N° 234
GR
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Maillard,
le 08.06.2023.
Copie authentique délivrée à :
- Me Antz,
le 08.06.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 8 juin 2023
RG 22/00287 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 262, rg n° 22/00206 du Juge des Référés du Tribunal de Première Instance de Papeete du 26 septembre 2022 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 5 octobre 2022 ;
Appelants :
M. [H] [B], né le 8 octobre 1965 à [Localité 10], de nationalité française, demeurant à [Adresse 7] ;
Mme [C] [U] épouse [B], née le 21 juin 1933 à [Localité 10], de nationalité française, demeurant à [Adresse 7] ;
Mme [F] [B] épouse [Z], née le 20 mai 1972 à [Localité 10], de nationalité française, demeurant à [Adresse 7] ;
Représentés par Me Dominique ANTZ, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
Mme [V] [E] [P] épouse [R] [J], née le 17 septembre 1961 à [Localité 10], de nationalité française, demeurant à [Adresse 5] ;
Mme [G] [M] [N]-[P], épouse [S], née le 3 novembre 1965 à [Localité 4], de nationalité française, demeurant à [Adresse 8] ;
Mme [A] [Y] [I] [P], née le 12 avril 1972 à [Localité 10], de nationalité française, demeurant à [Adresse 6] ;
Représentées par Me Stéphane MAILLARD, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 24 mars 2023 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 11 mai 2023, devant M. RIPOLL, conseiller désigné par l'ordonnance n° 57/OD/ PP.CA/22 du premier président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de président dans le présent dossier, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président,, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
Les consorts [P] ont demandé en référé une injonction de levée de la pose d'entraves à la circulation sur un chemin d'accès imputée aux consorts [B]. Ces derniers ont contesté l'existence de la servitude.
Par ordonnance rendue le 26 septembre 2022, le juge des référés du tribunal de première instance de Papeete a :
rejeté l'exception de nullité des conclusions des défendeurs ;
fait injonction à [H] [B], [F] [B] épouse [Z] et [C] [U] de s'abstenir d'entraver l'usage de la servitude de passage R-[Cadastre 1] sous astreinte de 50.000 XPF par infraction constatée par huissier de justice ;
condamné [H] [B], [F] [B] épouse [Z] et [C] [U], solidairement à payer à [V] [P] épouse [R] [J], [G] [N]-[P] épouse [S] et [A] [P] la somme provisionnelle de 100.000 XPF au titre du préjudice de jouissance ;
débouté [H] [B], [F] [B] épouse [Z] et [C] [U] de leurs demandes reconventionnelles ;
rejeté le surplus des prétentions des parties ;
rappelé que la décision est exécutoire par provision ;
condamné [H] [B], [F] [B] épouse [Z] et [C] [U], solidairement, à payer à [V] [P] épouse [R] [J], [G] [N]-[P] épouse [S] et [A] [P] la somme de 80.000 XPF au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais afférents à l'établissement du procès-verbal de constat du 1er mars 2022.
Les consorts [B] ont relevé appel par requête enregistrée au greffe le 5 octobre 2022.
Il est demandé :
1° par [H] [B], [C] [U] Vve [B] et [F] [B] épouse [Z], appelants, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 8 février 2023, de :
Infirmer l'ordonnance entreprise ;
Débouter les requérants de l'ensemble de leurs demandes ;
Interdire aux intimés de stationner sur la servitude et de l'obstruer de quelque manière que ce soit sous astreinte de 5 MF CFP par infraction constatée ;
Condamner les intimés à leur payer la somme de 500 000 F CFP à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 400 000 F CFP pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens ;
2° par [V] [P] épouse [R] [J], [G] [N]-[P] épouse [S] et [A] [P], intimées, appelantes à titre incident, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 20 mars 2023, de :
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 26 septembre 2022 sauf en ce qui concerne le montant de la somme allouée au titre du trouble de jouissance subi par les consorts [P] ;
et en conséquence :
Faire injonction à M. [H] [B], Mme [F] [B] épouse [Z] et Mme [C] [U] épouse [Z] de s'abstenir d'entraver l'usage de la servitude de passage R-[Cadastre 1] sous astreinte de 50.000 F CFP par infraction constatée par tout moyen ;
Condamner M. [H] [B], Mme [F] [B] épouse [Z] et Mme [C] [U] épouse [B], solidairement à payer la somme provisionnelle de 1.000.000 F CFP à Mme [V] [P] épouse [R] [J], Mme [G] [N]- [P] épouse [S] et Mme [A] [P] au titre du préjudice de jouissance ;
Condamner les consorts [B] solidairement à payer la somme de 80 000 F CFP au titre des frais irrépétibles de première instance outre les entiers dépens d'instance y compris les frais de constat du 1er mars 2022 ;
Débouter M. [H] [B], Mme [F] [B] épouse [Z] et Mme [C] [U] épouse [B] de l'intégralité de leurs demandes ;
Et y ajoutant :
Condamner M. [H] [B], Mme [C] [U] épouse [B] et Mme [F] [B] épouse [Z], solidairement à payer la somme de 300.000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel à Mme [V] [P] épouse [R] [J], Mme [G] [N]-[P] épouse [S] et Mme [A] [P] outre les entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2023.
Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n'est pas discutée.
L'ordonnance dont appel a retenu que :
-Selon l'article 431 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE, «Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de première instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.» Selon encore l'article 432 du même code, «Le président peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent. soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.» En vertu de l'article 433, «Dans le cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.»
-En l'espèce, il est constant que l'existence de la servitude de passage litigieuse cadastrée R-[Cadastre 1] résulte d'un titre portant acte de partage, en 1955, du domaine Temauiarii PIHATARIOE dont sont précisément issus les fonds cadastrés R-[Cadastre 9], R-[Cadastre 2] et R-[Cadastre 3] appartenant aux parties à l'instance. Elle est matérialisée dans les différents extraits de plan cadastral versés aux débats et aisément identifiable. Au vu de l'acte de propriété de la famille [P] qui a acquis la parcelle R-[Cadastre 9] en 1971, le bénéfice de cette servitude telle qu'elle a été créée en 1955 a été repris in extenso de sorte que le droit de passage des requérantes ne souffre d'aucune contestation sérieuse ; le spectre d'une future action des consorts [B] en extinction de la servitude, la configuration des lieux ou encore la présence d'un autre chemin permettant l'accès à la parcelle R-[Cadastre 9] étant sans aucune sorte d'emport et guère suffisants à faire échec à l'intervention du juge des référés.
-Un constat d'huissier a été dressé le 1er mars 2022 à la demande des consorts [P] et dans lequel il est mentionné que les parcelles R-[Cadastre 9], R-[Cadastre 2] et R-[Cadastre 3] sont desservies par un chemin d'accès R-[Cadastre 1] en amont duquel une barrière a été installée avec la mise en place d'une chaîne tendue cadenassée aux deux extrémités et empêchant l'accès en voiture des propriétaires de la parcelle R-[Cadastre 9]. S'il apparaît à l'étude des photographies annexées que la chaîne est effectivement surmontée d'un simple mousqueton, il n'en demeure pas moins que la seule constatation de la présence du dispositif, installé brusquement par les consorts [B] en octobre 2021, laisse suffisamment apparaître que ces derniers ont à tout le moins rendu difficile l'utilisation du chemin de servitude par les consorts [P] et de ce fait entravé le libre accès à leur parcelle.
-S'il n'est du reste pas sérieusement contesté que la chaîne a été retirée depuis plusieurs semaines - de sorte que la demande présentée à ce titre par les requérantes est à l'évidence sans objet -, force est de constater qu'elle a incontestablement constitué un trouble manifeste-ment illicite pendant plusieurs mois que seule l'introduction de l'instance a pu faire cesser, les consorts [B] étant de fait malvenus à démentir toute intention d'obstruction alors que de longue date, ils opposent expressément à la famille [P] l'extinction de son droit de passage en raison d'une prétendue inutilisation ou impossibilité d'exercice et se plaignent encore tout à la fois de ce que les requéran-tes en feraient un usage abusif en se garant en plein milieu du chemin.
-Dans ces circonstances, il pourra être fait partiellement droit aux demandes des consorts [P] et injonction sera donnée aux consorts [B] de s'abstenir d'entraver l'usage du chemin d'accès sous astreinte de 50.000 XPF par infraction constatée.
-La demande de provision formulée par Mme [V] [P] épouse [R] [J], Mme [G] [N]-[P] épouse [S] et Mme [A] [P] au titre du préjudice de jouissance subi pendant plusieurs mois sera quant à elle ramenée à la somme de 100.000 XPF.
-Sur les demandes reconventionnelles : Faute pour les consorts [B] de produire le moindre élément à l'appui de leurs allégations quant à l'obstruction intempestive du chemin par les requérantes au moyen de leurs véhicules, ils seront déboutés de leur demande reconventionnelle en interdiction. Il n'y a davantage pas lieu de faire droit à la demande de «donner acte aux défendeurs de ce qu'ils saisissent le tribunal foncier» dans la mesure où pareille demande n'est pas susceptible de conférer un droit à la partie qui l'a requise et obtenue.
Les moyens d'appel sont : le chemin en cause n'est pas l'accès en véhicule au terrain des consorts [P] ; la chaîne qui a été placée, en février 2022 au plus tôt, n'était pas verrouillée ; l'extinction de la servitude par non-usage est demandée devant le tribunal foncier ; l'action est abusive.
Les consorts [P] concluent que : le trouble manifestement illicite est établi par un constat d'huissier qui fait preuve ; il a été commis par les intimés, dont les contestations quant à l'usage de la servitude ne sont pas sérieuses ; le montant de la provision pour trouble de jouissance doit être augmenté.
Sur quoi :
Aucun élément ne permet de remettre en cause l'ordonnance déférée en ce qu'elle a caractérisé que la servitude de passage dont le libre accès fait l'objet du référé bénéficie aux consorts [P], peu important que son extinction soit demandée en justice par ailleurs.
La servitude a été établie par un acte de partage transcrit le 28 mars 1955 en ces termes : «Chacun des copartageants et ayants droit aura droit de passage par n'importe quel moyen, à toute heure du jour et de la nuit, sur toute la longueur et dans tous les sens, sur la route d'une largeur allant de quatre à six mètres, existant sur la propriété faisant l'objet du présent partage.»
Il en résulte explicitement que le droit de passage n'est pas conditionné à une situation enclavée du fonds dominant, ni à un usage particulier tel que la circulation en véhicule. Les contestations des appelants à cet égard ne sont donc pas sérieuses.
Les consorts [P] ont fait constater par un huissier le 1er mars 2022 que :
«Quelques mètres après son entrée, je constate que le chemin de servitude qui permet l'accès à la parcelle R [Cadastre 9] est fermé par une chaîne tendue sur la largeur du passage. Cette chaîne est verrouillée par deux cadenas. Je constate qu'il est impossible en l'état, compte tenu de la présence de cette chaîne, d'accéder en véhicule à la parcelle cadastrée R [Cadastre 9] dont les requérantes sont propriétaires. Un piquet métallique contre lequel est tendue cette chaîne porte le numéro 23. Trois panneaux portant les mentions «Propriété privée» et interdisant l'accès sont visibles aux abords immédiats devant cette chaîne. Devant cette chaîne et en bordure de route communale, je constate la présence de deux poubelles portant respectivement le nom «[B]». Des photographies ont été annexées.
Les consorts [B] ne contestent pas avoir posé cette chaîne. Les constatations matérielles de l'huissier font foi jusqu'à preuve du contraire (Dél. n° 92-122 AT du 20/08/1992 mod., art. LP2).
Les consorts [B] ont fait constater par un huissier le 2 septembre 2022, pour les besoins de la présente instance, que l'accès à la servitude était libre. Interrogée par l'huissier sur la présence d'un dispositif de fermeture, [F] [B] a déclaré que : «Ce dispositif s'est avéré essentiel à leur sécurité compte tenu du nombre de vols et de visites qu'ils ont subis dans le passé mais que désormais l'entrée de la servitude est libre». L'huissier a constaté que : «Ce dispositif est composé d'une chaîne métallique au sol verrouillé par un cadenas sur sa gauche et par un mousqueton sur sa droite. L'ensemble est relié de part et d'autre à deux poteaux métalliques».
Ce second constat ne permet pas de rapporter la preuve contraire à la constatation faite le 1er mars 2022 que la chaîne était alors verrouillée par deux cadenas, et non par un simple mousqueton comme le soutiennent les consorts [B]. Ces cadenas figurent d'ailleurs sur les photographies annexées au premier constat.
S'il est constant que les familles [B] et [P] sont en conflit au sujet de ce chemin, rien n'établit que la pose de cette chaîne et de ses verrous a été motivée par une insécurité extérieure à cette dispute de voisinage.
L'ordonnance déférée a exactement et à bon droit caractérisé qu'il s'est agi d'un trouble manifestement illicite porté par les consorts [B] à l'usage de cette servitude de passage. Il s'agit également d'un trouble anormal de voisinage dont la cessation peut être demandée en référé.
La décision entreprise a ordonné les mesures qui sont nécessaires pour faire cesser ce trouble et prévenir son renouvellement.
Un stationnement prolongé de véhicules sur la servitude, que les consorts [B] imputent aux consorts [P], est de nature à constituer également une atteinte au libre passage. Mais la preuve de ce trouble, qui est contesté, n'est pas rapportée. L'attestation d'un voisin ([Z]) relate seulement une dispute à ce sujet en octobre 2021. La photographie d'une voiture sur le chemin n'est pas située ni datée et ne prouve pas un stationnement prolongé.
Le constat d'huissier du 2 septembre 2022 établi à la requête des consorts [B] montre que les consorts [P] peuvent accéder à leur propriété sans emprunter le chemin en cause. L'ordonnance entreprise a exactement fixé le montant de l'indemnisation par provision du trouble de jouissance qu'ils ont subi en étant privés momentanément de leur «droit de passage par n'importe quel moyen, à toute heure du jour et de la nuit».
La solution de l'appel motive le rejet de la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il sera fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française au bénéfice des intimées. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
En la forme, déclare l'appel recevable ;
Au fond, confirme l'ordonnance entreprise ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne in solidum [H] [B], [C] [U] Vve [B] et [F] [B] épouse [Z] à payer à [V] [P] épouse [R] [J], [G] [N]-[P] épouse [S] et [A] [P] ensemble la somme supplémentaire de 300 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour ;
Met à la charge de [H] [B], [C] [U] Vve [B] et [F] [B] épouse [Z] les dépens de première instance et d'appel, lesquels, comprenant les frais afférents à l'établissement du procès-verbal de constat du 1er mars 2022, pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 409 du Code de procédure civile de la Polynésie française.
Prononcé à Papeete, le 8 juin 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL