N° 192
GR
-------------
Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Mikou,
le 27.06.2024.
Copies authentiques délivrées à :
- Me Usang,
- Ministère Public,
- Greffier Rc,
- Greffier Tmc,
le 27.06.2024.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 27 juin 2024
RG 21/00344 ;
Décision déférée à la Cour : arrêt n° 2021/75, rg n° 2020 001350 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 22 mars 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 16 septembre 2021 ;
Appelante :
Mme [T] [B] [G] épouse [F], née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 3], de nationalité française, demeurant à [Adresse 4] ;
Représentée par Me Arcus USANG, avocat au barreau de Papeete ;
Intimé :
M. [H] [I], [Adresse 2], ès qualitès de liquidateur judiciaire de la Sarl Le Flamboyant ;
Ayant pour avocat la Selarl Mikou, représentée par Me Mourad MIKOU, avocat au barreau de Papeete ;
Le Ministère Public, ayant conclu ;
Son avis ayant été régulièrement notifié aux parties ;
Composition de la Cour :
Après communication de la procédure au ministère public conformément aux articles 249 et suivants du code de procédure civile de la Polynésie française et la cause a été débattue et plaidée en audience non publique du 14 mars 2024, devant M. RIPOLL, conseiller faisant fonction de président, M. SEKKAKI et Mme MARTINEZ, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
La cour se réfère à la décision dont appel pour l'exposé du litige et de la procédure antérieure. Il suffit de rappeler que :
-La SARL LE FLAMBOYANT :
La SARL LE FLAMBOYANT a été créée en 2014 entre les époux [D] [F], pharmacien (1 part), et [T] [G], enseignante (99 parts), pour exploiter un fonds de commerce de supermarché. [T] [G] a été désignée comme gérante.
La société a contracté un emprunt d'un montant de 30 MF CFP cautionné par les époux en 2016 et un bail commercial en 2017. Une activité de débit de boisson a été adjointe en 2017.
Le fonds de commerce TIARE TAHITI MARKET a fait l'objet d'un compromis de cession le 12 septembre 2018, date à laquelle la société a déclaré sa mise en sommeil. L'acte de cession a été signé le 1er mars 2019 pour le prix de 35 000 000 F CFP.
Le notaire chargé de la cession a notifié le 13 mai 2019 aux créanciers qui, en suite de la publicité légale de la cession, se sont déclarés pour un montant total de 27 692 786 F CFP, une proposition de distribution du prix d'un montant de 34 000 000 F CFP.
La SARL LE FLAMBOYANT a saisi le tribunal civil de première instance par requête du 9 octobre 2019 pour demander l'annulation du compromis de vente du fonds de commerce, au motif de la non-réalisation de la promesse de vente des murs concomitante par la SCI TIARE [V] (constituée entre les époux [F]) au cessionnaire, la SOCIÉTÉ DE DISTRIBUTION DE [V].
L'un des créanciers, la société TIKIPAC, a saisi le tribunal mixte de commerce le 7 février 2020 aux fins de voir prononcer la liquidation judiciaire de la SARL LE FLAMBOYANT. Celle-ci avait saisi le tribunal aux mêmes fins le 5 février 2020 puis s'était désistée. La liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 24 février 2020 au constat de son impossibilité d'exécuter une injonction de payer prise en faveur de la société TIKIPAC en juillet 2019 pour un montant de 708 886 F CFP, et de sa cessation d'activité.
L'état des créances mentionne un passif d'un montant de 64 038 500 F CFP. La vente du fonds de commerce a procuré 35 041 803 F CFP.
Le liquidateur judiciaire, Me [H] [I], a saisi le tribunal mixte de commerce le 3 décembre 2020 aux fins de voir condamner [T] [G] à supporter l'intégralité du passif.
Par jugement avant dire droit du 22 mars 2021, le tribunal a rouvert les débats pour vérifier le montant de l'insuffisance d'actif.
Par jugement rendu le 23 août 2021, le tribunal mixte de commerce de Papeete a :
Condamné [T] [G] épouse [F] à verser au passif de la SARL LE FLAMBOYANT la somme de 28 996 697 F CFP ;
Condamné [T] [G] épouse [F] à payer au liquidateur judiciaire ès qualités la somme de 350 000 F CFP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Dit que le jugement fait l'objet des notifications prévues aux articles 165 et suivants de la délibération du 15 février 1990 ;
Condamné [T] [G] épouse [F] aux dépens.
-La SCI TIARE [V] :
La SCI TIARE [V] a été créée en 2011 entre les époux [D] [F] (99 parts) et [T] [G] (1 part), mariés sous le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts.
Elle a fait construire l'immeuble dans lequel serait exploité le supermarché, voisin de la pharmacie de [D] [F] à [Localité 5]. Un litige l'a opposée à l'entrepreneur [X] [R]. Le certificat de conformité a été délivré en 2017.
Corrélativement à la cession du fonds de commerce LE FLAMBOYANT, l'immeuble a fait l'objet d'un compromis de vente du 16 octobre 2018 au prix de 65 000 000 F CFP.
La SARL LE FLAMBOYANT a saisi le tribunal civil le 9 octobre 2019 d'une demande d'annulation de la promesse de vente du fonds de commerce au motif de la non-réalisation de la vente des murs concomitamment.
[D] [F] exerçant individuellement à l'enseigne PHARMACIE TIARE TAHITI a été placé en redressement judiciaire par jugement du 14 septembre 2020.
La Banque SOCREDO a assigné [T] [F] épouse [G] le 13 octobre 2020 devant le tribunal mixte de commerce aux fins de remboursement d'un prêt.
[T] [G] a relevé appel des deux jugements des 22 mars et 23 août 2021 par requête enregistrée au greffe le 16 septembre 2021.
Sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire a été rejetée par ordonnance du premier président rendue le 9 février 2022.
Il est demandé :
1° par [T] [G] épouse [F], dans ses conclusions visées le 26 janvier 2023, de :
Déclarer l'appel recevable ;
Prononcer la nullité des jugements des 22 mars et 23 août 2021 ;
Subsidiairement, infirmer le jugement du 23 août 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Vu son absence de convocation en vue d'une audition personnelle, vu son absence d'audition personnelle préalable et obligatoire pour ses observations verbales,
Déclarer irrecevable l'action de M. [H] [I] ès qualités de liquidateur de la SARL LE FLAMBOYANT ;
Le condamner à lui payer la somme de 452 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens avec distraction ;
2° par Me [H] [I] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL LE FLAMBOYANT, dans ses conclusions visées le 21 janvier 2022, de :
Débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
Subsidiairement, si sa demande est déclarée irrecevable :
Constater que la fin de non-recevoir tirée du non-respect de l'article 153 de la délibération n° 90-36 AT du 15 février 1990 a été présentée par l'appelante de manière dilatoire devant la cour ;
Condamner par conséquent [T] [F] à lui payer ès qualités la somme de 500 000 F CFP à titre de dommages et intérêts ;
La condamner à lui verser ès qualités la somme de 180 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Avis a été donné le 28 mars 2022 aux parties de la communication de l'affaire au ministère public, qui l'a visée le 30 mars 2022.
Par arrêt avant dire droit rendu le 7 décembre 2023, la cour a :
Ordonné la convocation des parties par le greffe, en vue de leur audition par la cour en chambre du conseil, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception auxquelles sera jointe une copie de l'arrêt, adressées un mois au moins avant la date de l'audience ;
Fixé la date de l'audience au jeudi 8 février 2024 à 10 heures ;
Dit que le procureur général sera avisé de la date de l'audience et que, s'il émet un avis par écrit, celui-ci sera notifié aux parties par le greffe ;
Réservé les frais irrépétibles et les dépens.
La convocation ainsi adressée à [T] [F] par lettre recommandée avec demande d'avis de réception a été retournée non réclamée.
Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n'est pas discutée.
Le jugement d'avant dire droit du 22 mars 2021 a retenu que :
-Le liquidateur judiciaire soutient que la liquidation judiciaire n'a pas permis d'apurer l'intégralité du passif et que la gérante a commis des fautes de gestion qui sont ainsi caractérisées : défaut de déclaration de cessation des paiements ou retard dans la déclaration, inobservation des règles du droit des sociétés, non-respect des obligations du gérant en matière d'insuffisance des capitaux propres, absence de poursuite d'exploitation de l'activité commerciale ayant conduit à la dépréciation de l'actif, recours à un endettement excessif et mauvaise gestion des fonds.
-En défense, Mme [T] [G] épouse [F] demande au tribunal à titre principal de constater qu'elle n'a commis aucune faute de gestion et en conséquence de débouter son adversaire ; subsidiairement, si le tribunal venait à constater l'existence de fautes de gestion, dire que les dettes seront supportées seulement en partie uniquement ce qui est lié à la faute de la société. Mme [T] [G] épouse [F] fait valoir que la question de l'état de cessation des paiements ne s'est jamais posée puisque ses créanciers ont toujours accepté d'échelonner leurs factures, que la réunion de l'assemblée générale était inutile dès lors que les deux associés, par ailleurs époux, n'auraient pu adopter une décision de recapitalisation de la société faute de pouvoir financer une telle mesure, que la décision de céder le fonds de commerce rendait inutile toute assemblée générale pour statuer sur la poursuite de l'activité, que la cession du fonds de commerce s'est effectivement opérée à un prix insuffisant qui justifie une action actuellement en cours visant à la résolution de la cession, qu'une action est également en cours à l'encontre de la BANQUE SOCREDO qui a octroyé un crédit dans des conditions défavorables, qu'enfin, aucune faute de gestion ne peut lui être reprochée.
-La mise en état du dossier s'est déroulée aux audiences du 14 décembre 2020, 25 janvier 2021, 8 février 2021, et 22 février 2021. À cette dernière audience, les parties ont maintenu leurs moyens et conclusions ; le juge-commissaire s'en est rapporté ; le ministère public a conclu dans le sens de la requête. La décision a été mise en délibéré au 22 mars 2021.
-Aux termes de l'article L 624-3 du Code de commerce lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, pour tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d'entre eux.
-En l'espèce, le tribunal rouvre les débats afin de vérifier l'état exact de l'insuffisance d'actif. Les débats ont mis en évidence une insuffisance avérée d'abord du fait du prononcé de la liquidation judiciaire et ensuite de l'écart qui sépare le passif de cette société (64 038 500 francs CFP) de l'actif qui a pu être recouvré (35 000 000 francs CFP). Cette dernière information figure dans les dernières écritures du liquidateur judiciaire ; le tribunal invite ce dernier à confirmer ou préciser ce montant.
Le jugement du 22 mars 2021 a convoqué les parties à l'audience du 12 avril 2021 à 8 h 30. Il a été rendu contradictoirement.
Le jugement du 23 août 2021 a retenu ensuite que :
-Les débats ont repris et les parties ont comparu aux audiences du 12 avril, 31 mai et 28 juin. Le rapport du juge-commissaire a été déposé à l'audience du 12 avril et se conclut par un avis favorable à la condamnation de Mme [T] [F] ; le ministère public a réitéré ses réquisitions favorables à la condamnation de Mme [T] [F]. À cette dernière audience, les parties sont convenues que l'affaire était en l'état d'être mise en délibéré, la décision devant être rendue le 23 août 2021.
-L'article L 624-3 du Code de commerce dispose que lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, pour tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d'entre eux.
-En l'espèce, c'est avec pertinence que le liquidateur judiciaire de la SARL LE FLAMBOYANT démontre que sa gérante, Mme [T] [G] épouse [F], a commis des fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société.
-La première de ses fautes est d'avoir omis de déclarer l'état de cessation des paiements de la SARL LE FLAMBOYANT. Il ressort des débats que Mme [T] [G] épouse [F] connaissait évidemment la situation compromise de sa société qu'elle avait menée à sa perte en une année d'exploitation à peine, du 21 juillet 2017 au 10 septembre 2018. Consciente de l'impossibilité de redresser la situation, elle décidait de vendre le fonds de commerce. Il faudra attendre le 5 février 2020 pour qu'elle saisisse le tribunal d'une requête en liquidation judiciaire, dont il convient d'ailleurs d'observer qu'elle avait tenté d'obtenir le retrait avant de devoir se rendre à l'évidence, contrainte par le dépôt d'une requête en cessation de paiement par un de ses créanciers dont le tribunal était parallèlement saisi.
-Par requête du 7 février 2020, enregistrée sous la référence 2020/181, la société TIKIPAC a sollicité le placement en liquidation judiciaire de la SARL LE FLAMBOYANT. Par requête du 5 février 2020, enregistrée sous la référence 2020/172, la SARL LE FLAMBOYANT a sollicité sa mise en liquidation judiciaire. Par courrier du 10 février 2020, le conseil de la SARL LE FLAMBOYANT a fait part du désistement de sa requête. À l'audience du 24 février 2020, le représentant de la société TIKIPAC a confirmé que la SARL LE FLAMBOYANT lui restait redevable de la somme de 743 397francs CFP et a maintenu sa requête. La SARL LE FLAMBOYANT s'en est remis à la décision du tribunal. Le ministère public a requis le placement en liquidation judiciaire. La décision a été rendue sur le siège.
-L'état de cessation des paiements ressortait très clairement de la lettre du notaire en charge des formalités de cession du fonds de commerce de la SARL LE FLAMBOYANT : ce tribunal l'avait déjà relevé dans son jugement plaçant cette société en liquidation judiciaire : «En l'état de la procédure, l'état de cessation des paiements est établi dès lors que la SARL LE FLAMBOYANT est dans l'incapacité de donner suite à l'ordonnance d'injonction de payer qui l'a condamnée le 11 juillet 2019 à payer la somme de 708 886francs CFP, outre les frais, à la société TIKIPAC. Il résulte des débats que cet état de cessation des paiements est même antérieur et qu'il résulte de l'attestation du notaire instrumentaire de la cession du fonds de commerce qu'il est constitué dès le 13 mai 2019. En effet à cette date, le montant de ses dettes exigibles excède le montant du prix retiré de la cession.» Le tribunal a retenu comme date de cessation des paiements le 13 mai 2019.
-La déclaration de cessation des paiements déposée par Mme [T] [G] épouse [F] est intervenue le 5 février 2020, soit 9 mois après. La loi accorde un délai de 15 jours au chef d'entreprise pour déclarer sa cessation de paiement, Mme [T] [G] épouse [F] a évidemment méconnu et en toute connaissance de cause cette règle, commettant ainsi une faute de gestion caractérisée.
-Toutefois, ainsi que le démontre le liquidateur judiciaire, ce n'est pas la seule faute commise par Mme [T] [G] épouse [F] qui a contribué à l'insuffisance d'actif de la SARL LE FLAMBOYANT. Celle-ci doit également se voir reprocher une inobservation systématique de ses obligations juridiques et administratives, telles la non-convocation des associés en assemblée générale (peu importe la composition familiale de la société, laquelle au demeurant constitue moins un obstacle qu'une facilité), la non-recapitalisation de la société (en 2017, les capitaux propres sont négatifs pour 15 659 057 francs CFP) mais aussi les impayés auprès de la CPS et de l'administration fiscale.
-Celle-ci doit également se voir reprocher une incompétence grave dans la gestion de la société. Elle est ainsi seule responsable des choix de stratégie commerciale malheureux qui ont rendu impossible la poursuite de l'exploitation : un aménagement coûteux du local, le conflit avec l'entrepreneur chargé des travaux, le recours à un emprunt disproportionné au regard de prévisionnels irréalistes qui se traduisent en définitive par des déclarations de créances des deux organismes bancaires à hauteur de 45 millions de francs CFP.
-Celle-ci doit enfin se voir reprocher la dépréciation de l'actif de la SARL LE FLAMBOYANT. Le fonds de commerce de celle-ci a été vendu au prix de 35 millions de francs CFP. Ce prix selon elle-même est largement insuffisant. Sans entrer dans un débat qui intéresse un autre tribunal saisi par Mme [T] [G] épouse [F] à l'encontre du notaire en charge de cette vente, il convient quand même de rappeler à l'intéressée qu'elle était la mieux placée pour apprécier la valeur de son entreprise, ce qu'elle n'a pas fait, sans doute à son détriment, mais surtout au désavantage de ses créanciers.
-Il s'ensuit qu'il y a lieu de constater la réalité des fautes de gestion commises par Mme [T] [G] épouse [F], fautes qui ont contribué à elles seules à l'insuffisance d'actif, et de la condamner à verser au passif de la SARL LE FLAMBOYANT la somme de 28 996 697 francs CFP, c'est-à-dire l'intégralité des créances déclarées tout en rappelant que le montant de la cession du fonds de commerce s'élève à la somme de 35 041 803 francs CFP.
Sur l'exception de nullité des jugements :
[T] [F] invoque le non-respect de l'article 153 de la délibération du 15 février 1990 du fait de l'absence d'audition personnelle ; la succession d'audiences en chambre du conseil et publiques ; son défaut d'assignation à une audience après le jugement d'avant dire droit ; le non-respect du délai pour comparaître ; l'absence de notification du rapport du juge-commissaire ; l'absence de notification de l'avis du ministère public. Elle invoque le caractère d'ordre public de l'audition du dirigeant poursuivi, même quand il est assisté par un avocat.
Le liquidateur judiciaire conclut que : [T] [F], qui était représentée par un avocat, n'a jamais répondu elle-même aux convocations du tribunal ; le jugement au fond a été régulièrement rendu en audience publique ; l'inobservation du délai de convocation d'un mois n'est pas sanctionnée ; l'exception de nullité, soulevée devant la cour seulement, est dilatoire et doit donner lieu à des dommages-intérêts ; l'absence de notification du rapport du juge-commissaire n'a pas fait grief puisque la dirigeante ne comparaissait pas personnellement, et qu'elle a conclu après le dépôt de ce rapport ; la saisine du tribunal par le liquidateur n'appelait pas de réquisitions écrites du procureur de la République ; la cour peut évoquer en cas d'annulation.
Sur quoi :
L'article L624-3 alinéa 1 du code de commerce en vigueur en Polynésie française dispose que :
Lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif,
décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d'entre eux.
L'exercice de cette action fait l'objet de l'article 153 de la délibération n° 90-36 AT du 15/02/1990 :
Le ou les dirigeants mis en cause sont convoqués un mois au moins avant leur audition en chambre du conseil, par acte d'huissier de justice ou dans les formes prévues aux articles 9 ou 10 de la présente délibération.
Les mandataires de justice (') sont convoqués par lettre simple du greffier lorsqu'ils ne sont pas demandeurs.
Le tribunal statue en audience publique, le juge-commissaire entendu en son rapport.
En l'espèce, au vu de la procédure :
La requête du liquidateur judiciaire a été enregistrée au greffe le 3 décembre 2020. Elle a été signifiée à [T] [F] par exploit du 25 novembre 2020.
[T] [F] a conclu par son conseil les 25 janvier 2021 et 22 février 2021.
L'instruction de l'affaire a fait l'objet du jugement d'avant dire droit du 22 mars 2021 qui a été rendu contradictoirement, [T] [F] étant comparante et assistée par son conseil.
Elle a de nouveau conclu par son conseil le 31 mai 2021. Son conseil s'est déclaré en état à l'audience du 28 juin 2021. Le jugement du 23 août 2021 a été rendu contradictoirement.
L'appelante ne justifie pas que la procédure ainsi conduite ait porté une atteinte certaine à ses intérêts. Elle a été assistée et représentée tout au long de l'instance. Elle a été convoquée à l'audience de 12 avril 2021 à 8 h 30 par le jugement d'avant dire droit. Sa non-comparution personnelle est uniquement de son fait. Elle n'a d'ailleurs pas non plus répondu à la convocation devant la cour.
Les exceptions présentées par l'appelante seront donc rejetées.
Sur le fond :
[T] [F] conclut que : l'absence ou le retard de déclaration de cessation des paiements n'est pas une faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité du dirigeant lorsqu'une solution de reprise est activement recherchée ; il n'est pas démontré en quoi le défaut de convocation de l'assemblée générale a pu contribuer à l'insuffisance d'actif, non plus que l'insuffisance des apports ; la société a été mise en liquidation judiciaire avant que le délai légal de deux ans pour reconstituer le capital social soit écoulé, et il s'agit d'une mesure qui incombe aux associés ; il n'est pas établi que le fonds de commerce a été dévalorisé en raison de l'interruption de l'activité ; l'endettement de la société n'a pas été trop important au regard des investissements réalisés et de leur utilité (travaux d'aménagement et d'équipement d'une nouvelle construction) ; la gérante a activement recherché un cessionnaire du fonds de commerce, mais elle n'a eu d'autre choix, étant d'ailleurs conseillée par des professionnels, que de le vendre au prix de 35 MF CFP, qui était insuffisant pour désintéresser tous les créanciers ; sa situation personnelle et patrimoniale n'a pas été prise en compte par le tribunal pour fixer la sanction.
Le liquidateur judiciaire conclut que les fautes de gestion devant être retenues sont : l'absence ou le retard de déclaration d'état de cessation des paiements ; l'inobservation des règles du droit des sociétés (assemblées générales) ; le non-respect des obligations du gérant en cas d'insuffisance des capitaux propres ; l'absence de poursuite de l'activité commerciale ayant conduit à la dépréciation de l'actif ; le recours à un endettement trop important ; la mauvaise gestion des fonds empruntés ; l'incapacité de [T] [F] à défendre les intérêts de la société. Ces fautes motivent que la totalité de l'insuffisance d'actif soit mise à sa charge.
Dans son rapport en date du 9 avril 2021, le juge-commissaire avait donné l'avis suivant :
«Loin de moi, l'envie de donner des leçons de morale, mais la gestion d'une entreprise n'est pas chose aisée et c'est un travail acharné de chaque jour pour mener à bien «Le projet». Le gérant doit autant que possible prendre les bonnes décisions pour le développement et la pérennité d'une entreprise. Cela passe par exemple, pour la partie financière par le suivi scrupuleux des comptes, la gestion de la trésorerie, les prêts bancaires mesurés, et les endettements à surveiller et maîtriser. Pour la partie administrative et juridique, des actes sont nécessaires et obligatoires comme la bonne tenue des comptes, la recapitalisation de la société quand cela est nécessaire, les AG annuelles, le dépôt des comptes au greffe, les publications légales obligatoires qui plus est quand le capital social est inférieur à la moitié. Au vu des écritures de Me Mourad MIKOU et de Me Arcus USANG, il semble évident que la gestion d'une entreprise n'est pas une compétence avérée de madame [T] [F] et celle-ci ne veut aucunement assumer sa responsabilité de chef d'entreprise. La gérante n'a assurément pas pris les bonnes décisions notamment :
En engageant la société dans des emprunts qui ne concernaient pas la SARL LE FLAMBOYANT, mais la SCI TIARE [V] pour les travaux d'aménagement ;
En ne respectant pas les obligations juridiques et administratives :
Non-déclaration de cessation de paiement dans les délais impartis (23 créanciers ont formé opposition à la distribution du prix de vente, ce qui implicitement, caractérise la cessation de paiement).
Non-convocation des associés en AG.
Non-recapitalisation de la société et absence d'annonce légale pour informer de la liquidation ou la poursuite de l'activité de la société.
Cession à bas prix du fonds de commerce.
La gestion calamiteuse de la SARL LE FLAMBOYANT a aussi causé des dommages collatéraux à la SCI TIARE [V] et à la pharmacie TIARE TAHITI de monsieur [D] [F].
Je suis donc favorable à condamner Madame [T] [F], à combler le passif de la SARL LE FLAMBOYANT.»
Sur quoi :
Par des motifs exacts en fait et bien fondés en droit, que ne remettent pas en cause les moyens d'appel, et que la cour adopte, la décision entreprise a justement caractérisé la faute de gestion commise par [T] [F] en déclarant tardivement (9 mois) la cessation des
paiements alors que celle-ci résultait très clairement de la lettre du notaire chargé des formalités de cession du fonds de commerce. Il s'agit bien d'une faute de gestion, puisque l'omission de la déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 15 jours est un cas de faillite personnelle (C. com. en vigueur en Polynésie française, art. L625-5).
Par des motifs exacts en fait et bien fondés en droit, que ne remettent pas en cause les moyens d'appel, et que la cour adopte, la décision entreprise a tout aussi justement caractérisé l'incurie de [T] [F] dans la gestion juridique, administrative et comptable de la société, la sous-capitalisation de celle-ci, la constitution d'un endettement et d'un passif fiscal et social traduisant une exploitation structurellement déficitaire, et l'aggravation de celle-ci par des choix d'investissement irréalistes au regard de l'activité. Cette incurie est aussi constitutive de fautes de gestion. Le tribunal a exactement retenu qu'elle s'était encore manifestée dans la sous-évaluation du prix de cession du fonds de commerce, qu'une dirigeante normalement avisée aurait dû pouvoir justement apprécier sans devoir s'en remettre à l'avis de tiers, et qui a préjudicié aux créanciers.
Enfin, par des motifs exacts en fait et bien fondés en droit, que ne remettent pas en cause les moyens d'appel, et que la cour adopte, la décision entreprise a justement caractérisé que ces fautes de gestion ont contribué à elles seules à l'insuffisance d'actif pour le montant qu'il a exactement déterminé.
Les jugements entrepris seront donc confirmés.
Il n'est pas suffisamment caractérisé que [T] [F] a fait dégénérer en abus son droit d'exercer les voies de recours dans une procédure qui revêt un caractère de sanction personnelle. La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.
Il sera fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française au bénéfice de l'intimé. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Vu l'arrêt du 7 décembre 2023 ;
En la forme, déclare les appels recevables ;
Déboute [T] [G] épouse [F] de ses exceptions ;
Au fond, confirme les jugements entrepris ;
Déboute Me [H] [I] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL LE FLAMBOYANT de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne [T] [G] épouse [F] à payer à Me [H] [I] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL LE FLAMBOYANT la somme supplémentaire de 180 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour ;
Rejette toute autre demande ;
Dit que la présente décision fera l'objet des notifications prévues aux articles 156 et suivants de la délibération du 15 février 1990 ;
Met à la charge de [T] [G] épouse [F] les dépens de première instance et d'appel.
Prononcé à Papeete, le 27 juin 2024.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL