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01/07/2008 | FRANCE | N°06/08638

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0139, 01 juillet 2008, 06/08638


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

22ème Chambre C

ARRET DU 01 juillet 2008

(no , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/08638

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 janvier 2006 par le conseil de prud'hommes de Paris (3o Ch) - section A.D - RG no 05/06101

APPELANTE

Madame Salma X... épouse Y...

...

93400 SAINT- OUEN

comparant en personne, assistée de Me Stéphane Z... A..., avocat au barreau de PARIS, toque : B503

INTIM

EE

ETAT DU QATAR REPRESENTE PAR SON AMBASSADEUR

57, Quai d'Orsay

75007 PARIS

représentée par Me Jean-Pierre DAGORNE, avocat au barreau de...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

22ème Chambre C

ARRET DU 01 juillet 2008

(no , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/08638

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 janvier 2006 par le conseil de prud'hommes de Paris (3o Ch) - section A.D - RG no 05/06101

APPELANTE

Madame Salma X... épouse Y...

...

93400 SAINT- OUEN

comparant en personne, assistée de Me Stéphane Z... A..., avocat au barreau de PARIS, toque : B503

INTIMEE

ETAT DU QATAR REPRESENTE PAR SON AMBASSADEUR

57, Quai d'Orsay

75007 PARIS

représentée par Me Jean-Pierre DAGORNE, avocat au barreau de PARIS, toque : R 207

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 mai 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président

Madame Françoise CHANDELON, Conseiller

Madame Evelyne GIL, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Francine ROBIN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président

- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, président et par Mme Francine ROBIN, greffier présent lors du prononcé.

Vu l'appel régulièrement interjeté par Fatma Y... à l'encontre d'un jugement prononcé le 31 janvier 2006 par le Conseil de prud'hommes de PARIS, section activités diverses, chambre 3, qui a statué sur le litige qui l'oppose à l'Etat du Qatar sur ses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail et au licenciement dont elle a été l'objet,

Vu le jugement déféré qui a débouté Fatma Y...,

Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience, aux termes desquelles,

Fatma Y..., appelante, poursuit l'infirmation du jugement déféré et sollicite que l'Etat du Qatar soit débouté de ses demandes et condamné à lui payer :

- 912,38 € au titre de rappel de préavis,

- 70.875,41 € au titre de rappel de salaires arrêté au 19 janvier 2008 outre 70,71 € par jour à compter de cette date et jusqu'à sa réintégration effective,

- 200 € au titre du remboursement des frais téléphoniques afférents au mois de novembre et décembre 2004,

- 1.510 € au titre de la non délivrance de bulletins de salaires conformes,

- 10.000 € de dommages intérêts pour harcèlement moral,

- 5.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

et à remettre sous astreinte les bulletins de paie, certificat de travail et l'attestation ASSEDIC conformes à l'arrêt à intervenir,

L'Etat du Qatar, intimé, conclut à l'irrecevabilité de la demande sur le fondement de l'immunité de juridiction des Etats étrangers et agents diplomatiques.

Il conclut sur le fond à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 1€ de dommages intérêts pour procédure abusive et de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CELA ETANT EXPOSE

Après avoir effectué un stage au service des archives de l'ambassade du Qatar, Fatma Y... a été engagée par contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 2004 comme secrétaire au service des relations publiques moyennant un salaire mensuel de 1.460 €.

Le 31 janvier 2005, elle a été convoquée pour le 7 février suivant à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Elle a été licenciée le 10 février 2005 en ces termes :

" Par courrier recommandé avec avis de réception, nous vous avons adressé une première convocation à entretien préalable le 28 janvier 2005, la seconde vous a été adressé(e) par DHL pour un entretien préalable le 7 février, et ce en vue d'un éventuel licenciement.

Vous n'avez répondu à aucune de ces deux convocations. Et par ailleurs, vous n'avez pas informé l'Ambassade quant à votre grossesse.

Aussi, nous sommes au regret de vous informer par la présente que nous avons décidé de procéder à votre licenciement.

Nous vous rappelons les raisons qui nous conduisent à prendre cette mesure :

o Persistance d'une forte mésentente avec les membres de l'encadrement et avec le personnel subalterne ce qui nuit au climat général de l'Ambassade et au bon déroulement du travail.

o Attitude conflictuelle vis-à-vis du personnel de l'Ambassade.

o Réflexions désobligeantes à l'égard de l'encadrement tenue publiquement.

o Comportement irrévérencieux à l'égard de certains membres du personnel de l'Ambassade et pour lequel vous aviez déjà reçu un avertissement le 26 octobre 2004.

o Refus de tenir compte des directives qui vous ont été données, et ce malgré les rappels à l'ordre réitérés de vos supérieures hiérarchiques.

o Comportement agressif à l'égard de vos collègues, en particulier Madame May B... le 30 décembre 2004, allant jusqu'à l'humiliation.

Ces faits montrent que la mésentente n'était pas ponctuelle, mais profonde et durable.

Un tel comportement porte préjudice à la bonne marche du travail à l'Ambassade.

En dépit des mises en garde qui vous ont été adressées, notamment par Monsieur AL HOMAID, vous persistez dans cette voie, ce qui rend impossible votre maintien(t) au sein de l'Ambassade et nous conduit à procéder à votre licenciement.

Votre licenciement prendra effet à partir du 20 février 2005, date de la fin de votre arrêt maladie, avec un préavis d'une durée de 2 mois..."

SUR CE

Sur l'immunité des Etats étrangers

Il convient de distinguer l'immunité de juridiction et l'immunité d'exécution dont bénéficient les états étrangers.

L'immunité de juridiction ne concerne que l'hypothèse dans laquelle l'acte qui donne lieu au litige participe par sa nature ou sa finalité à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et non à un acte de gestion.

En l'espèce il n'est pas démontré que les fonctions de secrétaire au service des relations publiques occupées par la salarié et à fortiori son affectation ultérieure à celui des archives lui confèrent des responsabilités pour l'exercice d'un service public de cet Etat.

L'Etat du Qatar ne saurait encore invoquer l'immunité dont bénéficie M. l'Ambassadeur du Qatar qui n'est pas assigné à titre personnel mais ès qualités de représentant de son Etat, seul intimé dans ce litige.

Il convient par contre d'accueillir la fin de non recevoir soulevé du chef des demandes qui s'analysent comme des mesures d'exécution à savoir les astreintes sollicitées tant pour la délivrance de documents sociaux conformes que pour la mesure de réintégration qui seront déclarées irrecevables.

Sur la nullité du licenciement

L'Etat du Qatar reconnaît avoir reçu l'arrêt de travail pour la période 4/01/2005-19/01/2005, adressé par la salariée en recommandé le 4 janvier 2005 et réceptionné le lendemain.

A supposer que ce document n'ait pas été accompagné du certificat de grossesse établi le même jour, force est de constater que le médecin avait coché la rubrique "en rapport avec un état de pathologique résultant de la grossesse" informant ainsi l'employeur de son état.

En toute hypothèse, le Conseil de la salariée renouvelait cette information par courrier du 5 février 2005 reçu le 7 dont les services de l'ambassade lui accusaient réception.

Aux termes de l'article L1225-4 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa"

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige ne reprochant pas à Fatma Y..., une faute grave, le licenciement n'était autorisé qu'en cas d'impossibilité de maintenir le contrat, un tel motif devant être, d'une part explicité dans la lettre de licenciement, d'autre part démontré devant les juridictions éventuellement saisies.

En l'espèce la lettre de licenciement, après avoir précisé que le comportement de la salariée porte préjudice à la bonne marche du travail, ajoute que c'est la persistance de cette attitude, malgré les mises en garde, qui rendrait impossible son maintien au sein de l'Ambassade.

Une telle analyse tendant à permettre à une "simple" faute disciplinaire d'autoriser le licenciement d'une salariée enceinte ne répond pas aux exigences légales qui supposent la démonstration de circonstances indépendantes du comportement de la salariée touchant au fonctionnement même du service qui l'emploie, se référant à des hypothèses constitutives ou proches de la force majeure.

Il convient en conséquence, infirmant le jugement déféré, de déclarer nul le licenciement entrepris, d'ordonner la réintégration de la salariée, sans astreinte pour les motifs précités, et de lui allouer le montant des salaires échus jusqu'à la date de l'audience.

Sur le rappel de salaires

Les conclusions déposées par la salariée et visées par le greffe ne comportent pas la page 13 comportant une partie du dispositif et l'actualisation de la demande, objet d'un renvoi manuscrit de la page 8.

Néanmoins sa motivation permet de constater qu'elle sollicite le paiement de salaires, sur la base d'un brut de 2.150,77 € du 19 avril 2005 au 22 mai 2008.

Il résulte des pièces produites qu'elle a reçu de son employeur, en dehors d'une somme de 292 € correspondant à sa période de stage, qui ne peut être prise en compte :

- 1.510 € et 100 € les 29 septembre 2004 et 2 novembre 2004,

- 63,07 € le 12 novembre 2004, au titre de complément de salaire d'octobre,

- 1.510 € le 29 novembre 2004,

- 199,49 € le 21 décembre 2004,au titre de complément de salaire sans autre précision,

- 1.510 € le 29 décembre 2004.

Le salaire versé de 1.510 € correspond à un brut de 1.916,19 € qu'il convient de retenir à l'exception des 1.460 € figurant sur l'ensemble de ses bulletins de paie.

Fatma Y... est donc bien fondée à solliciter le paiement d'un complément de 912,38 € pour la période de préavis, peu important qu'elle ait bénéficié de deux mois au lieu d'un prévu par son contrat de travail dès lors que le second avait vocation à être payé au titre du maintien de salaire au titre de sa réintégration.

A compter du 19 avril 2005 et jusqu'au 22 mai 2008, elle doit être déclarée bien fondée à solliciter la somme de 71.010,03 € (1.919,19 x 37), le brut mensuel réclamé de 2.150,77 n'étant pas justifié, les compléments alloués correspondant à des frais professionnels, notamment de téléphone comme elle le précise elle-même.

Fatma Y... ne saurait encore solliciter le rappel de cette indemnité de téléphone pour les mois de novembre et décembre, en l'absence d'engagement contractuel et de toute démonstration d'un usage dans l'Ambassade que contredit son absence de versement à un autre salarié.

Sur la non conformité des bulletins de salaire

Le fait pour un salarié de recevoir des bulletins de salaire ne correspondant à la réalité lui cause nécessairement un dommage qu'il convient d'évaluer à 1.000 €.

Sur la remise de documents sociaux conformes

Elle sera ordonné sans astreinte pour les motifs précités.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

Selon l'article L1154-1, il appartient au salarié d'établir les faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement.

En l'espèce la mutation par la salariée au service des archives ne peut, en l'absence de tout autre élément et notamment d'une comparaison entre les tâches de ce service et celles occupées à partir de son embauche, être considérée comme une "mise au placard" constitutive d'un harcèlement, étant encore observé qu'elle avait sollicité et obtenu un stage dans ces fonctions qui lui avait valu les compliments de son employeur et son engagement ultérieur.

Les documents médicaux produits ne sont pas davantage probants, son gynécologue se bornant à préciser que c'est la patiente qui attribue la complication ophtalmologique constatée à son état de stress et d'anxiété au travail, tandis que l'ophtalmologiste précise que toute nouvelle grossesse présente un risque analogue permettant de constater que l'affection n'est pas, en toute hypothèse uniquement liée à un éventuel stress.

Seul son médecin traitant impute l'affection à un stress au travail.

En l'absence de tout témoignage sur des agissements répréhensibles répétés dont elle aurait été victime, les attestations produites se bornant à préciser qu'elle donnait satisfaction dans son travail et avait un contact agréable, cet avis médical, qui n'est pas complété par une consultation de la médecine du travail ou des services spécialistes de ces questions ne saurait établir la preuve exigée.

Fatma Y... sera donc déboutée de cette prétention.

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande d'allouer à la salariée la somme de 1.500 € de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle

Il résulte de ce qui précède que l'Etat du Qatar ne peut qu'en être débouté.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement déféré ;

Dit le licenciement de Fatma Y... nul et de nul effet ;

Ordonne sa réintégration ;

Condamne l'état du Qatar à payer à Fatma Y... :

- 912,38 € (neuf cent douze euros trente huit centimes) au titre de rappel de préavis,

- 71.010,03 € (soixante et onze mille dix euros trois centimes) au titre de rappel de salaires arrêté au 22 mai 2008,

- 1.000 € (mille euros) au titre de la non délivrance de bulletins de salaires conformes,

- 1.500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne à l'état du Qatar de remettre à la salariée les documents sociaux conformes au présent arrêt ;

Déclare irrecevables les demandes d'astreinte ;

Déboute Fatma Y... de ses autres demandes et l'Etat du Qatar de sa demande reconventionnelle ;

Condamne l'Etat du Qatar aux dépens.

LE GREFFIER : LE PRÉSIDENT :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0139
Numéro d'arrêt : 06/08638
Date de la décision : 01/07/2008

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Créteil, 31 janvier 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-07-01;06.08638 ?
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