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27/06/2024 | FRANCE | N°21/00464

France | France, Cour d'appel de Papeete, Cabinet d, 27 juin 2024, 21/00464


N° 193



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Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Guédikian,

le 28.06.2024.





Copie authentique délivrée à :

- Me Dumas,

le 28.06.2024.



REPUBLIQUE FRANCAISE



COUR D'APPEL DE PAPEETE



Chambre Commerciale





Audience du 27 juin 2024





RG 21/00464 ;



Décision déférée à la Cour : jugement n° 2021/97, rg n° 2014 001500 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 18 juin 2021 ;

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Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 13 décembre 2021 ;



Appelants :



M. [W] [S], ès-qualitès de liquidateur de M. [X] [P] ;



M. [X] [P], né le [Date naissance 1] 1953 à [Localit...

N° 193

GR

-------------

Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Guédikian,

le 28.06.2024.

Copie authentique délivrée à :

- Me Dumas,

le 28.06.2024.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

Chambre Commerciale

Audience du 27 juin 2024

RG 21/00464 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 2021/97, rg n° 2014 001500 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 18 juin 2021 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 13 décembre 2021 ;

Appelants :

M. [W] [S], ès-qualitès de liquidateur de M. [X] [P] ;

M. [X] [P], né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 2], de nationalité française, demeurant à [Adresse 3] ;

Représentés par Me Brice DUMAS, avocat au barreau de Papeete et Mes Catherine DUPUY et Julie VERDON, avocats au barreau de Paris ;

Intimés :

La Sa Banque de Tahiti, immatriculée au Rcs dez Papeete sous le n° 68 33 B, n° Tahiti 030130 dont le siège social est sis à [Adresse 4] ;

Représentée par Me Gilles GUEDIKIAN, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 29 février 2024 ;

Composition de la Cour :

La cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 14 mars 2024, devant M. RIPOLL, conseiller faisant fonction de président, M. SEKKAKI et Mme MARTINEZ, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

La cour se réfère à la décision dont appel pour l'exposé du litige et de la procédure antérieure. Au vu des pièces produites, la chronologie du litige est la suivante :

La cour écarte des débats les pièces rédigées dans une langue autre que le français et non traduites en français.

La SARL SOCIÉTÉ DE DÉVELOPPEMENT DE MOOREA (SDM) dont le gérant était [X] [P] avait pour objet l'achat, la mise en construction, la location, la sous-location, l'affrètement et l'armement de tous navires affectés au transport maritime de passagers et de marchandises.

La SARL SOCIÉTÉ DE TRANSPORTS INSULAIRES MARITIMES (STIM) dont le gérant était aussi [X] [P] avait pour objet toutes opérations de transports de marchandises et de personnes par bateaux interinsulaires.

La BANQUE DE TAHITI a consenti plusieurs concours :

30/04/2008 : crédit à SDM d'un montant de 500 000 000 F CFP pour l'achat d'un navire type catamaran, avec la caution personnelle et solidaire de [X] [P] et la caution solidaire de la STIM.

05/10/2009 : crédit à SDM d'un montant de 135 000 000 F CFP pour financer partiellement le dépassement de budget pour l'acquisition du navire Seacat et les travaux d'aménagement, avec la caution solidaire de STIM.

05/10/2009 : convention en compte courant avec caution personnelle et solidaire de [X] [P] à hauteur de 15 000 000 F CFP, montant du découvert autorisé.

La BANQUE DE TAHITI a notifié le 27/10/2010 à SDM et [X] [P] son refus d'un troisième concours, motivé par le dépassement du double du budget initial d'acquisition du navire, lequel était toujours en chantier en Corée. Elle a demandé «de nous préciser très rapidement les mesures que vous entendez prendre pour reconstituer votre trésorerie et couvrir les différentes échéances qui seront dues à notre établissement dans le futur». Une relance a été faite le 06/12/2010.

Par courrier du 06/04/2011, la BANQUE DE TAHITI a demandé à SDM de présenter très rapidement un dossier technique complet de refinancement après que [X] [P] lui ait indiqué qu'elle était en quasi-cessation des paiements et que son actionnaire STIM ne pouvait plus la soutenir sans se mettre à son tour en péril.

La BANQUE DE TAHITI a notifié le 03/05/2011 :

-à SDM la clôture du compte courant et l'a mise en demeure d'en régler le solde débiteur d'un montant de 14 920 813 F CFP ;

-à SDM la déchéance du terme du prêt de 500 MF CFP suite à 2 échéances impayées ;

-à [X] [P] et à la STIM son appel de cautions au titre du prêt SDM de 500 MF CFP ;

-à STIM son appel de caution au titre du prêt SDM de 135 MF CFP.

La BANQUE DE TAHITI a notifié le 13/05/2011 :

-à STIM son appel de caution au titre des prêts SDM de 500 MF CFP et 135 MF CFP ;

-à [X] [P] son appel de caution au titre de la convention en compte courant.

Le 16/05/2011, SDM a saisi le président du tribunal mixte de commerce d'une demande d'ouverture d'une procédure de règlement amiable en raison de difficultés de trésorerie suite à l'arrêt d'une partie de ses activités depuis plusieurs mois, de la nécessité de trouver un accord de règlement de son passif avec ses principaux créanciers, notamment la BANQUE DE TAHITI, et de trouver une source de financement nouvelle en liaison avec son projet économique (vente d'un bateau et achat d'un autre). Le président du tribunal mixte de commerce a désigné un conciliateur.

La BANQUE DE TAHITI a été autorisée par ordonnance sur requête du 21/11/2011 à prendre une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire sur les biens de [X] [P] pour un montant de 503 358 041 F CFP.

La société SDM a été placée en liquidation judiciaire le 28/11/2011.

La BANQUE DE TAHITI a assigné [X] [P] devant le tribunal mixte de commerce le 23/01/2012 en sa qualité de caution du prêt de 500 MF CFP et du découvert en compte courant de 15 MF CFP.

La BANQUE DE TAHITI a assigné [X] [P] le 14/05/2012 en validation de l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire.

La BANQUE DE TAHITI, [X] [P] et la société STIM représentées par ses mandataires judiciaires ont signé le 10/09/2013 un protocole transactionnel aux termes duquel, notamment :

-la STIM a fait l'objet d'une procédure collective ; la BANQUE DE TAHITI a déclaré une créance de 668 975 364 F CFP ; un accord a été trouvé pour ramener la créance au montant de 330 MF CFP afin de permettre l'adoption d'un plan de redressement par continuation ;

-[X] [P] se reconnaît débiteur de la somme de 668 975 364 F CFP ; la BANQUE DE TAHITI consent à arrêter forfaitairement le montant de sa créance à la somme de 330 MF CFP aux conditions arrêtées par le protocole ; un échéancier a été prévu ;

-une clause résolutoire a été insérée.

Par jugement du 31/01/2014, le tribunal mixte de commerce, statuant dans l'instance formée par la BANQUE DE TAHITI contre [X] [P] en qualité de caution de SDM, a constaté que [X] [P] acquiesce à la demande de la BANQUE DE TAHITI tendant au constat de l'existence à son profit d'une créance à hauteur de 503 358 041 F CFP au titre du prêt et de l'autorisation de découvert accordés à la société SDM respectivement le 30/04/2008 et le 05/10/2009, et ce en suite de l'accord transactionnel du 10/09/2013.

Par jugement du 17/03/2014, le tribunal de première instance de Papeete, statuant dans l'instance en validité formée par la BANQUE DE TAHITI, a homologué le protocole transactionnel du 10 septembre 2013.

Le 25/06/2014, le liquidateur judiciaire de la société SDM, Me [W] [S], a assigné [X] [P] en comblement du passif évalué provisoirement à 1 107 359 817 F CFP

[X] [P] a assigné la BANQUE DE TAHITI le 03/11/2014 en responsabilité pour octroi de crédits excessifs. Il s'agit de la présente instance.

Par jugement du 16/06/2017, confirmé par arrêt de cette cour du 20/12/2018, le tribunal mixte de commerce de Papeete a déclaré l'action de [X] [P] contre la BANQUE DE TAHITI recevable.

Par arrêt du 08/11/2018, cette cour a, par infirmation d'un jugement du tribunal mixte de commerce du 26/02/2018, déclaré recevable la requête en comblement de l'insuffisance d'actif formée par le liquidateur judiciaire de la société SDM à l'encontre de son gérant [X] [P], et a condamné ce dernier à supporter l'insuffisance d'actif de la société SDM à hauteur de 399 476 315 F CFP.

Par jugement rendu le 18 juin 2021, le tribunal mixte de commerce de Papeete a, dans la présente instance :

Débouté [X] [P] de l'ensemble de ses prétentions ;

Débouté la BANQUE DE TAHITI de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamné [X] [P] à payer à la BANQUE DE TAHITI la somme de 500 000 FRANCS CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile.

[X] [P] a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 13 décembre 2021. Il a été placé en liquidation judiciaire le 21 mars 2022 et l'instance a été poursuivie par son liquidateur judiciaire.

Il est demandé :

1° par Me [W] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire de [X] [P], dans ses conclusions récapitulatives visées le 29 février 2024, de :

Prendre acte de la reprise de l'action par Me [W] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [X] [P] ;

infirmer le jugement entrepris ;

Puis statuant de nouveau,

juger que la Banque de Tahiti a commis une faute en octroyant des prêts d'un montant excessif à la SDM et a par conséquent engagé sa responsabilité à l'encontre de Monsieur [P], caution de la SDM ;

Par conséquent,

condamner la Banque de Tahiti à verser à Monsieur [W] [S] ès qualités de liquidateur de M. [P] 503 358 041 F CFP et 38 195 962 F CFP au titre des sommes qui lui sont réclamées par la Banque de Tahiti en sa qualité de caution ;

condamner la Banque de Tahiti à régler à Monsieur [W] [S] ès qualités de liquidateur de Monsieur [P] les sommes suivantes :

235 000 000 F CFP correspondant à la valeur des parts détenues dans la SDM avant la date de cessation des paiements,

300 000 000 F CFP correspondant à la perte de chance de réaliser des gains futurs au sein de la STIM sur les 10 années à venir,

240 000 000 F CFP correspondant à la perte de chance de réaliser des gains futurs au sein de la SDM sur les 10 années à venir ;

condamner la Banque de Tahiti à payer à Monsieur [W] [S] ès qualités de liquidateur de Monsieur [P] la somme de 550 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens ;

2° par la SA BANQUE DE TAHITI, dans ses conclusions récapitulatives visées le 14 octobre 2022, de :

Débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamner [X] [P] au paiement de la somme de 5 000 000 F CFP à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Le condamner à lui payer la somme de 500 000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens.

Une demande de communication du dossier bancaire a été rejetée par ordonnance du conseiller chargé de la mise en état du 12 janvier 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 février 2024.

Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n'est pas discutée.

La cour écarte des débats les pièces produites rédigées dans une langue autre que le français et non traduites en français.

Le jugement dont appel a retenu que :

-Sur la demande principale :

-Le présent procès, engagé à l'initiative de M [X] [P], tend, in fine, à rechercher le responsable de la déconfiture de la SDM. Un premier élément de réponse est déjà connu et ne peut donner lieu à contestation en vertu du principe «Res judicata pro veritate habetur». En effet, il est acquis que M. [X] [P] a commis une faute de gestion «consistant dans le maintien d'une activité à l'évidence déficitaire, qui ne pouvait conduire qu'à la cessation de paiements et dont la poursuite a aggravé l'insuffisance d'actif.» (arrêt du 8 novembre 2018 de la cour d'appel de Papeete).

-Ce premier élément de réponse n'empêche pas de vérifier, ainsi que le prétend M. [X] [P], si la BANQUE DE TAHITI n'a pas commis, elle aussi, une faute en ayant octroyé trois prêts à un moment où la SDM aurait été dans l'incapacité de s'autofinancer, sa situation étant irrémédiablement compromise, ces prêts précipitant la dégradation financière de l'entreprise par la charge de remboursement à des coûts excessifs.

-Mais M. [X] [P] ne parvient pas à démontrer que la situation de sa société, lors de l'attribution des crédits, était indiscutablement dégradée : les trois crédits ont été consentis le 30 avril 2008 et le 5 octobre 2009. Or, ce n'est que bien après que, M. [X] [P] a saisi le président du tribunal mixte de commerce d'une requête d'ouverture de règlement amiable le 16 mai 2011, requête à laquelle il a été fait droit le même jour ; or, un règlement amiable ne peut pas être ouvert si le requérant est en état de cessation des paiements. Il s'en déduit que si, en mai 2011, il n'y avait pas d'état de cessation de paiement, a fortiori, deux ans plus tôt. D'ailleurs, à l'occasion de l'ouverture du redressement judiciaire, le TMC a retenu comme date de cessation des paiements le 25 novembre 2011, date remontée finalement au 1er juin 2010. Toutes dates largement postérieures (au moins 18 mois) aux attributions des crédits en cause.

-M. [X] [P] ne démontre pas davantage que les prêts dont il a bénéficié étaient assortis d'un taux d'intérêt abusif et ruineux. Outre que, juridiquement, dans la situation dont il est ici question, il n'y avait pas lieu à appliquer la réglementation en matière d'usure, et fort pertinemment M. [X] [P] se garde bien d'invoquer formellement un tel moyen à l'encontre de la BANQUE DE TAHITI, il est établi que les taux pratiqués dans les opérations en cause ne peuvent être qualifiés d'usuraires. S'agissant de la convention de découvert du 5 octobre 2009, les explications volontairement absconses des parties censées éclairer les clauses du contrat rédigées de manière soigneusement obscures, n'ont guère contribué à dégrossir les débats. En tout état de cause et en l'état, le tribunal considère que M. [X] [P], à qui impute la charge de la preuve, ne démontre pas que les taux appliqués aux trois contrats en cause étaient abusifs.

-En troisième lieu, M. [X] [P] ne démontre pas que la BANQUE DE TAHITI détenait sur la SDM des informations dont elle pouvait tirer la conclusion que sa situation était compromise. C'est sur la base de la comptabilité de 2007 que les crédits du 30 avril 2008 ont été négociés : or, il ne ressort pas des débats que cette comptabilité faisait apparaître une situation obérée. C'est sur la base de la comptabilité de 2008 que le crédit consenti le 5 octobre 2009 a été négocié : or, il ne ressort pas des débats que cette comptabilité faisait apparaître une situation obérée.

-M. [X] [P] relève à juste titre, après la cour d'appel dans son arrêt du 8 novembre 2018, que «la dette exigible de la SDM est passée de 16132 023francs CFP au 31 mars 2010 à plus de 50 000 000 francs CFP au 31 décembre 2010», mais cette augmentation, rapportée à l'importance des chiffres d'affaires de la société et aux enjeux de ses projets d'investissement reste très modérée. Ainsi, au 31 décembre 2010, le total du bilan de la société approchait le milliard (996 374 647 francs CFP) et son chiffre d'affaires approchait les 650 millions (647 780 768 francs CFP). S'agissant des résultats, si «le résultat net est déficitaire de 790 MCFP au 31/12/2010, ... il était proche de l'équilibre les années précédentes» (page 9 du rapport de M. [Z] [T]). La trésorerie est également positive lors de l'octroi des prêts : «le cash-flow qui représente les flux de trésorerie de la société est excédentaire en 2007 et 2008, à l'équilibre en 2009 et n'est déficitaire qu'en 2010, essentiellement à cause des intérêts versés.» (page 9 du rapport de M. [Z] [T]).

-Les débats ont suffisamment mis en évidence que la SDM, qui s'appuyait dans cette opération sur la STIM et sur M [X] [P], constituait à cette époque un acteur économique incontournable du transport maritime en Polynésie française ; son activité, son rayonnement et son poids financier étaient incontestables et la BANQUE DE TAHITI ne peut se voir reprocher d'avoir accompagné un client important dans une opération d'investissement dont le caractère nécessaire a été longuement décrit dans les débats. En effet, les crédits en cause étaient destinés à une importante opération d'investissement, en l'espèce l'acquisition d'un navire, et non le financement du fonctionnement de la SDM ou le renflouement de sa trésorerie, dont la BANQUE DE TAHITI avait été convaincue de la pertinence par les arguments de M. [X] [P] dont le savoir-faire et la place sur le secteur du transport maritime faisaient autorité. Cet investissement présentait alors un caractère stratégique pour la SDM à ce moment de son activité.

-En réalité, les difficultés de la SDM ne peuvent évidemment être imputées à la BANQUE DE TAHITI qui a suivi son client dans cet ambitieux projet, mais au surcoût d'acquisition du navire dont la cause est notamment une grave faute dans l'appréciation de la qualité du produit acheté.

-Il ne faut pas mélanger la cause et la conséquence : le coût occasionné par les remboursements des trois crédits n'a certainement pas été la cause de la déconfiture de la SDM. C'est l'échec de l'opération d'acquisition du SEACAT qui a provoqué la faillite de la SDM, la charge des emprunts devenant alors excessive : «l'acquisition et les difficultés rencontrées dans l'exécution des travaux du navire SEACAT acquis en 2008 ont détruit cet équilibre (page 14 du rapport de M. [Z] [T]).

-Dans ces conditions, il est impossible de conclure que la BANQUE DE TAHITI, en octroyant trois crédits le 30 avril 2008 et le 5 octobre 2009, a continué à soutenir artificiellement une entreprise dont elle connaissait la situation irrémédiablement compromise ou lui a consenti un crédit ruineux. Il convient de débouter M. [X] [P].

-Sur la demande de dommages et intérêts de la BANQUE DE TAHITI pour procédure abusive :

Il n'est pas démontré que M. [X] [P] a abusé du droit de saisir la justice pour faire valoir ce qu'il estime être son droit, même si le tribunal l'en a finalement débouté. Il y a lieu de débouter la BANQUE DE TAHITI de ce chef de prétention.

Les moyens d'appel de [X] [P] sont : la BANQUE DE TAHITI a octroyé des crédits à la SDM alors que sa situation financière était déjà irrémédiablement compromise ; subsidiairement, la banque ne pouvait ignorer que l'effondrement de la SDM était inéluctable puisque lorsqu'elle a octroyé les crédits litigieux SDM était depuis des années dans l'incapacité systématique de dégager un résultat net d'exploitation positif lui permettant de rembourser la charge de la dette excessive des emprunts ; en sa qualité de caution, [X] [P] est fondé à demander l'indemnisation du préjudice causé par la faute de la BANQUE DE TAHITI, à savoir la valeur des parts détenues dans STIM avant cessation des paiements et la perte de chance de ses gains futurs dans STIM et SDM, cette indemnisation se compensant avec les sommes dues au titre des cautionnements.

La BANQUE DE TAHITI conclut que : la SDM n'était pas en état de cessation des paiements quand les concours ont été consentis ; ceux-ci ont été fondés sur les propres données de l'emprunteur ; les taux d'intérêt n'étaient pas usuraires ; les résultats financiers n'étaient pas inquiétants ; les concours ont été dénoncés quand la banque risquait d'être accusée de soutien abusif ; [X] [P] est de mauvaise foi quand il prétend avoir été en déconfiture alors qu'il a présenté des demandes de crédit argumentées par ses bonnes perspectives ; il invoque des préjudices imaginaires ; son action est abusive.

Sur quoi :

[X] [P] exerce contre la BANQUE DE TAHITI une action en responsabilité «pour avoir octroyé des crédits inadaptés à la SOCIÉTÉ DE DÉVELOPPEMENT DE MOOREA». L'objet de ses demandes est la réparation «des préjudices subis en sa qualité de caution de la SDM».

Le banquier doit mettre en garde l'emprunteur lorsque celui-ci n'est pas averti, et que le prêt n'est pas adapté à ses capacités financières, de telle sorte qu'il est susceptible de générer un endettement excessif (Cass., ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104).

L'obligation de mise en garde pèse aussi sur le banquier à l'égard de la caution non avertie. Elle doit être alertée sur le risque de non-remboursement de prêt et sur le risque d'endettement créé par son propre engagement eu égard à ses capacités financières (Com. 23 sept. 2014, n° 13-18.827). Le risque d'endettement excessif doit être démontré par la caution (Com. 26 janv. 2016, n° 14-23.462).

Mais ces conditions ne sont pas réunies en l'espèce.

[X] [P] se décrit comme étant «alors gérant de ces deux sociétés spécialisées dans le transport maritime de passagers et de marchandises, la STIM desservait les Tuamotu, les Gambier et les Îles sous le vent tandis que la SDM desservait l'île de Moorea». Les opérations de navigation maritime sont réputées actes de commerce (C. com., art. L110-2).

Par conséquent, les engagements qu'il a souscrits envers la BANQUE DE TAHITI en 2008 et en 2009, tels qu'ils ont été liminairement rappelés, l'ont été en qualité de dirigeant averti des sociétés SDM et STIM, et en qualité de caution personnelle et solidaire tout aussi avertie.

Par des motifs exacts en fait et bien fondés en droit, que ne remettent pas en cause les moyens d'appel, et que la cour adopte, la décision entreprise a justement analysé les éléments sur lesquels la BANQUE DE TAHITI a accordé ses concours à un emprunteur averti avec la garantie de son dirigeant, lui-même caution avertie.

Il résulte au demeurant des propres pièces produites par [X] [P] que :

Le résultat net de SDM était de -17 MF CFP en 2007, -9 MF CFP en 2008 et -39 MF CFP en 2009. Mais SDM était filiale à 99,99 % de STIM dont le résultat net a été de 31 MF CFP en 2007 et 24 MF CFP en 2009 (consultation BERCEGOL).

La demande de financement du «GROUPE [X] [P] TRANSPORT MARITIME» de mai 2010 exposait notamment que :

«Ces mesures ont permis à la SDM d'augmenter son CA de 20 % depuis sa prise de contrôle par la STIM (2007 à 2009) et de retrouver une exploitation excédentaire. Malheureusement, la qualité de service, obérée par des navires anciens, est un frein à son développement, plus particulièrement dans sa volonté de récupérer des parts de marché».

Le budget initial d'achat d'un nouveau navire était de 500 MF CFP (crédit BANQUE DE TAHITI) + 62 MF CFP (fonds propres). Diverses difficultés (certification, variations de change, travaux, charges) ont porté le budget à 700 MF CFP, d'où un financement supplémentaire de 135 MF CFP par la BANQUE DE TAHITI. Le nouveau besoin de financement était de 1 030 MF CFP. «Il conviendrait donc pour la SDM de renforcer ses fonds propres afin de rétablir sa structure financière et de développer son activité avec un produit plus compétitif». «L'activité de la SDM a pourtant bien progressé ces 3 dernières années et ses résultats se sont améliorés, au niveau de la CAF notamment, grâce aux mesures prises depuis 2007.» «Nous pouvons affirmer que le nouveau produit mis sur la desserte de qualité bien supérieure à ce qui est proposé actuellement permettra à la SDM d'atteindre ses objectifs».

«Les comptes sociaux de la STIM traduisent une structure financière saine avec une intéressante capacité d'endettement».

«En synthèse, la situation du groupe est la suivante. La SARL SDM a une structure déséquilibrée et doit renforcer ses fonds propres (inférieurs à la moitié du capital). En contrepartie, elle présente des perspectives intéressantes et certaines de développement de son activité, eu égard à son positionnement et à son expérience sur la desserte. La mise en exploitation du nouveau navire devrait favoriser le développement de son activité. La SARL STIM dispose d'une structure financière équilibrée et d'une capacité d'endettement certaine. En contrepartie, les perspectives de développement de son activité restent aléatoires compte tenu de la baisse enregistrée sur les dessertes Tuamotu et Gambier et l'installation d'un nouveau concurrent, même si les effets semblent minimes pour les activités de la STIM. Par ailleurs, le rallongement des délais clients risque de tendre la trésorerie de la société. Le groupe a besoin d'un financement de 330 MF CFP.»

La BANQUE DE TAHITI a notifié en octobre 2010 son refus d'un troisième concours, en raison du dépassement du budget. [X] [P] ne rapporte pas la preuve qu'elle ait disposé en 2008 et en 2009 d'informations sur les sociétés SDM et STIM de nature à permettre de penser que celles-ci encouraient un risque excessif d'endettement, et dont lui-même n'aurait pas eu connaissance.

L'expert-comptable [Z] [T] consulté par [X] [P] a indiqué dans son rapport du 05/12/2014 :

«Le cash-flow qui représente les flux de trésorerie de la société (SDM) est excédentaire en 2007 et 2008, à l'équilibre en 2009 et n'est déficitaire qu'en 2010, essentiellement à cause des intérêts versés. Ce sont donc les frais financiers liés aux emprunts contractés pour le SEACAT qui obèrent la trésorerie (') L'endettement bancaire représente près de 7 fois les capitaux propres (de SDM) dès 2008, ce qui est déjà très élevé, et à 14 fois les capitaux propres en 2009, mais il est aussi insuffisant puisqu'il ne couvre pas l'investissement qui se monte à 843 MF CFP au 31/12/2010 (') Les intérêts sont du même ordre de grandeur que l'EBE de 2007».

Il n'en résulte pas la preuve que la charge d'intérêts des concours de la BANQUE DE TAHITI a été causée par la stipulation de taux d'intérêt usuraires.

Le premier juge a exactement relevé que la demande par SDM en mai 2011 de l'ouverture d'une procédure de règlement amiable, à laquelle il a été fait droit, exclut qu'elle ait alors été en état de cessation des paiements. A plus forte en raison en 2008 et en 2009, où l'octroi des concours de la BANQUE DE TAHITI, adossés à des perspectives argumentées de rentabilité grâce à l'investissement financé, s'inscrivait dans la continuité de l'exploitation. C'est le dépassement du budget d'investissement qui a été à l'origine des difficultés qui ont conduit à la cessation des paiements, quand la BANQUE DE TAHITI a refusé d'augmenter une fois de plus ses concours. Il est contradictoire pour [X] [P] de dénoncer des crédits excessifs alors qu'il a demandé ensuite à la banque d'augmenter ceux-ci, au risque d'un soutien abusif.

L'action en responsabilité contre la BANQUE DE TAHITI est exercée par [X] [P] alors qu'il était un emprunteur et une caution avertis. Il ne rapporte pas la preuve que la BANQUE DE TAHITI a apporté ses concours alors qu'elle avait connaissance d'éléments ignorés de lui permettant de caractériser un risque excessif d'endettement pour l'emprunteur ou les cautions.

Pour ses motifs adoptés et pour les présents motifs, le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté [X] [P] de l'ensemble de ses prétentions.

La BANQUE DE TAHITI ne démontre pas avoir subi, du fait de l'exercice par [X] [P] de la présente action, un préjudice distinct de celui que peuvent compenser les dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, qu'il échet d'appliquer en sa faveur. Il n'est justifié d'aucune atteinte à sa réputation commerciale, et les intérêts moratoires assortissent sa créance contre [X] [P].

Le jugement sera donc également confirmé de ce chef. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Vu l'arrêt du 8 novembre 2018 ;

Déclare recevable la poursuite de l'instance par Me [W] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire de [X] [P] ;

Écarte des débats les pièces produites rédigées dans une langue autre que le français et non traduites en français ;

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne [X] [P] représenté par Me [W] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire à payer à la SA BANQUE DE TAHITI la somme supplémentaire de 500 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour ;

Rejette toute autre demande ;

Met à la charge de [X] [P] représenté par Me [W] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire les dépens de première instance et d'appel.

Prononcé à Papeete, le 27 juin 2024.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Papeete
Formation : Cabinet d
Numéro d'arrêt : 21/00464
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;21.00464 ?
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