultats fiscaux très faibles, voir nuls ou déficitaires et que des contrôles fiscaux de leurs dirigeants avaient permis de constater des paiements en espèces dépourvus de justification fiable, sans que le lien entre les uns et les autres ne soit démontré.
Elles réclament le paiement de la somme de 7000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En réponse à ses adversaires, la direction générale des finances publiques (direction nationale des enquêtes fiscales) demande, après avoir répondu point par point aux arguments des redevables, la confirmation de l'ordonnance déférée et le paiement de la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Considérant que, selon la jurisprudence tant nationale qu'européenne, la visite domiciliaire est un procédé compatible avec l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, dès lors que l'ordonnance qui l'a autorisée est entourée de garanties suffisantes et susceptible de recours, comme le démontre, en l'espèce, le présent appel ;
Considérant que l'ordonnance déférée est motivée sur plus de huit pages, que l'adoption des motifs de la requérante, à la supposer avérée par la seule considération de l'identité des moyens développés entre la requête et la décision de justice, et par l'identité avec deux autres ordonnances rendues en la même matière, le même jour ou presque, pour les mêmes personnes morales par des magistrats de deux autres juridictions, ne permet pas aux appelantes de présumer que le juge a fait l'économie de l'examen de la cause et des pièces, mêmes nombreuses, qui ont été fournies ;
Considérant que les appelantes ne savent rien des conditions de temps ou de lieu dans lesquelles le juge des libertés et de la détention a délibéré avant de délivrer l'ordonnance qui lui était demandée ;
Considérant qu'en ce qui concerne la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, la possibilité d'interjeter appel devant le premier président de la cour d'appel assure aux appelantes le droit à un procès équitable ; que ces moyens sont infondés ;
Considérant qu'il appartient aux appelantes de démontrer en quoi les pièces qui n'ont pas été communiquées au juge auraient été de nature à remettre en cause son appréciation ; qu'en l'espèce, elles font valoir qu'un article de la revue 'L'expansion' et une fiche technique n'ont pas été remis au magistrat, sans cependant expliquer leur importance quant à l'existence ou non de la fraude présumée ; que ce moyen est écarté ;
Considérant que toute pièce produite devant une juridiction française doit être, soit en langue française, soit accompagnée de sa traduction ; qu'en l'espèce les pièces numérotées 8-B et 8-C ont été produites, sans la moindre traduction, alors qu'elles sont en langue anglaise ; que cependant, ces pièces ne sont que le support des informations données par l'attaché fiscal de l'ambassade de France au Royaume-Uni, informations qui ne sont pas contestées, et rien dans la motivation de l'ordonnance attaquée ne permet d'affirmer que le juge de première instance s'est fondé exclusivement sur ces pièces et non sur la fiche de renseignements les accompagnant ; que cependant, il convient de dire que ces pièces, à défaut de traduction se devaient d'être écartées des débats et qu'elle ne pouvaient être retenues dans le cadre de la démonstration de l'existence de présomption de fraude à l'encontre des appelantes ;
Considérant qu'il résulte incontestablement des pièces de la cause et du dossier que les appelantes avaient la même activité, étaient dirigées et détenues par les mêmes personnes, dont la société de droit irlandais Capital Star Holdings Limited, qu'elles devaient toutes leur pérennité et leur survie aux apports et abandon de créances de leurs associés, au regard de la faiblesse de leurs résultats, qui ne pouvaient correspondre à la réalité de l'exploitation de tels fonds de commerce ; que, de plus, leurs associés et dirigeants communs, avaient fait l'objet de contrôles fiscaux ayant fait apparaître de manière systématique des dépôts en espèces non justifiés ou de nature indéterminée ;
Considérant que ces éléments, rassemblés, ont permis au juge de première instance d'apprécier l'existence de présomptions d'agissement justifiant l'acceptation de la mesure sollicitée, n'étant pas tenu d'établir l'existence des agissements suspectés, le défaut de passation des déclarations fiscales constituant un indice de l'omission de passation des écritures comptables, agissement visé par l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, le juge n'ayant qu'à vérifier l'existence de soupçons d'agissement frauduleux et non la réalité des dits agissements ;
Considérant que la fraude consiste dans le fait pour une personne de soustraire à l'impôt tout ou partie de la matière imposable ; que le fait pour un opérateur économique exerçant son activité en France d'occulter tout ou partie de son chiffre d'affaires peut être présumé volontaire, sans pour autant que la mention du terme 'sciemment' soit nécessaire ; qu'une visite domiciliaire est justifiée, comme en l'espèce, quand il existe des signaux d'une situation fiscale pour le moins atypique et nécessitant des vérifications sérieuses ;
Considérant que le magistrat d'appel, sans être tenu de s'expliquer autrement sur la proportionnalité de la mesure qu'il examine, doit apprécier l'existence ou non de présomptions de fraude ;
Considérant, qu'en conséquence, l'ensemble des griefs avancés sont écartés, et que le magistrat de première instance disposait des éléments suffisants pour présumer la fraude et ce quand bien même les deux pièces produites rédigées en langue anglaise ont été écartées des débats ; que l'ordonnance déférée est confirmée en toute ses dispositions ;
Considérant que l'intimée doit être indemnisée de ses frais de procédure à hauteur de 1500 euros.
PAR CES MOTIFS
ÉCARTONS des débats les pièces numérotées 8-B et 8-C rédigées en langue anglaise et non traduites,
CONFIRMONS en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 31 mai 1999 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle a autorisé une visite domiciliaire et des saisies de documents,
CONDAMNONS les S.A.R.L. Réaumur Automatic, Rapid Service, de Gestion Commerciale et d'Entreprise, Laverie Teinturerie de la tour d'Auvergne, Teinturerie le Fleuron et Tous Services à payer à la direction générale des finances publiques (direction nationale des enquêtes fiscales) la somme de 1500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LES CONDAMNONS aux entiers dépens.
LE GREFFIER
Fatia HENNI
LE DELEGUE DU PREMIER PRESIDENT
Jean-Jacques GILLAND