Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRET DU 25 FEVRIER 2010
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/11124
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2007 -Tribunal de Commerce de PARIS - 5ème Chambre RG n° 2006015168
APPELANT:
Monsieur [I] [S]
né le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 9] (Maroc)
de nationalité française
demeurant [Adresse 5]
[Localité 2] ( SUISSE )
représenté par Maître François TEYTAUD, avoué à la Cour
assisté de Monsieur le Bâtonnier Jean-René FARTHOUAT, avocat au barreau de PARIS (Toque : R 130) et Maître Maurice LANTOURNE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE:
Société anonyme CAP GEMINI
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 8]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoué à la Cour
assistée de Maître Jean-François PRAT, avocat au barreau de PARIS Toque : T 12
INTIME:
Monsieur [E] [D]
demeurant [Adresse 6]
[Localité 7]
ès qualités de directeur général de la société anonyme CAP GEMINI
représenté par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoué à la Cour
assisté de Maître Jean-François PRAT, avocat au barreau de PARIS Toque : T 12
INTIME:
Monsieur [G] [K]
demeurant [Adresse 10]
[Localité 4]
ès qualités de président du conseil d'administration de la société anonyme CAP GEMINI
représenté par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoué à la Cour
assisté de Maître Jean-François PRAT, avocat au barreau de PARIS Toque : T 12
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrice MONIN-HERSANT, Président
Monsieur Edouard LOOS, Conseiller
Monsieur Gérard PICQUE, Conseiller
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile,
Greffier, lors des débats : Monsieur Daniel COULON,
MINISTERE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au Ministère Public,
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Monsieur Patrice MONIN-HERSANT, Président, et par Monsieur Daniel COULON, Greffier présent lors du prononcé.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE:
M. [I] [S], entré en 1973 au sein de la société CAP GEMINI (gestion de l'information notamment financière) où il resté deux décennies, a créé, en 1990, la société TRANSICIEL ayant pour activité le développement de l'informatique de proximité; CAP GEMINI est cotée au CAC 40 et TRANSICIEL a été introduite au second marché de la Bourse de [Localité 11] au mois de mars 1998, admise au règlement mensuel au mois de novembre 1999.
Au mois d'octobre 2002, M. [S] et CAP GEMINI se sont rapprochés pour créer un pôle européen de référence dans le domaine de l'informatique de proximité, 'Local professionnel services' (LPS); les négociations vont s'orienter vers un rapprochement au moyen d'une offre publique d'échange amicale de CAP GEMINI sur TRANSICIEL et, le 19 octobre 2003, une convention a été signée entre CAP GEMINI, TRANSICIEL et M. [S]; cette convention prévoyait deux branches alternatives de l'offre: soit une parité fixe, soit une parité variable; dans cette seconde branche, pour laquelle allait opter M. [S], le nombre d'actions CAP GEMINI remises en échange et temporairement incessibles, dépendait des résultats du pôle LPS; le même 19 octobre 2003, un courrier de M. [D], directeur général de CAP GEMINI, courrier signé par M. [S], confirmait à ce dernier qu'il serait nommé président et directeur général du futur pôle, lequel bénéficierait d'une large autonomie.
L'OPE a été clôturée le 3 décembre 2003, CAP GEMINI détenant 93,39 % des actions de TRANSICIEL; ce pourcentage est passé à 96,71 % après la réouverture de l'offre en janvier 2004, alors que M. [S], qui prenait la tête du pôle LPS mis en place, participait, pour la première fois le 15 janvier 2004, au comité exécutif de CAP GEMINI.
M. [S] a cessé ses fonctions le 7 avril 2005; par courriers des 22 juin et 2 août 2005, il faisait part à M. [K], Président du conseil d'administration, et à M. [D] déjà cité, de sa demande de se voir attribuer, par application de la seconde branche de l'offre qu'il avait choisie, un nombre d'actions CAP GEMINI correspondant à celui dépendant des objectifs fixés pour le pôle et dont il mettait à la charge de CAP GEMINI le fait qu'ils n'avaient pas été réalisés; il ajoutait qu'il avait l'intention d'engager une procédure pour obtenir réparation de son préjudice si une solution n'était pas trouvée et demandait encore aux deux dirigeants de lui fournir tous les documents permettant d'établir la connaissance qu'ils avaient eue de la situation de leur Groupe au cours de l'année 2003.
Par ordonnance de référé en date du 6 décembre 2005, le Président du tribunal de commerce de Paris à fait droit à la demande de M. [S] d'obtenir un certain nombre de documents internes à CAP GEMINI et a désigné un huissier à cette fin; cette ordonnance a été partiellement rétractée en ce qu'elle concernait d'autres mesures annexes, les pièces spontanément communiquées par CAP GEMINI à l'huissier instrumentaire étant conservées par ce dernier.
Par acte du 14 février 2006, M. [S] a assigné au fond la société CAP GEMINI et MM. [K] et [D]; par jugement rendu le 19 janvier 2007, le tribunal de commerce de Paris l'a débouté de toutes ses demandes et condamné à payer à CAP GEMINI et à MM. [K] et [D] 30 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les premiers juges ont, en substance, considéré qu'il n'était démontré ni que CAP GEMINI avait commis des manoeuvres dolosives ni que M. [S] n'aurait pas contracté dans les mêmes conditions le 19 octobre 2003 s'il avait eu, à cette date, toutes les informations qu'il prétendait que détenait CAP GEMINI; ils l'ont encore débouté de sa demande tendant à obtenir la communication des pièces séquestrées au motif que celles-ci n'étaient d'aucune utilité dans le litige.
M. [S] a interjeté appel du jugement du 19 janvier 2007.
***
Vu les dernières conclusions déposées le 22 octobre 2009 par l'appelant,
Vu les dernières conclusions déposées le 1er octobre 2009 par la société CAP GEMINI et par MM. [K] et [D], intimés,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que M. [S] soutient que CAP GEMINI a pratiqué des manoeuvres dolosives, « constitutives de réticences dolosives », lesquelles manoeuvres ont déterminé son consentement le 19 octobre 2003; qu'il rappelle que 'l'obligation de loyauté du dirigeant doit s'entendre comme une obligation particulièrement renforcée dès lors qu'il est le seul à pouvoir divulguer les informations pertinentes';
Considérant que l'appelant critique ainsi le tribunal d'avoir fait sienne l'argumentation de CAP GEMINI consistant à soutenir que les mauvais résultats du quatrième trimestre de l'année 2003 résultaient de la dégradation du marché américain représentant près du tiers de son chiffre d'affaires et n'auraient été connus que grâce à un courrier électronique du 27 novembre 2003 en provenance des Etats Unis; qu'il soutient que les procédures de contrôle interne, mises en place par CAP GEMINI dont le métier est par ailleurs de fournir à ses clients des outils d'analyse et de contrôle, ne permettent pas de douter que ses responsables disposaient de toutes les informations permettant une valorisation précise du cours de l'action au 19 octobre 2003; qu'il fait valoir que l'analyse des procès-verbaux des comités exécutifs de CAP GEMINI en date des 12 mars, 9 avril et 13 octobre 2003, procès-verbaux enfin en sa possession, permettent d'apprendre qu' 'en six mois, les dirigeants ont noté une dégradation de la situation de la société faisant passer la marge de 5 % à 'moins de 4 %'', et ce sans qu'il ait été averti des difficultés rencontrées tant en volume d'affaires qu'en rentabilité alors qu'il aurait pu l'être avant la signature; qu'il prétend encore que CAP GEMINI, dont il entend démontrer qu'elle aurait dû faire un 'Profit Warning' avant la signature du protocole, avait besoin d'un plan d'action, que l'OPE lui était nécessaire, que cette OPE s'est révélée extrêmement profitable pour elle; qu'il ajoute que la preuve du dol ressort de la propre communication financière de CAP GEMINI, capable d'annoncer son résultat d'exploitation quasi définitif de 2003 dès le 16 décembre 2003 alors qu'elle avait eu les plus grandes difficultés à estimer ses résultats pendant toute l'année; qu'il critique le tribunal d'avoir relevé contre lui qu'il n'avait pas réagi mais soutenu l'opération alors que non seulement ses titres étaient temporairement incessibles mais qu'il devait aussi diriger et développer le nouveau pôle, ajoutant que 'lorsqu'il s'est rendu compte de la violation de l'engagement de respecter son autonomie par la société CAP GEMINI, [il] a décidé de faire valoir ses droits puisqu'il n'avait alors plus aucune possibilité d'agir en étant exclu de la direction de SOGETI TRANSICIEL et du COMEX de CAP GEMINI';
Mais considérant que n'est pas rapportée la preuve de réticences dolosives;
Considérant en effet que CAP GEMINI et MM. [K] et [D] font pertinemment valoir que M. [S] a été informé de la baisse du chiffre d'affaires du premier semestre 2003, annoncée au marché le 5 septembre 2003, de même que de la prévision de marge pour l'exercice 'légèrement supérieure à 4 %' puis, le jour de l'ouverture de l'offre, 'de 4 % environ' et qu'il a participé tant à l'élaboration des communiqués annonçant le lancement de l'offre publique d'échange qu'à la rédaction de la note d'information conjointe intégrant le document de référence actualisé de CAP GEMINI; que le communiqué du 13 novembre 2003, qui n'a pas été un « profit warning », ne contenait pas d'informations nouvelles et n'a pas remis en cause les prévisions pour le troisième trimestre 2003; que le communiqué du 16 décembre 2003, a eu trait pour la première fois aux résultats du quatrième trimestre 2003; que l'appelant ne rapporte pas la preuve que les mauvais résultats annoncés au mois de décembre, conséquence de l'évolution très négative du marché nord américain, auraient été portés à la connaissance de CAP GEMINI avant le mois de novembre 2003; que la Cour ne peut se contenter d'affirmations et de supputations, fussent-elles abondamment développées; qu'il ne suffit pas encore de reproduire les procédures de contrôle internes, mises en place par CAP GEMINI; que les autorités de marché n'ont rien trouvé à redire à l'opération, les premiers juges ayant justement relevé que celles-ci « ont accepté de rouvrir le 18 décembre 2003 l'offre publique d'échange sans juger que les informations récentes justifiaient d'en modifier les conditions »;
Considérant de surcroît, à supposer qu'aient été connus, le 19 octobre 2003, les mauvais résultats du quatrième trimestre, qu'il n'est nullement acquis aux débats, que M. [S] n'aurait pas contracté dans les mêmes conditions;
Considérant en effet que les intimés font encore pertinemment valoir que M. [S] a souhaité se rapprocher de CAP GEMINI pour poursuivre le développement de son entreprise au sein d'un pôle dont il prendrait la tête; que l'appelant le reconnaît d'ailleurs bien volontiers;
Considérant à ce égard que M. [S], qui reproche au tribunal de n'avoir pas répondu à sa demande tendant à obtenir des dommages et intérêts d'un montant correspondant à la valeur des actions supplémentaires auxquelles il aurait pu prétendre si les résultats avaient été atteints, soutient n'avoir pas eu le rôle promis et n'avoir pas été, de ce fait, en mesure d'atteindre les objectifs prévus; qu'il qualifie de « forcé » son départ de CAP GEMINI; qu'il fait valoir que le principe d'autonomie est explicitement consacré tant dans la convention du 19 octobre 2003 que dans la lettre du même jour de M. [D]; qu'il produit des courriers de ses anciens collaborateurs de TRANSICIEL, qui l'ont suivi;
Mais considérant qu'autonomie n'est pas synonyme d'indépendance; que, s'il ne peut être reproché à M. [S] d'avoir exprimé des doutes sur la stratégie poursuivie par le Groupe, il ne peut être reproché aux dirigeants de ce même Groupe d'avoir pris les décisions qui leur revenaient; qu'il suffit de relever, nonobstant les longs développements de l'appelant, qu'il n'est pas démontré que ces mêmes décisions n'avaient pour objectif que de le mettre à l'écart et l'empêcher ainsi de réaliser les objectifs fixés afin de le priver de sa rémunération complémentaire; qu'il est certain, en revanche, que M. [S] n'a pu s'adapter au sein du Groupe puisqu'il l'a lui-même reconnu: « c'est difficile d'avoir été son propre patron et de se retrouver manager salarié dans un autre groupe. J'ai besoin de me sentir chez moi, d'avoir une grande autonomie de décision » (interview donné au journal « Le Monde » le 12 avril 2005);
Considérant, de tout ce qui précède, que le jugement frappé d'appel ne peut qu'être confirmé et M. [S] débouté de toutes ses demandes;
Considérant que M. [S], sera condamné, en sus de l'indemnité de procédure allouée par le tribunal, à payer à chacun des intimés 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement frappé d'appel;
Y ajoutant,
Condamne M. [S] à payer à CAP GEMINI et à MM. [D] et [K] 10 000 euros à chacun par application de l'article 700 du code de procédure civile;
Le condamne aux dépens d'appel et admet la SCP FISSELIER- CHILOUX- BOULAY, avoué, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile;
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires à la motivation.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
D. COULON P. MONIN-HERSANT