Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2009
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/11757
RECOURS EN ANNULATION d'une sentence arbitrale (CCI n° CCI n014604/JB/JEM)
rendue le 8 mai 2008 à Paris par la Chambre de Commerce Internationale,
(arbitre unique [K] [G] QC)
JONCTION avec le n°2008/12062
DEMANDERESSE AU RECOURS EN ANNULATION :
La Société M [S] SCHALTGERATEBAU UND
ELEKTROINSTALLATIONEN - GmbH,
société de droit autrichien
ayant son siège : [Adresse 1]
[Adresse 1]
AUTRICHE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL,
avoués à la Cour
assistée de Maître Marine VERGER,
avocat plaidant pour la SCP HAMMONDS HAUSMANN,
Toque P 443
DEFENDERESSE AU RECOURS EN ANNULATION :
La Société CPL INDUSTRIES LIMITED
Société de droit nigérien
ayant son siège social :
[Adresse 2]
[Adresse 3]
ou encore à domicile élu Chez
[Adresse 2] NIGERIA
représentée par Me François TEYTAUD,
avoué à la Cour
assistée de Maître Elie Kleiman et Nicolas Brooke,
avocat plaidant pour la SCP FRESHFIELDS BRUCKAUS DERINGER
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 juin 2009,en audience publique
le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur PÉRIÉ, président
Monsieur MATET, conseiller
Madame BOZZI, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme FALIGAND
ARRÊT :
- Contradictoire
- prononcé en audience publique par Monsieur PÉRIÉ, Président,
- signé par Monsieur PÉRIÉ, Président, et par Mme FALIGAND,
greffier présent lors du prononcé.
La société M [S] SCHALTGERATEBAU UND ELEKTROINSTALLATIONEN ( ci-après la société M [S]) société de droit autrichien spécialisée dans la fabrication et l'installation d'équipements électriques ayant décidé de développer ses activités au Nigéria a conclu un accord de promotion de projets exclusifs (accord PPE) et un accord de co-entreprise avec les sociétés CPL INDUSTRIES LIMITED (ci-après CPL), représentée alors par M.[T], [H] et [F] le 16 février 2005 aux termes desquels ces dernières devaient lui fournir toute l'assistance nécessaire dans le cadre des négociations et de l'exécution des marchés publics après du gouvernement fédéral et des trente-six états membres de la Fédération.
Les relations s'étant détériorées entre les co-contractants, la société CPL mettant en oeuvre les clauses d'arbitrage insérées aux articles 9.2 et 14 de ces deux contrats a saisi la CCI d'une demande d'arbitrage.
Aux termes d'une sentence partielle du 5 octobre 2007, le tribunal arbitral a jugé que la société M [S] ne démontrait pas que les contrats avaient été conclus en violation de l'ordre public nigérian, a décliné sa compétence s'agissant des demandes de la société CPL à l'encontre de [H] et compétent s'agissant de celles de la société CPL à l'égard de la société M [S] et [F]. Puis la société CPL s'est désistée de ses demandes à l'encontre d'[F] qui a accepté le désistement.
Suivant sentence du 8 mai 2008 l'arbitre unique, M.[K] [G], a condamné la société M [S] à payer à la société CPL 50 963 592 Nairas avec les intérêts à partir du 3 octobre 2006 au taux de 10%, ses frais légaux et autres s'élevant à 205 589 USD et 10 500€, les frais d'arbitrage à 220 000USD, a rejeté la demande reconventionnelle de la société M [S] et dit qu'elle supportera ses propres frais légaux et autres ainsi que les frais d'arbitrage fixés à 220 000USD et qu'elle remboursera à la société CPL la part des avances sur frais que cette société a payé à la CCI à concurrence de 165 333USD.
Un addendum à la sentence a été rendue le 29 juin 2008 par le tribunal arbitral saisi respectivement par les sociétés M [S] et CPL de deux demandes de rectification.
La société M [S] indique que seule sa condamnation à payer 220000USD à la société CPL a été supprimée.
La société M [S] a formé un recours en annulation de la sentence du 8 mai 2008 au motif que sa reconnaissance violerait l'ordre public international, que le tribunal arbitral a méconnu le principe fraus omnia corrumpit et l'autorité de la chose jugée de la sentence partielle du 5 octobre 2007 et n'a pas respecté le principe de la contradiction. Elle prie la Cour d'annuler la sentence et de condamner la société CPL à lui payer la somme de 40 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société CPL conclut au rejet du recours et demande la condamnation de la société M [S] à lui payer la somme de 120 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle dit que les moyens du recours sont infondés et que le recours doit être rejeté.
Sur ce,
Considérant qu'il convient pour une bonne administration de la Justice d'ordonner la jonction des dossiers enrôlés sous les numéros 08/11757 et 08/12062 ;
Considérant que la société CPL sollicite le rejet des débats des conclusions de la société M [S] signifiées le 18 juin 2009, le jour de la clôture, au motif qu'elle n'a pas eu le temps de répondre à ces nouveaux arguments ; que cependant les moyens qui y sont contenus, déjà développés dans les écritures précédentes de la société M [S], visant à répondre aux dernières conclusions du 28 mai 2009 de la société CPL, il convient de débouter cette dernière de sa demande de rejet des conclusions signifiées par la société M [S] le 18 juin 2009 ;
Sur le premier moyen d'annulation pris en ses trois branches : la reconnaissance de la sentence est contraire à l'ordre public international (article 1502 5° du code de procédure civile )
1° La société M [S] dit que la sentence finale a méconnu l'autorité de la chose jugée, violant ainsi un principe d'ordre public. Elle expose que le tribunal arbitral a dénié sa compétence pour statuer sur sa demande reconventionnelle alors que dans la sentence intermédiaire du 10 octobre 2007 il s'était au contraire déclaré compétent pour statuer sur cette demande.
2° La société M [S] prétend que le tribunal arbitral a méconnu le principe fraus omnia corrumpit. Elle explique que l'arbitre unique, en jugeant que M.[T] a cherché à évincer la société M [S] de la Société nigériane de projets, a caractérisé des tromperies destinées à préjudicier ses droits et constitutives d'une fraude mais qu'il n'a pas tiré les conséquences du constat de fraude qu'il a opéré puisqu'il l'a condamnée à verser à la société CPL des dommages et intérêts correspondant aux frais investis dans la Société nigériane de projet.
3° La société M [S] soutient que la sentence contribue à entériner des actes de corruption ; qu'en effet les contrats ont été signés pour [F] par Mme [E], fausse identité derrière laquelle se dissimulait Mme [Z], fille du Président du Nigéria de l'époque et commissaire du gouvernement de l'Etat d'Ogun, afin de contourner les règles anti-corruption et que les sociétés CPL et [F] poursuivaient un but frauduleux, à savoir corrompre les fonctionnaires nigérians. Elle explique avoir soulevé devant l'arbitre la nullité de ces contrats comme constituant une violation des dispositions de la loi nigériane anti-corruption, la dissimulation de la véritable identité de Mme [Z] étant révélatrice de l'intention de [F] et de CPL de contourner les règles nigérianes, ce dont la société M [S] n'a été informée que tardivement par un mail du 1er juin 2006 de M.[T] sans que ce dernier ait indiqué que la signature des contrats par Mme [Z] pouvait entraîner leur nullité ; que cette dernière est intervenue pour faciliter l'obtention de marchés publics grâce à ses liens familiaux avec le Président de la République du Nigéria, ce qui était incompatible avec son statut de fonctionnaire qui lui interdisait de participer à une entreprise et que M.[T] lui a offert une voiture en violation de l'article 8 du code de conduite des fonctionnaires. La recourante dit encore que la sentence a ignoré ces actes de corruption et que sa condamnation à payer à la société CPL le remboursement de ses frais donne effet à un acte entaché de corruption.
Considérant que, s'agissant de la violation de l'ordre public international, seule la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est examinée par le juge de l'annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de la violation alléguée ;
Considérant que, selon la traduction jurée du paragraphe 156 de la sentence rédigée en anglais, traduite par M.[C] [X] et produite par la société M [S], l'arbitre unique énonce que 'le tribunal rejette les arguments avancés par la société M [S]. Aux termes de l'article 4 du JVA, la responsabilité financière incombe à la société M [S]. Les dépenses objet de la demande formulée par la société M [S] précédaient les faits sur la base desquels la demande de la société M [S] est fondée et par conséquent, ne peuvent être une conséquence de ces faits même s'il en va de l'intérêt de la société M [S] de déclarer que ces faits avaient été commis en violation des dispositions susvisées. Le tribunal comprend aisément que, à la suite de l'exclusion de la société M [S] de la Société, celle-ci a été privée de tous les fruits de ses investissements au sein de la dite société.' et conclut 'Tous les recours dont [la société M [S]] peut se prévaloir à ce titre ne sont pas compris dans le périmètre de la présente procédure' ; qu'il s'induit de ces énonciations confirmées dans la partie finale de la sentence 'Pour les motifs sus visés au dessus' [paragraphe 170] 'la demande reconventionnelle de la société M [S] est rejetée', que le tribunal arbitral n'a pas dénié sa compétence et qu'il n'est pas démontré de contradiction de décisions incompatible avec l'ordre public international de procédure entre la sentence partielle et la sentence attaquée ;
Considérant que la société M [S] invoque un moyen de fraude dont se serait rendu coupable M.[T] dans le cadre de l'exécution du contrat ; que cependant il n'appartient pas à la cour dans le cadre d'un recours en annulation de rejuger une sentence, telle que l'aurait voulu la recourante qui n'avait pas soulevé devant le tribunal arbitral ce moyen relatif à la fraude au vu d'éléments dont elle disposait déjà ;
Considérant que la société M [S] excipe de deux nouveaux éléments à l'occasion du recours en annulation, un courriel de M.[T] adressé le 1er juin 2006 et les fonctions exercées par Mme [Z] fonctionnaire de l'Etat d'Ogun, lesquels démontreraient des manquements à la loi anti-corruption nigériane;
Or considérant que le tribunal arbitral a dit que l'utilisation d'un nom d'emprunt par Mme [Z], sa qualité de fille du Président de la République et de commissaire du gouvernement de l'Etat d'Ogun, que la société M [S] ne pouvait ignorer en raison du caractère public de la fonction, ainsi que le courriel de M.[T], examiné aux paragraphes 21, 90, 113 et 115 de la sentence, n'établissent pas l'existence d'actes de corruption ; que la recourante en excipant de ces prétendus nouveaux éléments de preuve de corruption, alors qu'il s'agit d'arguments développés dans le cadre de la procédure ayant abouti à la sentence partielle puis réitérés et débattus lors de celle ayant conduit à la sentence finale, sollicite en réalité une nouvelle instruction de l'affaire au fond et non le contrôle de la sentence ; que l'arbitre a bien examiné la question de la corruption qui lui était soumise par la société M [S] et en a tiré la conclusion qu'il n'y avait pas d'actes de corruption ; que la société M [S] ne démontre pas que la solution adoptée par la sentence heurte l'ordre public international en ayant couvert des actes de corruption, étant observé que la société M [S] ne pouvait se méprendre sur les interventions de Mme [Z] et de M.[T] puisque l'objet de l'Accord PPE était notamment de 'mettre à la disposition les vastes contacts des membres éminents du comité directeur de la société CPL Industries, [H] et [F]' ; que le premier moyen est donc rejeté ;
Sur le deuxième moyen tiré du non respect par le tribunal arbitral du principe de la contradiction (article 1502 4° du code de procédure civile)
La société M [S] argue de ce que le tribunal arbitral a violé ce principe en omettant de communiquer aux parties les retranscriptions des audiences de mars 2008, alors qu'il en avait ordonné l'enregistrement et les retranscriptions en vue de leur communication aux parties et l'a privée de vérifier ce qui avait été dit lors des auditions de témoins, interdisant aux parties de débattre des éléments de preuve apparus lors des quatre jours d'audience ainsi que des arguments développés pour la première fois lors de ces audiences. Elle ajoute que la précipitation du tribunal arbitral à clôturer la procédure le 1er mai 2008 jointe au non respect par l'arbitre des règles qu'il avait fixées par son ordonnance de procédure n°4 et l'impossibilité matérielle de débattre des nouveaux arguments, pièces et témoignages, l'enregistrement du témoin principal ayant disparu faute de transcription, constituent une atteinte au contradictoire.
La recourante fait également valoir que le tribunal arbitral a rompu l'égalité entre les parties en demandant, quelques jours avant les audiences de mars 2008, à la société CPL de préciser le fondement légal de sa demande de remboursement des investissements, sans inviter la société M [S] à en débattre ni à en faire autant quant à sa propre demande reconventionnelle alors que l'arbitre unique souligne dans la sentence l'imprécision de ses demandes.
Considérant que pour être recevable le grief invoqué doit avoir été soulevé, chaque fois que cela était possible, devant le tribunal arbitral lui-même ; qu'en l'espèce, la société M [S] se plaint de ce que les retranscriptions des débats des audiences tenues du 3 au 6 mars 2008 n'ont pas été adressées spontanément aux parties par le tribunal arbitral et que ce dernier a clos précipitamment la procédure sans qu'elle puisse s'expliquer sur de nouvelles pièces produites et des arguments développés lors de l'audience alors qu'elle était en mesure de faire valoir ces moyens au tribunal arbitral, qu'elle s'est s'abstenue de réclamer la retranscription des audiences avant la clôture intervenue plus d'un mois après les audiences et même avant la reddition de la sentence intervenue encore un mois plus tard ; que faute d'avoir protesté auprès du tribunal arbitral pour le mettre en mesure d'y remédier, la société M [S] n'est plus recevable à en tirer ultérieurement une cause d'annulation de la sentence ;
Que le fait que l'arbitre unique faisant usage des dispositions de la loi française de procédure applicable à l'instance arbitrale ait invité la société CPL à clarifier l'un de ses arguments avant l'audience ne rompt pas l'égalité entre les parties dès lors que, d'une part la loi de procédure lui reconnaît la faculté d'inviter les parties à fournir toutes explications sans l'obliger à faire une application distributive à chaque partie de cette faculté, d'autre part que la circonstance que la société M [S] ait été déboutée de sa demande reconventionnelle pour des motifs tirés de l'application de l'article 4 du contrat, comme il a déjà été dit précédemment, et que le tribunal arbitral n'ait pas usé de la faculté de provoquer de nouvelles explications de la recourante ne démontre pas une rupture de l'égalité entre les parties ;
Sur le troisième moyen : le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été conférée (article 1502 3° du code de procédure civile)
La société M [S] prétend que la décision d'incompétence du tribunal arbitral quant à sa demande reconventionnelle constitue un manquement de l'arbitre à sa mission. Elle ajoute que celui-ci a statué ultra petita en la condamnant à payer 100% des frais engagés par la société CPL dans la société nigériane alors que CPL n'avait demandé qu'une condamnation partielle à hauteur de 51%.
Mais considérant d'une part, que comme il a été dit, le tribunal arbitral ne s'est pas déclaré incompétent pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société M [S], et d'autre part que dans son mémoire du 15 novembre 2007, la société CPL, à propos de la demande en paiement de la somme de 112 288 345 Nairas, ayant expressément dit 'que la totalité des coûts doit être supportée par la Première Défenderesse [M [S]]', le tribunal arbitral n'a donc pas statué ultra petita, étant observé que la sentence l'a condamnée en fait au paiement de la somme de 50 693 591 Nairas ; que ce moyen est donc inopérant ;
Que, par suite, le dernier moyen d'annulation étant infondé il convient de rejeter le recours en annulation de la sentence du 8 mai 2008 ;
Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que la société M [S] succombant, il convient de la condamner à payer à la société CPL la somme de 50 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs
Rejette la demande de la société CPL visant à écarter des débats les conclusions adverses du 18 juin 2009,
Ordonne la jonction des dossiers enrôlés sous les numéros 08/11757 et 08/12062,
Rejette le recours en annulation de la sentence du 8 mai 2008,
Condamne la société M [S] SCHALTGERATEBAU UND ELEKTROINSTALLATIONEN à payer à la société CPL INDUSTRIES LIMITED la somme de 50 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société M [S] SCHALTGERATEBAU UND ELEKTROINSTALLATIONEN aux dépens et admet Maître TEYTAUD, avoué, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT
R. FALIGAND J.F. PERIE