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15/04/2008 | FRANCE | N°07/17516

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0281, 15 avril 2008, 07/17516


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

24ème Chambre-Section B

ARRET DU 19 FEVRIER 2008

(no, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2007 / 17516
Jonction avec 2007 / 17549

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Octobre 2007-Tribunal pour enfants de PARIS-RG no K07 / 0224

APPELANTE

Madame AA...X...Hoa Y...
...
75015 PARIS
comparante en personne, assistée de Me Annie Z..., avocat au barreau de PARIS, toque B. 168 et

de Madame A..., interprète en langue vietnamienne, qui a prêté serment

INTIMES

Monsieur Philippe B...
...
75013 PARIS
...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

24ème Chambre-Section B

ARRET DU 19 FEVRIER 2008

(no, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2007 / 17516
Jonction avec 2007 / 17549

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Octobre 2007-Tribunal pour enfants de PARIS-RG no K07 / 0224

APPELANTE

Madame AA...X...Hoa Y...
...
75015 PARIS
comparante en personne, assistée de Me Annie Z..., avocat au barreau de PARIS, toque B. 168 et de Madame A..., interprète en langue vietnamienne, qui a prêté serment

INTIMES

Monsieur Philippe B...
...
75013 PARIS
comparant en personne et assisté de Me Véronique C..., avocat au barreau de PARIS, toque

MONSIEUR LE PRESIDENT DU CONSEIL DE PARIS
AIDE SOCIALE À L'ENFANCE
...
75583 PARIS CEDEX 12
représentée par Me DENIS TRILLARD, avocat au barreau de PARIS, toque G. 252

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 janvier 2008, en audience en chambre du conseil, devant Madame CHADEVILLE, conseiller faisant fonction de président, désignée par ordonnance du Premier Président en date du 21 janvier 2008, pour remplir les fonctions de déléguée à la Protection de l'Enfance, chargée d'instruire l'affaire, Madame D..., désignée par ordonnance du Premier Président en date du 21 janvier 2008 et Madame BOULANGER E..., désignée par ordonnance du Premier Président en date du 15 janvier 2008, en remplacement de Madame SAURON, conseiller empêché, conseillers.

Greffier, lors des débats : Madame F...

Ministère public :

Représenté lors des débats par Madame CATTA, avocat général, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

-contradictoire
-prononcé en Chambre du Conseil par Madame CHADEVILLE, président,
-signé par Madame CHADEVILLE, président et par Madame F...,
greffier présent lors du prononcé.

DÉCISION :

Prise après en avoir délibéré conformément à la loi.

La cour statue sur les appels régulièrement interjetés par Mme G...X...Hoa Y...à l'encontre de l'ordonnance du 4 octobre 2007 du juge des enfants de PARIS qui a :
-confié sa fille Liliane (née le 24 mai 2002) à l'Aide sociale à l'enfance,
-dit qu'elle-même et Monsieur B...bénéficieront dans un premier temps de droit de visite, puis de droit d'hébergement sous le contrôle de l'Aide sociale à l'enfance, sauf à en référer en cas de difficulté,
-dit qu'un rapport sera adressé un mois au plus tard avant l'issue de la mesure,
-ordonné l'exécution provisoire de la décision.

*
* *

Il sera rappelé que du mariage de Monsieur B...et Madame Thi H...Hoa Y...célébré le 27 mars 2000 à Limeil Brévannes, est née Liliane.

Parallèlement à la présente procédure d'assistance éducative, se déroulent :

1) une procédure de divorce qui a donné lieu à plusieurs décisions :

-une ordonnance de non conciliation du 30 septembre 2004, fixant la résidence de Liliane chez sa mère et accordant au père un droit de visite au sein d'un point rencontre,
-un jugement de divorce du 12 septembre 2006 qui a sursis à statuer sur la résidence de l'enfant dans l'attente de la décision de la cour d'appel,
-le jugement du 10 juillet 2007 par lequel le juge aux affaires familiales a fixé la résidence de Liliane chez son père et accordé à la mère un droit de visite médiatisée une fois par semaine, pendant une durée de 6 mois, puis un droit de visite et d'hébergement un week-end sur deux et la moitié des vacances en alternance. Une interdiction de sortie du territoire sans l'autorisation des deux parents était également prononcée,
-un arrêt de la cour d'appel du 17 octobre 2007 infirmant ce jugement, maintenant l'exercice conjoint de l'autorité parentale, fixant la résidence de l'enfant chez la mère à compter de l'arrêt, le père bénéficiant d'un droit de visite et d'hébergement classique et devant régler une contribution mensuelle aux frais d'entretien et d'éducation de sa fille de 300 €.

2) différentes procédures pénales : plusieurs plaintes et main-courantes ont été déposées. Il sera noté que :
-Monsieur B...a interjeté appel d'un jugement du tribunal correctionnel du 4 juillet 2007 qui l'a condamné à 15 jours d'emprisonnement avec sursis et 1. 500 € de dommages-intérêts pour non représentation d'enfant,
-une procédure pénale est actuellement en cours d'instruction pour agression sexuelle à l'encontre de Monsieur B...à la suite de déclarations de Liliane (un administrateur ad hoc a été désigné par le juge d'instruction),
-Madame Y...est poursuivie pour non-représentation d'enfant et placée sous contrôle judiciaire pour n'avoir pas remis Liliane à son père en exécution du jugement du 10 juillet 2007 du juge aux affaires familiales,

3) une procédure en récusation du juge des enfants : par ordonnance du 13 juillet 2007, Monsieur le Président du Tribunal de grande instance de PARIS a désigné Madame I...pour assurer la suite de cette procédure compte tenu de la requête en récusation et suspicion légitime formée à l'encontre de Madame MARAND J.... Par arrêt du 27 novembre 2007, cette demande a été déclarée irrecevable. Finalement, le 13 décembre 2007, Madame K...LOUIS, était désignée pour assurer le suivi de ce dossier.

En ce qui concerne la présente procédure d'assistance éducative, une première procédure était ouverte le 12 novembre 2004 sur requête du Procureur de la république à la suite d'un signalement des services sociaux qui avaient pris l'initiative d'organiser le droit de visite médiatisée accordé au père par l'ordonnance de non conciliation du 30 septembre 2004, au centre d'hébergement (CHRS Rue de Crimée) qui accueillait Madame Y...et Liliane. Il était noté les réactions extrêmes de l'enfant à l'idée de voir son père, criant, pleurant, refusant tout contact avec lui et se réfugiant dans les bras de sa mère ou des travailleurs sociaux puis s'endormant jusqu'à son départ, son état d'angoisse qui persistait pendant plusieurs jours avec parfois une attitude régressive, son refus de s'alimenter et ses vomissements. Une demande de suspension du droit de visite était formulée.

Par jugement du 17 décembre 2004, le juge des enfants disait n'y avoir lieu à assistance éducative, " les demandes des parties relevant d'un conflit d'autorité parentale dont était saisi le juge aux affaires familiales ".

En décembre 2004, Madame B...s'installait au foyer de Charonne et les visites s'organisaient à la Maison de la Médiation.

Le juge des enfants était à nouveau saisi par un courrier du Conseil de Madame Y...du 29 juin 2005 qui communiquait des courriers de la Directrice, du psychologue et de l'assistante sociale du centre d'hébergement faisant état des réactions de Liliane lors des visites de son père et des graves perturbations de son comportement. Par une lettre du 6 juin 2005, la Maison de la Médiation avait par ailleurs indiqué qu'elle suspendait les rencontres, compte tenu de l'ampleur du conflit parental qui plaçait Liliane dans une situation très difficile, jusqu'à ce qu'elle retrouve un équilibre suffisant.

Par courrier du 9 juin 2005, Monsieur B...dénonçait le complot dont il était victime, reconnaissant l'état d'extrême agitation de sa fille mais mettant en cause la responsabilité de son épouse et rapportant qu'avant son enlèvement par la mère le 2 juin 2004, il avait des rapports chaleureux avec elle.

Le rapport d'enquête sociale du 6 mai 2005 adressé au juge aux affaires familiales constatait l'attachement réciproque de la mère et de l'enfant et n'apportait pas d'élément signifiant que le père représentait un danger pour sa fille. Il proposait un droit de visite et d'hébergement classique au profit du père à son domicile avec, en l'absence de consensus parental, la passation de l'enfant à un tiers neutre et digne de confiance qui pourrait être un personnel du centre d'hébergement ou de la future crèche, et ce, pour éviter à l'enfant de se retrouver dans une situation impossible et dommageable où elle continuerait à être un enjeu dont elle ne saurait se dégager.

Par différentes décisions, le juge des enfants tentait d'organiser les modalités du droit de visite du père :
-l'ordonnance du 14 octobre 2005 : chaque mercredi de 13 h 30 à 16 h 30, à charge pour lui de venir chercher sa fille au centre de loisirs que fréquentait Liliane et de l'y ramener (et pour la mère de l'y amener au plus tard à 13 h 15 et de venir l'y rechercher au plus tôt à 16 h 45),
-l'ordonnance du 24 novembre 2005 : chaque mercredi de 10 h 30 à 18 h, à charge pour la mère de remettre Liliane devant le commissariat du 11e arrondissement et de venir l'y rechercher,
-le jugement du 18 janvier 2006 : par un droit de visite et d'hébergement les 1er, 3e et 5e week-ends de chaque mois et la moitié des vacances scolaires avec une prise en charge à l'école. L'exercice de ce droit était émaillé d'incidents, donnant lieu à des mains-courantes, des certificats médicaux pour ecchymoses, pertes de poids, perturbations du comportement de Liliane, puis à un incident violent entre les parents lors de la remise par le père, avec deux jours de retard d'après la mère, à l'issue des vacances de Pâques 2006,
-la cour d'appel suspendait provisoirement ce droit de visite et d'hébergement du père par arrêt du 9 juin 2006 (qu'il n'exerçait plus de sa propre initiative) puis par un nouvel arrêt du 19 janvier 2007, disait que pendant un délai de trois mois, Monsieur B...bénéficierait d'un droit de visite médiatisée qui s'exercerait à L...ALESIA selon des modalités progressives avec possibilité de sortie et selon des modalités à définir avec ce service, à charge pour le juge des enfants, à l'issue de ce délai, de faire le point de la situation.

Parallèlement, plusieurs examens médico-psychologiques éclairaient cette situation :

-le juge des enfants ordonnait une expertise psychiatrique (déposée en novembre 2005) qui constatait que la naissance de Liliane avait accéléré la dégradation du couple caractérisée d'emblée par une mésentente continue. On assistait au-delà de la rupture consommée du couple à une diabolisation du père de la part de la mère qui induisait chez l'enfant des effets de déstabilisation émotionnelle se traduisant par des somatisations et un comportement régressif ; cette position d'enjeu d'un conflit aigu qui la dépassait ne pouvait qu'être dommageable dans l'avenir pour son développement harmonieux tant affectif qu'intellectuel ; Monsieur B...était quant à lui dans une relation étroite avec sa famille qui avait pris une part active dans la vie du ménage et semblait encore sous l'emprise de sa mère. Il fallait donc obtenir, dans l'intérêt bien compris de cette enfant, un apaisement du conflit en cours alimenté par les deux parents. Un travail de thérapie familiale était conseillé.

-les 21 juillet et 7 octobre 2005, Madame M..., ethnopsychologue au Centre Hospitalier Robert Debré, relevait :
-un tableau clinique dépressif pour Madame Y..., avec angoisses existentielles, tremblements, peurs, perte du sommeil et de l'appétit,
-un tableau clinique de l'angoisse pour Liliane avec perte d'appétit, perte du sommeil, troubles réactionnels comportementaux, agressivité, violence verbale, colère envers sa mère, perte de la relation sociale " normale ", puis avec des signes de dépression chez cette enfant précoce qui donneraient à penser qu'elle avait une représentation personnelle du conflit parental sans lien avec ce que sa mère pouvait lui dire.

-le rapport dans le cadre de l'UMJ du Docteur N..., pédopsychiatre, en date du 21 avril 2006 qui relevait que les symptômes présentés par cette enfant à une période fragile de son développement (agitation, exigence, angoisse de séparation, tolérance modérée aux frustrations) pouvaient être imputables à des troubles du comportement en rapport avec un contexte peu sécurisant (conflit parental majeur dont elle était l'enjeu, exigences éducatives du père qui seraient inadaptées pour l'enfant d'après sa mère, coups et faits présumés d'attouchements rapportés par l'enfant) ; il était donc nécessaire qu'une prise en charge pédo-psychiatrique puisse se faire pour Liliane, mais aussi une guidance parentale pour permettre une évolution psychique harmonieuse de cette enfant dans un contexte serein et plus adapté aux exigences des besoins de son âge.

-l'expertise diligentée par le Docteur O..., aux termes de l'arrêt avant-dire droit du 9 juin 2006 sus-visé, qui constatait que la passion empêchait les deux parents de répondre aux demandes de Liliane et de faire face à ses besoins de sécurité. Elle n'était pas carencée comme en témoignaient son développement et sa capacité à faire face au conflit entre les deux personnages fondamentaux de sa construction identitaire, mais son énergie psychique était dépensée au détriment de sa sérénité et de son bien-être. Il était donc à craindre que se développe un mode de fonctionnement de type pervers ; il n'y avait pas d'élément de maltraitance du père ou de la mère mais il était essentiel que le potentiel de Liliane ne soit pas amputé et à défaut, une mise à distance avec le concours d'un service extérieur pour aider les parents à sortir de leur conflit serait nécessaire. Il fallait donc une restauration des compétences parentales des deux parents.

Le suivi de la situation était assuré par :

-une mesure de consultation familiale à compter du 24 novembre 2005 :

Le rapport du 15 juin 2006 expliquait que le service avait rencontré Liliane et sa mère à deux reprises et avait décidé, après avoir rencontré Liliane et son père, de ne pas poursuivre les entretiens père / fille tant ce qu'ils montraient semblait problématique pour chacun d'eux. Les 6 entretiens réalisés-trois de chaque côté-, montraient l'extrême complexité de la relation entre les deux ex-époux toujours empêtrés dans le conflit de l'ancien couple conjugal, amplifié peut-être par un jugement de divorce non prononcé et la situation financière difficile de Mme Y...: Monsieur B...-gérant de société-résidait dans le même immeuble que ses parents et son frère, pharmacien, tandis que Mme Y..., institutrice dans son pays d'origine, se trouvait en foyer et dépendait de la pension versée par son mari. Monsieur B...était ainsi soutenu par sa famille, à l'inverse de Mme Y...; ils restaient dans une dynamique d'accumulation de preuves à charge, afin de disqualifier l'autre parent, comme si l'enjeu était d'amplifier l'incapacité de part et d'autre à s'occuper de Liliane et ainsi d'apparaître comme le bon parent. Liliane avait su inquiéter le service au travers de ses comportements avec chacun de ses parents ; au fil des entretiens, les positions de chacun d'eux, loin de s'assouplir, se rigidifiaient dans une surenchère de disqualification et Liliane était l'instrument du conflit. Elle ne pouvait qu'être tiraillée dans un conflit de loyauté insupportable, l'amenant à se montrer, tantôt comme un bébé avec sa mère, tantôt exigeante, capricieuse, voire autoritaire avec chacun d'eux. Si Mme Y...montrait une réelle inquiétude pour sa fille, elle parvenait à lui mettre des limites nécessaires à ses débordements. Dans le seul entretien père / fille, le service avait été mal à l'aise devant la difficulté de celui-ci à lui poser un cadre, voire de sa panique à s'autoriser à le faire ; il témoignait alors avec beaucoup de souffrance de son incapacité à gérer le quotidien avec elle, tant elle se montrait difficile avec lui, mettant en avant la peur de lui faire mal et les conséquences dans le conflit. En fait, plus il se montrait en difficulté avec elle, plus celle-ci était insécurisée et elle renforçait ces difficultés, ses exigences accentuant le sentiment de son père de ne pas être à la hauteur. On était donc dans une boucle relationnelle et chacun investissait l'espace dans une tentative de se montrer victime de l'autre en accumulant les preuves. Se posait donc la question de la capacité des parents à soulager la souffrance de leur fille.

-. une mesure éducative en milieu ouvert, exercée par l'AVVEJ, qui était régulièrement reconduite à compter du 18 janvier 2006.

Si le rapport éducatif du 4 août 2006 constatait que chaque parent était effectivement dans le reproche de l'autre sur la relation à Liliane sans se préoccuper, malgré les interventions du service, de l'intérêt réel de leur petite fille, ceux des 8 février et 18 mai 2007 formulaient une demande de placement de Liliane. Pour ce service, Madame Y...adoptait une position de façade quand elle disait qu'elle voulait que Monsieur B...exerce son rôle de père ; Liliane n'était toujours pas épargnée de l'environnement conflictuel qu'elle entretenait avec le père ; chacune de ses démarches impliquait Liliane puisqu'il s'agissait de la protéger de la violence du père via des procédures et des expertises. Le service se questionnait donc sur l'image du père qui était véhiculée. La note du 12 juin relevait que, pour des raisons personnelles, Madame Y...ne pouvait accepter et autoriser un lien entre sa fille et son père et Liliane était donc en danger auprès d'elle. La mise en place de visites médiatisées avait réactivé une véritable peur chez elle. Elle avait la certitude d'être en face d'une injustice monumentale ; le service proposait donc un placement très court (2 à 3 mois) au sein d'un foyer éducatif avec un droit d'hébergement pour le père qui pourrait reprendre et s'élargir, et des visites médiatisées pour la mère. La désignation d'un administrateur ad hoc serait souhaitable.

Le rapport de L...ALESIA du 6 juin 2007 expliquait qu'il avait organisé des rencontres père / fille à raison d'une heure tous les 15 jours depuis février. Dans les premières rencontres, Liliane avait manifesté un refus opiniâtre de voir son père ; elle se cachait sous les sièges de la salle de jeux, refusait de répondre, de jouer, de dire bonjour, tirait la langue, boudait, et ce, pendant un temps plus ou moins long ; toutes ces manifestations perdaient de leur intensité jusqu'à disparaître pour laisser place à des attitudes spontanées et confiantes à l'égard de son père. Monsieur B...très affecté par ces manifestations hostiles qu'il interprétait comme des manipulations de la mère, s'efforçait de rester disponible pour elle, de la rassurer sur ses sentiments. Lorsqu'elle oubliait son hostilité ou son devoir d'hostilité, Liliane redevenait une enfant sereine, aux comportements adaptés à son âge et ils partageaient des moments agréables. Madame Y...disait ne pas comprendre ces comportements changeants et tout mettre en oeuvre pour que Liliane passe un bon moment avec son père ; il lui avait été demandé de le redire à Liliane en présence du service, ce qu'elle avait fait avec un certain malaise. Toutefois, il avait semblé qu'après cela, l'attitude de Liliane se soit un peu assouplie. Madame Y...se défendait de toute manipulation de sa fille mais elle faisait part d'un certain nombre d'accusations portées contre Monsieur B...et disait qu'elle se devait de protéger sa fille, tenant donc un discours paradoxal dans lequel Liliane était prise.

Liliane montrait, par son comportement à l'égard de son père et du service, quelque chose d'un mouvement dépressif difficilement géré, mouvement au sein duquel elle oscillait entre des défenses mécaniques de toute puissance et des défenses de retrait, d'inhibition, et la recherche d'assentiment de son père dans le jeu. Il était noté que dans ces moments de jeux, les personnages féminins pouvaient être violemment attaqués par Liliane.

Cet organisme concluait que chacun des parents expliquait les comportements de Liliane à partir d'éléments de réalité ou de subjectivité. Toutes les observations laissaient penser que Liliane était " empêchée " dans la relation avec son père sans qu'on sache la nature de cet empêchement. Elle n'était pas dans l'ambivalence face au parent maltraitant ; c'était tout l'un ou tout l'autre. Le service s'interrogeait quant à ses changements d'attitude au moment où sa mère était présente dans son environnement. L'énergie psychique dépensée pour faire face à cette situation et les effets des défenses utilisées ne pouvaient
qu'entraver son développement et sa construction.

*
* *

A l'audience du juge des enfants du 4 octobre, il était constaté que la mère n'avait pas exécuté la décision du juge aux affaires familiales et la question était posée de savoir où était Liliane. Le Procureur de la république requerrait le placement de la mineure.

C'est dans ces conditions qu'intervenait la décision déférée.

Le 30 novembre 2007 était communiquée au dossier l'expertise psychologique de Madame KATY LORENZO P...désignée par le juge d'instruction chargé de la procédure en non-représentation à l'encontre de Madame Y.... Il était noté que Madame Y...travaillerait maintenant en restauration scolaire dans le 17e ; elle s'était montrée très attachée à dresser un tableau très noir du père de l'enfant ; les tests cognitifs montraient une intelligence normale avec une fixation anxieuse sur la tâche à accomplir, les tests de personnalité et projectifs une personnalité presque envahie pour ne pas dire obsédée par la sexualité. Pour qu'elle soit aussi virulente, il fallait bien que quelque chose du fonctionnement de son ex-mari soit venu " faire sens " avec son passé à elle. Le rapport concluait donc à une problématique anxieuse, trop enfermée avec et par ses démons intérieurs. Se sentant toujours en danger, imaginant toujours le pire, elle projetait ses peurs sur autrui et notamment sa petite fille. Elle devait être soignée car ses peurs l'empêchaient d'être la maman qu'elle désirait être.

Le rapport du foyer des RECOLLETS du 7 décembre 2007 indiquait que Liliane avait été accueillie à compter du 12 octobre 2007, accompagnée de sa mère et sa grand-mère maternelle. Un calendrier des visites était fixé (pour la mère les samedis, les dimanches pour le père, et des visites en alternance les mercredis). La séparation avait été facile, l'avait été moins lors de la 1re visite. Lorsque Liliane avait été avisée de la visite de son père le dimanche, elle avait affirmé qu'elle ne le verrait pas, que c'était tant pis pour lui, tenant des propos très disqualifiants sur lui. Cette attitude de défense et de rejet de son père avait cédé lorsqu'elle avait compris que le cadre des visites serait maintenu et il avait été nécessaire de lui rappeler la décision du magistrat ; la 1re visite avait débuté difficilement puis elle s'était apaisée ; elle avait pu dire ensuite qu'elle avait vu son père avec un plaisir non dissimulé. Elle avait ensuite repéré le rythme et l'alternance des visites. Elle pouvait maintenant rencontrer son père et sa mère avec plaisir sans passer par des attitudes de défi ou d'opposition. Elle attendait les visites et les appels téléphoniques. Il avait cependant été nécessaire de poser un cadre pour ces appels car Madame Y...questionnait sa fille sur les rencontres avec le père (mardi et jeudi pour la mère, lundi et vendredi pour le père).

Il était noté une attitude différente chez Liliane lors des retrouvailles, quittant le groupe joyeusement lors de la rencontre de sa mère et à son approche changeant d'attitude (visage douloureux, pieds qui traînaient, affaiblie et triste, avec de nombreuses plaintes verbales contre l'institution) ; Madame Y...lui faisait part de sa difficulté à être séparée d'elle. Or, elle se montrait dynamique et enjouée sur son lieu de vie. Mme Y...lui apportait à manger parfois de façon disproportionnée ; elles partageaient des moments de jeu, de lecture, de goûter dans une atmosphère apaisée ; Madame Y...lui donnait aussi son bain. Les séparations n'étaient plus aussi déchirantes qu'au début.

Lors des retrouvailles avec son père, il n'y avait pas de changement d'attitude ; Liliane l'accueillait ; Monsieur B...arrivait souvent chargé de cadeaux, ce qui répondait à une forte demande de sa fille. Ils jouaient ensemble ; elle était l'initiatrice de la tonalité de la visite ; elle avait plaisir à montrer les cadeaux de son père ; elle pouvait se montrer autoritaire et débordante ; Monsieur B...avait parfois besoin de soutien pour poser des limites ; il était venu quelquefois accompagné de ses parents, de son frère et de sa belle-soeur et Liliane en avait été contente. Elle se séparait tranquillement de son père.

Le rapport d'évolution du 28 novembre ne relevait pas de difficulté particulière. Dans le groupe, elle dénotait par une théâtralisation dans les échanges qu'elle pouvait avoir avec les adultes ; elle pouvait exagérer la mise en scène de ses joies et de ses peines dans le but de séduire ou d'obtenir ce qu'elle voulait ; elle pouvait maintenant entraîner d'autres enfants dans des bêtises et afficher un réel mépris pour les remontrances. Il concluait que la séparation était donc judicieuse.

La note du 14 janvier 2008 expliquait que Liliane avait finalement passé les fêtes aux RECOLLETS avec des visites supplémentaires pour les deux parents, les autorisations de sortie n'ayant pas été accordées. Les visites se déroulaient dans la continuité. Lors des retrouvailles avec la maman, elle continuait à changer d'attitude, à se plaindre de défaut de soins dans l'institution et la mère semblait accorder du crédit à ses plaintes. Le moment de la séparation restait difficile. Liliane geignait en appelant sa mère. Elle cessait ces manifestations dès le retour sur le groupe. L'équipe était obligée de mettre fin aux appels téléphoniques trop longs.

L'amélioration des relations entre Liliane et son père se poursuivait. Avec sa famille, il se prêtait volontiers aux demandes de jeux de Liliane. Elle pouvait se montrer autoritaire et exigeante en terme de cadeaux. Lors de la séparation, elle lui demandait un cadeau ; récemment et pour la 1re fois, elle s'était séparée de lui avec chagrin. Les échanges téléphoniques étaient centrés sur la vie quotidienne de Liliane.

L'établissement concluait cependant que la neutralité du placement restait très limitée par l'intrusion dans le quotidien de Liliane des différentes procédures.

*
* *

A l'audience de la cour, Madame Y..., assistée de son conseil, demande la remise de sa fille qui a des problèmes de santé et dont les paroles ne sont pas entendues par le foyer. Le père pourrait la voir à l'endroit fixé par le tribunal.

Son conseil, par voie de conclusions et oralement, confirme cette demande de remise. Elle propose une consultation familiale. Monsieur B...ne cesse de créer le conflit. Liliane n'a pas sa place au foyer et Madame Y...lui a beaucoup accordé, la faisant faire beaucoup d'activités. Le danger qui justifie l'intervention du juge des enfants et qui peut motiver une séparation, devait être réel et non hypothétique, certain et non éventuel et le placement doit être exceptionnel ainsi que l'a confirmé l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ; Liliane n'était pas en danger psychologique chez sa mère et les docteurs N'GUYEN et LEDUC l'ont constaté ; aucun élément nouveau n'existe depuis l'arrêt de la cour du 9 janvier 2007. Par contre, depuis son placement, Liliane est en grande souffrance. Son suivi psychologique a été interrompu. Suite à cet arrêt de la cour, le père n'avait encore que des droits de visite médiatisée sans sortie à l'extérieur. Si le droit de visite et d'hébergement est maintenu, elle craint qu'il ne recommence ses maltraitances sur sa fille pour ensuite l'accuser ou accuser l'enfant de menteuse comme il l'a déjà fait. Elle serait donc favorable, dans l'intérêt de Liliane, à un droit de visite dans un lieu de rencontre sous caméra vidéo et en présence d'une tierce personne.

Monsieur B..., assisté de son conseil, constate que c'est son ex-femme qui initie toutes les procédures et fait remarquer qu'en 4 ans, il a peu vu sa fille. Il a du accepter un droit de visite médiatisée pour la protéger et se protéger. A L...ALESIA puis aux RECOLLETS, cela a été terrible puis au fil des visites, la relation devient tout à fait naturelle. Les cadeaux sont là pour compenser et répondre à ses désirs. Il ne peut rien faire ; il subit. Il demande la confirmation de la décision pour un certain temps.

Son conseil souligne que la sonnette d'alarme est tirée depuis 2004 et que les mêmes accusations à l'encontre de Monsieur B...sont reprises à l'encontre du foyer. Dès qu'on ose dire que Liliane aime son père, on a une réaction destructrice. On a essayé en vain de calmer les procédures.

Le conseil de Liliane explique qu'elle a pu voir Liliane avant l'audience chez le juge d'instruction et a pu être le témoin de sa métamorphose : une petite fille pleine d'humour, intelligente, qui veut aller chez sa maman mais disait être heureuse comme cela, puis une petite fille qui débite un tas de choses sur son père avec une souffrance manifeste, puis ensuite une petite fille qui dit s'être trompée ; elle a souffert de ses parents et de ce placement.

Le conseil de Monsieur le Président du Conseil Général souhaite la confirmation de la décision déférée.

Madame l'Avocat général fait trois observations tenant au nombre effarant de mesures prises, à la spirale dans laquelle les parents ont été aspirés, incapables de régler un problème par eux-mêmes sans la justice, au moindre mal que représente ce placement. Quand cette enfant dit qu'elle est bien dans ce foyer, il faut donc l'entendre. Il y a une réalité, une histoire, notamment de la mère, douloureuse, un conflit parental très violent sur fond de pratiques sexuelles. Elle requiert la confirmation du placement et souhaite que les deux parents acceptent de rencontrer ensemble un psychiatre pour sortir du judiciaire.

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR,

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus rapportés et débattus devant la cour qu'aucune des expertises diligentées n'a permis aux deux parents de dépasser leur mésentente persistante qui renvoie à un conflit de couple plus ancien, mais aussi à des histoires personnelles complexes, et de réfléchir sur ce qu'exige l'intérêt de leur fille ; que les mesures éducatives prises depuis 4 ans environ n'apparaissent plus suffisantes pour assurer la protection de cette mineure dès lors qu'elles sont vécues comme prenant partie pour un camp ou un autre ; que s'il est indéniable que Mme Y...a fait beaucoup d'efforts sur un plan personnel et pour que sa fille puisse bénéficier d'une bonne éducation malgré ses moyens limités, mettant également en place une thérapie pour chacune d'elles, et si Liliane apparaît comme une petite fille intelligente, tous les médecins et experts ont mis en garde contre les difficultés de son développement intellectuel, social et affectif et les risques encourus du fait de ce conflit parental massif pour la formation de sa personnalité, le Docteur O...ajoutant clairement qu'à défaut d'un ressaisissement des parents, une mise à distance serait nécessaire ; qu'en dépit de ces avertissements, aucun apaisement, aucun effort n'a été constaté de la part des deux parents, titulaires de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, pour trouver un compromis, chacun se considérant victime de l'autre, cherchant à démontrer la faute de l'autre et rejetant sans cesse la responsabilité sur l'autre ; que la multiplication des incidents et des procédures pénales mettent de plus en plus Liliane dans une position d'enjeu mais aussi d'actrice de ce conflit parental ; que le non-respect de la décision de justice par Madame Y...et l'interrogation sur le lieu où se trouvait Liliane posent la question des limites de ce conflit et des limites à respecter dans l'intérêt de cette jeune enfant ; que les conditions d'éducation et de développement de Liliane se trouvaient donc de plus en plus gravement compromises et qu'il était donc nécessaire de la retirer de son milieu actuel ;

Considérant que depuis ce placement, l'observation de Liliane montre une petite-fille qui peut établir des relations chaleureuses avec chacun de ses parents mais qui peut aussi tirer profit des situations, des positions des adultes et mettre en scène ce conflit avec sa propre perception, dans une répétition même de certains comportements relevés dans le passé ; que les deux parents, empêtrés dans leur conflit, se trouvent ainsi en difficulté sur un plan éducatif devant la toute-puissance qu'elle manifeste ;

Que dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée, ce placement permettant à Liliane de retrouver sa place d'enfant et une mise à distance de ce conflit pour faire une meilleure évaluation du travail thérapeutique ou de la médiation à mettre en oeuvre avec elle et chacun des membres de la famille ; que cette demande de remise apparaît donc prématurée, même avec le soutien d'une nouvelle mesure éducative ;

Considérant qu'en ce qui concerne la suppression du droit de visite et d'hébergement de Monsieur B..., il y a lieu de constater que seul un droit de visite est actuellement exercé et que le juge des enfants a prévu que l'ouverture vers un droit d'hébergement pourra se faire en concertation avec l'Aide sociale à l'enfance, à charge d'en référer en cas de difficulté ; qu'il ne résulte pas de la procédure que Monsieur B...ait été mis en examen à la suite des allégations de sévices sexuels et ait interdiction de recevoir sa fille ; que cette demande sera donc rejetée et que l'ordonnance entreprise sera confirmée sur ce point ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT en chambre du conseil, contradictoirement,

Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 07 / 17549 et 97 / 17516,

REÇOIT les appels de Madame Y...,

CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

ORDONNE le retour de cette procédure au juge des enfants de PARIS,

LAISSE les dépens à la charge du trésor public.

LE PRESIDENT, LE GREFFIER,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0281
Numéro d'arrêt : 07/17516
Date de la décision : 15/04/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal pour enfants de Paris, 04 octobre 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-04-15;07.17516 ?
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