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20/05/2008 | FRANCE | N°25

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0091, 20 mai 2008, 25


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère Chambre - Section H

ARRÊT DU 20 MAI 2008

(no 25, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2007/14651

Décision déférée à la Cour : rendue le 24 mai 2007

par l'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS

DEMANDEURS AU RECOURS :

- La société RHODIA, SA

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : Coeur Défense - ...

représentée par la SCP

FISSELIER CHILOUX BOULAY, avoués associés près la Cour d'Appel de PARIS

assistée de Maître Eric DEZEUZE,

avocat au barreau de PARIS

toque T 12

Cab...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère Chambre - Section H

ARRÊT DU 20 MAI 2008

(no 25, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2007/14651

Décision déférée à la Cour : rendue le 24 mai 2007

par l'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS

DEMANDEURS AU RECOURS :

- La société RHODIA, SA

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : Coeur Défense - ...

représentée par la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY, avoués associés près la Cour d'Appel de PARIS

assistée de Maître Eric DEZEUZE,

avocat au barreau de PARIS

toque T 12

Cabinet BREDIN PRAT

...

- M. Jean-Pierre Z...

né le 14 octobre 1950

de nationalité : Française

profession Dirigeant de société

demeurant : Einathweg

14 6370 AURACH - AUTRICHE

élisant domicile à l'étude de Maître Alain FISSELIER - ...

représenté par la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY,

avoués associés près la Cour d'Appel de PARIS

assisté de Maître Jean VEIL,

avocat au barreau de PARIS

toque T 06

Veil Jourde

...

EN PRÉSENCE DE :

- M. LE PRESIDENT DE L'AUTORITE DES MARCHES FINANCIERS

17 place de la bourse

75002 PARIS

représenté par Mme Brigitte GARRIGUES et M. Sébastien B..., munis d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 avril 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :

- Monsieur Didier PIMOULLE, Président

- M. Christian REMENIERAS, Conseiller

- Mme Agnès MOUILLARD, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. Hugues WOIRHAYE, Avocat Général, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.

* * * * * *

La société Rhodia, constituée en 1989 sous la dénomination de Transformations chimiques, est une ancienne filiale de la société Rhône-Poulenc. Ayant pour activités principales la chimie et les fibres et polymères, elle a été introduite sur le Premier Marché à Paris et le New York Exchange le 25 juin 1998, permettant ainsi à la société mère de céder 32,4 % de sa participation. La société Rhône-Poulenc, devenue par la suite Aventis par suite de sa fusion avec Hoechst, a continué à contrôler la société Rhodia jusqu'en octobre 1999 puis a cédé progressivement sa participation pour s'en défaire intégralement en 2006.

En 2000, Rhodia a procédé à deux acquisitions majeures, la société Albright et Wilson (925 millions d'euros) et la société Chirex (569 millions d'euros), cette dernière étant spécialisée dans les services de haute technologie dans l'industrie pharmaceutique. Ces acquisitions ont eu pour conséquence un doublement de l'endettement financier net du groupe, porté à plus de 3 milliards d'euros, et un amortissement des écarts d'acquisition (goodwill) s'élevant, pour la première opération, à 596 millions d'euros sur 35 ans et, pour la seconde, à 491 millions d'euros sur 30 ans après ajustement.

A partir de 2001, la société Rhodia a connu une situation financière délicate, marquée par une perte consolidée de 213 millions d'euros, passée à 4 millions d'euros en 2002, puis à 1351 millions d'euros en 2003. Simultanément, le cours de l'action, de 21,34 euros lors de son introduction en 1998, a baissé régulièrement pour atteindre 7,89 euros à la fin de l'année 2002 et 3,55 euros au 31 décembre 2003.

A l'approche de l'assemblée générale qui s'est tenue le 29 avril 2003, des actionnaires minoritaires ont en vain demandé le départ du président-directeur général, M. Z....

C'est dans ce contexte que, le 18 juin 2003, le directeur général de la Commission des opérations de Bourse (COB) a ouvert une enquête sur l'information financière de la société Rhodia à compter du 31 décembre 2001, étendue le 21 novembre 2003 à la période suivant le 31 décembre 2000, à l'issue de laquelle des griefs de manquements aux obligations d'information du public ont été notifiés tant à la société Rhodia et à M. Z..., qu'à MM C... et D... en leur qualité de commissaires aux comptes, et à M. E... en qualité de membre du conseil d'administration de la société et de président du comité des comptes de la société Rhodia.

Le 24 mai 2007, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (ci-après l'AMF), autorité qui a succédé à la COB en vertu de la loi no 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, a rendu une décision par laquelle elle a :

- prononcé contre la société Rhodia une sanction pécuniaire de 750 000 euros,

- prononcé contre M. Z... une sanction pécuniaire de 500 000 euros,

- mis hors de cause MM E..., C... et D...,

- ordonné la publication de la décision au Bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site Internet et dans la revue mensuelle de l'AMF.

LA COUR :

Vu les recours contre cette décision déposés au greffe de la cour d'appel par M. Z... et la société Rhodia le 20 août 2007, tendant, pour le premier, à l'annulation subsidiairement à la réformation de la décision, pour la seconde, à la réformation de la décision ;

Vu le mémoire déposé le 20 août 2007 par la société Rhodia à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 11 mars 2008, par lequel cette société demande à la cour de réformer la décision en jugeant qu'elle n'a commis aucun manquement au règlement no 98-07 de la COB et en disant en conséquence qu'il n'y a lieu à prononcé d'une sanction à son encontre, et de réparer le préjudice que lui a causé la publication de la décision de la Commission des sanctions en ordonnant, aux frais de l'AMF, la publication de l'arrêt à intervenir au BALO, ainsi que sur le site Internet de l'AMF et dans sa revue mensuelle ;

Vu le mémoire déposé le 20 août 2007 par M. Z... à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 14 mars 2008 , par lequel ce requérant demande à la cour, à titre principal, d'annuler la décision de sanction pour défaut de base légale, à titre subsidiaire, de dire qu'il n'est contrevenu ni aux dispositions de l'article 632-1 du règlement général de l'AMF, ni à celles du règlement COB no 98-07, de réformer partiellement la décision en le mettant hors de cause de tout manquement à la bonne information du marché, en toute hypothèse de réformer la décision en ce qu'elle le condamne à la sanction manifestement disproportionnée de 500 000 euros ;

Vu les observations écrites de l'AMF en date du 21 janvier 2008 ;

Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience ;

Ouï à l'audience publique du 1er avril 2008, en leurs observations orales, les conseils des requérants qui ont été mis en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que les représentants de l'AMF et le ministère public ;

SUR CE :

- sur la base légale de la décision

Considérant que M. Z... poursuit l'annulation de la décision au motif que, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 4 janvier 2007 portant homologation des modifications du livre II du règlement général de l'AMF, l'article 221-1 placé dans le chapitre Ier intitulé "dispositions communes et diffusion de l'information réglementée", ne reprend pas la formule selon laquelle "les dispositions de la présente section sont également applicables aux dirigeants de l'émetteur, de l'entité ou de la personne morale concernée" qui figurait dans la rédaction antérieure, de sorte qu'en vertu du principe de légalité combiné au principe d'application immédiate de la loi plus douce, le dirigeant ne peut plus être sanctionné à raison d'un manquement commis par l'émetteur avant l'entrée en vigueur de cet arrêté, peu important à cet égard qu'un nouvel arrêté du 26 février 1997 soit venu ajouter à l'article 221-1 le membre de phrase que le précédent n'avait pas repris ; qu'il ajoute que si la cour devait estimer que l'article 632-1 du règlement général de l'AMF s'applique aux faits qui lui sont reprochés, elle ne pourrait que constater que l'élément intentionnel requis par ce dernier texte fait défaut ;

Mais considérant qu'il résulte des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, combinés aux articles 1er et 3 du règlement no 98-07 de la COB demeurés applicables jusqu'à leur abrogation par le règlement général de l'AMF homologué par arrêté du 12 novembre 2004, qu'une sanction pécuniaire pouvait être prononcée à l'encontre de toute personne ayant porté atteinte à la bonne information du public par la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse ; que l'article 632-1 du règlement général de l'AMF, homologué par arrêté du 12 novembre 2004, dispose désormais que "toute personne doit s'abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers émis par voie d'appel public à l'épargne au sens de l'article L. 411-1 du code monétaire et financier, y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses" ;

Considérant qu'en l'état de ces textes qui s'appliquent à toute personne, physique ou morale, il n'importe que les dispositions du règlement général de l'AMF relatives à l'information financière des émetteurs, homologuées par l'arrêté ministériel du 4 janvier 2007, aient omis pendant quelques semaines de préciser, à l'article 221-1, que les obligations mises à la charge de l'émetteur s'imposent également aux dirigeants de l'émetteur, de l'entité ou de la personne morale concernée ;

Que toutefois, c'est à juste titre que M. Z... souligne que le principe d'application immédiate de la loi plus douce commande de vérifier si, conformément à l'article 632-1 du règlement général, moins sévère sur ce point, le dirigeant savait ou aurait dû savoir que les informations communiquées étaient inexactes, imprécises ou trompeuses, étant précisé à cet égard que le dirigeant d'une société, par ses fonctions même, est supposé maîtriser la communication de l'entreprise ; qu'il suit de là que, lorsqu'une telle information est communiquée, il doit en principe en répondre à moins que des circonstances particulières, dont il lui appartient de démontrer la réalité, ne l'aient privé de l'exercice, total ou partiel, de ces fonctions, justifiant qu'il en ait légitimement ignoré le caractère fallacieux ;

- sur les manquements

- sur le manquement concernant la situation de la société Chirex en octobre 2003

Considérant, en premier lieu, que la décision impute à la société Rhodia seule, M. Z... ayant démissionné de ses fonctions le 3 octobre 2003, un manquement commis à l'occasion de la communication de cette société, le 30 octobre 2003, sur l'évolution, au second semestre 2003, du chiffre d'affaires de sa filiale, la société Chirex, et ses conséquences, au motif que Rhodia a su, dès le 16 octobre 2003, à la suite d'une réunion entre les représentants de la société Chirex et ceux de la société Astra Zeneca, que cette dernière avait annoncé un nouveau report du lancement d'un de ses médicaments (le Crestor), de sorte que la réalisation du plan d'affaires de Chirex, qui reposait essentiellement sur certains projets liés à ce médicament, connaîtrait un décalage d'un an dans ses prévisions de chiffres d'affaires ;

Considérant que la société Rhodia, qui souligne que l'année 2003 a été particulièrement difficile pour elle en raison de la conjoncture défavorable, objecte, d'une part, qu'elle n'avait aucune raison de communiquer en octobre 2003 sur les questions liées au Crestor, dès lors qu'elle ne pouvait mettre en perspective l'impact hypothétique de cet événement sur la valorisation de Chirex, qu'elle était encore dans l'incapacité d'évaluer précisément, d'autre part, que l'information qu'elle aurait été susceptible de donner sur la vraisemblance d'une dépréciation des activités liées à Chirex était indifférente pour l'appréciation du marché, déjà informé de la gravité de sa situation financière et de la possible rupture des "covenants" (ratios) avant la fin de l'année 2003, de nature à déclencher le remboursement anticipé d'une partie de ses financements bancaires ;

Mais considérant qu'il importait pour le marché de connaître la valeur de la société Chirex, intégrée dans les comptes consolidés de Rhodia, et, partant, ses prévisions d'activité ; qu'il résulte de l'enquête que le plan d'affaires (business plan) de la société Chirex avait dû être revu au moment de l'arrêté de comptes du 31 décembre 2002, eu égard à la dégradation de son activité due à des retards d'homologation par la Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis ; que le nouveau plan reposait essentiellement sur la réalisation de projets, dont celui de la production d'une molécule (BEM) entrant dans la composition du Crestor pour Astra Zeneca ; que, si ce nouveau plan a été jugé "plausible et réalisable" par le cabinet de conseil en stratégie à qui il a été soumis, c'était sous réserve que ne se produisent pas de "mauvaises surprises supplémentaires" et que le nouveau "management" se montre compétent ; qu'ainsi, la fragilité du plan imposait que la survenance de tout événement défavorable soit portée à la connaissance du public de façon exacte, précise et sincère ;

Or, considérant que, si les reports d'homologation par la FDA avaient déjà été annoncés en 2002, le communiqué du 30 octobre 2003 relatif à la situation de "Rhodia Pharma Solutions", appellation du nouvel ensemble réunissant les différentes activités pharmaceutiques de Rhodia dont Chirex, était formulé ainsi :

"RHODIA Pharma Solutions a souffert, comme prévu l'année dernière, des effets négatifs des reports d'homologation de la FDA (Food et Drug Administration). Toutefois, la nouvelle organisation de l'entreprise, mise en place au début de cette année, a permis d'élargir sa base clients et permet d'envisager de nouveaux potentiels de développements significatifs à horizon 2004/2005 sur les segments liés au Custom Manufacturing" ;

Qu'il est constant cependant qu'aucune circonstance ne justifiait cette affirmation optimiste, alors au contraire qu'il résulte du dossier qu'au plus tard au cours de la réunion qui s'était tenue le 16 octobre 2003 avec des représentants de la société Chirex, la société Astra Zeneca avait refusé de s'engager sur les volumes pour la molécule BEM et demandé que les prix soient diminués de moitié par rapport aux prix pratiqués durant le pré-lancement du médicament ; que ce n'est que le 31 décembre 2003 que la société Rhodia a exclu du nouveau "business plan" les ventes attendues de ce produit, M. E... ayant du reste indiqué aux enquêteurs que "le business plan a de nouveau été décalé d'un an du fait du nouveau report annoncé par Astra Zeneca fin octobre" ; qu'enfin, dans son rapport annuel pour 2003, la société Rhodia a justifié la dévalorisation de l'écart d'acquisition de la société Chirex, passé de 354 millions d'euros en 2002 à 74 millions en 2003, non seulement par "le rebond plus lent que prévu pour l'ensemble de l'industrie pharmaceutique", mais aussi par "l'impossibilité de signer de façon certaine et rapide un contrat clé pour le développement de l'activité", ce qui atteste de l'importance de ce contrat pour la société ;

Qu'en cet état, c'est en vain que la société Rhodia, qui a communiqué délibérément le 30 octobre 2003 une information inexacte quant aux prévisions d'activité de la société Chirex, conteste le manquement qui lui est imputé ; que c'est sans fondement également qu'elle prétend qu'une telle communication n'a pas pu induire en erreur les investisseurs, déjà avertis de sa situation passablement dégradée et du risque de rupture de ses concours bancaires, alors que, si le communiqué du 30 octobre 2003 était globalement pessimiste comme les précédents, l'information en cause était le seul élément nouveau qu'il contenait et, étant favorable, avait nécessairement pour effet de présenter comme moins imminente la menace de rupture des concours bancaires ;

- sur le manquement concernant la comptabilisation des actifs d'impôts différés

Considérant que la décision sanctionne la société Rhodia et M. Z... pour avoir communiqué des informations qui n'étaient ni exactes, ni précises ni sincères dans la mesure où la société Rhodia, en violation des règles relatives aux actifs d'impôts différés, n'a pas neutralisé ses actifs d'impôts différés dans ses comptes au 30 juin 2003 ;

Considérant que l'article R. 233-13 du code de commerce dispose que :

"Sont enregistrées au bilan et au compte de résultats consolidés les impositions différées résultant :

1o) Du décalage temporaire entre la constatation comptable d'un produit ou d'une charge et son inclusion dans le résultat fiscal d'un exercice ultérieur ;

2o) Des aménagements et éliminations imposés à l'article R. 233-8, des retraitements prévus au c 2o de cet article et notamment de ceux induits par l'utilisation des règles d'évaluation de l'article R. 233-10 ;

3o) De déficits fiscaux reportables des entreprises comprises dans la consolidation dans la mesure où leur imputation sur des bénéfices fiscaux futurs est probable ;"

Que le paragraphe 310, 6ème alinéa, du règlement du Comité de la réglementation comptable (CRC) no 99-02 du 29 avril 1999 relatif aux comptes consolidés des sociétés commerciales et entreprises publiques ajoute que "les actifs d'impôts différés ne sont portés à l'actif du bilan que si leur récupération est probable", le paragraphe 312 de ce règlement précisant que "les actifs d'impôts différés ne sont pris en compte que : (...) s'il est probable que l'entreprise pourra les récupérer grâce à l'existence d'un bénéfice imposable attendu au cours de cette période ; il est présumé qu'un tel bénéfice n'existera pas lorsque l'entreprise a supporté des pertes récentes au cours des deux derniers exercices sauf à apporter des preuves contraires convaincantes, par exemple si ces pertes résultent de circonstances exceptionnelles qui ne devraient pas se renouveler dans un avenir prévisible ou si des bénéfices exceptionnels sont attendus" ;

Considérant qu'il est constant que la société Rhodia a comptabilisé des actifs d'impôts différés pour 168 millions d'euros au 31 décembre 2001 et qu'elle ne les intégralement dépréciés qu'au 31 décembre 2003 ; qu'il résulte des textes rappelés ci-avant qu'ayant dégagé des déficits au titre de ses comptes consolidés en France de 55 millions d'euros en 2001 et de 72 millions d'euros en 2002, elle était présumée ne pas pouvoir récupérer les actifs d'impôts différés grâce à l'existence d'un bénéfice imposable, à moins qu'il ne soit démontré que ces pertes résultaient de circonstances exceptionnelles qui ne devraient pas se renouveler dans un avenir prévisible ou que des bénéfices exceptionnels étaient attendus ;

Considérant que la société Rhodia et M. Z... prétendent à cet égard que les pertes de l'exercice 2001 résultaient de circonstances exceptionnelles, en ce que la société, qui n'avait jusque là connu que des résultats bénéficiaires :

- a subi une hausse majeure du coût des matières premières, d'environ 100 millions d'euros, exceptionnelle par son ampleur et son caractère ponctuel et au regard des données disponibles à l'époque,

- a mis en oeuvre un programme de restructuration d'une ampleur inédite, pour un montant total de 62 millions d'euros,

- a dû, pour étendre ses capacités de production sur le site de Chalempé, supporter l'arrêt temporaire de cette unité et recourir à un approvisionnement auprès de producteurs tiers, pour un coût de 26 millions d'euros,

- a dû payer une condamnation de 35 millions d'euros au terme d'une procédure d'arbitrage qui l'opposait à deux anciens associés dans une entreprise en Chine ;

Que la société Rhodia précise que, sans ces événements, qui n'avaient pas vocation à se renouveler dans un avenir prévisible, le résultat de son intégration fiscale française au 31 décembre 2001 aurait été bénéficiaire de 33 millions d'euros ;

Que les requérants ajoutent que les prévisions fiscales de la société, qui étaient fondées sur un retournement attendu de la conjoncture et des mesures d'optimisation fiscales et qui avaient été validées par ses commissaires aux comptes, permettaient alors d'escompter un retour à l'équilibre pour 2003 et un résultat bénéficiaire pour les exercices 2004 (51,5 millions d'euros), 2005 (103,5 millions d'euros), et 2006 (181,6 millions d'euros), caractérisant une probabilité suffisante de récupération des actifs d'impôts différés ;

Mais considérant que les circonstances invoquées, soit la variation des cours des matières premières, la nécessité de procéder à des restructurations et de maintenir des capacités de production performantes, voire de faire face à des procès se soldant par des condamnations, relèvent des aléas inhérents à toute activité industrielle, en particulier dans le secteur de la chimie, et ne constituent pas, en elles-mêmes, des circonstances exceptionnelles qui ne seraient pas appelées à se renouveler dans un avenir prévisible, à moins qu'il ne soit démontré qu'elles excédaient, par leur ampleur ou leur consistance, celles habituellement constatées pour l'entreprise en cause ; que les requérants, qui se bornent à cet égard à fournir une liste d'estimations chiffrées pour l'année 2001, sans indiquer le détail ni l'évaluation exacte des événements similaires survenus au cours des exercices précédents, ne démontrent pas en quoi ces circonstances, en particulier les mesures de restructuration et le procès invoqués, dont le coût, rapproché de la dimension de l'entreprise, ne suffit pas à établir le caractère exceptionnel, excéderaient notablement, par leur nature et leur consistance, les efforts habituellement consentis par la société Rhodia ; que c'est donc à juste titre que la décision a refusé de tenir le déficit enregistré en 2001 comme procédant de circonstances exceptionnelles ;

Considérant, en outre, que les requérants, qui font valoir qu'ils espéraient un redressement progressif de la situation de la société, ne prétendent pas qu'ils escomptaient des bénéfices exceptionnels, au sens du paragraphe 312 précité, alors même qu'ils ne contestent pas qu'au 30 juin 2003, leurs prévisions de déficit à périmètre de consolidation constant atteignaient 161 millions d'euros et que d'ailleurs, de fait, la société a réalisé une perte de 361 millions d'euros au 31 décembre 2003 ;

Considérant qu'il suit de là que le maintien des actifs d'impôts différés au 30 juin 2003 n'était pas approprié, de sorte que l'information communiquée sur les comptes semestriels au 30 juin 2003 n'était ni précise, ni complète, ni sincère, ce que tant la société Rhodia que son dirigeant, M. Z..., savaient ou auraient dû savoir, peu important à cet égard l'opinion exprimée par les commissaires aux comptes, au reste plutôt réservée sur cette option ; qu'ayant eu pour effet de présenter une image fallacieuse de la situation de la société Rhodia, cette communication a nécessairement faussé le fonctionnement du marché et nui aux intérêts des investisseurs ; que c'est donc à bon droit que la décision a considéré le grief établi ;

- sur le manquement concernant l'endettement du groupe

Considérant que la décision reproche enfin à la société Rhodia et à M. Z... la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse à propos de la dette nette totale de Rhodia, pour n'avoir pas fait état en 2001, 2002 et 2003 d'engagements hors bilan significatifs tant dans les communiqués de la société que dans les documents de référence ;

Considérant qu'il est constant que la société Rhodia a eu recours à des opérations financières et comptables, licites, permettant de réduire l'endettement financier, tout en entraînant corrélativement une augmentation des engagements inscrits hors bilan, soit :

- la titrisation de créances, technique de mobilisation de créances par le biais d'une entité ad hoc qui finance l'acquisition de ces créances en émettant des titres sur le marché des capitaux, ce qui a pour effet de générer de la trésorerie, cependant que seul le risque final de non-recouvrement des créances cédées est inscrit, hors bilan ;

- la location simple d'actifs, de préférence à des contrats de crédit-bail, qui permet de n'inscrire en charge que le montant des redevances versées, les redevances restant à payer étant inscrites hors bilan ;

Considérant que dans ces conditions, c'est à juste titre que la décision retient qu'une bonne et loyale information du marché requérait que les différents composants de la dette totale, laquelle inclut les éléments hors bilan, fussent portés à la connaissance du public dans des conditions permettant d'apprécier, dans sa continuité, la situation financière et patrimoniale de la société ;

Or considérant qu'aucun des communiqués publiés par la société en 2001, 2002 et 2003, (soit les 2 juin 2001, 26 juillet 2001, 25 octobre 2001, 21 décembre 2001, 29 janvier 2002, 22 avril 2002, 29 avril 2002, 22 juillet 2002, 23 juillet 2002, 25 juillet 2002, 7 octobre 2002, 28 octobre 2002,4 novembre 2002, 9 décembre 2002, 3 janvier 2003, 6 janvier 2003, 5 février 2003, 29 avril 2003, 17 juin 2003, 24 juillet 2003, 25 juillet 2003, 3 septembre 2003, 25 septembre 2003 et 30 octobre 2003) ne fait état de la dette nette totale incluant les engagements hors bilan, le premier communiqué suffisamment précis à cet égard étant celui du 13 février 2004 qui mentionne :

"La Dette Nette s'établit à 2567 millions d'euros à fin 2003 contre 2133 millions d'euros à fin 2002. La Dette Nette totale, incluant des éléments hors bilan, reste quasi stable à 3240 millions d'euros fin 2003 (+31 millions d'euros par rapport à 2002)" ;

Que, de même, les rapports annuels, s'ils mentionnent l'endettement financier net à la clôture, (2 572 millions d'euros en 2001, 2 133 millions d'euros en 2002, 2 567 millions d'euros en 2003), ne chiffrent pas la dette globale ; que les requérants ne peuvent utilement soutenir que cette donnée pouvait être reconstituée à partir des informations figurant en annexe, d'une part, parce que ces informations, relatives notamment aux titrisations de créance et aux locations, étant dispersées, ne sont pas aussi aisément accessibles, d'autre part parce que, ainsi que le souligne l'AMF dans ses observations, elle ne permettent qu'une reconstitution approximative des engagements hors bilan (l'addition des chiffres avancés par la société Rhodia ne correspond pas au total des engagements qu'elle déclare, notamment en 2001 et 2003, et le montant des créances de TVA titrisées, dont M. Z... a déclaré qu'elle s'élevaient à 90 millions d'euros, ne figure pas dans les documents de 2002) ;

Que, cependant, ces engagements hors bilan étaient une composante significative de la dette globale de Rhodia, ainsi qu'il résulte du tableau suivant :

Date

Endettement financier net (en millions d'euros)

Engagements hors bilan (en millions d'euros)

Dette nette globale (en millions d'euros)

31/12/2001

2 572

1 158

3 730

31/12/2002

2 133

1 076

3 209

31/12/2003

2 567

373

3 240

Considérant que cette carence dans la communication de la société ne pouvait être compensée par des présentations trimestrielles destinées à des analystes et journalistes spécialisés, auraient-elles été mises en ligne sur son site Internet, lesquelles en tout état de cause ne sont invoquées qu'à partir de 2002, et ce, d'autant que l'AMF objecte, sans être contredite, que les données figurant dans la présentation des comptes au 31 décembre 2002 dont se prévaut la société Rhodia ne permettent pas de retrouver le chiffre de 1 076 millions d'euros avancé par la requérante elle-même ;

Que, de même, il n'importe pour la caractérisation du manquement que la société Rhodia n'ait jamais dissimulé que les chiffres qu'elle communiquait ne concernaient que l'endettement net dès lors que, ainsi que le retient la décision avec pertinence, les investisseurs, dont les intérêts ont ainsi été lésés, n'ont eu qu'une vision incomplète de la situation financière et patrimoniale de la société, ce que tant cette dernière que son dirigeant savaient ou auraient dû savoir ;

Que c'est donc à juste titre que la décision retient qu'au cours de cette période, la société Rhodia et M. Z... ont enfreint les dispositions de l'article 632-1 du règlement général de l'AMF ;

- sur les sanctions

Considérant que selon l'article L. 621-15, III, c, du code monétaire et financier, en sa rédaction alors applicable, la sanction pécuniaire, dont le montant ne peut être supérieur à 1500 000 euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés, doit être fixée en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ;

Considérant qu'en fixant à 750 000 euros et à 500 000 euros le montant des sanctions respectivement infligées à la société Rhodia et à M. Z..., la commission des sanctions a, en l'absence de profit démontré, procédé à une juste appréciation de la gravité de chacun des manquements en cause, lesquels ont nui aux intérêts des investisseurs en leur présentant une image fallacieuse de la situation de la société Rhodia, dont les titres, inscrits au compartiment A de l'Eurolist d'Euronext, figurent parmi les grandes valeurs du marché français ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens ne sont pas fondés et que les recours doivent être rejetés ;

PAR CES MOTIFS

Rejette les recours formés par la société Rhodia et M. Z... contre la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en date du 24 mai 2007 ;

Condamne la société Rhodia et M. Z... aux dépens ;

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT

Benoit TRUET-CALLU Didier PIMOULLE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0091
Numéro d'arrêt : 25
Date de la décision : 20/05/2008

Analyses

BOURSE - Autorité des marchés financiers - / JDF

Le dirigeant d'une société, par ses fonctions mêmes, est supposé maîtriser la communication de l'entreprise. Lorsqu'une information inexacte, imprécise ou trompeuse, au sens de l'article 632-1 du règlement général de l'AMF, est communiquée par un émetteur, son dirigeant doit en répondre à moins qu'il ne démontre que des circonstances particulières l'ont privé de l'exercice, total ou partiel, de ces fonctions, justifiant qu'il en ait légitimement ignoré le caractère fallacieux


Références :

Décision attaquée : Autorité des marchés financiers, 24 mai 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-20;25 ?
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