Grosses délivrées
RÉPUBLIQUE FRANOEAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
15ème Chambre - Section B
ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2006
(no 06- , pages) Numéro d'inscription au répertoire général :
05/00382 Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Novembre 2004 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG no 2002/61592 APPELANTE S.A. BORDELAISE DE CIC prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 42 Cours du Chapeau Rouge 33001 BORDEAUX représentée par la SCP VERDUN - SEVENO, avoués à la Cour assistée de Me François MOCCAFICO, avocat au barreau de PARIS, toque : P235, de la SCP CONSTANT-MOCCAFICO INTIMÉE Société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 36 avenue Marie-Thérèse L-2132 LUXEMBOUR Greprésentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour assistée de Me Bruno QUINT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 14, de la SCP GRANRUT. COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 Juin 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de président
Madame Evelyne DELBES, Conseiller
Monsieur Louis DABOSVILLE, Conseiller qui en ont délibéré Un rapport été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du nouveau Code de procédure civile. Greffier, lors des débats :
Melle Sandrine KERVAREC ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de président
- signé par Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de président et par Melle Sandrine KERVAREC, greffier présent lors du prononcé.****
Selon courrier du 24 avril 1992, la société Bordelaise de Crédit Industriel et Commercial a donné à M. X... son accord de principe pour financer à hauteur de 35 000 000 francs (5 335 715,60 euros) l'acquisition d'un ensemble de production, distillerie et négoce d'Armagnac par une société dénommée Jean Y... ou tout autre acquéreur substitué et agréé. Le prêt était remboursable sur dix ans et soumis à deux conditions à savoir :- une garantie à première demande irrévocable, - une contre garantie donnée par une compagnie d'assurance notoirement connue garantissant la totalité du risque encouru.
La société Grandes Marques de Gascogne substituée à la société Jean Y... dans le bénéfice de l'engagement du 24 avril 1992 et créée à cet effet, a remis à la société Bordelaise de CIC une lettre de garantie à première demande émanant de l'Association Européenne de Prévoyance AEPI GARPAC.
L'emprunteur a aussi communiqué à la banque une lettre adressée par la société de droit luxembourgeois PANEUROLIFE à AEPI GARPAC datée du 28 avril 1992 comportant les termes suivants : "Nous vous confirmons notre accord pour contre garantir (...) les engagements pris par votre caisse de garantie GARPAC de l'AEPI au titre du prêt accordé Ã
la société Grandes Marques de Gascogne (...) au bénéfice exclusif et irrévocable de la société Bordelaise de CIC (...) pour un montant de 35 000 000 francs et une durée ferme de dix ans".
Le contrat de prêt a été signé entre la société Bordelaise de CIC et la société Grandes Marques de Gascogne le 30 avril 1992. Il comportait en annexe la garantie à première demande d'AEPI GARPAC et la lettre de la société PANEUROLIFE.
La société Grandes Marques de Gascogne ayant été défaillante dans le remboursement du prêt et l'AEPI GARPAC n'ayant pas honoré son engagement de garantie, la société Bordelaise de CIC a demandé à la société PANEUROLIFE de payer en sa qualité de contre garant.
Selon courrier du 17 novembre 1992, la société PANEUROLIFE a opposé une fin de non-recevoir à cette demande soutenant ne pas avoir consenti une contre garantie mais participé à des pourparlers en vue de la mise en place d'un contrat de capitalisation.
La liquidation judiciaire de la société Grandes Marques de Gascogne ayant été prononcée, la société Bordelaise de CIC a déclaré au passif de cette procédure une créance de 42 861 828,96 francs.
Par ordonnance du 4 décembre 1992, confirmée par un arrêt du 14 janvier 1994, le président du tribunal de commerce de Paris a condamné AEPI GARPAC à payer à la société Bordelaise de CIC la somme provisionnelle de 36 396 689,52 francs outre intérêts.
Un jugement du tribunal correctionnel d'Auch en date du 27 septembre 2001 a condamné M. X..., ancien dirigeant de AEPI GARPAC, à payer à la société Bordelaise de CIC la somme de 42 861 828,96 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ses manoeuvres frauduleuses ayant consisté à remettre à la banque un certificat de garantie de AEPI GARPAC qu'il prétendait contre garanti par PANEUROLIFE.
Par jugement du 12 octobre 1994 confirmé par un arrêt du 12 janvier 1999, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Bordelaise de CIC de sa demande dirigée contre la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) tendant à obtenir l'exécution par l'intéressée de ses obligations de contre garant. Le pourvoi formé par la banque a été déclaré non admis le 1er octobre 2002.
C'est dans ces circonstances que par acte du 23 avril 2002, la société Bordelaise de CIC a assigné la société PANEUROLIFE devant le tribunal de commerce de Paris en responsabilité, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, lui reprochant d'avoir fait preuve d'une légèreté blâmable en établissant le courrier du 28 avril 1992 qui l'a déterminée à signer le contrat de prêt, persuadée qu'elle bénéficiait de sa contre garantie.
Par jugement contradictoire du 16 novembre 2004, le tribunal de commerce de Paris a :- débouté la société Bordelaise de CIC de toutes ses demandes,- condamné l'intéressée à payer à la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,- débouté la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) de ses autres demandes.
Par déclaration du 6 décembre 2004, la société Bordelaise de CIC a interjeté appel de cette décision.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la Cour au titre de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, ont été déposées :- le 25 avril 2006 pour la société Bordelaise de CIC,- le 8 juin 2006 pour la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE).
La société Bordelaise de CIC demande à la Cour de :- infirmer le
jugement entrepris en toutes ses dispositions,- statuant à nouveau,- condamner la société PANEUROLIFE à lui payer la somme de 6 534 243,50 euros à titre de dommages et intérêts,- débouter l'intéressée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,- condamner la même à lui payer la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) demande à la Cour de :- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée par le jugement du 12 octobre 1994 confirmé par l'arrêt du 12 janvier 1999,- statuant à nouveau,- dire la société Bordelaise de CIC irrecevable en ses demandes,- subsidiairement,- confirmer la décision entreprise,- en toute hypothèse,- condamner la société Bordelaise de CIC à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. CELA ÉTANT EXPOSÉLA COUR :Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée
Considérant que la société PANEUROLIFE soutient que les demandes de la société Bordelaise de CIC se heurteraient à l'autorité de la chose jugée par la Cour d'appel dans son arrêt du 12 janvier 1999 ;
Considérant que si l'arrêt dont s'agit a dit irrecevable la demande de dommages et intérêts formulée par la banque à raison de prétendues fautes délictuelles commises par l'assureur, c'est en application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile, comme constituant une prétention nouvelle en cause d'appel ;
Considérant que la Cour n'a donc pas statué au fond dans l'arrêt du 12 janvier 1999 sur l'action en responsabilité et paiement de dommages et intérêts fondée sur l'article 1382 du Code civil que la société Bordelaise de CIC forme dans la présente instance et sa
décision ne peut donc avoir autorité de la chose jugée à cet égard ;
Considérant que la Cour dira la banque recevable en cette action ;Sur le fond
Considérant que le tribunal de commerce de Paris dont la décision a été confirmée par l'arrêt du 12 janvier 1999 a débouté la société Bordelaise de CIC de ses demandes en paiement dirigées contre la société PANEUROLIFE en jugeant que la lettre de cette compagnie en date du 28 avril 1992 ne constituait pas un engagement de contre garantie du garant de premier rang mais devait être lue à la lumière d'un courrier daté du 27 avril 1992 émanant du même assureur avec lequel il formait un tout indivisible qui permettait de voir que l'intervention de l'intimée devait prendre la forme d'un contrat de capitalisation au nom du prêteur et non d'une contre garantie ; qu'il a donc été jugé que la société PANEUROLIFE n'avait souscrit aucun engagement à l'égard de la société Bordelaise de CIC ;
Considérant que celle-ci soutient aujourd'hui, à l'appui de sa demande en paiement de dommages et intérêts, que n'ayant pas eu connaissance du courrier du 27 avril 1992 et de sa teneur, les termes sans réserves de celui du 28 avril 1992 par lequel la société PANEUROLIFE indiquait confirmer "son accord pour contre garantir les engagements pris par AEPI GARPAC au titre du prêt accordé à la société Grandes Marques de Gascogne au bénéfice exclusif et irrévocable de la société Bordelaise de CIC", lui ont fait croire que l'une des conditions essentielles à la signature du contrat de prêt et au déblocage des fonds, savoir la contre garantie d'une compagnie d'assurance notoirement connue à hauteur de la totalité du risque encouru, était remplie ; que le reçu émis le 14 mai 1992 par la société PANEUROLIFE d'un chèque de 850 000 francs tiré sur le CIC relatif au "dossier GMG" qu'elle n'a pu prendre que comme la
réalisation de la condition financière exigée par l'assureur pour fournir sa contre garantie n'a fait que renforcer l'apparence créée par la lettre du 28 avril 1992 tout comme les termes d'une télécopie en date du 30 avril 1992 suivant lesquels la société PANEUROLIFE lui a précisé l'identité de son directeur commercial, M. Z..., et transmis un spécimen de signature de l'intéressé ;
Considérant que des pièces mises aux débats, il ressort que par courrier du 27 avril 1992 l'AEPI GARPAC a indiqué à la société PANEUROLIFE que la société Bordelaise de CIC acceptait de prêter 35 000 000 francs à la société Grandes Marques de Gascogne et demandé à l'assureur de lui préciser quelle serait la prime annuelle à verser sur un plan d'épargne pour garantir le même capital à terme ; que le même jour la société PANEUROLIFE a répondu à l'AEPI GARPAC qu'en contrepartie d'un investissement de 16 211 772 francs, elle émettrait un contrat de capitalisation d'une durée de 10 ans garantissant un capital minimum à terme de 35 000 000 francs ; que le 28 avril 1992, l'AEPI GARPAC a confirmé à la société PANEUROLIFE son accord pour le paiement de la somme de 16 211 772 francs afin de garantir le prêt de 35 000 000 francs ; que le même jour, la société PANEUROLIFE a adressé à l'AEPI GARPAC la lettre dont la société Bordelaise de CIC argue à l'appui de son action en réparation ;
Considérant que les pièces du dossier révèlent encore que le 6 mai 1992, l'AEPI GARPAC a signé une proposition no 21 5543 relative à un contrat de capitalisation et adressé à la société PANEUROLIFE un chèque de 850 000 francs qui a donné lieu à l'émission par l'assureur d'un reçu daté du 14 mai 1992 ; que faute de versement par l'AEPI GARPAC de la totalité de la prime de 16 211 772 francs prévue, la société PANEUROLIFE lui a restitué la somme de 850 000 francs et le contrat de capitalisation n'a pas pris effet ;
Considérant que la lettre du 28 avril 1992, des termes de laquelle
argue la société Bordelaise de CIC, s'inscrit manifestement dans le cadre de l'échange de courriers intervenu entre l'AEPI GARPAC et la société PANEUROLIFE dans le cadre de pourparlers relatifs à une garantie devant prendre la forme d'un contrat de capitalisation ; que cette lettre n'a pas été adressée par la société PANEUROLIFE à la société Bordelaise de CIC mais à l'AEPI GARPAC, son seul interlocuteur ; qu'il n'est pas démontré que l'assureur pouvait se douter que sa lettre serait utilisée et pourrait lui être opposée en dehors de son contexte, ce d'autant qu'elle se référait expressément à la proposition no 21 5543 et précisait que "la garantie sera effective dès réception de la prime (...) accompagnée d'un certificat d'origine des fonds dont nous avons fixé le montant et les conditions par courrier séparé du 27 avril 1992" ;
Considérant qu'il ne peut être jugé, en conséquence, que la société PANEUROLIFE se serait prêtée à des manoeuvres ou aurait fait preuve de négligence au détriment de la banque en rédigeant le courrier du 28 avril 1992 et en émettant le reçu du 14 mai 1992 ;
Considérant qu'il appartenait à la société Bordelaise de CIC de s'assurer que les conditions qu'elle avait elle-même fixées pour le déblocage des fonds étaient réunies, savoir la justification de la garantie d'un assureur transférée à son profit et du paiement de la prime ; que force est de constater qu'elle ne l'a pas fait en se contentant pour débloquer les fonds d'une lettre de la compagnie d'assurance qui ne lui était pas adressée, qui était rédigée au futur et qui se référait à d'autres documents dont elle n'établit pas avoir sollicité la communication pour s'assurer de leur teneur, et du reçu d'un chèque qui ne pouvait constituer une quittance de prime ;
Considérant qu'elle ne peut donc s'en prendre qu'à elle-même du dommage que la signature du contrat de prêt et le déblocage des fonds lui ont causé ;
Considérant qu'il convient de confirmer, en conséquence, le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la banque de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société PANEUROLIFE la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que l'exercice d'une action en justice ne saurait constituer un abus de droit, en l'absence de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol qui ne sont pas ici démontrées de la part de la banque ; que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société PANEUROLIFE n'est donc pas fondée tant en ce qui concerne la première instance qu'en ce qui concerne l'appel ; qu'il y a donc lieu d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a alloué à ce titre à la société PANEUROLIFE la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société Bordelaise de CIC à payer à la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Bordelaise de CIC à payer à la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau sur ce,
Déboute la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société Bordelaise de CIC à payer à la société PAN EUROPEENNE D'ASSURANCE VIE (PANEUROLIFE) la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile pour la procédure d'appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Bordelaise de CIC aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.