RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D' APPEL DE PARIS
22ème Chambre C
ARRET DU 27 mars 2008
(no, 6 pages)
Numéro d' inscription au répertoire général : S 05 / 04725
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 janvier 2005 par le conseil de prud' hommes de Paris- section encadrement- RG no 04 / 01456
APPELANTE
SAS ROHM AND HAAS FRANCE
Tour de Lyon
...
75012 PARIS
représentée par Me Emilie ZIELESKIEWICZ, avocat au barreau de LYON
INTIME
Monsieur Alain X...
CHEZ MME Y...MARTINE
...
72220 TELOCHE
comparant en personne, assisté de Me Florence Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : T. 02
COMPOSITION DE LA COUR :
L' affaire a été débattue le 14 février 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean- Michel DEPOMMIER, Président
Madame Françoise CHANDELON, Conseiller
Madame Evelyne GIL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Francine ROBIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Françoise CHANDELON, conseiller
- signé par Madame Françoise CHANDELON, conseiller, par suite d' un empêchement du président et par Mme Francine ROBIN, greffier présent lors du prononcé.
Vu l' appel régulièrement interjeté par la société ROHM AND HAAS FRANCE à l' encontre d' un jugement prononcé le 5 janvier 2005 par le Conseil de prud' hommes de PARIS, qui a refusé d' accueillir sa demande d' annulation du protocole transactionnel en date du 13 novembre 2003 et de lui restituer les sommes correspondantes, allouant au salarié une indemnité de 400 € sur le fondement de l' article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu l' arrêt de cette chambre en date du 11 janvier 2007 ayant sursis à statuer jusqu' au prononcé de la décision pénale à intervenir sur la plainte déposée par l' employeur à l' encontre de son salarié du chef de corruption ;
Vu le jugement aujourd' hui définitif prononcé le 4 juillet 2007 par le Tribunal Correctionnel de Paris condamnant Alain X...à la peine de 4 mois d' emprisonnement avec sursis pour faits de corruption passive pendant la période du 20 février au 30 décembre 2001 ;
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l' audience, aux termes desquelles,
La société ROHM AND HAAS FRANCE, appelante, poursuit l' infirmation du jugement déféré, sollicite l' annulation de la transaction conclue avec Alain X...le 13 novembre 2002 pour vice de son consentement et la restitution, sous astreinte, de l' indemnité transactionnelle versée d' un montant de 218. 174, 51 € outre le paiement d' une indemnité de 7. 000 € sur le fondement des dispositions de l' article 700 du nouveau code de procédure civile.
Alain X..., intimé, conclut à la confirmation du jugement et sollicite une indemnité de 3. 000 € en application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile,
CELA ETANT EXPOSE
Par contrat à durée indéterminée du 19 avril 1979, Alain X...a été embauché par la société ROHM AND HAAS FRANCE en qualité d' ingénieur technico commercial.
A compter de l' année 1989, il était chargé de la vente de biocides (produits chimiques destinés à contrôler ou à détruire les micro organismes présents dans différents milieux aqueux), accédant, le 7 janvier 1998, au poste de Directeur d' Unité Biocides Europe qu' il occupait jusqu' au 31 décembre 2001.
Dans le cadre de ses dernières fonctions, Directeur division peintures en poudre Europe, il était amené à mettre en place un nouveau système informatique SAP engendrant une surcharge exceptionnelle de travail.
Du 10 janvier au 10 septembre 2003 il était en arrêt de travail, victime d' une dépression.
Le 28 octobre 2003, son employeur le licenciait au motif qu' il ne souhaitait pas réintégrer son dernier poste.
Il contestait ce licenciement, exposant avoir été remplacé en son absence et imputant la mesure prise à son endroit par le fait qu' il n' y avait aucun poste disponible pour lui, ayant atteint le niveau hiérarchique 880, le plus élevé dans la classification conventionnelle.
C' est dans ce contexte qu' une transaction intervenait le 13 novembre 2003 comportant les dispositions suivantes :
- paiement d' une indemnité de préavis, avec dispense d' exécution, pour la période du 29 octobre 2003 au 29 janvier 2004,
- paiement du 13ème mois de l' année 2003, des congés payés acquis, du prorata de prime de vacances pour l' année 2004,
- paiement de l' indemnité conventionnelle de licenciement d' un montant de 165. 635, 53 € nets,
- versement d' une indemnité transactionnelle de 218. 174, 51 €,
- prise en charge des honoraires d' un Cabinet d' outplacement pendant une année,
- maintien des bénéfices de la mutuelle pendant une année.
Les indemnités prévues par le protocole étaient réglées pour partie à sa signature et pour partie après l' audience de conciliation, selon l' engagement pris par la société ROHM AND HAAS FRANCE devant le Bureau.
Le 16 janvier 2004, M. A..., qui avait repris la direction d' unités biocides Europe, apprenait de la société AQUAREX- ARCIE, venant aux droits de la société COPACINOR, qu' Alain. X...avait touché, comme dirigeant d' une société SEP, la somme de 383. 000 F, comme solde de tout compte lors de la liquidation de cette entreprise et qu' une société KEA, succédant à la société SEP, avait obtenu la poursuite de relations contractuelles de même nature.
C' est dans ce contexte que par courrier du 22 janvier 2004, la société ROHM AND HAAS FRANCE notifiait à Alain X...qu' elle considérait la transaction conclue comme nulle et non avenue et engageait une nouvelle procédure, le licenciant pour faute grave le 28 janvier 2004.
Le 19 février 2004, la société ROHM AND HAAS FRANCE déposait plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des Juges d' instruction de Paris.
Le 4 juillet 2007, le Tribunal correctionnel condamnait Alain. X...dans les termes précités, allouant à la société ROHM AND HAAS FRANCE la somme de 1. 000 € de dommages intérêts pour préjudice moral outre une indemnité du même montant sur le fondement de l' article 475- 1 du code de procédure pénale.
SUR CE
Il résulte de la motivation du jugement du Tribunal correctionnel :
- que le 2 mai 1996 la société " COPACINOR ", aux droits de laquelle viendra ultérieurement la société " AQUAREX- ARCIE " et Alain X...ont créé la société en participation " SEP de Conches " dont les statuts précisaient qu' elle ne pouvait être révélée aux tiers, ne constituait pas une personne morale et ne produisait d' effet qu' entre les associés,
- qu' au cours de l' année 2000, un contrôle fiscal de la société " COPACINOR " mettait en évidence les fonds perçus par Alain X...malgré l' absence d' activité économique de la société en participation,
- que dès la dissolution de cette dernière, par acte sous seing privé du 25 mai 1999, Alain X...créait avec son épouse, unique associée et gérante, une SARL " KEA " ayant pour objet les achats et ventes de produits industriels et de composition courante,
- que le 9 juillet 1999 un contrat de communication de savoir faire était signé entre cette société et la société " COPACINOR ", rémunéré par cette dernière par une redevance de 6 % du chiffre d' affaire net réalisé sur la vente de ses produits,
- qu' entre 1999 et 2001, la société KEA recevait ainsi plus d' un million de francs, reversé pour partie à Alain X....
- qu' un des dirigeants de la société " COPACINOR " confirmait la quasi- inexistence des prestations tant d' Alain X...que de la société KEA et le souhait de la nouvelle société " AQUAREX- ARCIE ", née de sa fusion avec la société AQUAREX, de mettre un terme à cette " collaboration ".
- que les témoignages recueillis au sein de la société ROHM AND HAAS FRANCE permettaient en outre de constater la mauvaise qualité des prestations du distributeur COPACINOR ".
Constatant que la poursuite de la collaboration entre la société ROHM AND HAAS FRANCE et la société " COPACINOR " avait été facilitée par Alain X...qui en tirait profit par l' intermédiaire de la société KEA (la juridiction ne pouvant examiner les contrats conclus avec la société " SEP de Conches " prescrits lors de sa saisine), le tribunal le déclarait coupable des faits de corruption commis entre le 23 juin et le 12 septembre 2001.
Sur la force de chose jugée attachée au jugement pénal
Alain X...soutient principalement que la demande de la société ROHM AND HAAS FRANCE se heurterait à l' autorité de la chose jugée dès lors qu' elle a été déboutée de sa demande d' indemnisation d' un préjudice matériel chiffré dans ses conclusions de partie civile à la somme de 410. 623 €, correspondant aux montants perçus par le salarié au titre du préavis, de l' indemnité conventionnelle de licenciement et de l' indemnité transactionnelle, toutes sommes auxquelles il n' aurait pu prétendre dans le cadre du licenciement pour faute grave qui aurait nécessairement été prononcé si l' employeur avait connu en temps utile ses malversations.
Le jugement pénal statue en ces termes sur l' action civile :
" DECLARE recevable, en la forme, la constitution de partie civile de ROHM AND HAAS FRANCE SAS.
DECLARE irrecevable au fond la constitution de partie civile de ROHM AND HAAS FRANCE SAS s' agissant des réclamations s' attachant au préjudice matériel (versement des sommes à la suite de l' accord du 13 novembre 2003) "
Il résulte de ces motifs que la recevabilité de la demande n' a été examinée qu' au regard de son absence de lien avec l' infraction pénale.
Elle n' a dès lors pas d' autorité de la chose jugée dans cette instance où elle est invoquée sur le fondement du dol ayant vicié le consentement d' une des parties signataire d' une convention.
Ce moyen ne saurait donc prospérer.
Sur l' existence d' un vice de consentement
Il est constant qu' ainsi que le soutient Alain X..., la cause du licenciement s' apprécie à la date de sa notification et que les faits commis antérieurement ne permettent pas de remettre en cause les droits acquis par le salarié ni de modifier la qualification initiale en substituant une faute grave à la cause réelle et sérieuse retenue.
Il en résulte que la société ROHM AND HAAS FRANCE ne saurait remettre en cause les indemnités afférentes au licenciement entrepris.
Il convient d' ailleurs de constater qu' elle s' est toujours bornée à solliciter, dans le cadre de cette instance, la restitution de la seule indemnité transactionnelle.
Sauf à considérer que l' article 2053 du code civil ne peut jamais être invoqué par un employeur, qui a, par hypothèse, conclu la transaction critiquée après avoir licencié le salarié et pour en régler les conséquences, ce qui ne résulte d' aucune disposition légale, la convention doit pouvoir être rescindée dans les conditions prévues par ce texte et sous réserve d' établir que connaissance prise du comportement du salarié l' employeur n' aurait pas envisagé de lui allouer des avantages allant au- delà de ses droits acquis, en l' espèce, versement d' une somme de 218. 174, 51 € et maintien pendant 12 mois du bénéfice de la mutuelle de l' entreprise.
Il sera démontré que le salarié a commis un dol, non pas en s' abstenant de révéler à son employeur qu' il avait obtenu du distributeur " COPACINOR " des avantages ayant pour seul objet de préserver le contrat liant cette société à son employeur, nul n' étant contraint de dénoncer ses propres exactions comme le soutient le salarié mais en lui certifiant à plusieurs reprises qu' il respectait le code d' éthique en vigueur dans l' entreprise, de sorte que l' employeur n' a pas traité avec la personne qu' il croyait connaître.
Sur la violation du code d' éthique en vigueur
La circonstance évoquée par Alain X...que ce code était rédigé en langue anglaise et n' avait pas suivi les conditions de mise en oeuvre requises pour les règlements intérieurs auxquels il est assimilé est sans incidence en l' espèce dès lors qu' en décembre 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002, il a signé un texte identique libellé comme suit :
" I have reviewed and understand the Code of Business Conduct. I hereby confirm that during (suit l' année de référence) :
1) I have complied with the Code... "
permettant de constater qu' il avait une parfaite connaissance de son contenu dont il avait compris les termes.
Or, le tribunal correctionnel a jugé qu' il créait, en 1999 une société dont le seul objet était de percevoir des rémunérations occultes et sans contrepartie du distributeur de son employeur en parfaite infraction avec l' article 4 l' invitant à éviter toute activité personnelle, investissement, association ou participation susceptible d' interférer de près ou de loin avec les intérêts de la Société... Les employés de la Société, les membres de leur famille ou leurs amis ne peuvent en aucun cas tirer profit de leur relation avec ROHM AND HAAS à des fins personnelles... Toute situation susceptible d' entraîner un conflit d' intérêts doit être signalée immédiatement au Directeur juridique... En cas de doute dans n' importe quelle situation, tous ont l' obligation d' en parler immédiatement...
A la suite du jugement du tribunal correctionnel mettant en évidence son comportement délictueux, d' où il a tiré un profit de 400. 000 €, contesté, mais qui ressort des pièces communiquées par l' employeur, la somme inférieure mentionnée dans la décision précitée s' expliquant par la prescription de son activité au sein de la société SEP de Conches, il ne peut encore sérieusement soutenir n' avoir pas pris conscience de l' existence de ce conflit d' intérêt.
Il ne saurait davantage évoquer utilement le cas de M. B..., actionnaire de la société " COPACINOR ", dont la Cour a déjà souligné, dans sa précédente décision, qu' elle n' était pas comparable à la sienne, ce cadre, qui n' avait pas de fonction en rapport avec le domaine dans lequel oeuvrait le distributeur, ayant pourtant, spontanément, fait part à l' employeur de ses liens avec lui.
L' attitude dolosive du salarié stigmatisée par l' employeur doit donc être retenue.
Il peut également être considéré que l' employeur a commis une erreur sur la personne de son cocontractant, hypothèse visée par le premier alinéa du texte précité.
Sur l' erreur sur la personne
Le motif du licenciement prononcé résulte du refus imputé au salarié de reprendre ses anciennes fonctions à l' issue de son congé maladie.
Dans un tel cadre et sans supposer, dès lors que le salarié le conteste, qu' il s' agissait d' un départ négocié, l' employeur pouvait avoir une certaine bienveillance pour un cadre de haut niveau ayant 23 années d' ancienneté et une conduite irréprochable jusqu' à son retour de maladie au surplus provoqué par une surcharge exceptionnelle de travail liée à l' introduction dans l' entreprise d' un nouveau système informatique, pouvant l' avoir " usé ".
Si le profil de ce salarié pouvait l' inciter à lui consentir une indemnisation conséquente correspondant à deux années de salaires, il est évident qu' il n' aurait pas accepté de transiger dans ces termes avec un salarié corrompu.
Il apparaît ainsi qu' il a commis une erreur sur la personne de son cocontractant, au sens de l' article 2053 du code civil en son premier alinéa, permettant d' accueillir la demande en annulation de la transaction.
Le jugement sera donc infirmé et Alain X...condamné à restituer l' indemnité transactionnelle perçue de 218. 174, 51 € sans qu' il y ait matière à assortir cette condamnation d' une mesure d' astreinte.
Sur l' application des dispositions de l' article 700 du Code de procédure civile
L' équité commande d' allouer la somme de 1. 000 € de ce chef à Alain X....
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré ;
Annule la transaction conclue entre les parties le 13 novembre 2003 ;
Ordonne à Alain X...de restituer à la société ROHM AND HAAS FRANCE le montant de l' indemnité de 218. 174, 51 € (deux cent dix huit mille cent soixante quatorze euros cinquante et un centimes) allouée ;
Condamne Alain X...au paiement d' une indemnité de 1. 000 € (mille euros) sur le fondement des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile ainsi qu' aux dépens.
LE GREFFIER : LE PRÉSIDENT :