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03/11/2009 | FRANCE | N°08/21429

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 03 novembre 2009, 08/21429


COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 3 NOVEMBRE 2009
(no 323, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/ 21429
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mai 2007- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 05/ 09795

APPELANT
Monsieur AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR représentant l'Etat Francais Bâtiment Condorcet-TELEDOC 353 6 rue Louise Weiss 75703 PARIS CEDEX 13
représenté par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour assisté de Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, toque : R 229

INTIMES
Madame X.

.. veuve Y... venant aux droits de Monsieur Y... Jean-Yves... 29100 DOUARNENEZ

et autres

COMPOSITI...

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 3 NOVEMBRE 2009
(no 323, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/ 21429
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mai 2007- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 05/ 09795

APPELANT
Monsieur AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR représentant l'Etat Francais Bâtiment Condorcet-TELEDOC 353 6 rue Louise Weiss 75703 PARIS CEDEX 13
représenté par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour assisté de Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, toque : R 229

INTIMES
Madame X... veuve Y... venant aux droits de Monsieur Y... Jean-Yves... 29100 DOUARNENEZ

et autres

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 septembre 2009, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN

MINISTERE PUBLIC : représenté à l'audience par Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, qui a développé ses conclusions écrites

ARRET :
- contradictoire-rendu publiquement-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Mme Noëlle KLEIN, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

**************

Par acte en date du 22 mai 1992, Mme X... veuve Y..., Mrs Z..., A..., B... ont assigné devant le tribunal de grande instance de Paris (1 ère chambre- 1ère section) le groupe de sociétés Défense Conseil International, ou DCI, aux fins d'obtenir leur part dans la réserve spéciale de participation et le redressement de cette réserve afin de prendre en compte les salaires de tous les salariés expatriés du groupe, puis par une seconde assignation en date du 26 mai 1999, d'autres salariés ont formé les mêmes demandes.
Dans la première procédure, après deux décisions avant-dire-droit, l'une du 1er Mars 1993 pour enjoindre aux demandeurs de préciser leurs prétentions et produire les pièces utiles, puis la seconde du 28 mars 1993 ordonnant le sursis à statuer jusqu'à l'intervention d'une décision définitive de la juridiction administrative sur une question préjudicielle, laquelle est intervenue le 9 mai 1995, le tribunal, par jugement du 7 mai 1996, a fait droit à la demande, condamné la société DCI à leur payer leur part avec un arriéré de 30 ans et désigné un expert avec mission de reconstituer la réserve spéciale de participation, jugement confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 décembre 1998, renvoyant à la mise en état, arrêt devenu irrévocable à la suite du rejet par la cour de cassation le 22 Mai 2001 du pourvoi formé par la DCI.

L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 Janvier 2000 ordonnant la réouverture des débats, condamnant la société DCI à effectuer les calculs nécessaires, a été cassé par un arrêt du 29 octobre 2002 de la cour de cassation renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Versailles, laquelle, par arrêt du 26 janvier 2005, a ordonné avant-dire-droit une expertise et désigné Mme C...
Sur requêtes de Mme X... et autres, ladite cour a rendu le 5 avril 2001 un arrêt en interprétation de ses arrêts des 4 décembre 1998 et 7 Janvier 2000.
Dans la seconde procédure engagée en 1999, le tribunal (1ère Chambre-Section sociale) a constaté par jugement du 5 décembre 2000 que les demandeurs avaient droit à leur part de réserve spéciale de participation pour toutes les années durant lesquelles ils avaient été détachés en Arabie Saoudite, dans la limite de 30 ans, et désigné M. D... en qualité d'expert avec mission de reconstituer la réserve spéciale de participation, jugement confirmé le 10 février 2005 par la cour d'appel de Paris saisie par M. E... et autres.
Par ordonnance du 3 juillet 2001, le juge de la mise en état (1ère Chambre-Section sociale) a apporté des précisions techniques quant à la mission de l'expert D... remplacé par ordonnance du 5 mars 2002 par Mme C..., puis a complété la mission de l'expert le 1er Octobre 2002.
Le 23 septembre 2003, le juge de la mise en état a étendu les opérations d'expertise en cours à trois parties intervenantes, puis le 21 septembre 2004 a complété la mission de l'expert, puis le 5 juillet 2005 a précisé à ce dernier les modalités de calcul et de répartition de la réserve en référence à l'arrêt du 29 octobre 2002 de la cour de cassation.
Le 26 janvier 2005, la cour d'appel de Paris a déclaré que les salariés expatriés des sociétés du groupe DCI ont droit à leur part dans la réserve spéciale de participation pour les périodes travaillées en France et à l'étranger et a désigné en qualité d'expert Mme C... avec mission de reconstituer fictivement la réserve spéciale de participation des sociétés et de déterminer la part de cette réserve revenant à chacun des salariés.
Par ordonnance du 6 septembre 2005, complétée le 11 octobre suivant, le juge de la mise en état a fixé la date limite du dépôt du rapport définitif d'expertise au 15 mars 2006, avec dépôt d'un rapport d'étape au 1er Décembre 2005.
Par une dernière ordonnance du 4 avril 2006, ce magistrat a imparti à l'expert un nouveau délai au 1er Juin 2006 pour le rapport d'étape sur le redressement et la distribution de la réserve des exercices 1986 à 1993 inclus : le rapport d'expertise a été déposé le 19 février 2007.
Par acte du 28 juin 2005, tous les demandeurs ont recherché la responsabilité de l'Etat au visa des articles L 781-1 devenu L 141-1 du code de l'organisation judiciaire et 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme pour dysfonctionnement du service public de la justice et demandé, pour déni de justice, la réparation de leur préjudice à hauteur de la somme chacun de 22 000 € de dommages et intérêts outre celle de 1000 € HT au titre de leurs frais irrépétibles.
Ils ont fait valoir que la durée de chacune des procédures, la première toujours en cours après 13 années et la seconde pendante depuis 6 années, a excédé un délai raisonnable et que le service public de la justice n'a pas utilisé les moyens coercitifs dont il disposait pour contraindre l'expert à terminer sa mission, faisant grief à ce dernier d'avoir accueilli les procédés dilatoires utilisés par la société DCI alors que les principes applicables pour le calcul de leurs droits étaient fixés depuis la décision du tribunal du 5 décembre 2000 donnant mission à l'expert de procéder aux nouveaux calculs de la réserve en prenant en considération le montant des variables déjà établies par l'employeur, en ajoutant à la variable " salaire " le salaire des expatriés puis en redressant la distribution de la réserve.
Par jugement en date du 2 mai 2007, le tribunal a condamné l'agent judiciaire du Trésor pour déni de justice à payer :- à Mme X... veuve Y... venant aux droits de Jean-Yves Y... et Mrs Michel A..., Jacques Z..., Marc B..., la somme de 3500 €- aux autres 42 demandeurs, la somme de 1500 €, ainsi qu'à payer, outre les dépens, à chacun des demandeurs la somme de 200 € à titre d'indemnité procédurale.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu l'appel interjeté par l'agent judiciaire du Trésor,
Vu les conclusions déposées le 13 novembre 2009 par l'appelant qui demande à la cour d'infirmer le jugement, statuant à nouveau, de constater que les intimés ne rapportent pas la preuve d'un déni de justice tenant à la longueur de la procédure dès lors que le suivi de l'affaire par le juge de la mise en état a été effectif, de les débouter de toutes leurs demandes avec condamnation à restituer les fonds versés avec intérêts au taux légal à compter des présentes conclusions valant mise en demeure, de les condamner aux entiers dépens,
Vu les conclusions déposées le 18 décembre 2008 par 49 intimés venant tous aux droits des parties demanderesses en première instance qui demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le déni de justice, y ajoutant de condamner l'agent judiciaire du Trésor à payer à Mme X... veuve Y... venant aux droits de Jean-Yves Y... et Mrs Michel A..., Jacques Z..., Marc B..., la somme de 22 000 € et à chacun des autres concluants la somme de 15000 € à titre de dommages et intérêts, de condamner l'agent judiciaire du Trésor à payer aux concluants la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer tous les dépens de première instance et d'appel,

Vu les conclusions en date du 8 avril 2009 du ministère public tendant à la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté un déni de justice et s'en remettant à l'appréciation de la cour sur le montant du préjudice.
SUR QUOI :
Considérant que l'appelant soutient que le déni de justice doit s'apprécier à la lumière des circonstances propres à chaque espèce, en prenant en considération en particulier la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes ; qu'en l'espèce la mission de l'expert, dont la durée est critiquée, induisait des travaux très importants, sur une période de trois décennies concernant cinq sociétés et un effectif annuel de 600 personnes ; que dès lors que le juge de la mise en état a assuré un suivi effectif de l'affaire, ce qui résulte, comme les premiers juges l'ont constaté, du nombre et de la fréquence des décisions qu'il a rendues, les procédures, bien que longues, mais d'une exceptionnelle complexité juridique et technique, ne sauraient être en conséquence considérées comme n'ayant pas été traitées dans un délai raisonnable, d'autant qu'outre le nombre de parties et d'intervenants volontaires, elles ont fait l'objet de nombreuses voies de recours ; que s'agissant des critiques dirigées contre l'expert, outre les difficultés et incidents permanents rencontrées par cette dernière pour la mise en place de réunions auxquelles les demandeurs n'assistaient pas sans davantage lire les comptes-rendus, l'appelante fait observer qu'en cas de faute personnelle retenue à son encontre, la responsabilité de l'expert peut seule être recherchée, à l'exclusion de celle du service public de la justice, distinction n'apparaissant pas dans la décision des premiers juges lorsqu'ils ont considéré qu'il revient au service public de la justice de veiller en particulier à la durée de l'expertise ordonnée par ses juridictions ;
Considérant que les intimés, après avoir précisé à la cour qu'une transaction est intervenue entre 180 demandeurs et la DCI le 6 août 2008 pour les droits échus au 31 décembre 2003, font valoir que non seulement l'expertise n'a pu être ralentie de leur fait au seul motif de l'absence de leur avocat à des rendez-vous techniques, mais que le caractère déraisonnable des délais, de plus de 16 ans, pour la première procédure, suffit à caractériser le déni de justice dès lors que le litige ne donnait pas à trancher des questions complexes ; qu'en effet ils excipent des arrêts du conseil d'Etat de 1982 selon lesquels les salaires des expatriés des sociétés françaises entraient dans le champ d'application de l'article 231 du code général des impôts et devaient être pris en compte pour le calcul de la réserve, le texte " tous les salariés ont droit à leur part dans la réserve spéciale de participation " ne nécessitant aucune interprétation ; qu'ils invoquent les carences des deux experts, sans compétences pour ce type de calcul, ne disposant pas des outils informatiques nécessaires, dépendants finalement des calculs de DCI, d'où la lenteur de leurs opérations envisageant des hypothèses inutiles ou erronées sans que le juge de la mise en état ne leur ait imposé des délais de rigueur ni n'ait d'ailleurs disposé des moyens de suivre et de contrôler leurs travaux ; qu'ils considèrent que le quantum des condamnations prononcées est insuffisant, leur préjudice résultant du retard ayant consisté essentiellement dans l'impossibilité pour eux de bénéficier de leurs parts de réserve au moment où ils en avaient le plus besoin ;
Considérant que c'est exactement que les premiers juges ont fait référence à l'application combinée de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et aux termes de l'article L141-1 du code de l'organisation judiciaire dont il ressort que le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable ; qu'ils ont encore rappelé que le déni de justice s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce selon les divers critères sus évoqués pertinemment par l'appelant relatifs à la nature et complexité de l'affaire, au comportement des parties et aux mesures prises par les autorités compétentes ;
Considérant que la cour entend rappeler que l'appréciation du caractère raisonnable de la durée d'une procédure ne saurait donc se limiter à la constatation du temps et parfois du nombre élevé d'années ayant été nécessaire pour traiter une affaire ; qu'en effet la seule durée, susceptible, comme en l'espèce, d'être objectivement longue, ne constitue pas à elle seule la démonstration d'un caractère fautif et anormal du déroulement de l'instance ;
Considérant qu'en l'espèce, contrairement aux affirmations des intimés, la très grande complexité du litige ne saurait être déniée, dès lors qu'elle ne s'apprécie pas in abstracto, selon une approche entièrement neutre de la difficulté de la question juridique posée, mais in concreto, en fonction de l'attitude des parties, de leur coopération, de l'exercice plus ou moins complet des voies de recours à leur disposition ; qu'il y a lieu de constater l'existence de deux instances concernant de nombreuses parties, engagées à plusieurs années d'intervalle, qui ont donné lieu à de multiples recours, dont en particulier, après deux saisines de la cour de cassation, un arrêt en interprétation en 2001 ; qu'à la nécessité d'une expertise déjà en elle-même délicate en raison de l'importance des calculs à effectuer en nombre et surtout en parfaite adéquation juridique du fait d'une reconstitution fictive et rétroactive à opérer, portant sur une période de près de 30 ans, dans un groupe de sociétés à l'effectif annuel de 600 personnes, qui n'a pu véritablement commencer qu'en 2002, au sujet de laquelle le juge de la mise en état a été contraint de rendre les nombreuses décisions sus rappelées, ce qui suffit à établir le caractère effectif du suivi du dossier par l'autorité compétente, il convient d'ajouter la remise en cause permanente de la mission et de la personne de l'expert, les incidents de procédure se multipliant ; que s'il est exact que le service public doit veiller à contrôler la durée d'une mesure d'instruction, en l'occurrence il n'a pas failli dès lors que le dépôt du rapport d'expertise a toujours fait l'objet d'un calendrier ; que les critiques des intimés quant au choix des experts qu'ils estiment, en substance, avoir été quelque peu incompétents, ne sont pas recevables dès lors que rien n'indique que les parties aient en l'espèce ni proposé le nom d'un autre expert, ni soumis à la juridiction une demande de remplacement d'expert ; que le service public de la justice n'est pas, dans de telles circonstances, responsable de l'activité de l'expert au regard de la qualité intrinsèque de son travail ou d'éventuelles fautes, la responsabilité de l'Etat étant distincte de la responsabilité personnelle du technicien ;
Considérant en conséquence que la cour ne relevant aucun manquement autre que la durée de la procédure, la décision déférée sera infirmée dans les termes du dispositif ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la restitution des sommes versées, le présent arrêt valant titre ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Déboute les intimés de toutes leurs demandes,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes dont celles au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne les intimés aux entiers dépens, dont ceux d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 08/21429
Date de la décision : 03/11/2009
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Paris, 02 mai 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2009-11-03;08.21429 ?
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