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13/12/2007 | FRANCE | N°05/7345

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0135, 13 décembre 2007, 05/7345


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C

ARRET DU 13 Décembre 2007
(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 05 / 07345

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Janvier 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG no 04 / 8828

APPELANTE

1o-SA EMI MUSIC FRANCE
118 / 126, rue du Mont Cenis
75018 PARIS
représentée par Me Thomas GHIDINI, avoué à la Cour et par Me Eric LAUVAUX, avocat au barreau de PARIS, toque

: L. 237,

INTIME

2o-Monsieur Bruno A... dit " M... "
...
75116 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Stéphane...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C

ARRET DU 13 Décembre 2007
(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 05 / 07345

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Janvier 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG no 04 / 8828

APPELANTE

1o-SA EMI MUSIC FRANCE
118 / 126, rue du Mont Cenis
75018 PARIS
représentée par Me Thomas GHIDINI, avoué à la Cour et par Me Eric LAUVAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : L. 237,

INTIME

2o-Monsieur Bruno A... dit " M... "
...
75116 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Stéphane LOISY, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Hélène IMERGLIK, Conseillère
qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats,

ARRET :

-CONTRADICTOIRE
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
-signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS
M Bruno A..., artiste chanteur, ayant pour nom de scène " Doc Gyneco " a été engagé par la société D... France, au droit de laquelle vient la SA EMI MUSIC FRANCE, à compter du 7 février 1995, par contrat d'enregistrement exclusif ayant fait ensuite l'objet de plusieurs avenants, pour interpréter des oeuvres musicales et chantées en vue de leur fixation et reproduction destinée à être publiées et exploitées à des fins commerciales et promotionnelles. Un nouveau contrat a été signé entre les parties le 15 novembre 2001, pour une durée minimale de cinq ans, prévoyant la réalisation d'un minimum de trois albums studio inédits. Il était prévu que la commercialisation de chaque album studio interviendrait dans les six mois suivant la date d'achèvement par l'artiste et que chacun des trois albums serait enregistré, successivement, au minimum dans les 12 mois suivant la sortie commerciale du précédent album et au maximum dans un délai de 24 mois.
L'album " Solitaire ", premier album de cette seconde série a été réalisé et commercialisé au mois d'août 2002. Ses ventes (51. 303) ont été inférieures à celle des précédents albums. Un " Best off " a ensuite été réalisé, vendu à 28. 541 exemplaires.
La fabrication de second album n'étant pas encore engagée en mars 2004, une réunion s'est tenue, le 15 mars 2004 dans les locaux de la SA EMI MUSIC FRANCE, entre M. Éric E...F..., PDG de la SA EMI MUSIC FRANCE à l'époque et M Bruno A... en présence de son manager M. Patrice G....
Cette rencontre n'ayant pas abouti de manière positive, M Bruno A... adressait le 7 avril 2004 à M. Éric E...F... de la SA EMI MUSIC FRANCE une lettre recommandée avec avis de réception dans laquelle il disait : " je regrette vivement que nous ne nous soyons pas compris lors de cette entrevue. Cette incompréhension a été au coeur de notre discussion....J'espère que nous aurons l'occasion de dissiper ce malentendu très rapidement lors d'un prochain rendez-vous " cette lettre était accompagnée d'un bref message signé de M. Patrice G... qui disait : " je prends bonne note du fait que EMI et D... souhaitent mettre fin au contrat de Doc Gyneco avec D.... Le conseil de Doc Gyneco a pris contact avec le service juridique de EMI et reste dans l'attente d'une réponse de votre cabinet d'avocats... Pourrais-tu me confirmer que votre souhait est toujours de mettre fin, au travers d'un protocole transactionnel à ce contrat d'artiste ? ".
Le 15 mai 2004 la SA EMI MUSIC FRANCE adressait à M Bruno A... une lettre recommandée dans laquelle, qualifiant de faute grave l'attitude du chanteur lors de l'entrevue du 15 mars 2004, elle mettait fin aux relations contractuelles.
M Bruno A... saisissait alors le conseil de prud'hommes de Paris en contestant la cause de la rupture et en réclamant des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, pour préjudice moral ainsi qu'en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 14 janvier 2005, le conseil de prud'hommes de Paris, section activités diverses chambre 5, déboutant les parties de leurs autres demandes, requalifiait en contrat à durée indéterminée le contrat de travail liant les parties, disait que la rupture constituait un licenciement abusif et condamnait la SA EMI MUSIC FRANCE à régler à M Bruno A... les sommes suivantes :
-1. 192. 800 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, ordonnant la compensation avec l'avance faite à M Bruno A... à hauteur de 76. 225 euros,

-500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA EMI MUSIC FRANCE, a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.
Soutenant, tout comme M Bruno A... que le contrat de travail en cause s'analysait bien comme un contrat de travail à durée déterminée, la SA EMI MUSIC FRANCE demande à la cour de réformer le jugement dans toutes ces dispositions. Elle plaide en effet que les agissements du chanteur lors de la réunion du 15 mars 2004 constituaient effectivement une faute grave, justifiant la rupture anticipée du contrat du 15 novembre 2001 qui les liait. Elle demande donc à la cour de débouter M Bruno A... de l'ensemble de ses demandes.
À titre subsidiaire elle lui demande de constater que l'artiste ne justifie pas de son préjudice et de limiter la condamnation, à tout le moins, au paiement des cachets restant à courir sur les deux albums non enregistrés, s'élevant à la somme de 1. 524,50 euros.
À titre encore plus subsidiaire elle demande de limiter la condamnation au montant des salaires et avances dus jusqu'à la fin du contrat, qu'elle fixe à 39. 636,75 euros et de dire que toute condamnation supérieure à la somme de 1524,50 euros sera compensée avec le montant des avances non récupérées soit 552. 396 euros, avant imputation sur toute somme due à l'administration fiscale.
À titre reconventionnel elle demande à la cour de condamner M Bruno A... à lui rembourser l'avance faite au titre du second album soient 76. 225 euros et sollicite 5. 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M Bruno A... fait appel incident, demandant à la cour de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que la SA EMI MUSIC FRANCE avait rompu de manière injustifiée et abusive le contrat d'enregistrement qui les liait. Il demande en revanche de réformer le jugement quant au montant des sommes allouées sollicitant que la SA EMI MUSIC FRANCE soit condamnée à lui verser :
-2. 044. 453 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
-450. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
-3. 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il demande en outre de débouter la SA EMI MUSIC FRANCE de sa demande reconventionnelle et de dire, le cas échéant, que les condamnations prononcées à l'encontre de la SA EMI MUSIC FRANCE devront d'abord s'imputer sur l'ensemble des sommes dues par M Bruno A... à l'administration fiscale (notamment par le biais de l'avis à tiers détenteur délivré à la société) avant de s'imputer sur les avances faites par la SA EMI MUSIC FRANCE, dans l'hypothèse où la cour considérerait que ces avances peuvent être récupérées par celle-ci.

LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la nature du contrat de travail en cause :
Il est constant que les deux parties se trouvent d'accord pour considérer que les deux contrats qui les ont successivement liés en 1995 puis en 2001 sont des contrats à durée déterminée, contrairement à ce qu'a affirmé le conseil des prud'hommes.
De tels contrats d'enregistrement peuvent être conclus avec des artistes interprètes comme constituant des " contrats d'usage ", conformément aux articles L. 122-1-1, 3o et D121-2 du code du travail.
Les relations entre la SA EMI MUSIC FRANCE et M Bruno A... étaient donc fondées sur un contrat à durée déterminée.

Sur la rupture de ce contrat de travail :
S'agissant d'un contrat à durée déterminée, celui-ci ne pouvait être rompu par l'employeur, en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail, que pour faute grave.
La lettre de licenciement adressée à M Bruno A... est rédigée comme suit :
" Éric E...F... m'a transmis votre courrier daté du 7 avril ainsi que celui de votre manager, Patrice G..., daté du même jour.
Nous vous rappelons que, lors de votre dernière réunion avec Éric E...F..., le 15 mars 2004 dont l'objet initial était de discuter des modalités d'enregistrement de votre prochain album, vous vous êtes montré extrêmement agressif verbalement à son encontre, que vous l'avez menacé physiquement et que nous avons dû demander à nos vigiles de vous raccompagner. Lorsque vous avez quitté son bureau, plusieurs collaborateurs vous ont entendu déclarer " je ne peux pas faire de musique avec des fils de putes et des chiens errants ".
Cette attitude constitue une faute grave qui ne nous permet pas de poursuivre l'exécution du contrat signé le 15 novembre 2001avec notre société.
Nous vous rappelons que nous vous avons versé en avril 2003 l'intégralité de l'avance due au titre du second album (76. 225 euros) alors que votre compte d'avance présente un solde débiteur et que nous n'avons pas même reçu les maquettes de cet album.
Conformément à l'entretien qu'Eric E...F... a eu par la suite avec votre manager, celui-ci lui ayant confirmé votre souhait d'arrêter notre collaboration avec notre société, il attendait une proposition de règlement amiable de votre part. Patrice G... a à cet égard pris contact avec le service juridique (Sébastien H...) et lui a confirmé que vous souhaitiez mettre un terme à votre contrat en remboursant l'avance versée en avril 2003 et verser à notre société une redevance sur les ventes de votre prochain album.
En l'absence de cette proposition et compte tenue de la relation inexacte que font des faits votre courrier et celui de votre manager, nous vous confirmons donc que nous sommes conduits à mettre fin à votre contrat d'enregistrement pour faute grave, en réservant tous nos droits quant à l'indemnisation de notre préjudice.
Ainsi que comme l'évoque le courrier de M. Patrice G..., notre conseil le cabinet Nomos, attend les propositions de votre conseil ".
Les parties ayant tout d'abord soulevé un problème de délai relatif à l'envoi de la lettre de rupture du contrat, constatant qu'il n'y a pas de divergences sur la date du rendez-vous litigieux du 15 mars, et relevant que bien que daté du 14 mai, le courrier a été envoyé par la SA EMI MUSIC FRANCE, en recommandé, le samedi 15 mai, la cour dit que, la date devant être prise en compte étant celle de l'envoi de ce courrier, celui-ci a été expédié le dernier jour du délai de deux mois qui permettait d'invoquer les faits fautifs.L'employeur n'était donc pas forclos en adressant cette lettre de rupture pour faute grave le 15 mai 2004.
Il convient donc d'examiner, sur le fond, si les faits allégués à l'encontre de M Bruno A... pour justifier cette rupture pour faute grave sont établis et relèvent effectivement d'une telle qualification.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits constituant une violation des obligations du contrat de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La preuve doit en être rapportée par l'employeur ; la lettre de rupture circonscrit les limites du litige. Pour qu'une telle rupture soit fondée elle doit reposer sur un ou plusieurs griefs qui doivent être objectifs, c'est-à-dire matériellement vérifiables, établis, et exacts c'est-à-dire constituant effectivement la cause réelle de cette rupture.
Bien que la faute grave soit celle qui rend, immédiatement impossible, le maintien dans l'entreprise et la poursuite des relations contractuelles, la cour relève tout d'abord, que c'est fort tardivement, c'est-à-dire le dernier jour du délai de deux mois, que la SA EMI MUSIC FRANCE a, finalement, décidé d'évoquer une faute grave à l'encontre du chanteur reconnaissant elle-même, dans sa lettre de licenciement, comme le confirme M. Éric E...F... dans son attestation que cette faute grave n'était alléguée qu'en l'absence de propositions permettant aux deux parties de mettre fin, de manière négociée à leur engagement contractuel réciproque.
Cette tardiveté qui ne trouve pas justification dans le fait que M. Bruno A... ne venait qu'occasionnellement au siège de la SA EMI, en elle-même et à elle seule, suffit à écarter la qualification de faute grave.
Au-delà, et sur le fond, la lettre de rupture qui circonscrit les termes du débat, reproche à M Bruno A..., de s'être montré " extrêmement agressif verbalement ", d'avoir menacé physiquement M. Éric E...F... et d'avoir dit lorsqu'il a quitté le bureau " je ne peux pas faire de musique avec des fils de putes et des chiens errants ".
La SA EMI MUSIC FRANCE verse quatre attestations, à l'appui de ses dires : celle, fort tardive aussi, puisque délivrée trois ans après les faits et simplement en phase d'appel, rédigée par M. Éric E...F... lui-même ; celle du vigile M.I..., qui serait intervenu sur réquisition de M. Éric E...F... ; celle de M. Sébastien H..., du service juridique de la société ; et celle de M. Julien J... travaillant également pour la SA EMI MUSIC FRANCE.

M Bruno A... produit l'attestation de M. Patrice G..., son manager qui l'accompagnait.
La cour ne peut tout d'abord que relever les limites du caractère probant de ces attestations, toutes rédigées, par des personnes ayant été, ou étant au service de l'une ou l'autre partie.
Elle relève en outre, pour s'en étonner, le caractère tardif, de plus de trois ans, de l'attestation rédigée par M. Éric E...F..., qui était pourtant le premier concerné, comme étant celui qui aurait subi des menaces et une agression verbale de la part de M Bruno A..., mais n'a pas déposé plainte à l'encontre de celui-ci, et n'a témoigné que fort longtemps après les faits.
S'agissant de l'attestation du vigile M.I..., la plus détaillée, la cour relève que cette attestation affirme : " quelle ne fut pas ma surprise de voir M... en train de tout casser. Il balayait tout ce qu'il trouvait à travers le bureau. Il insultait M.E...F..., le traitant de tous les mots.M.E...F... était arrêté tranquillement dans un coin du bureau, totalement tétanisé ".
La cour ne peut que relever que les faits concernant le mobilier, évoqués dans cette attestation, ne sont nullement repris, par la lettre de licenciement.
Elle relève également, que l'agent de sécurité qui dit avoir été " particulièrement impressionné par la manière dont (M Bruno A...) buvait le whisky comme s'il voulait être ivre ", a pourtant laissé celui-ci monter dans les locaux de la société et accéder au bureau de M. Éric E...F..., sans se préoccuper davantage de la situation, jusqu'à ce qu'il soit appelé par ce dernier.
S'agissant de l'attestation de M.J..., qui n'a fait " dans un premier temps que croiser l'artiste qui semblait patienter à proximité du bureau du PDG ",... celui-ci dit " une heure plus tard, depuis mon bureau situé au premier étage, j'entendis soudain proférer les termes suivants : " je ne parle pas de musique avec un sale fils de pute, un chiant (sic) errant " en provenance de l'étage au-dessus. Me retournant je constatais que ces paroles avaient été prononcées par Doc Gyneco depuis l'escalier, certainement à l'adresse de M. Éric E...F... d'avec qui il sortait d'une entrevue ".
De ces attestations au caractère probant limité, comme des termes de la lettre de rupture, la cour retient toutefois, qu'une altercation est établie comme ayant eu lieu entre M Bruno A... et M. Éric E...F..., sans que ce différend soit allé, de manière établie, au-delà des mots.
Elle retient également que les seuls mots injurieux, qui sont confirmés par plusieurs témoins, quoique dans des termes quelque peu différents, ont manifestement été prononcés par M Bruno A..., depuis l'escalier, alors qu'il avait quitté le bureau de M. Éric E...F....
La cour en conclut, vu le pluriel employé, qu'il n'est nullement établi que ces mots aient été adressés personnellement à M. Éric E...F..., et ne visaient pas plus généralement l'ensemble de l'institution EMI.
Par ailleurs, la cour ne peut que rappeler ici que le " rap ", correspond à un style de musique et de chansons qui n'est pas particulièrement " académique ", ni dans ses sonorités ni, la plupart du temps, dans ses paroles, ni même quant à ceux qui le chantent.

Dès lors, la SA EMI MUSIC FRANCE, société de production de musique, qui soutient ce genre de productions et promeut cette musique, à tout le moins pour des raisons commerciales et financières, est par conséquent malvenue, à s'étonner voire à s'émouvoir, des termes employés par ses interlocuteurs.
Enfin, la cour note que chacune des parties semble vouloir imputer à l'autre d'avoir voulu rompre le contrat.
Elle relève toutefois que Bruno A..., rapporte, quant à lui, la preuve que dès le 4 février 2004, son manager a pris l'initiative de s'adresser à D... France, pour lui rappeler que le délai prévu contractuellement pour la production du second album touchait à sa fin sans qu'aucune initiative n'ait été prise ; préoccupation qu'il reprenait ensuite dans sa lettre du 3 mars 2004, dans laquelle il disait " nous sommes donc très logiquement en attente de propositions concrètes et financières afin que Doc Gyneco puisse réaliser lesdites maquettes, ainsi nous pourrons vous les soumettre, dans le cas contraire, ou Doc Gyneco ne puisse obtenir les moyens de réaliser ces maquettes, nous comprendrions ceci comme une entrave à l'exécution du contrat ".
M Bruno A... suggère, notamment dans sa lettre du 7 avril 2004, sans l'établir véritablement, mais sans être non plus sérieusement contesté, que le producteur aurait souhaité mettre fin à leur engagement contractuel, semblant, lors de la rencontre du 15 mars, lui " faire-part d'un refus d'aller plus avant dans les projets que (nous) étions venus vous proposer.... ne semblant pas (lui) témoigner beaucoup de crédit en qualité d'artiste, d'auteur et d'interprète ". Le chanteur explique ainsi, par son succès moindre que précédemment, la véritable cause de la rupture, sans toutefois être capable de l'établir définitivement.
De son côté, la SA EMI MUSIC FRANCE soutient, sans davantage l'établir, que M Bruno A... voulait cette rupture, ses centres d'intérêt s'étant déplacés, notamment à la télévision.
Pour la cour, il ressort, en tout état de cause, de l'ensemble de ces raisons, que l'allégation de faute grave pour rompre le contrat à durée déterminée, n'a en tout état de cause été utilisé, qu'au tout dernier moment et pour suppléer un accord amiable impossible à trouver sur la rupture. Elle considère en outre que, pour peu choisis que soient les termes reprochés à M Bruno A..., ces termes, manifestement prononcés sous le coup de la colère, alors qu'un litige important, financièrement mais aussi en termes de carrière, opposait l'artiste au producteur, ne sauraient être retenus, en l'espèce, comme constitutifs de faute grave.
Cette absence de faute grave rend la rupture du contrat de travail à durée déterminée, à l'initiative de la SA EMI MUSIC FRANCE, abusive et ouvre droit à indemnisation au profit de M Bruno A....

Sur les dommages et intérêts dus au titre de la rupture anticipée du contrat de travail, en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail :
La rupture avant terme d'un contrat à durée déterminée, sauf faute grave, ouvre droit, pour le salarié, à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal à la rémunération qu'il aurait perçue jusqu'au terme du contrat.
La question qui se pose en l'espèce à la cour est de déterminer l'assiette de rémunération sur laquelle doivent être effectués ces calculs.

Le contrat qui liait les parties prévoyait une rétribution de M Bruno A... sous forme de " cachets ", d'un montant de 762,25 euros pour l'enregistrement de chaque album, auquel s'ajoutaient des " redevances " phonographiques d'un montant lié à l'importance des ventes.
Le contrat prévoyait également la possibilité pour l'artiste d'obtenir des avances sur redevances d'un montant, en l'espèce, de 76. 224,50 euros si les ventes du second album avaient dépassé 100. 000 et de 38. 112,25 euros si les ventes avaient été inférieures.
M Bruno A... soutient que l'assiette de référence pour le calcul de son préjudice doit englober tout à la fois les cachets et les redevances ou avances sur redevances.
La SA EMI MUSIC FRANCE, prétend, pour la première fois en cause d'appel qu'elle a versé à M Bruno A..., à titre d'avances une somme globale de 552. 936 euros. Cette somme inclut une somme de 76. 225 euros, déjà demandée devant les premiers juges et qui n'est pas contestée par l'intéressé, versée à titre d'avance sur le second album non réalisé.
La SA EMI MUSIC FRANCE soutient, à titre principal, que les dommages et intérêts ne doivent être fixés qu'en fonction du montant des cachets qui seuls seraient assimilables à des salaires et devraient être retenu pour les calculs.
Elle soutient subsidiairement que l'indemnité doit être limitée au montant des avances sur redevances qui lui ont déjà été payées.
Elle rappelle en outre avoir reçu de la part de l'administration fiscale, un avis à tiers détenteur pour un montant de 630. 916 euros, correspondant à un arriéré d'impôts de M Bruno A....
S'agissant de l'" assiette " sur laquelle elle doit s'appuyer pour le calcul des dommages et intérêts, la cour dit que, étant donné d'une part le montant dérisoire des cachets, et étant donné d'autre part, la formulation même de l'article L. 122-3-8, 3o, qui fait référence non pas au " salaire " mais au terme plus large de " rémunération ", il convient, pour le calcul des dommages et intérêts à allouer à M Bruno A... du fait de la rupture de son contrat à durée déterminée, de prendre en considération, de manière pondérée, tout à la fois les cachets mais aussi les redevances qu'il aurait pu escompter toucher jusqu'à la fin de ce contrat.
En effet, même si le montant de ces redevances est mécaniquement lié au nombre d'exemplaires de disques vendus, ces redevances n'en constituent pas moins la forme essentielle, étant donné le très faible montant des cachets, de rémunération de l'artiste, c'est-à-dire la contrepartie due pour le travail accompli pour la production de l'oeuvre, peu important le fait que, du point de vue notamment des cotisations sociales, ces redevances ne soient pas assimilées à des salaires.
M Bruno A... soutient que lorsque le contrat a été rompu, il lui restait à réaliser de manière certaine, deux albums, chaque album générant en général la fabrication et la vente de deux Single. Il soutient que ses albums se sont vendus en moyenne à 350. 000 exemplaires, et les single à 40. 000 exemplaires.
En application de l'article 11 du contrat d'enregistrement du 15 novembre 2001 qui prévoit les bases de calcul pour les redevances, M Bruno A... en conclut que la SA EMI MUSIC FRANCE lui doit :

-1  . 192   800 euros au titre de redevances pour les deux albums soit après déduction de l'avance de 76. 225 euros, un solde de 1. 116   575 euros ;
-88. 576 euros pour les quatre single escomptés, ainsi qu'une somme estimée à 536   760 euros
correspondant à la relance des ventes sur les précédents albums généralement constatée lors de la sortie de chaque nouvel album.
M Bruno A... en déduit un préjudice total de 1. 744. 453,80 euros, déduction opérée de l'avance de 76. 225 euros consentie.
De son côté, la SA EMI MUSIC FRANCE, faisant valoir l'évolution négative du marché du disque et le niveau des ventes des derniers albums de l'artiste, propose, à titre subsidiaire, à la cour, de retenir pour le calcul du préjudice, le montant minimum des sommes qu'aurait dû percevoir M Bruno A... soit 1. 524,50 euros de cachets et 38. 112,25 euros de provisions, en tablant sur des ventes inférieures à 100. 000 exemplaires. Elle conclut donc à un préjudice qui devrait être estimé, selon elle, à la somme de 39. 636,75 euros.
Il est évident pour la cour que l'évolution du marché, combinée avec l'évolution de la carrière de l'artiste, ne permet pas de retenir l'hypothèse " haute " qu'il propose, ni en termes de ventes pour chacune de ces productions, ni même en termes de production de quatre single.
Il est également évident que l'hypothèse " basse " proposée par la SA EMI MUSIC FRANCE est également tout à fait inappropriée.
Compte tenu des éléments produits par les parties, la moyenne de vente pour les quatre premiers albums de M Bruno A... s'élève à 305. 275.
L'évolution, plutôt négative du marché et des ventes de disques de M Bruno A..., oblige la cour à pondérer, pour les deux albums qui restaient à produire, le nombre des ventes envisageables en le ramenant au chiffre de 200. 000.
Il en ressort un montant escompté de redevances, pour les deux albums, de 681. 600 euros, la cour ne tenant pas compte des abattements sollicités par l'employeur pour investissements publicitaires, ceux-ci n'ayant pas lieu d'être, en l'absence de production de disques à promouvoir.
De la même manière la cours estime raisonnable de ne retenir la fabrication que d'un seul single par album, single dont elle retient les chiffres de ventes escomptées fixés à 40. 000 exemplaires, soit 44. 288 euros de redevances prévisibles.
Pour les mêmes raisons, la cour estime à 300. 000 euros le montant des redevances que M Bruno A... pouvaient raisonnablement escompter pour reventes, de ses précédents disques sous forme de " back catalogue ".
Sur ces bases, la cour considère qu'elle dispose des éléments qui lui permettent de fixer à la somme de 1. 025. 888 euros, le préjudice subi par M Bruno A... du fait de la rupture anticipée du contrat à durée déterminée qui le liait à la SA EMI MUSIC FRANCE, somme dont il convient de déduire l'avance faite par la SA EMI MUSIC FRANCE au titre du second album prévu par le contrat de novembre 2001, d'un montant non contesté de 76. 225 euros. Aucune autre avance n'apparaît en effet justifier un remboursement de la part de M Bruno A..., les éventuelles avances précédemment concédées sur les premiers albums, au titre du premier contrat, étant considérées comme définitivement acquises par l'artiste comme n'ayant d'ailleurs jamais fait l'objet de réclamations avant les dernières conclusions d'appel, et n'étant pas susceptibles en tout état de cause de compensation avec les dommages et intérêts dus pour l'exécution du second contrat.
Il en ressort un solde dû, en application de l'article L. 122-3-8, 3o du code du travail de 949. 663 euros.
La SA EMI MUSIC FRANCE est déboutée de sa demande reconventionnelle.

Sur les dommages et intérêts sollicités à titre de préjudice moral :
La cour considère que M Bruno A... n'a fait que subir les aléas inévitables d'une carrière artistique et ne rapporte pas la preuve d'un préjudice moral distinct de celui qui a résulté pour lui de la rupture prématurée du contrat qui le liait à la SA EMI MUSIC FRANCE, M Bruno A... ayant, tout d'abord diversifié ses activités en se tournant vers la télévision, puis ayant relancé sa carrière de chanteur, en sortant dès janvier 2006, avec un autre producteur, un double album.

Sur l'imputation des créances de M Bruno A... :
La cour, n'étant pas saisie par l'administration fiscale, qui n'est pas partie au litige, n'est pas compétente pour statuer sur l'affectation des sommes dues à M Bruno A... à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat à durée déterminée qui le liait à la SA EMI MUSIC FRANCE.

Sur les dommages et intérêts au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par M Bruno A... la totalité des frais de procédure qu'il a été contraint d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 2. 000 euros, à ce titre pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Confirme la décision du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit que le contrat qui liait M Bruno A... à la SA EMI MUSIC FRANCE avait été rompu de manière abusive, mais l'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Dit qu'en l'absence de faute grave, le contrat à durée déterminée qui liait les parties a été abusivement rompu, avant son terme, du fait de la SA EMI MUSIC FRANCE.

Condamne, en conséquence, la SA EMI MUSIC FRANCE à payer à M Bruno A... la somme de 949. 663 euros, (NEUF CENT QUARANTE NEUF MILLE SIX CENT SOIXANTE TROIS EUROS) à titre de solde de dommages et intérêts pour rupture abusive du fait de la SA EMI MUSIC FRANCE, du contrat à durée déterminée qui la liait à M Bruno A..., en application de l'article L. 122-3-8 3o du code du travail, après déduction d'une avance sur redevances d'un montant de 76. 225 euros (SOIXANTE SEIZE MILLE DEUX CENT VINGT CINQ EUROS) ;
Déboute M Bruno A... du surplus de ses demandes ;
Déboute la SA EMI MUSIC FRANCE de ses demandes reconventionnelles ;
Condamne la SA EMI MUSIC FRANCE à régler à M Bruno A... la somme de 2. 000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0135
Numéro d'arrêt : 05/7345
Date de la décision : 13/12/2007

Références :

ARRET du 01 juillet 2009, Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1er juillet 2009, 07-45.681, Publié au bulletin

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Paris, 14 janvier 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2007-12-13;05.7345 ?
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