Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
3ème Chambre - Section A
ARRET DU 13 DECEMBRE 2005
(no , 05pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 04/23086 Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2004 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG no 03/1236 - 3ème chambre APPELANTE la S.C.I. LES SAPINS ayant son siège : Souillac - 46700 FLORESSAS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour assistée de Maître SYNAVE Emmanuel du Barreau de Versailles - C193, avocat plaidant pour le compte de la SELAFA SOPEJ INTIMEE La Société MORILLON CORVOL, anciennement dénommée SABLIERES ET ENTREPRISE MORILLON CORVOL ayant son siège : ZONE SILIC 432, - 2 RUE DU VERSEAU - 94583 RUNGIS CEDEX représentée par la SCP MONIN-D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège INTIME PROVOQUE Monsieur Lucien X... ... assigné, n'ayant pas constitué Avoué COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Novembre 2005, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme CHAGNY, Président
Mme LE JAN, Conseiller
M. LE DAUPHIN , Conseiller
qui en ont délibéré Greffier, lors des débats : Monsieur MZE MCHINDA Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Madame CHAGNY, président et par Monsieur MZE MCHINDA, greffier présent lors du prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement en date du 9 novembre 2004 par lequel le tribunal de grande instance de Créteil a :
- débouté la société civile immobilière Les Sapins (la SCI) de ses prétentions dirigées contre la société Morillon Corvol, anciennement dénommée Sablières et Entreprises Morillon Corvol (SEMC)
- débouté la société Morillon Corvol de ses prétentions dirigées contre M. Lucien X...,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;
Vu l'appel formé par la SCI à l'encontre de cette décision ;
Vu les conclusions en date du 4 novembre 2005 par lesquelles l'appelante demande à la cour :
- de condamner la société Morillon Corvol à lui payer les sommes de 153.000 euros en réparation de son "préjudice patrimonial" et celle de 1.422.783,10 euros en réparation de son "préjudice économique",
- de débouter la société Morillon Corvol de l'intégralité de ses demandes dirigées contre M. X...,
- de la condamner à lui payer la somme de 7.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions en date du 8 novembre 2005 par lesquelles la société Morillon Corvol, intimée et appelante incidemment, demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SCI de toutes ses demandes,
- de le réformer pour le surplus et de :
. condamner M. X... à lui payer la somme de 571.683 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du dol imputable à ce dernier,
. condamner la SCI et M. X... à lui payer, chacun, la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu l'assignation délivrée par la société Morillon Corvol, le 1er septembre 2005, à la personne de M. X..., qui n'a pas constitué avoué ;
Sur ce :
Sur la demande principale :
Considérant que la SCI, ayant M. X... pour gérant, est propriétaire de terrains à usage de carrières de matériaux calcaires, situés sur le territoire des communes de Bourguignon, Thil, Gye sur Seine et Prégilbert (Aube) ; que les droits d'exploiter ces carrières, initialement accordés à la société anonyme OGCATP par différents
arrêtés préfectoraux intervenus entre 1985 et 1988, ont été transférés à la société en nom collectif Exploitations de Concassés Calcaires (ECC) par de nouveaux arrêtés pris courant 1990 ;
Considérant que par acte du 25 janvier 1991, M. X... agissant tant en son nom personnel que pour le compte des autres associés de la SCI et de la société ECC a conclu avec la société SEMC, devenue la société Morillon Corvol, un protocole d'accord aux termes duquel les associés de la société ECC se sont obligés à vendre à la société Morillon Corvol, pour le prix de cinq millions de francs les parts représentant le capital de la société ECC ; qu'il était stipulé que simultanément à la cession des parts, la SCI et la société ECC concluraient un contrat de fortage relativement aux sites situés sur les communes susvisées ; que les actes constatant les cessions de parts et le contrat de fortage susvisés ont été signés le 11 mars 1991 ;
Considérant que la convention de fortage ainsi conclue pour une durée de trente ans entre la SCI et la société ECC, laquelle a ultérieurement été absorbée par la société Morillon Corvol, stipule en son article 1er que la SCI concède à la société ECC "le droit d'exploiter les carrières de pierres en activité ou en réserve dans les terrains utilisés comme gisements ou servant à l'exploitation des carrières (...) situés sur les communes de Bourguignon, Thil, Gye sur Seine et Prégilbert" ;
Considérant que selon l'article 3, le droit de fortage est consenti à la société Morillon Corvol moyennant une redevance égale à 2,25 F HT la tonne vendue pour les granulats de catégorie C et de 1,50 F HT la tonne vendue pour les granulats de catégorie D ; que l'article 4 stipule que la société Morillon Corvol assurera au propriétaire le paiement d'une redevance annuelle minimale d'un montant de 300.000 francs, révisable au 1er janvier selon les modalités prévues au
contrat ; qu'il est précisé que "si le tonnage extrait dans l'année civile n'atteignait pas le tonnage correspondant à la redevance minimale versée pour l'année correspondante, la différence constituerait un tonnage payé d'avance, qui serait à valoir sur les tonnages à payer les années suivantes, au delà du tonnage correspondant à la redevance minimale annuelle à verser et ce jusqu'à imputation totale de ce tonnage payé d'avance dans la limite de la durée du contrat et de sa période de reconduction" ; qu'un avenant au contrat de fortage du 14 mars 1991 a prévu une majoration, sous certaines conditions, de la redevance dans le cas où la SCI serait en mesure de favoriser la conclusion de marchés de matériaux routiers et autoroutiers de la A26 et de la A5 au profit de la société ECC ;
Considérant que par arrêté du 3 décembre 1996, le préfet de l'Aube a, à la suite de la notification d'arrêt de travaux en date du 31 mai 1995 émanant de la société ECC, pris un arrêté de fin d'exploitation relatif à la carrière située sur la commune de Thil ;
Considérant qu'au soutien de sa demande en paiement de dommages-intérêts, l'appelante fait essentiellement valoir que l'arrêt de l'exploitation de la carrière de Thil, unilatéralement décidée par la société Morillon Corvol, caractérise de la part de celle-ci une violation de son obligation d'exploitation de chacune des carrières dont les droits lui ont été concédés, laquelle ressort de l'essence même du contrat de fortage liant les parties ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient l'intimée, cette demande ne se heurte pas à la prescription décennale instituée par l'article 110-4 du Code de commerce dès lors que ce n'est qu'à la réception d'une lettre de la société ECC datée du 9 mars 2000, l'informant de l'arrêté préfectoral de fin de travaux que l'appelante a eu une connaissance certaine de la décision de sa co-contractante de ne pas exploiter la carrière de Thil ;
Mais considérant que recevable, l'action n'est pas fondée, ainsi que l'a dit le premier juge ;
Considérant, en effet, qu'il ne résulte ni des termes ci-dessus reproduits de l'article 1er du contrat de fortage, définissant son objet et qui emporte cession au profit de la société ECC, pour trente ans, du "droit d'exploiter les carrières de pierres en activité ou en réserve" dans les terrains qu'il vise, ni d'aucune autre de ses stipulations, ni de "l'économie" ou de "l'essence" de ce contrat, que la société Morillon Corvol est tenue d'exploiter l'intégralité des sites bénéficiant, à la date de conclusion de ce contrat, d'une autorisation d'exploiter, y compris ceux dont l'exploitation ne serait pas rentable ; que la société Morillon Corvol fait à cet égard observer, sans être utilement contredite, qu'en l'état du marché local des granulats, il lui est impossible d'exploiter de façon rentable la carrière de Thil, en raison notamment de l'éloignement des centres de consommation des matériaux extraits de cette carrière et de leur inadaptation à la demande locale ;
Considérant, au demeurant, que la société Morillon Corvol, qui exploite effectivement d'autres sites au titre du contrat litigieux, a régulièrement acquitté la redevance annuelle laquelle est due pour l'ensemble des sites, sans distinction, la SCI bénéficiant aux termes du contrat, dans le cas où la redevance calculée proportionnellement au montant total des tonnages vendus serait inférieure à un certain niveau, de la garantie du versement d'une somme minimale, comme il a été indiqué ci-dessus, ce qui suffit à établir que la société Morillon Corvol a la maîtrise de l'exploitation des carrières qu'elle peut adapter aux variations du marché des matériaux ;
Considérant que la SCI ne saurait davantage soutenir que la société Morillon Corvol a commis une faute en notifiant l'arrêt des travaux d'exploitation de la carrière de Thil à l'administration dès lors que
les dispositions de l'article 24 du décret no 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement lui en faisaient obligation en l'absence d'exploitation de l'installation classée durant deux années consécutives, observation étant faite que l'arrêté préfectoral du 3 décembre 1996 ne fait nullement obstacle à la délivrance, le cas échéant, d'une nouvelle autorisation d'exploitation ;
Sur la demande reconventionnelle :
Considérant que la société Morillon Corvol soutient que M. X..., tant à titre personnel qu'ès qualités, a commis un dol aux fins d'obtenir la signature des actes des 25 janvier et 11 mars 1991 ; qu'elle expose sur ce point que tandis que le protocole d'accord signé le 25 janvier 1991 énonce que "les réserves de matériaux sur les sites de Bourguignon, Gye et Thil représentent un tonnage minimum de 35 millions de tonnes de calcaire dont 15 millions de tonnes de catégorie C et 20 millions de tonnes de catégorie D", il résulte d'une étude qu'elle a fait réaliser courant 2000 par le laboratoire régional des Ponts et Chaussées qu'il existe un écart de plus de dix millions de tonnes entre les réserves de granulats du site de Gye et celles annoncées, soit 20 millions de tonnes, ce que M. X... ne pouvait ignorer puisqu'il est à l'origine des différentes autorisations d'exploiter, donc des différents sondages alors effectués, et qu'il a exploité une première partie de la carrière en cause avant la cession ;
Mais considérant que la société Morillon Corvol ne rapporte pas la preuve de la réalité du mensonge qu'elle invoque au soutien de cette prétention ; qu'il y a lieu de relever à cet égard que le tonnage minimum de 35 millions de tonnes de calcaire dont fait état l'acte du 25 janvier 1991 ne s'applique pas au seul site de Gye mais aux "sites
de Bourguignon, Gye et Thil", la seule indication spécifique au site de Gye (20 millions de tonnes) figurant sous la mention "Estimation des réserves à exploiter", exclusive d'une garantie de capacité ; qu'en outre les éléments de preuve invoqués par l'intimée à l'appui de ses allégations quant au volume des réserves de calcaire du site de Gye sur Seine sont contredits par ceux produits par l'appelante, telle l'estimation du volume exploitable de la carrière de Gye sur Seine faite le 30 septembre 2003 par un géomètre expert ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré ;
Considérant qu'il convient d'accueillir partiellement la demande formée par la société Morillon Corvol à l'encontre de la SCI, au titre de l'instance d'appel, sur la base des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne la société civile immobilière Les Sapins à payer à la société Morillon Corvol la somme de 7.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La condamne au paiement des dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code ;
Rejette toute autre demande ; LE GREFFIER LE PRESIDENT H. MZE MCHINDA B. CHAGNY