RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 26 Novembre 2009
(n° 19 , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/01069 LMD
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2008 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS RG n° 20412403
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS (CPAM 75)
Département Législation et Contrôle
[Adresse 2]
[Localité 8]
représentée par M. [N] en vertu d'un pouvoir général
APPELANTE INCIDENTE ET INTIMEE
SNC LIDL
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Michèle CORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 171 substitué par Me Murièle DEFAINS-LACOMBE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0933
INTIMEE
Madame [D] [U]
[Adresse 1]
[Localité 6]
comparante et assistée de Me Jean-Luc WABAN, avocat au barreau de PARIS, toque :
D 453
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 4]
[Localité 7]
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Octobre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller, qui en ont délibéré
Greffier : Madame Béatrice OGIER, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Mademoiselle Séverine GUICHERD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il sera rappelé que :
Madame [U] a été embauchée le 21 décembre 2000 par la SNC LIDL en qualité de caissière, puis promue chef caissière au sein du magasin de [Localité 10] Metra.
Suite à une altercation avec le chef de ce magasin, Monsieur [X], un certificat médical de son médecin traitant lui a prescrit un arrêt de travail à compter du 11 juillet 2002.
Le 16 juillet suivant Madame [U] s'est défenestrée à son domicile.
Elle a été hospitalisée dans le service de psychiatrie de l'hôpital de [9] du 19 juillet 2002 au 2 septembre suivant.
La déclaration d'accident du travail complétée par Madame [U] le 4 septembre 2003 s'est heurtée le 4 décembre suivant à un refus de prise en charge de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Paris-la Caisse- refus confirmé par la Commission de Recours Amiable par une décision du 31 mars 2004.
Madame [U], qui avait saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Paris d'une contestation de cette décision avait également, le 28 juillet 2002, déposé plainte entre les mains du Procureur de la République.
Par jugement du 20 janvier 2006, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé Monsieur [X] du chef du délit de harcèlement moral.
Par arrêt de cette Cour en date du 30 octobre 2006, Monsieur [X] a été condamné à payer à Madame [U] la somme de 7000 € à titre de dommages et intérêts de ce même chef. La Cour a pris acte de ce que, en absence d'appel du parquet, la relaxe de l'intimé était définitive, mais a, en revanche, retenu la responsabilité de ce dernier sur le plan civil.
Le pourvoi de Monsieur [X] à l'encontre de cette décision a été rejeté par la Cour de Cassation le 26 juin 2007.
Par jugement du 1° juillet 2008, le tribunal a :
-dit que la tentative de suicide commise par Madame [U] le 16 juillet 2002 est constitutive d'un accident du travail,
-annulé la décision de la Commission de Recours Amiable du 31 mars 2004,
-condamné la SNC LIDL à payer à Madame [U] la somme de 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 10 novembre 2008 la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a interjeté appel de cette décision.
Le 14 novembre 2008 la SNC LIDL en a également interjeté appel.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 6 août 2009 et soutenues oralement à l'audience par son représentant, l'appelante demande à la Cour de:
-infirmer le jugement ;
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 22 octobre 2009 et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SNC LIDL demande à la Cour de:
-infirmer le jugement,
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 22 octobre 2009 et soutenues oralement à l'audience par son conseil, Madame [U] demande à la Cour de:
-confirmer le jugement,
-condamner la Caisse et la SNC LIDL à lui payer chacune la somme de 1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens et arguments proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'aux termes de l'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale tout accident survenu aux temps et lieu du travail est présumé quelle qu'en soit la cause constituer un accident du travail ; que pour autant le jeu de la présomption d'imputabilité suppose au préalable démontrée la survenance d'un fait accidentel au temps et au lieu du travail ; qu'en d'autres termes, ce n'est que lorsque la matérialité des faits, dont il incombe à la victime de rapporter la preuve, est établie que peut s'appliquer la présomption d'imputabilité la dispensant d'établir le lien de causalité entre le fait établi et les lésions ;
Considérant qu'en l'espèce la Caisse et la SNC LIDL soutiennent que les éléments du dossier ne permettent pas d'établir ce lien entre l'accident dont a été victime Madame [U] et son travail ;que, pour la première, il n'existe pas de justification de ce que la tentative de suicide de l'intéressée procède d'un harcèlement moral, lequel n'est pas démontré et ne saurait, en tout état de cause, être retenu dès lors que l'acte de Madame [U] a eu lieu à son domicile, huit jours après l'altercation du 10 juillet 2002 avec Monsieur [X] qui est à l'origine de l'arrêt de travail, soit hors toute implication de l'employeur du fait de son pouvoir hiérarchique de direction et de contrôle ;que, de surcroît, le harcèlement moral se caractérisant par la réalisation d'actes répétés, cette définition est incompatible avec celle de l'accident du travail reposant sur une action soudaine voire brutale, démentie en l'espèce par le délai d'une semaine écoulé entre le fait générateur de l'arrêt et celui revendiqué par Madame [U] comme à l'origine de son geste ;
Considérant que la SNC LIDL, qui reprend également ces moyens, entend en outre souligner que les éléments invoqués par Madame [U] et retenus par le premier juge ne pallient pas l'absence de présomption ou de preuve de l'imputabilité l'accident ; que le harcèlement moral n'est pas caractérisé, les attestations tardives produites par Madame [U] n'étant pas suffisamment précises pour en démontrer l'existence, lors même que la décision d'appel dont se prévaut cette dernière, rendue sur le seul chef des intérêts civils, est elle-même entachée par une motivation contradictoire ;
Considérant que la SNC LIDL argue également de ce que la défenestration de Madame [U] n'a été qualifiée de tentative de suicide par l'intéressée elle-même que très tardivement, les témoignages recueillis par ses collègues, dont certains membres du CHSCT, ne faisant état à l'origine que d'une erreur due à des calmants, ayant conduit Madame [U] à confondre la fenêtre avec la porte ; qu'il est remarquable que la victime ait ensuite attendu plus d'une année après les faits pour faire une déclaration d'accident du travail ; qu'enfin les certificats médicaux et arrêts de travail établis postérieurement à l'accident et qui font état d'une dépression ne mentionnent aucun quelconque lien avec son travail ;
Considérant que Madame [U] oppose qu'une tentative de suicide peut constituer un accident du travail si elle trouve son origine dans le fait fautif de l'employeur pour n'avoir, en l'occurrence pas pris les mesures nécessaires pour la protéger du harcèlement de son supérieur et qu'elle n'a pu supporter de devoir, à l'issue de son arrêt de travail, être à nouveau confronté aux agissements de celui-ci ; que les faits sont établis tant par les témoignages produits que par le rapport de l'inspection du travail diligenté à la suite de sa plainte au parquet, et par la procédure qui s'en est suivie ;
Considérant, que si l'arrêt du 30 octobre 2006 ne peut, contrairement à ce que mentionne le premier juge, être formellement revêtu de l'autorité de chose jugée envers les appelants qui n'étaient pas parties à la procédure, l'existence du harcèlement moral subi par Mme [U] au sein de la SNC LIDL du fait de Monsieur [X], salarié de cette société, ne peut être discutée plus avant dès lors qu'elle a été reconnue par cette Cour, dans une décision qu'il n'appartient pas à la présente juridiction de commenter ou critiquer, ce d'autant que le pourvoi de Monsieur [X] à son encontre a été rejeté par la Cour de Cassation ;
Considérant que la circonstance que le fait générateur de l'accident du travail de Madame [U] soit postérieur à l'arrêt de travail est indifférente, s'il est justifié qu'il procède de la même cause ;
Considérant en l'espèce qu'il résulte des motifs de la décision du 30 octobre 2006 que le harcèlement moral subi par Mme [U] a atteint un degré tel qu'une altercation avec Monsieur [X] le 10 juillet 2002 au sujet de l'octroi d'un jour de congé a entraîné un arrêt de travail de 7 jours à compter du 11 juillet 2002 ;
Mais considérant ensuite que les circonstances exactes de l'acte du 16 juillet suivant restent indéterminées :qu'en effet si le premier juge a relevé que selon le Dr [G], psychiatre praticien au sein de l'hôpital de La Pitié-Salpétrière, Mme [U] a fait une tentative de suicide par défenestration, cette explication a posteriori d'un médecin qui ne suivait pas originellement cette patiente ne vaut qu'à titre d'avis, ce d'autant que, selon divers témoignages cités par la SNC LIDL, Mme [U] a elle-même, dans un premier temps expliqué cet accident par une erreur dans l'absorption de médicaments-ceux là mêmes qui auraient constitué son traitement ; qu'ainsi, selon Madame [F]: 'elle a pris des calmants et est tombée du 1° étage. Elle m'a expliqué qu'elle avait ouvert la fenêtre au lieu de la porte'; Madame [W] :'elle a pris trop de calmants par rapport à la prescription médicale, elle a eu un trou noir .Je pense que c'est un accident ' ; Madame [K] :'elle nous a expliqué que ce n'était pas une tentative de suicide mais une chute provoquée par des vertiges suite à la prise de médicaments pour problèmes de santé ' ;
Considérant que ces propos-auxquels Madame [U], qui s'en tient à l'existence d'une tentative de suicide liée à la perspective de devoir reprendre son travail n'oppose aucun moyen-contrarient cette version ultérieure des faits donnée par l'intéressée et l'avis du Dr [G] et que, en tout état de cause, les causes de son acte restent inconnues ; qu'en outre il n'existe, en l'absence de la production de toute prescription médicale délivrée le 11 juillet 2002, aucune preuve de ce que les médicaments dont il est fait état-sans autre précision -dans les témoignages mentionnés, soient liés à la 'maladie ' de Madame [U] ou lui aient été conseillés pour cette raison :que si la Caisse mentionne qu'au cours de l'enquête qu'elle a diligentée, Madame [U] aurait fait état de ce que, le 13 juillet 2002, l'aggravation de son état l'a conduite à solliciter [Localité 11] Médecin et à se faire prescrire des antidépresseurs, il n'existe pas de trace de cette prescription-dont l'intéressée ne se prévaut du reste pas, même si elle mentionne, sans en justifier, prendre de tels médicaments depuis février 2002 ;
Considérant en conséquence que, dès lors que les circonstances ci-dessus rappelées ne permettent pas d'établir un lien de causalité entre la chute de Madame [U] et le harcèlement qui a motivé l'arrêt de travail durant lequel elle a eu lieu, la qualification d'accident du travail ne peut être retenue, que le jugement est infirmé ;
Considérant qu'aucune considération tirée de l'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en toutes ses dispositions.
Rejette toutes autres demandes.
Le Greffier, Le Président,