Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
24ème Chambre - Section A
ARRET DU 14 JUIN 2006
(no , pages)Numéro d'inscription au répertoire général :
05/21106Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 7 Septembre 2004 par le Juge aux Affaires Familiales du Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - Chambre 4 section 2RG no 02/10100APPELANTE Madame Fatma Y... épouse X... xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx - 93390 CLICHY SOUS BOISreprésentée par Maître Michel BLIN, avoué à la Courassistée de Maître André SAVIDAN, avocat au barreau de SEINE SAINT DENISINTIME Monsieur Ameur X... chez M. Ali Y... - xxxxxxxxxxxxxxxxx- xxxxx xxxxxreprésenté par la SCP GOIRAND, avoués à la Courassisté de Maître MORANGE DE LAMBERYE Michèle, avocat au barreau de PARIS, toque : E 890COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 9 Mai 2006, en audience non publique, devant la Cour composée de :
Madame CHAROY, président
Madame PREVOST, conseiller
Madame REYGNER, conseiller
qui en ont délibéréGreffier, lors des débats : Madame BESSE-COURTEL ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame CHAROY, président
- signé par Madame CHAROY, président et par Madame BESSE-COURTEL, greffier présent lors du prononcé.
Ameur Z... et Fatma Y... se sont mariés le 2 décembre 1958 à BOUMERDES commune de Dellys (Algérie), sans contrat de mariage préalable.Neuf enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de cette union.Autorisée par ordonnance de non-conciliation du 7 mai 2003, Madame Y... a assigné son conjoint en divorce le 18 septembre 2003, sur le fondement de l'article 242 du Code Civil.Par jugement rendu le 7 septembre 2004, le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Bobigny a :- rejeté les 4 attestations produites par Madame Y... en violation de l'article 205 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile ;- débouté Madame Y... de sa demande de divorce ainsi que de ses demandes accessoires ;- déclaré recevable la demande émise par Monsieur Z... en application de l'article 258 du Code Civil ;- fixé la résidence de la famille au pavillon commun sis 2 allée Robert Besson-93390 CLICHY-SOUS-BOIS ;- donné acte à Monsieur Z... de son accord relatif au maintien d'une jouissance partagée de ce bien (le rez-de-chaussée à son profit, le premier étage au profit de l'épouse) ;- fixé à 400 euros mensuels la contribution aux charges du mariage à verser par Monsieur Z... à Madame Y... ;- condamné Monsieur Z... à verser 400 euros à Madame Y... la contribution avant le 5 de chaque mois et 12 mois sur 12 ;- condamné Madame Y...
aux dépens.Madame Y... a interjeté appel de ce jugement le 5 novembre 2004.Monsieur Z... a constitué avoué le 23 décembre suivant.Une ordonnance de radiation est intervenue le 29 juin 2005 pour défaut de production par l'appelante des pièces demandées selon injonction et de communication de l'avis d'imposition 2003, de la déclaration de revenus 2004, des justificatifs des revenus 2005 dans les délais impartis. L'instance a été réenrôlée le 25 octobre 2005.Vu les conclusions de Madame Y... , en date du 2 mai 2006, demandant à la Cour de :- la recevoir en son appel ;- débouter Monsieur Z... de ses demandes ;- réformer le jugement entrepris ;- prononcer le divorce d'entre les époux aux torts exclusifs de Monsieur Z... ;- condamner Monsieur Z... au paiement d'une prestation compensatoire à son profit de 160.000 euros ainsi qu'au paiement de la somme de 7.000 euros au titre de l'article 266 du Code Civil ;- condamner Monsieur Z... au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;- à titre subsidiaire, lui verser au titre du devoir de secours la somme de 800 euros par mois en cas de débouté de sa demande ;- condamner Monsieur Z... aux entiers dépens.Vu les conclusions de Monsieur Z..., en date du 17 mars 2006, demandant à la Cour de :- débouter Madame Y... de toutes ses demandes, fins et conclusions ;- en conséquence, confirmer le jugement entrepris ;- y ajoutant, condamner Madame Y... à payer la moitié des charges, impôts et taxes afférents au pavillon sis 2 allée Robert Besson-93390 CLICHY-SOUS-BOIS, domicile des époux, dont elle occupe le premier étage à titre gratuit depuis l'ordonnance de non-conciliation ;En tout état de cause,- condamner Madame Y... à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;- la condamner aux entiers dépens. Par conclusions du 5 mai 2006, Monsieur Z... demande la révocation de l'ordonnance de clôture et le renvoi des plaidoiries,
Madame Y... ayant déposé, le jour de la clôture de l'instruction, de nouvelles écritures auxquelles il n'a pu répondre.SUR CE, LA COUR qui se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, et des moyens des parties, à la décision déférée et à leurs écritures ;Considérant que la régularité de l'appel n'est pas contestée ; que les pièces du dossier ne font apparaître aucune fin de non recevoir susceptible d'être relevée d'office ; SUR LA RÉVOCATION DE L'ORDONNANCE DE CLÈTURE :Considérant que l'article 15 du nouveau code de procédure civile énonce que "les parties doivent se faire connaître mutuellement, en temps utile, les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense" ; qu'il appartient au juge de veiller au respect du principe du contradictoire ;Que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ;Considérant que Monsieur Z..., qui explique qu'il n'a pas pu répondre aux dernières écritures de Madame Y..., ne justifie d'aucune cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture ; qu'en revanche, il est exact qu'en signifiant le 2 mai 2006, jour de l'ordonnance de clôture, des écritures contenant une demande nouvelle, Madame Y... l'a privé de la possibilité de les étudier et éventuellement d'y répondre ; que cette violation du principe du contradictoire doit être sanctionnée par le rejet des débats des dites écritures ; qu'ainsi la Cour est saisie des écritures de Madame Y... du 4 mars 2006, qui ne comportent pas de subsidiaire sur le devoir de secours ;SUR LA LOI APPLICABLE :Considérant que les époux ont vécu en France et que Madame Y..., demanderesse au divorce, occupe toujours l'ancien domicile conjugal situé à Clichy Sous Bois ; que Monsieur Z..., qui est parti vivre en Algérie, ne conteste pas la compétence du juge
français dans le ressort duquel se situe ce domicile conjugal ; qu'il s'ensuit que la loi française régit le divorce de ces deux époux et que Monsieur Z... demande vainement au juge français d'appliquer le code de la famille algérien, sans viser d'ailleurs le fondement juridique de cette demande ; que cette demande ne peut qu'être rejetée ;Considérant que, selon les dispositions de l'article 33-IV de la loi du 26 mai 2004 sur le divorce, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles applicables lors du prononcé de la décision de première instance ; que le litige sera jugé selon les dispositions légales anciennes ;SUR LE DIVORCE :Considérant que, selon l'article 242 ancien du code civil, le divorce peut être demandé par l'un des époux pour des faits imputables à l'autre, lorsque ces faits constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune ;Considérant que les nombreuses attestations versées aux débats et la copie de son acte de naissance établissent que Monsieur Z... s'est marié en Algérie avec Madame ABADOU le 13 janvier 2004, alors qu'il était toujours dans les liens du mariage avec Madame Y... et tenu à une obligation de fidélité ; que Monsieur Z... se prévaut vainement de ce que la loi coranique algérienne autoriserait ce mariage ; que la bigamie est contraire à l'ordre public français auquel les époux se sont soumis en vivant en France ;Que, si des témoins du mari attestent que Madame Y... a déclaré qu'il n'avait qu'à se remarier, cette phrase, dont on ignore dans quelles circonstances exactes elle a été prononcée (défitä) ne saurait exonérer le mari de ses obligations d'époux ;Que Monsieur Z... ne peut sérieusement soutenir que son nouveau mariage ne pourrait être évoqué parce que survenu depuis le jugement entrepris, alors qu'au contraire il est survenu bien avant l'ordonnance de clôture et le jour des plaidoiries ; qu'en toute hypothèse, on voit mal comment une
violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune, survenue pendant la procédure d'appel d'un jugement de débouté de divorce, pourrait être écartée ;Considérant que le nouveau mariage de Monsieur Z..., dont le premier juge n'a pas eu connaissance, est une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune, qui justifie l'infirmation du jugement et le prononcé du divorce à ses torts exclusifs, sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant les griefs de Madame Y... ;SUR LA PRESTATION COMPENSATOIRE :Considérant que le divorce met fin au devoir de secours, mais que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ; Que cette prestation est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et des ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle ci dans un avenir prévisible ; Que dans la détermination des besoins et des ressources le juge prend en considération notamment :- l'âge et l'état de santé des époux,- la durée du mariage,- le temps déjà consacré ou qu'il leur faudra consacrer à l'éducation des enfants,- leur qualification et leur situation professionnelles au regard du marché du travail, - leur situation respective en matière de pensions de retraite,- leur patrimoine, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;Que cette prestation, qui a un caractère forfaitaire, prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge ; Considérant que le mariage a duré 47 ans, que les époux, qui se sont mariés sous le régime légal algérien, sont âgés respectivement de 74 ans pour le mari et de 67 ans pour la femme ; qu'ils ont eu neuf enfants, nés en 1959, 1961,1962, 1964, 1967, 1968,
1970,1972 et 1976 ;Considérant que les parties ont produit l'attestation sur l'honneur prévue par l'article 271 alinéa 2 ancien du Code civil ;Considérant que les époux ont acquis pendant le mariage un patrimoine se composant d'un pavillon situé 2 rue Robert Besson à Clichy Sous Bois - ayant constitué le logement familial et occupé par Madame Y... à titre gratuit depuis l'ordonnance de non conciliation -, d'un pavillon situé 40 allée du Télégraphe à Cagny, et de deux studios situés à cette dernière adresse ; que ces biens ayant été achetés par les deux époux, la Cour constate qu'aucun n'allègue disposer de droits supérieurs à ceux de l'autre ; que Madame Y... les évalue dans son attestation sur l'honneur à 199 000 et 190 000 euros ; que les biens situés à Cagny sont loués, Madame Y... déclarant n'en avoir jamais perçu sa part de loyers ; que Monsieur Z... fait état, en sus, d'un terrain de 2 500 m2 situé à Boumerguès non mentionné par son épouse ;Considérant qu'il ressort de sa déclaration sur l'honneur que Monsieur Z... dispose d'un bien propre, à savoir une terre en Algérie, située à Boumerdès, provenant d'un héritage ; qu'il précise, dans ses écritures, qu'il a fait construire une maison en Algérie après l'ordonnance de non conciliation ; qu'il déclare que s'il détient de sa famille une oliveraie, il ne l'exploite pas mais produit une attestation conforme aux exigences de l'article 202 du nouveau code de procédure civile de Monsieur A... qui le contredit sur ce point, en indiquant qu'il se consacre à la construction de la maison familiale, à ses terres et à ses oliviers ;Considérant que les époux sont retraités ; que leurs derniers avis d'imposition communs établissent qu'ils ont déclaré aux services fiscaux en 2003, Monsieur Z..., une somme de 10 865 euros, et Madame Y..., une somme de 6 769 euros et en 2004, Monsieur Z..., une somme de 11 034 euros, et Madame Y..., une somme de 6 438 euros ;Considérant que Monsieur Z... va déclarer au titre de
ses revenus 2005 des pensions de 7 665 euros de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse et de 3 343 euros émanant de la caisse de retraite PRO BTP ; qu'il perçoit en sus des majorations pour enfants ; qu'ainsi, en 2006, il perçoit à ce titre de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse 67,70 euros par mois en sus de sa retraite de 677,05 euros, soit 744,75 euros par mois (net mensuel : 712,75 euros ) ; qu'il déclare sur l'honneur avoir touché 11 008 euros de retraite et des loyers d'un montant annuel de 18 100 euros en 2004, soit un revenu mensuel moyen de 2 425 euros (917 euros + 1 508 euros) ; qu'il ressort des témoignages versés que Madame Y... a perçu les loyers lorsque son mari partait en Algérie ; que des comptes seront à faire entre époux, lors de la liquidation du régime matrimonial, si elle n'a pas reçu la part de loyers devant lui revenir ; Considérant que les charges de logement de Monsieur Z..., du fait de la construction de sa maison, représenteraient, pour trois ans encore, une somme de 972 euros par mois ; qu'il déclare avoir à charge sa nouvelle épouse et sa soeur handicapée âgée de 70 ans ; qu'il est âgé et malade ;Considérant que l'avis d'imposition 2004 de Madame Y... établit qu'elle a déclaré aux services fiscaux une somme de 9 144 euros en 2004 ; qu'elle va déclarer au titre de ses revenus 2005 des pensions de 6 378 euros de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse et de 496 euros émanant de la caisse de retraite ORGANIC ; qu'elle perçoit en sus des majorations pour enfants ; qu'ainsi, en 2006, elle perçoit à ce titre de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse 56,33 euros par mois en sus de sa retraite de 563,34 euros, soit 619,67 euros par mois ;Considérant que Monsieur Z... fait valoir, sans en justifier, qu'elle omet de déclarer la pension de veuvage de 300 euros par mois qu'elle percevrait en Algérie, et les revenus qu'elle tirerait de la location d'un taxi, 100 euros mensuels, ce qui, selon lui, porterait ses revenus mensuels à 1 415 euros ;
qu'elle ne répond pas sur ces points ; qu'il ajoute qu'elle disposerait de 25 000 à 30 000 euros sur un compte en Algérie et d'une maison, dont il est désormais exclu et que c'est lui qui règle par prélèvements automatiques les charges de son épouse ;Considérant que Madame Y..., qui déclare avoir contribué à la prospérité du bar tabac de Montreuil, souligne que sa santé n'est pas bonne ; que Monsieur Z... fait valoir qu'elle vit six mois par an en Algérie ;Considérant que la prestation compensatoire n'est pas destinée à égaliser les fortunes, ni à corriger les conséquences du régime matrimonial adopté par les époux ; qu'elle doit permettre d'éviter que l'un des époux soit plus atteint que l'autre par le divorce ;Considérant qu'il apparaît de l'ensemble de ces éléments que le prononcé du divorce ne crée pas, entre les conditions de vie respectives des époux, et au détriment de l'épouse, une disparité justifiant l'allocation d'une prestation compensatoire ; que Madame Y... sera déboutée de cette demande ;SUR LES DOMMAGES-INTÉRÊTS :Considérant que, selon l'article 266 ancien du Code civil, lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'un des époux, celui-ci peut être condamné à des dommages-intérêts en raison du préjudice matériel et moral que la dissolution du mariage fait subir à son conjoint ; Considérant que Madame Y... dont le mari a refait sa vie en Algérie subit du fait de la dissolution du mariage un préjudice qu'il convient de réparer en lui allouant 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;SUR LES AUTRES DEMANDES :Considérant que le divorce étant prononcé aux torts exclusifs de Monsieur Z..., il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et ne peut bénéficier de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; qu'il est équitable d'allouer à Madame Y... la somme de 3 000 euros pour ses frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de
clôture Rejette les écritures signifiées par Madame Y... le jour de l'ordonnance de clôture Infirme le jugement entrepris Statuant à nouveau :Vu l'ordonnance de non conciliation du 7 mai 2003,Prononce aux torts exclusifs du mari le divorce de :Amar Z..., né le 12 mai 1932 à Abada (Delys ou Dellys) commune de BOUMERDES(Algérie)et de Fatma Y..., née à Delys ou Dellys, en 1939,mariés le 2 décembre 1958 à Wilaya de BOUMERDES, commune de Delys ou Dellys (Algérie)Ordonne la mention du divorce en marge des actes de naissance et de mariage des époux Ordonne la liquidation du régime matrimonial ayant existé entre les époux et commet pour y procéder Monsieur le Président de la Chambre Départementale des notaires du dernier domicile conjugal ou son délégataire Renvoie, s'il y a lieu, les parties devant le juge du Tribunal de Grande Instance de Bobigny Déboute Madame Y... de sa demande de prestation compensatoire Condamne Monsieur Z... à lui payer :3000 euros à titre de dommages et intérêts,3000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile Rejette toutes demandes contraires ou plus amples des parties Condamne Monsieur Z... aux dépens de première instance et d'appel et accorde à l'avoué de Madame Y... le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.LE GREFFIER
LE PRESIDEN