Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre-Section B
ARRET DU 03 OCTOBRE 2008
(no 330, 20 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 06 / 12452 ordonnance de jonction du 10 / 11 / 2006 avec RG 06 / 14585
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Juin 2006 rendu par la 1ère Chambre / 1ère section du Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 04 / 10793
APPELANTS
-Mademoiselle Nicole X...- (...)
tous représentés par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoués à la Cour et assistés par Me Thierry MASSIS et Me Benoît GRUAU, avocats au barreau de PARIS, plaidant pour la SCP LUSSAN et Associés, toque P77
APPELANT ET INTIME
-ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE-ENIM-ayant son siège social 3 Place de Fontenoy-75007 PARIS
représenté par la SCP VERDUN-SEVENO, avoués à la Cour assisté de Me Philippe ARION, avocat au barreau de RENNES, plaidant pour la SCP GARNIER-LOZACHMEUR et autres
INTIMES
-Monsieur G
demeurant... EVEN-22620 PLOUBAZLANEC
représenté par Me Jean-Yves CARETO, avoué à la Cour assisté de Me Serge GUY-VIENOT, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour la SCP toque : P 275
- SA BUREAU VERITAS ayant son siège 17 bis Place des Reflets-La Défense 2- Immeuble B22-92400 COURBEVOIE
représenté par Me Jean-Yves CARETO, avoué à la Cour assisté de Me Laurence BRYDEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 275
- La SAS LLOYD'S DE LONDRES ayant son siège social 4 Rue des Petits Frères-75002 PARIS
représentée par la SCP MONIN-D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour assistée de Me Sarah ACHILLE, substituant Me Charles KAPLAN, avocats au barreau de PARIS, Cabinet HERBERT SMITH, toque : J 25
- Maître Daniel LEMOINE ès-qualités de mandataire liquidateur des SARL " LES ATELIERS ET CHANTIERS DE LA MANCHE-ACM- " et " D'EXPLOITATION DE L'ARMEMENT LEVEAU-SEAL- " demeurant 26 rue Camille Saint Saens-76000 ROUEN
représenté par la SCP MONIN-D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour assisté Me Marie-Laure VIGOUROUX, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour la SCP LASSEZ et ASSOCIES, toque P155
- Monsieur Guy, Francis H
demeurant 160, ImpasseLouisBastier-76550 ST AUBIN SUR SCIE
-SA AGF venant aux droits de LA PRESERVATRICE FONCIERE IARD ayant son siège 87 Rue de Richelieu-75002 PARIS
-SA COMPAGNIE NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES ayant son siège 46 bis, rue des Hauts Pavés-44000 NANTES
représentés par la SCP DUBOSCQ-PELLERIN, avoués à la Cour assistés de Me Michel QUIMBERT, avocat au barreau de NANTES, plaidant pour la SCP MENARD-QUIMBERT et Associés
-Société COPROPRIETE DU SNEKKAR ARTIC ayant son siège 66 rue de l'Ancien Port MARTIN EGLISE 76370 NEUVILLE LES DIEPPE
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Juin 2008, en audience publique, le rapport préalablement entendu conformément aux dispositions de l'article 785 du Code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Jacques BICHARD, Président Marguerite-Marie MARION, Conseillère Domitille DUVAL-ARNOULD, Conseillère qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Régine TALABOULMA
ARRET :
- par défaut-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Jacques BICHARD, Président et par Régine TALABOULMA, greffière
*******
Vu je jugement rendu le 14 juin 2006 tribunal de grande instance de Paris auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé des circonstances de la cause et des différentes procédures subséquentes menées tant devant les juridictions pénales, civiles que de l'ordre administratif et qui a :- prononcé la mise hors de cause de l'agent judiciaire du Trésor,- déclaré les requérants mal fondés en leur demande en réparation dirigée contre Guy AQS...et ses assureurs et les en a déboutés,- déclaré les requérants mal fondés en leur demande en réparation dirigée contre la société ACM et contre Maître Lemoine ès qualités de mandataire liquidateur de ladite société,- déclaré prescrite l'action en responsabilité dirigée contre la société d'exploitation de l'armement LEVEAU et Maître Lemoine ès qualités de mandataire liquidateur de ladite société,- prononcé la mise hors de cause de la société BUREAU VERITAS et de la compagnie LLYOD de LONDRES,- dit non fondée la demande en réparation formée par les requérants contre Jean AVS... et les en a débouté,- rejeté les demandes d'indemnité formées par les défendeurs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu la déclaration d'appel déposée le 5 juillet 2006 par :- NICOLE...
[...]
et le 3 août 2006 par l'Etablissement National des Invalides de la Marine (ENIM).
Vu la jonction des procédures.
Vu les dernières conclusions déposées le :
¤ 4 avril 2008 par :- NICOLE [...]
qui, au visa des articles 1382, 1383 du Code Civil, 1851 du règlement de la société BUREAU VERITAS, 5-13 de l'arrêté du 6 août 1971 et du décret no 84-810 du 10 août 1984, demandent à la cour de : * déclarer civilement responsables Guy AQS..., Maître Lemoine ès qualités de mandataire liquidateur de la SA Les Ateliers et chantiers de la Manche, Jean AVS..., le BUREAU VERITAS, la liquidation judiciaire de la SARL ARMEMENT LEVEAU, représentée par son liquidateur judiciaire Maître Lemoine, des préjudices qu'ils ont subis en leur qualité d'ayants droit des victimes et de condamner in solidum les mêmes parties ainsi que la compagnie d'assurances AGF, venant aux droits de la société PRESERVATRICE FONCIERE IART, la société NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES et la compagnie d'assurances LES LLYOD'S de LONDRES à leur verser les sommes de 1 679 939, 08 euros en réparation de leur préjudice moral et de 4 079 616 20 euros en réparation de leur préjudice économique.
* leur allouer chacun une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
¤ 16 avril 2007 par l'ENIM qui au visa des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code Civil demande à la cour de :- déclarer in solidum Guy AQS...et Maître Lemoine ès qualités de mandataire liquidateur de la société ACM responsables du naufrage,- déclarer Jean AVS... in solidum avec la société BUREAU VERITAS, responsables du naufrage,- condamner solidairement la société AGF IART, la compagnie NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES, la société BUREAU VERITAS et la compagnie d'ASSURANCES LLYOD'S DE LONDRES à en régler les conséquences en leur quotité non encore indemnisée, soit 80 % et condamner en conséquence solidairement les mêmes à lui verser la somme de 2 232 000 euros,- condamner solidairement les mêmes à lui régler une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre l'indemnité forfaitaire de 726 euros prévue par l'ordonnance no 96 / 51 du 24 janvier 1996.
¤ 7 mars 2008 par la S. A. S LLOYD'S DE LONDRES qui demande à la cour :- de déclarer eu égard à l'arrêt rendu le 29 janvier 2003 par la cour d'appel de Paris irrégulière la procédure poursuivie devant le tribunal de grande instance de Paris à l'encontre de Jean AVS..., de la société BUREAU VERITAS et d'elle même qui devra être mise hors de cause,- de dire en tout état de cause qu'aucune action ne saurait être exercée à l'encontre de Jean AVS... tant sur le fondement de l'article 4-1 que de l'article 470-1 du code de procédure pénale,- de dire que la société BUREAU VERITAS ne peut être recherchée en tant que prétendue civilement responsable de Jean BOUREL,- de déclarer irrecevables et mal fondées toutes demandes dirigées contre eux,- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause et celle de la société BUREAU VERITAS,- de condamner " les parties civiles " à lui verser une indemnité de 500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
¤ 5 mai 2008 par Guy AQS..., les ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART et la COMPAGNIE NANTAISE D
ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES qui, au visa des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code Civil demandent à la cour :- de confirmer le jugement déféré,- de constater que les décisions rendues par les juridictions administratives sont inopposables aux intimés en application du principe " Nemo auditur "- de débouter les appelants de toutes leurs prétentions et de les condamner à leur payer une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
¤ 9 mai 2008 par la société d'EXPLOITATION DE L'ARMEMENT LEVEAU, représentée par Maître Lemoine, son liquidateur judiciaire et Maître Lemoine ès qualités de liquidateur judiciaire de ladite société qui demandent à la cour :- de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré prescrites les demandes formées contre Maître Lemoine ès qualités,- de rejeter toute demande comme forclose faute de production régulière,- de condamner les appelants à verser à Maître Lemoine ès qualités la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
¤ 9 mai 2008 par Maître Lemoine ès qualités de mandataire liquidateur de la société LES ATELIERS ET CHANTIERS DE LA MANCHE (ACM) qui demande à la cour :- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes formées contre Guy AQS..., la société ACM et Maître Lemoine,- de débouter les appelants de toutes leurs prétentions.
¤ 21 mai 2008 par Jean AVS... qui demande à la cour :- de déclarer irrégulière la procédure poursuivie à son encontre devant le tribunal de grande instance de Paris eu égard à l'arrêt rendu le 29 janvier 2003 par la cour d'appel de Paris ;- de dire en tout état de cause qu'aucune action civile ne peut être exercée contre lui tant sur le fondement de l'article 4-1 du code de procédure pénale que 470-1 dudit code,- de dire qu'en raison de la relaxe dont il a bénéficiée aucune action civile ne peut être exercée contre lui,- de dire qu'il n'a commis aucune faute détachable du service, de rejeter toute demande dirigée contre lui,- de condamner les appelants à lui verser une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
¤ 21 mai 2008 par la société BUREAU VERITAS qui demande à la cour :- de dire les appelants tant irrecevables que mal fondés,- de considérer comme irrégulière la procédure suivie devant le tribunal de grande instance de Paris eu égard à l'arrêt rendu le 29 janvier 2003 par la cour d'appel de Paris,- de considérer qu'en tout état de cause aucune action civile ne pouvait être engagée contre Jean AVS..., tant sur le fondement de l'article 4-1 du code de procédure pénale que de l'article 470-1 dudit code,- de dire qu'au sein de la commission de visite de mise en service Jean AVS... n'était pas son préposé,- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause,- de condamner les appelants à lui verser une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 23 mai 2008.
SUR QUOI LA COUR
Considérant que le SNEKKAR ARTIC qui a sombré au cours d'une campagne de pêche dans la nuit du 20 février 1986, provoquant la mort de dix huit personnes dont seize des membres de son équipage, a été conçu et construit par la société ACM, alors dirigée par Guy AQS...et aujourd'hui représentée par son liquidateur judiciaire Maître Lemoine ; que ce navire dont un des co-propriétaires était la société ARMEMENT LEVEAU, également actuellement représentée par son liquidateur judiciaire Maître Lemoine, a préalablement à son exploitation, été contrôlé par la commission de visite de mise en service à laquelle appartenait Jean AVS..., par ailleurs préposé de la société BUREAU VERITAS, qui a délivré le permis de navigation ;
Considérant que selon les dispositions des articles l 621-40 et l 621-43 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective suspend ou interdit toute action en justice de la part des créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant soit à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, soit à la résolution du contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ; que ces mêmes créanciers sont tenus de déclarer leurs créances au représentant des créanciers ;
Que la société ACM a été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du 14 avril 1986 ;
Que la société d'exploitation de L'ARMEMENT LEVEAU a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Dieppe du 18 décembre 2003 ;
Que faute d'avoir déclaré en temps utile, leurs créances nées le 21 février 1986, lesquelles sont désormais éteintes, les ayants-droit des victimes ne sont plus recevables en leur demande tendant à obtenir la condamnation de Maître Lemoine ès qualités de liquidateur judiciaire, tant de la société ACM, que de la société D'ARMEMENT LEVEAU, au paiement d'une somme d'argent ;
Qu'en revanche le défaut de production de leurs créances ne les prive pas, ainsi que l'ENIM, de la possibilité de faire reconnaître par cette cour, la responsabilité éventuellement encourue par ces deux sociétés ; que cette prétention est donc recevable, étant par ailleurs relevé que le tribunal de grande instance de Paris était saisi, en tant que juridiction civile, de l'ensemble des demandes relevant des intérêts civils ;
Que les ayants-droit des victimes sont également recevables avec l'ENIM à exercer à l'encontre des assureurs de la société ACM, seuls mis en cause, l'action directe que possède la victime à l'encontre de l'assureur de l'auteur du dommage et dont la recevabilité de la mise en oeuvre ne dépend ni de la mise en cause des organes du redressement judiciaire, ni de la déclaration de créance, ni par ailleurs de l'appel en la cause de l'assuré ;
Considérant que la société ARMEMENT LEVEAU soulève également l'irrecevabilité des demandes présentées par les ayants-droit des victimes en excipant des dispositions de l'article 2270-1 du code civil, exposant que le naufrage du SNEKKAR ARTIC s'étant déroulé dans la nuit du 20 au 21 février 1986, le délai de prescription a ainsi expiré le 21 février 1996, alors que les demandes formulées à son encontre l'ont été pour la première fois par assignation des 15 et 17 mars 2004 ; que les ayants-droit des victimes répliquent que la mise en cause de cette société et de Maître Lemoine ès qualités de liquidateur judiciaire résulte du dispositif même de l'arrêt rendu le 29 juillet 2003 par la cour d'appel de Paris et que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de cette décision ; que cet argument est cependant dépourvu de toute pertinence ; qu'en effet, outre que la cour d'appel, en mentionnant " qu'il apparaît que des tiers responsables sont susceptibles d'être mis en cause " n'a manifestement pas entendu inviter, voire les enjoindre, les familles des victimes à procéder à la mise en cause de cette société, une telle préconisation, même à la supposer avérée, ne relevant pas des exceptions prévues par la loi, ne pouvait avoir pour effet de contrevenir aux dispositions régissant les conditions d'application de l'article 2270-1 du code civil et en conséquence de retarder le point de départ de la prescription ;
Considérant que les ayants-droits des victimes excipent alors des dispositions de l'article 2252 du code civil qui énoncent que " la prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf en ce qui est dit à l'article 2278 et, à l'exception des autres cas déterminés par la loi " ; que sans pour autant déterminer les parties concernées, ils indiquent que la prescription ne pourrait ainsi pas être retenue à l'encontre de tous les enfants mineurs au jour du naufrage et qui à ce jour n'ont pas atteint l'âge de 28 ans ; que cette discussion concerne les parties qui n'avaient pas atteint l'âge de 18 ans au jour du sinistre, étant observé que la cour, eu égard à l'absence de toute information directement fournie par les parties intéressées ou susceptibles d'être révélées par les documents produits aux débats, n'est pas en mesure de déterminer les dates de naissance de LUCETTE E..., RÉMY E... ET YVON E... dont la demande doit être en conséquence déclarée irrecevable ;
que sont donc seuls concernés :- [...]
que sont en conséquence seuls recevables pour être non prescrits :- [...]
Considérant que la société ARMEMENT LEVEAU soutient qu'en tout état de cause elle n'est pas " propriétaire " du bateau comme cela a été mentionné dans l'assignation qui lui a été délivrée, mais qu'elle n'est qu'un co-propriétaire minoritaire parmi d'autres et qu'il n'y a donc pas lieu de venir rechercher sa responsabilité ; que cependant ne contestant pas sa qualité de propriétaire, peu important dès lors l'importance du nombre des parts qu'elle possède, la société ARMEMENT LEVEAU ne peut dès lors sérieusement soutenir pouvoir de ce seul motif échapper à la responsabilité qu'elle a pu encourir en sa qualité d'armateur dans le naufrage du SNEKKAR ARTIC ;
Considérant en revanche que c'est par des motifs pertinents et appropriés, après avoir fait une exacte analyse des faits qui lui étaient soumis et une juste application des règles de droit que le tribunal a rejeté les demandes dirigées contre :- Guy AQS...en sa qualité de dirigeant de la société ACM en relevant que les négligences alléguées n'étaient pas dissociables des fonctions que celui-ci exerçait et que la seule la société devait en répondre ;- Jean AVS..., la société BUREAU VERITAS et la compagnie LLYOD DE LONDRES en retenant en premier lieu que la procédure de renvoi mise en oeuvre par cette cour dans son arrêt du 29 janvier 2003 était régulière au regard des articles 4-1 et 470-1 alinéa 2 du code de procédure pénale dès lors qu'elle constatait que des tiers responsables étaient susceptibles d'être mis en cause et au motif essentiel que ne pouvait être retenue contre Jean AVS... aucune faute personnelle détachable des fautes commises par la commission de visite à laquelle il appartenait et qui ont donné lieu à une action en responsabilité de l'Etat couronnée de succès pour les ayants-droit des victimes et l'ENIM, étant au surplus observé que le manque de compétence qui pourrait être reproché à Jean AVS... ne saurait pour autant constituer une carence particulièrement lourde détachable de ses fonctions et susceptible d'engager sa responsabilité personnelle ;
Considérant que le rapport établi le 25 juin 1986 à la diligence du secrétariat d'Etat à la Mer et celui dressé le 15 avril 1988 par les experts Le Her et Cucchi, désignés par le magistrat instructeur, ont permis d'établir avec précision et certitude le processus qui a conduit au naufrage du navire ;
que le SNEKKAR ARTIC a incontestablement sombré à cause de la perte de stabilité consécutive à l'envahissement de l'entrepont-usine, lui même dû à plusieurs causes dont la première, dans le temps, est l'arrêt des pompes d'assèchement, cette panne ayant été provoquée par un court-circuit au tableau électrique principal, occasionné par une entrée d'eau de mer par le circuit de ventilation ; que les experts judiciaires parlent d'un arbre des causes dont ils ont au demeurant dressé un tableau précis et explicatif ;
que le naufrage du navire résulte ainsi de l'enchaînement direct de plusieurs faits dont le premier résulte de " l'absence de protection du tableau électrique principal a été la cause de l'incident technique initial, à l'origine d'un processus que l'équipage n'a pas su ou pu maîtriser " (rapport Le Her) ;
que la protection du tableau électrique principal, qualifié par les experts judiciaires de " véritable coeur du navire " s'est avérée insuffisante par rapport à l'emplacement des deux bouches de ventilation, situées à peine 20 centimètres au dessus ; qu'en effet la suppression de ces panneaux à la demande expresse de l'exploitant a exposé le tableau principal à l'arrosage par l'eau de mer compte tenu de la conception du circuit de ventilation, alors même que sa protection est une exigence réglementaire (arrêté du 6 août 1971 et son règlement annexe, complété par l'article 46 du décret du 30 août 1984) qui impose ainsi que le rappellent les experts " que les tableaux principaux soient installés à l'abri des projections de vapeur d'eau, ou d'autres liquides " ; que la suppression des panneaux de fermeture arrière, certes au motif non dépourvu de pertinence que ces équipements entraînaient une manipulation dangereuse pour le personnel, devait dans ces conditions, comme le rappellent les experts judiciaires, s'accompagner d'un examen plus sérieux de la situation nouvelle qui en résultait et conduire concepteur, constructeur et exploitant à concevoir et mettre en place un autre système de protection, réellement efficace et non pas se limiter à la seule la pose de simples grilles ;
que ce manquement fautif est à l'origine de la mouille du tableau principal, particulièrement de la cellule 2 directement exposée à la première bouche de ventilation et sous laquelle une petite mare d'eau a été observée ; que la conséquence a été l'arrêt des pompes d'assèchement, les experts judiciaires notant d'ailleurs que " le système d'assèchement n'était pas, de toute évidence, adapté au service demandé ", ni " fiable au regard des conditions de fonctionnement (présence de déchets, peaux de lingue bleue en particulier) " et alors que " la fusion d'un seul fusible sur un circuit au demeurant sans importance a suffi pour que plusieurs pompes s'arrêtent " ;
que c'est à juste titre que les ayants-droit des victimes font observer que l'utilisation de la marche forcée des pompes privées d'électricité même en cas de court-circuit est un argument inopérant dans la mesure où le navire n'était doté d'aucun équipement assurant l'automaticité de celle-ci en cas de dysfonctionnement du tableau électrique, ni d'alarme en cas d'arrêt de fonctionnement desdites pompes indispensables à l'évacuation de l'eau nécessairement embarquée sur ce type de navire-usine et à la stabilité de celui-ci ;
que les différents experts qui ont eu à réfléchir sur les causes du naufrage ont également retenu celle relative aux vide-déchets, d'ailleurs qualifiée par les experts judiciaires " de cause directe de l'envahissement de l'usine et par voie de conséquence du naufrage " ; que les compagnies AGF, NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES et Guy AQS...font valoir l'absence de tout défaut de conception de ces équipements, indiquant que le naufrage était imputable à la seule utilisation qu'en a fait l'équipage qui les a laissés ouverts et que sont donc seules en cause les conditions d'utilisation et de maintenance, soulignant que le mécanisme de fermeture était par ailleurs rouillé ce qui relève de la responsabilité de l'exploitant ; que néanmoins il résulte du rapport des experts judiciaires qu'il convenait d'installer un système de fermeture automatique, non aliénable, lequel soulignent-ils existe désormais sur les navires du même type, alors même que le sinistre n'est pas survenu au cours d'une opération de vidange de déchets, l'usine étant arrêtée et le personnel absent ;
qu'à tout le moins les experts énoncent que l'équipement mis en place aurait dû permettre une manoeuvre sure et efficace de fermeture des volets guillotines, ce qui supposait une bonne accessibilité des leviers de commande alors que tel n'était pas le cas ;
que la précaution prise par le constructeur ayant consisté en la pose d'une plaque de consignes sur les panneaux extérieurs apparaît dans ces conditions comme manifestement insuffisante ;
que le rapport du Secrétariat d'Etat à la Mer après avoir rappelé que l'ouverture en permanence, bien qu'habituellement sans inconvénient majeur pour la sécurité du navire, constitue cependant le point faible de sa défense contre l'envahissement de la mer et que dès lors il était notamment " absolument indispensable qu'au moins l'étanchéité du flotteur jusqu'à un angle de gîte important, 40o par exemple, soit garanti en toute circonstance et ne dépende pas de telle ou telle mesure à prendre " ; que les experts judiciaires dénoncent, quant bien même la réglementation en vigueur pour ce type de navire de pêche était insuffisamment explicite et spécifique à leurs dires, un manque de prise en considération tant par le concepteur, le constructeur que l'exploitant, de la spécificité et des conditions prévisibles de navigation résultant de l'exploitation de l'usine de congélation ; que les développements de Guy AQS...et des assureurs de la société ACM qui arguent du respect lors de la conception du navire d'un franc bord minime de 5 centimètres, conformément à la réglementation applicable de l'Organisation Maritime Internationale, ne valent cependant comme le rappellent à juste titre les experts que pour les navires de charge faits pour naviguer toutes ouvertures condamnées alors que les navires de pêche doivent ouvrir leurs ouvertures pour exercer leur activité ; qu'il en résulte que les ouvertures pour ce dernier type de navires peuvent répondre en tous points aux exigences réglementaires sans que pour autant leur sécurité soit assurée ; que cette situation qui relève de l'évidence pour les professionnels du travail en mer qu'étaient le constructeur et l'exploitant du navire, parfaitement au courant des conditions de pêche en pleine mer, de ses exigences et donc de ses dangers, n'a ainsi manifestement pas été prise en compte pour assurer la sécurité de SNEKKAR ARTIC, pourtant navire moderne ;
Considérant que les manquements qui viennent d'être relevés, imputables tant au constructeur, qu'à l'exploitant, quelles que soient par ailleurs les autres défaillances ayant pu concourir à la survenance du naufrage, notamment celles pouvant être imputées au capitaine du navire, ont ainsi, dans leur enchaînement inéluctable, directement participé au sinistre et à la mort de 18 personnes, peu important dès lors que l'incident technique initial n'est pas été à lui seul de nature à mettre le navire en péril ;
Considérant que les ayants-droits des victimes sont en conséquence fondés à obtenir l'indemnisation des préjudices qu'ils ont subis ;
que les demandes formulées en réparation de leur préjudice moral n'ont pas été contestées dans leur montant par les intimés qui, également, n'ont fait valoir aucune observation au regard des indemnisations déjà accordées par la juridiction de l'ordre administratif ; qu'il convient en conséquence d'accueillir les demandes présentées ;
que les prétentions émises au titre des préjudices économiques n'ont également fait l'objet d'aucune discussion de la part des intimés, tant en ce qui concerne les montants sollicités que le mode de calcul et les documents retenus ayant servis pour y parvenir ; qu'aucune observation n'a été présentée relativement aux sommes accordées par le juge administratif ;
qu'eu égard à ces constatations il convient ainsi d'accorder en réparation du préjudice moral les sommes suivantes :
- NICOLE [...]
que les préjudices économiques seront indemnisés en tenant compte de la créance non contestée de l'ENIM dont l'étendue du recours n'est également pas discuté, étant cependant observé que cet organisme n'ayant pas procédé dans ses dernières conclusions à une ventilation, actualisée, entre les différents ayants droit des victimes qui ont bénéficié de ses prestations, les indemnisations accordées à ceux-ci se feront sous cette précision et en deniers ou quittances :
Considérant que la demande présentée par l'ENIM n'a suscité aucune contestation ; qu'elle sera en conséquence accueillie sauf en ce qui concerne les prestations versées à la famille Thuillier (3052 euros) qui n'est pas partie à la présente procédure ; qu'il sera en conséquence accordé à l'ENIM la somme de 2 229 790, 40 euros
Considérant que l'équité commande d'accorder aux seuls appelants une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile selon les modalités fixées au dispositif de cette décision ; qu'il sera également accordé à l'ENIM l'indemnité forfaitaire prévue par l'ordonnance no 96 / 51 du 24 janvier 1996 d'un montant de 762, 25 euros ;
Considérant que la demande d'exécution provisoire est sans intérêt, qu'elle sera rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision déférée en ce qu'elle a prononcé la mise hors de cause de l'agent judiciaire du Trésor, a déclaré les requérants mal fondés en leur demande en réparation dirigée contre Guy ROUX, a estimé que Jean AVS... était régulièrement visé par la procédure de renvoi ensuite de l'arrêt prononcé le 29 janvier 2003 par la cour d'appel de céans, a dit non fondée la demande en réparation formée par les requérants contre Jean AVS... et les en a débouté, a prononcé la mise hors de cause de la société BUREAU VERITAS et de la compagnie S. A. S LLYO'S DE LONDRES, a rejeté les demandes d'indemnités formées par les défendeurs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
L'infirme pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Déclare
-- recevables et bien fondés en leur demande tendant à voir déclarée la société LES ATELIERS ET CHANTIERS DE LA MANCHE, représentée par son mandataire liquidateur Maître Lemoine, responsable des conséquences dommageables du naufrage du navire SNEKKAR ARTIC.
Déclare-
seuls recevables en leur demande tendant à voir déclarée la société d'EXPLOITATION DE L'ARMEMENT LEVEAU, représentée par son liquidateur judiciaire Maître Lemoine, responsable des conséquences dommageables du naufrage du navire SNEKKAR ARTIC, les déclare bien fondés et déclare irrecevables en cette prétention les autres appelants, ayants-droit des victimes.
Déclare
irrecevables en leur demande afin de condamnation de la société d'EXPLOITATION DE L'ARMEMENT LEVEAU.
Déclare les appelants recevables et bien fondés en leur demande afin de condamnation dirigée contre la société LES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART et LA COMPAGNIE NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES.
Condamne in solidum la société LES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART et LA COMPAGNIE NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES à verser :
* en réparation de leur préjudice moral à :
Condamne in solidum la société LES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART et LA COMPAGNIE NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES à verser à l'ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE la somme de 2 229 790, 40 euros, outre l'indemnité forfaitaire de 762, 25 euros prévue par l'ordonnance no 96 / 51 du 24 janvier 1996.
Condamne in solidum la société LES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART et LA COMPAGNIE NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES à verser à chacun des appelants une indemnité de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
Condamne in solidum la société LES ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART et LA COMPAGNIE NANTAISE D'ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES aux dépens dont distraction au profit des avoués des parties qui en ont fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT