Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRET DU 21 JANVIER 2010
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 07/07375
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2006 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2004018678
APPELANTE
S.A. MAN CAMIONS & BUS agissant poursuites et diligences de son représentant légal
ayant son siège : [Adresse 2]
représentée par la SCP FANET - SERRA, avoués à la Cour
assistée de Me Nicolas BOULAY, avocat au barreau de PARIS, toque : R 130, plaidant pour FARTHOUAT, ASSELINEAU et Associés,
INTIME
Monsieur [Y] [O]
demeurant : [Adresse 1]
représenté par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER, avoués à la Cour
assisté de Me Norbert GRADSZTEJN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0005, substituant Me Francis BAILLET, avocat au barreau de PARIS, toque : C 99,
COMPOSITION DE LA COUR :
Après le rapport oral de Madame Catherine LE BAIL, Conseillère et conformément aux dispositions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Novembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Hélène DEURBERGUE, Présidente
Madame Catherine LE BAIL, Conseillère
Madame Agnès MOUILLARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Anne BOISNARD
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Hélène DEURBERGUE, président et par Mademoiselle Anne BOISNARD, greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l'appel interjeté, le 25 avril 2007, par la société MAN CAMION & BUS, du jugement prononcé le 15 novembre 2006 par le tribunal de commerce de Paris, qui a qualifié de cautionnement l'acte signé le 5/12/1994 par M. [Y] [O] en sa faveur, a prononcé le sursis à statuer dans l'attente des décisions à intervenir et l'a condamnée aux dépens ;
Vu les conclusions signifiées le 28 octobre 2009 par la société MAN CAMIONS & BUS SA, qui demande à la Cour de réformer le jugement, de constater que M. [Y] [O] s'est porté garant de la société SMVI par contrat du 5 décembre 1994 afin de la garantir pour la somme de 304 898,03 € outre intérêts frais et accessoires, qu'il a expressément renoncé à invoquer toute exception relative à la créance garantie et souscrit une garantie autonome, de le condamner en conséquence au paiement de 304 898,03 € outre les intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2002, avec capitalisation dans les termes de l'article 1154 du code civil, 10 000 à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées le 9 novembre 2009 par M. [Y] [O], qui demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a qualifié l'engagement souscrit le 5 décembre 1994 de cautionnement solidaire, de dire qu'il est bien fondé à se prévaloir de l'exception de compensation, de constater que les créances réciproques sont toujours litigieuses et font l'objet d'instances toujours pendantes devant la 5ème chambre 2ème section du tribunal de grande instance de Paris, de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal se soit prononcé sur le bien-fondé et l'étendue de la créance détenue par MAN CAMIONS & BUS et sur la demande de compensation formée par SMVI limited, et de condamner MAN CAMIONS & BUS au paiement de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE :
Considérant que la société MAN CAMIONS & BUS, par contrats des 28 octobre 1991 et 19 septembre 1995, a concédé à la société SMVI (devenue depuis SMVI Limited du fait du transfert de son siège social en Grande Bretagne) la distribution exclusive de ses véhicules pour les départements du Finistère et des Côtes d'Armor ;
Considérant que, par acte sous seing privé daté du 5 décembre 1994 et intitulé 'caution solidaire et personnelle, cautionnement solidaire', M. [Y] [O], président directeur général de la société SMVI, s'est porté caution 'personnelle et solidaire' des obligations de cette société, à hauteur de 2 000 000 F, soit 304 898,03 €, outre intérêts, frais et accessoires ;
Considérant qu'au cours de l'exécution du contrat, un litige est né entre les parties, la société SMVI soutenant détenir une créance de 5 365 878,52 € en vertu d'un accord résultant d'une lettre du concédant datée du 7 août 1998, la société MAN CAMIONS & BUS niant avoir écrit une telle lettre et relevant que la société SMVI s'était abstenue de régler diverses factures, à hauteur de 4 965 905,30 €, pour lesquelles des mises en demeure ont été adressées par courriers des 20/02/2002 et 6/02/2002 ;
Considérant que la société MAN CAMIONS & BUS, par lettre du 18 mars 2002, a résilié le contrat de concession, et a assigné la société SMVI devant le tribunal de grande instance de Paris par acte du 12 avril 2002 ; que parallèlement, le 29 juillet 2002, elle a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour faux, entre les mains du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Morlaix (Côtes d'Armor) ;
Considérant que, par acte du 24 février 2004 et conclusions subséquentes, la société MAN CAMIONS & BUS a assigné M. [Y] [O] devant le tribunal de commerce de Paris afin de l'entendre condamner au paiement de 304 898,03 € outre les intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2002, 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en invoquant l'acte de caution du 5 décembre 1994 ; qu'elle a fait valoir, à l'appui de sa demande, que la lettre du 7 août 1998 dont se prévalait SMVI, était un faux, et qu'elle avait obtenu la condamnation de M. [O] à une peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Morlaix, ajoutant qu'en tout état de cause, l'engagement signé par M. [O] le 5 décembre 1995 était, en dépit de la qualification de caution solidaire, une garantie à première demande, et qu'il ne pouvait donc exciper d'une quelconque exception relative à une créance supposée de SMVI ;
Considérant que M. [O], à titre principal, a demandé qu'il soit sursis à statuer sur la demande, dans l'attente de la décision du tribunal de grande instance de Paris, à titre subsidiaire, que soit ordonnée la compensation entre les créances détenues respectivement par les parties ; qu'il a indiqué qu'il avait relevé appel du jugement du tribunal correctionnel de Morlaix du 20 avril 2006, et a insisté sur le fait que l'acte du 5 décembre 1994 était une caution solidaire et non une garantie autonome ;
***
Considérant que la société MAN CAMIONS & BUS poursuit l'infirmation du jugement, qui a fait droit à l'argumentation de M. [O], en faisant valoir que :
1°) l'engagement souscrit par celui-ci le 5 décembre 1994 comporte, en page 2 la clause suivante :
'La caution devra s'acquitter à première demande de toutes sommes réclamées par MAN dans la limite du montant garanti sans pouvoir différer le paiement ni soulever de contestation pour quelque motif que ce soit comme exceptions ou compensations tenant à l'inexécution du contrat ou encore toute créance éventuelle de toute nature contractuelle ou quasi-délictuelle du débiteur envers MAN qui ne serait, au moment de la demande en paiement, ni certaine, ni liquide, ni exigible et partant non compensable',
ainsi, M. [O] s'est engagé à payer MAN CAMIONS & BUS à première demande, sans pouvoir soulever de compensation ;
2°) l'engagement litigieux est une garantie autonome telle que définie par le nouvel article 2321 du code civil, issu de l'ordonnance du 23 mars 2006 ;
3°) à titre surabondant, le principe d'une créance de SMVI à l'encontre de MAN CAMIONS & BUS n'est pas établi ;
Considérant que M. [O] répond que l'acte litigieux est incontestablement un cautionnement ; que, contrairement à ce que soutient l'appelante, selon la jurisprudence, même lorsqu'un cautionnement comporte une clause de garantie à première demande, cette dernière 'ne saurait priver la caution des moyens de défense qu'elle détient à titre personnel, ou par accessoire, et lui permet en ce cas de différer le paiement' ; qu'il invoque les critères dégagés par la jurisprudence, à savoir la dénomination utilisée ('caution solidaire et personnelle, cautionnement solidaire'), la référence au contrat de base, présente en plusieurs endroits de l'acte, le caractère nuancé de la clause de paiement à première demande, qui admet, a contrario, la compensation en cas de créance certaine liquide et exigible, les mentions manuscrites apposées par le signataire afin qu'il soit parfaitement informé de la portée et de l'étendue de son engagement, quelle que soit la nature, civile ou commerciale, de l'engagement ('bon pour caution personnelle et solidaire comme dit ci-dessus à hauteur de 2 000 000 F et ce non compris intérêts frais et accessoires') ; qu'il ajoute qu'en présence d'un cautionnement, le sursis à statuer est parfaitement légitime, vu l'ensemble des éléments de la cause ;
Sur la demande principale :
Considérant qu'en application des articles 1156 et suivants du code civil, le juge doit rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes, que toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier, et que, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé en faveur de celui qui a contracté l'obligation ;
Considérant que le critère de la distinction entre un cautionnement et une garantie à première demande réside dans l'objet de l'obligation qui doit être, s'agissant d'une garantie autonome, indépendant du contrat de base tandis que le cautionnement porte sur l'obligation du débiteur principal dans le cadre de ce contrat ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'engagement souscrit le 5/12/1994 par M. [O], est un cautionnement et non une garantie à première demande ;
Considérant qu'en dépit des contradictions dans les termes utilisés, la référence faite en trois points (page 1 §1, page 2 § 1 et § 10), au contrat et aux relations d'affaires entretenues par les parties, ainsi que la circonstance que la somme précise n'est pas mentionnée, mais seulement un plafond de garantie, démontrent qu'il ne s'agit pas d'une garantie autonome telle que définie par l'article 2321 du code civil ;
Considérant que la mention apposée de la main de M. [O], avant sa signature, 'bon pour caution personnelle et solidaire comme dit ci-dessus à hauteur de 2 000 000 francs et ce non compris intérêts frais et accessoires', confirme cette analyse ;
Considérant que la créance de 4 965 905,30 € dont la société MAN CAMIONS & BUS se prévaut à l'encontre de la société SMVI n'est contestée ni dans son principe ni dans son montant ; que l'appelante verse aux débats le décompte de la créance et la lettre de mise en demeure adressée à M. [O] le 27 mars 2002 ;
Considérant que l'acte signé le 5/12/1994 a été conclu 'pour une durée expirant le 5/12/94, renouvelable par tacite reconduction, par périodes d'une année à compter de la date anniversaire' ; qu'il est précisé que le renouvellement tacite de la garantie ne pourra être paralysé que par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la société MAN CAMIONS & BUS, par les signataires, moyennant un préavis de 90 jours avant la date anniversaire ; que M. [O] ne soutient pas avoir dénoncé sa garantie dans les délais requis ; qu'il s'est engagé à s'acquitter à première demande de toutes sommes réclamées par MAN dans la limite du montant garanti sans pouvoir différer le paiement ni soulever de contestation pour quelque motif que ce soit comme exceptions ou compensations tenant à l'inexécution du contrat ou encore toute créance éventuelle, et a en outre renoncé au bénéfice de discussion et de division ;
Que M. [O] ayant ainsi renoncé à se prévaloir de la compensation, la société MAN CAMIONS & BUS est fondée à poursuivre à son encontre le paiement des sommes qui lui sont dues par SMVI, à concurrence de l'engagement qu'il a souscrit, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la solution des instances en cours entre MAN CAMIONS & BUS et SMVI devant le tribunal de grande instance de Paris ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement et de condamner M. [Y] [O] à payer à la société MAN CAMIONS & BUS la somme de 304 898,03 € outre les intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2002, avec capitalisation dans les termes de l'article 1154 du code civil ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il y a lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts formée par la société MAN CAMIONS & BUS, le caractère abusif de la résistance au paiement n'étant pas démontré, M. [O] ayant pu se méprendre sur l'étendue de ses droits ;
Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au litige, que les parties seront en conséquence déboutées de leurs demandes à ce titre ;
Considérant que M. [O], qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Déclare l'appel recevable,
Infirme le jugement,
Condamne M. [Y] [O] à payer à la société MAN CAMIONS & BUS la somme de 304 898,03 € avec les intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2002,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil,
Déboute les parties de leurs autres demandes contraires aux motifs ci-dessus, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Y] [O] aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier
A.BOISNARD
La Présidente
H. DEURBERGUE