Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1ère CHAMBRE - Section N
REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES
DECISION DU 27 FEVRIER 2008
No du répertoire général : 07/00066
Décision contradictoire en premier ressort
Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée au greffe le 8 janvier 2007 par Maître Janine QUEMOUN assistante de Maître Paul QUEMOUN, avocat de Monsieur Gaston X..., demeurant ... Franco 62200 BOULOGNE SUR MER ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du requérant notifiées par lettre recommandée avec avis de réception;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 30 janvier 2008 ;
Vu la présence de Monsieur Gaston X... ;
Ouï, Monsieur Gaston X..., Maître Paul QUEMOUN, avocat assistant Monsieur Gaston X..., Maître Gauthier Y..., avocat plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocats associés représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 30 janvier 2008, le requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
* *
Monsieur X..., né le 28 février 1948, a été mis en examen du chef de blanchiment aggravé. Il a été placé en détention provisoire le 21 octobre 2004 et mis en liberté sous contrôle judiciaire le 17 décembre 2004. Il a fait l'objet d'une décision de relaxe par jugement du 14 septembre 2005 décision confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2006, après, donc, une incarcération de 58 jours, cette décision étant définitive.
Par requête déposée le 8 janvier 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, suivie de conclusions du 13 septembre 2007, Monsieur X... fait valoir :
- S'agissant de son préjudice économique :
qu'il a perdu toute situation, a perdu son véhicule, qu'il a été contraint de restituer à la banque qui avait financé son acquisition, qu'il a dû restituer au bailleur son appartement situé à Paris, faute de pouvoir payer son loyer, a perdu les meubles de cet appartement, a déposé au crédit municipal des objets de valeur qu'il n'a pu récupérer, faute de moyens, a vendu une montre d'une valeur de 2.000 € pour 250 €, a perdu la société qu'il avait créée, dissoute par la force des choses, n'a plus eu de revenus autre que des indemnités de chômage et des aides sociales, qu'il a dû emprunter à une amie une somme de 3.320 €, qu'il a les plus grosses difficultés à rembourser.
Il précise, s'agissant de son préjudice matériel, qu'il était dû par lui au moment de son incarcération, non un retard de loyer, mais l'encours qui devait être payé entre le 15 et le 20 de chaque mois,
qu'il n'y avait pas d'incidents de paiement s'agissant de son véhicule, ayant renégocié son plan de remboursement pour alléger les mensualités, qu'il a subi d'autres dégâts : ordinateur endommagé par les policiers, agenda percé, comptes bancaires bloqués.
Il évalue ce préjudice matériel distinct à 40.000 €.
- S'agissant de son préjudice moral
qu'il est atteint d'une maladie grave qui nécessite un traitement lourd ; que le stress et l'angoisse occasionnés par cette affaire n'ont fait qu'aggraver son état de santé qui constitue un lourd handicap pour un redémarrage professionnel ; qu'il a perdu toute crédibilité professionnelle, ayant été courtier financier, à la suite de la publicité donnée à cette affaire; qu'il se retrouve dans une situation économique catastrophique, que ses enfants lui ont tourné le dos, que son fils ne lui permet plus de voir son petit-fils.
S'agissant de son état de santé, il précise les conditions dans lesquelles sa maladie s'est aggravée pendant sa détention ; il ajoute qu'il a été hospitalisé d'urgence après avoir été libéré pour une pluricardite et une péricardite, l'aggravation de son état de santé étant à l'origine de cette hospitalisation.
Il évalue ce préjudice moral à 35.000 €.
Dans ses conclusions des 24 juillet et 13 novembre 2007, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :
- S'agissant du préjudice moral :
que les justificatifs produits par le requérant ne permettent pas d'établir sa situation de santé lorsqu'il a été placé en détention et l'influence de cette détention sur sa maladie ; que la perte de crédibilité professionnelle et la situation économique du requérant ne peuvent être invoquées à la fois au titre du préjudice économique et au titre du préjudice moral ; que la publicité donnée à l'affaire, distincte de la détention, ne peut donner lieu à indemnisation; que les difficultés familiales invoquées apparaissent liées à l'information et à la nature des faits reprochés ; que ce préjudice peut être indemnisé par l'allocation d'une somme de 2.500€.
- S'agissant du préjudice matériel invoqué :
que la situation professionnelle du requérant, lors de son placement en détention, n'est pas établie, pas plus que ne le sont ses revenus ni l'influence qu'a pu avoir sa détention sur son activité professionnelle et ses revenus ; que si un préjudice matériel était démontré, il ne serait lié qu'à la nature des infractions reprochées à Monsieur X... et aux nombreuses irrégularités mises à jour dans sa pratique professionnelle ; que l'absence de remboursement, par le requérant, d'un emprunt bancaire destiné à financer un véhicule trouve son origine dans un premier incident de paiement antérieur à son interpellation et est sans lien avec sa détention provisoire ; que, de même, les difficultés du requérant à payer son loyer sont antérieures à sa détention ; qu'il en est de même de ses difficultés financières; que l'indemnisation de dirigeants de sociétés suppose qu'ils démontrent l'incidence de la détention sur leur patrimoine personnel.
Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable,
- S'agissant du préjudice matériel :
que le requérant n'établit pas de lien entre sa détention et la perte de sa profession et de sa société, dont l'origine semble bien plus liée à la nature des faits qui lui ont été reprochés, à l'information et à la médiatisation des faits ; qu'au regard d'une audition du requérant, il apparaît que ce dernier n'avait pas, au moment de son incarcération, de revenu légal, de sorte qu'il ne peut obtenir réparation au titre d'une activité révélant une fraude à la loi ; que sa détention semble, cependant, avoir eu des conséquences, au moins partielles, sur le paiement de ses loyers, sur le remboursement de son véhicule et sur sa situation financière, le principe d'une réparation devant être retenu ; que la médiatisation de l'affaire ou les dommages "collatéraux" invoqués par le requérant ne peuvent donner lieu à indemnisation;
- S'agissant du préjudice moral :
qu'il doit être tenu compte de la durée de la détention, de ce qu'au moment de son incarcération, le requérant était âgé de 56 ans, était séparé de son épouse, avait trois enfants, l'un étant décédé en 1989 et les deux autres étant nés en 1973 et 1979, de ce qu'il s'agissait d'une première incarcération, de ce que les conditions de détention ont été plus difficile pour une personne atteinte d'une grave pathologie et de ce que, selon un certificat médical produit par le requérant, cette pathologie a connu une progression significative pendant la détention.
SUR QUOI,
Sur la requête
Attendu que la présente requête est recevable au regard des dispositions des articles 149 à 149-2 du Code de procédure pénale ;
Sur le préjudice matériel
Attendu que, s'agissant d'un préjudice relatif à la perte d'un véhicule automobile, le requérant produit un jugement qui fait état d'un premier incident de paiement au mois de mars 2004, soit 7 mois avant à son placement en détention ; que le lien entre cette détention et la perte de ce véhicule n'est pas établi ;
Que Monsieur X... justifie qu'il a cessé de payer son loyer pendant trois mois à compter du 1er octobre 2004, soit avant, pendant et après son placement en détention, avant que de solder sa dette de loyer le 31 décembre 2004, puis d'interrompre à nouveau ses paiements à compter du mois de mars 2005 jusqu'au mois de juin suivant ; que s'il justifie du fait qu'il a été destinataire d'une sommation de payer du 13 septembre 2006, il ne produit aucun document qui confirmerait la restitution à son bailleur de son appartement situé à Paris, faute de pouvoir payer son loyer, la perte de cet appartement ou de ses meubles à raison de sa détention ;
Que, si Monsieur X... justifie avoir, après avoir été remis en liberté, déposé au crédit municipal des objets, avoir vendu une montre de valeur et avoir perçu, en 2005, diverses aides sociales, il ne produit aucun document justifiant de la perte d'une société qui aurait été légalement la sienne, ni des ressources régulières qui auraient été les siennes avant que d'être incarcéré ; que la production, par le requérant, de cartes de visite, à ce sujet, est insuffisante ;
Que les déclarations de Monsieur X..., faites en cours d'enquête, selon lesquelles il était gérant de fait d'une société, ne permettent pas de faire droit à sa demande d'indemnisation d'une perte de ressources devant être régulières ;
Qu'à cet égard, le jugement ayant prononcé la relaxe du requérant souligne que ce dernier, quoi que n'ayant pas fait l'objet de poursuites pénales à cet égard, n'a pas respecté les règles de sa profession d'intermédiaire bancaire au regard de ses conditions de rémunération ;
Qu'il résulte de ce qui précède que la réparation d'une perte de revenus réguliers pendant le cours de l'incarcération du requérant ne peut être ordonnée ;
Attendu que les préjudices "collatéraux" dont se plaint le requérant : "ordinateur endommagé par les policiers, agenda percé, comptes bancaires bloqués" ont pour origine l'enquête et l'information préalable à son jugement, mais non la détention qu'il a subie ;
Qu'il n'y a, donc, lieu à indemnisation de ce chef ;
Sur le préjudice moral
Attendu que le choc carcéral incontestable qu'a subi Monsieur X..., du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ;
Que le requérant était âgé de 56 ans lorsqu'il a été placé en détention pour une durée de 58 jours à raison de la présente affaire ; qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait que Monsieur X... était, marié, séparé de son épouse, avait deux enfants, nés en 1973 et 1979 et de ce qu'il s'agissait d'une première incarcération ;
Qu'il doit être tenu compte également du fait que les conditions de détention du requérant ont été nécessairement particulièrement difficiles, dès lors que Monsieur X... justifie être atteint, depuis 1999, d'une affection grave qui a connu une progression significative pendant le cours de sa détention, les conditions de son incarcération et le retentissement psycho-organique de cette dernière ayant pu, selon l'avis d'un médecin, accélérer le cours naturel de l'infection dont il souffre ;
Que le lien entre la détention du requérant, à laquelle il a été mis fin au mois de décembre 2004, et l'épanchement pleural et péricardique qu'il a subi au mois de juin 2005, n'est pas, en revanche, manifeste ;
Que la situation économique de Monsieur X... dans la période qui a suivi sa remise en liberté et les réactions de son entourage, ne peuvent, à l'examen des pièces produites, être rattachées à sa détention ;
Que, de même, l'atteinte à sa réputation, résultant d'une publicité, faite notamment par les médias, dont il ne justifie pas, ne doit, en tout état de cause, pas être prise en compte, en l'absence d'un lien exclusif et direct avec la détention ;
Qu'il y a lieu de faire droit à la demande du requérant, de ce chef, en lui allouant la somme de 8.990 € ;
PAR CES MOTIFS
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
Disons la requête recevable,
Allouons à Monsieur X... :
- une indemnité de 8.990 €, en réparation de son préjudice moral,
Rejetons ses autres demandes.
Décision rendue le 27 février 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE