Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 8 DECEMBRE 2009
(n° 375, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/06852
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Février 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/12286
INTERVENANTS VOLONTAIRES ET COMME TELS APPELANTS
Monsieur [X] [M] agissant en qualité d'ayant droit de [U] [M] décédé
[Adresse 2]
[Localité 4]
Madame [A] [R] épouse [M] agissant en qualité d'ayant droit de [U] [M] décédé
[Adresse 2]
[Localité 4]
Madame [Y] [M] agissant en qualité d'ayant droit de Monsieur [U] [M] décédé
[Adresse 3]
[Localité 8]
Monsieur [J] [M] agissant en qualité d'ayant droit de [U] [M] décédé
[Adresse 3]
[Localité 8]
Monsieur [P] [M] agissant en qualité d'ayant droit de [U] [M] décédé
[Adresse 3]
[Localité 8]
Monsieur [X] [M] agissant en qualité d'ayant droit de [U] [M] décédé
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentés par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour
assistés de Me GRUNDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : P 191
INTIME
AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour
assisté de Me LOYER, avocat au barreau de PARIS, Toque : P 141
SCP NORMAND & Associés
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 octobre 2009, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Mme Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC
représenté à l'audience par Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, qui a développé ses conclusions écrites
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
Considérant qu'à la suite du suicide de M. [U] [M], qui se trouvait dans les locaux du Tribunal de grande instance de Pontoise, M. [X] [M], Mme [A] [R], veuve [M], Mme [Y] [M], M. [J] [M], M. [P] [M] et M. [X] [M], ses ayants droit, ont recherché la responsabilité de l'Etat et sollicité l'indemnisation de leur préjudice devant le Tribunal de Grande instance de Paris qui, par jugement du 13 février 2008, les a déboutés de leurs demandes et condamnés à verser à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 2.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance ;
Considérant que les consorts [M], qui ont interjeté appel de ce jugement pour en solliciter la réformation, demandent que l'Agent judiciaire du Trésor soit condamné à verser à chacun d'entre eux, pris en sa qualité d'ayant droit de [U] [M], la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que, pareillement à chacun d'eux, une somme identique en réparation de son préjudice personnel subi par ricochet ;
Qu'au soutien de leurs prétentions et après avoir exposé que, le 18 octobre 2003, avant d'être déféré au juge d'instruction en vue d'une mise en examen du chef de viols, [U] [M], s'est jeté par la fenêtre de la pièce où il s'entretenait avec son avocat et qu'il est décédé des suites de ses blessures, les consorts [M] font d'abord observer qu'ils sont recevables à agir tant en qualité d'ayants droit de [U] [M], usager du service de la justice, comme ils l'ont fait en première instance, et, comme intervenants volontaires en cause d'appel, à titre personnel, victimes par ricochet, dès lors que leurs prétentions ne sont pas nouvelles ;
Qu'au fond, les consorts [M] soutiennent que, même lorsque les règles relatives à la garde-à-vue ne sont plus applicables, il n'en demeure pas moins que, dans l'attente de présenter une personne à un magistrat, le service de la justice conserve une obligation générale de surveillance et de sécurité ; qu'ils soulignent qu'en l'occurrence, cette obligation n'a pas été respectée dès lors que les lieux où se trouvait [U] [M] n'étaient pas sécurisés et que l'escorte, qui était tenue de le surveiller, a commis des négligences et ce, alors surtout que son calme et sa sérénité n'étaient qu'apparents ; qu'ils en déduisent que la justice a commis une faute lourde, sans laquelle le suicide n'aurait pas été possible, et qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et le dommage dont ils demandent réparation ;
Considérant que l'Agent judiciaire du Trésor, qui ne conteste pas la recevabilité de l'action des consorts [M] en tant qu'ayants droit de [U] [M], conclut à l'irrecevabilité des demandes qu'ils présentent pour la première fois en cause d'appel à titre personnel en leur qualité prétendue du victimes par ricochet ; qu'à cette fin, il soutient qu'il s'agit de demandes nouvelles et, comme telles, prohibées et qu'en outre, les consorts [M] ne sont pas intervenus personnellement en première instance ;
Qu'au fond, l'Agent judiciaire du Trésor conclut à la confirmation du jugement aux motifs que l'argumentation développée par les consorts [M] manque de pertinence et qu'en particulier, il n'existe, en la cause, ni violation d'une obligation particulière de sécurité, ni faute caractérisée ayant exposé [U] [M] à un risque d'une particulière gravité ;
Considérant que M. le procureur général, à qui le dossier a été communiqué, conclut à l'irrecevabilité de l'action engagée pour la première fois en cause d'appel par les consorts [M] en leur nom personnel et, au fond, à la confirmation du jugement querellé dès lors qu'aucune faute lourde, imputable au service de la justice, n'est démontrée ;
Sur la recevabilité de l'action personnelle engagée par les consorts [M] :
Considérant que l'Agent judiciaire du Trésor ne conteste pas la recevabilité de l'action engagée par les consorts [M] en leur qualité d'ayants droit de [U] [M] ;
Considérant qu'en revanche, les demandes formées pour la première fois en cause d'appel par les consorts [M] aux fins de réparation de leur préjudice personnel, s'analysent, non pas comme des demandes nouvelles ajoutées aux prétentions soumises au juge du premier degré, mais comme une intervention d'un tiers puisqu'ils agissent en prenant une qualité qu'ils n'avaient pas en première instance ;
Considérant que, si les dispositions de l'article 554 du Code de procédure civile autorisent les personnes qui ont figuré en première instance en une autre qualité à intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt, ces prescriptions ne permettent pas à l'intervenant de soumettre à la cour un litige nouveau et de demander des condamnations personnelles qui n'ont pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction ;
Qu'en l'occurrence, les consorts [M], qui, agissant à titre personnel, sont des tiers au regard de la qualité qu'ils avaient en première instance et qu'ils ont conservée en cause d'appel, ne sont pas recevables à demander, par voie d'intervention, la réparation du préjudice qu'ils estiment avoir personnellement subi à la suite des faits débattus en première instance ;
Qu'en conséquence, il convient de déclarer les consorts [M] irrecevables en ce qu'ils agissent, chacun en son nom personnel ;
Au fond :
Considérant qu'en vertu de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, « l'Etat est tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice » et que « sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice » ; qu'est regardée commune faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service de la justice à remplir la mission dont il est investi ;
Considérant qu'en fait, le 16 octobre 2003, [U] [M] était placé en garde-à-vue et entendu par les fonctionnaires de police du commissariat de [Localité 9] à la suite de plaintes déposées par deux clientes qui lui reprochaient d'avoir pratiqué sur elles des touchers vaginaux, selon elles, non médicalement justifiés ; que, déféré le 18 octobre 2003 devant le procureur de la République qui requérait l'ouverture d'une information du chef de viols et le placement sous contrôle judiciaire, il s'entretenait avec son avocat dans une pièce où ils étaient seuls ; qu'après un quart d'heure d'entretien, il ouvrait une fenêtre et sautait dans le vide ; qu'il décédait des suites de ses blessures ;
Considérant qu'à la suite de ces faits, Mme [Y] [M], veuve de [U] [M], et MM. [J] [M] et [P] [M], ses enfants, déposaient plainte en se constituant parties civiles du chef d'homicide involontaire ; que le juge d'instruction saisi rendait une ordonnance de lieu que confirmait la Cour d'appel de Versailles par un arrêt du 25 mai 2005 ;
Considérant que les faits dont les consorts [M] demandent réparation se sont produits après la fin de la garde-à-vue de sorte que les prescriptions de la circulaire du ministre de l'intérieur en date du 18 février 1993 qui, au demeurant, n'a aucun caractère réglementaire, ne sont pas applicables à la cause ; que, néanmoins, il y a lieu de rechercher si, comme le soutiennent les consorts [M], le service de la justice a commis des manquements à l'obligation générale de surveillance et de sécurité ;
Considérant qu'il ressort des procès-verbaux d'enquête et de l'instruction, qui sont versés aux débats, qu'à la suite de l'incendie du palais de justice de Pontoise, les services du procureur de la République et de l'instruction étaient installés dans des locaux provisoires ; que la pièce où [U] [M] s'entretenait avec son avocat était située au premier étage du bâtiment et que la fenêtre, pourvue de crémone, mais fermée, n'était pas munie de barreaux ;
Que cette pièce, habituellement réservée aux militaires et fonctionnaires des escortes, était propre à assurer la confidentialité de l'entretien dès lors que les fonctionnaires de police chargés d'escorter [U] [M] pouvaient le surveiller à travers la cloison vitrée ; qu'en outre, la liberté et la dignité de cet entretien était assurée par cette circonstance que [U] [M] ne portait pas d'entraves ;
Considérant qu'il est encore établi que la garde-à-vue s'était déroulée sans incident ; que, si, trois fois, [U] [M] a refusé de s'alimenter, il n'y avait lieu de craindre, de sa part, aucune volonté d'évasion ou de tout acte préjudiciable à autrui ou à lui-même ;
Que, sur ce point précisément, les fonctionnaires de police qui escortaient [U] [M], affirment qu'il était calme et que rien ne laissait penser à une volonté de suicide ; que, même si, en raison du secret professionnel, l'avocate qui s'est entretenue avec [U] [M] ne peut révéler le contenu des propos échangés, elle a été en mesure de dire que son client était très abattu et qu'il ne comprenait pas « ce qui lui tombait dessus » ; que, lorsqu'il s'est levé de sa chaise, elle a pensé qu'il voulait se dégourdir les jambes et qu'en réalité, « çà s'est passé avec une rapidité extrême » ; qu'en déclarant : « Je pense qu'il a voulu se suicider, mais ce n'est qu'une interprétation des faits », elle énonce sans ambiguïté que, comme elle le dit expressément à la fin de son audition : « Personne, à mon sens, ne pouvait imaginer ce que Monsieur [M] allait faire » ;
Qu'il ressort du rapport dressé à l'issue de l'expertise psychiatrique ordonnée par le procureur de la République que [U] [M] s'est présenté à l'examen « de manière calme, pondérée » ; que le contact était bon même si le sujet s'est montré « réservé, attentif » ; qu'il n'y avait « aucune angoisse manifeste » et que [U] [M] se montrait stoïque ; qu'enfin, il était « peu atteint au plan émotionnel » par ce qui lui arrivait et qu'il « se [cantonnait] dans une attitude professionnelle »;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances que rien ne laissait supposer l'intention et la détermination de [U] [M] et que les modalités de l'entretien, qui en assuraient la confidentialité et la dignité, ne sont pas constitutives d'une faute lourde imputable au service de la justice ; qu'en décider autrement pour retenir, comme le font les consorts [M], que « le lien de causalité entre les fautes du service public de la justice et le suicide de Monsieur [M] est donc démontré par les seules circonstances du suicide » reviendrait à créer une présomption de responsabilité contraire aux dispositions de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
Qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement frappé d'appel ;
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile :
Considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article susvisé ; que, succombant en leurs prétentions et supportant les dépens, les consorts [M] seront déboutés de leur réclamation ; qu'en revanche, l'équité ne commande pas que soit mis à leur charge tout ou partie des frais exposés en première instance et en appel par l'Agent judiciaire du Trésor et non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare M. [X] [M], Mme [A] [R], veuve [M], Mme [Y] [M], M. [J] [M], M. [P] [M] et M. [X] [M] irrecevables en ce qu'ils agissent pour la première fois en appel, chacun en son nom personnel ;
Au fond :
Confirme le jugement rendu le 13 février 2008 par le Tribunal de Grande instance de Paris sauf en ce qu'il a condamné les consorts [M] à verser à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 2.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Déboute l'Agent judiciaire du Trésor, d'une part, et les consorts [M], d'autre part, chacun de sa demande d'indemnité présentée, tant en première instance qu'en cause d'appel et fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne les consorts [M] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Buret, avoué de l'Agent judiciaire du Trésor, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT