N° 51
CT
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Laudon,
le 26.05.2023.
Copie authentique
délivrée à :
- Me Rousseau-Wiart,
le 26.05.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre des Terres
Audience du 25 mai 2023
RG 21/00078 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 220, rg n° 19/00149 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal Foncier de la Polynésie française, du 23 juillet 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 18 octobre 2021 ;
Appelant :
M. [I] [R], né le 11 octobre 1983 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant à [Adresse 10] - [Localité 6] ;
Ayant pour avocat la Selarl Fenuavocats, représentée par Me Christophe ROUSSEAU-WIART, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
La Sarl Etablissement Hugues, exerçant sous l'enseigne commercial Quincaillerie Hugues dont le siège social est sis à [Adresse 9] - [Localité 5], prise en la personne de son représentant légal ;
Représentée par Me Sandra LAUDON, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 18 novembre 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 23 février 2023, devant Mme SZKLARZ, conseiller désigné par l'ordonnance n° 57/ OD/PP.CA/22 du premier président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de président dans le présent dossier, Mme GUENGARD, président de chambre, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l'ordre judiciaire aux fins d'exercer à la cour d'appel de Papeete en qualité d'assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme SZKLARZ, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Par acte notarié du 31 octobre 2018, [I] [R] a acquis une parcelle de terre dénommée [Localité 7] lots A1 et A2 d'une superficie de 1785 m2 située à [Localité 8] et cadastrée K[Cadastre 4] ainsi que les constructions qui y sont édifiées.
La Sarl Etablissements Hugues exploite sous l'enseigne «Quincaillerie Hugues» un fonds de commerce sur la parcelle cadastrée K[Cadastre 1] située en face de la parcelle K[Cadastre 4] de l'autre côté du chemin de servitude [Localité 7] 2 cadastrée K[Cadastre 3].
Par jugement rendu le 23 juillet 2021 le tribunal foncier de la Polynésie française section 2 a :
- rejeté la demande d'expertise formée par [I] [R] qui reproche à la Sarl Etablissements Hugues un empiètement sur la servitude cadastrée K[Cadastre 3] ;
- alloué à la Sarl Etablissements Hugues la somme de 350 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
- mis les dépens à la charge de [I] [R].
Par requête enregistrée au greffe le 18 octobre 2021, [I] [R] a relevé appel de cette décision afin d'en obtenir l'infirmation.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, il présente à la cour les demandes suivantes :
«Réformer le jugement du 23 juillet 2021 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Avant dire-droit,
Vu les dispositions de l'article 140 du CPCPF,
Désigner tel expert-géomètre qu'il plaira, lequel aura pour mission :
- Se faire remettre tous documents utiles,
- Dire si le terrain cadastré Section K [Cadastre 1], à [Localité 8], sur lequel est exploité un fonds de commerce à l'enseigne «QUINCAILLERIE HUGES», empiète sur la servitude passage cadastrée section K [Cadastre 3], et mesurer l'empiètement,
- Fixer telle consignation qu'il plaira à valoir sur la rémunération de l'expert,
- Dire que l'expert devra déposer son rapport écrit dans les deux mois de sa saisine,
- Désigner Monsieur le Conseiller chargé des mesures d'expertise pour suivre les opérations,
- Dire qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert pour procéder à sa mission, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance rendue sur requête.
- Réserver les frais irrépétibles et les dépens.»
Il soutient que le constat d'huissier dressé le 7 mars 2019 fait ressortir que la Sarl Etablissements Hugues «a procédé à des travaux d'extension de la quincaillerie, du côté de la servitude section K [Cadastre 3]» qui a causé un empiètement d'un mètre environ ; que, «par ordonnance du 30 septembre 2019, le juge des référés a estimé qu'il existait une contestation sérieuse» ; qu'il «produit un plan topographique réalisé le 23 septembre 2021, qui permet de démontrer que la construction réalisée par les établissements HUGUES (Kl [Cadastre 4]) empiète sur la servitude de passage (K [Cadastre 2] - K [Cadastre 3])» ; que ce plan ainsi que le constat d'huissier constituent au minimum un commencement de preuve par écrit et que «la seule preuve irréfutable qui démontrera l'empiètement ne pourra qu'être le rapport d'expertise judiciaire qui sera déposé par l'expert géomètre, que cette Cour voudra bien désigner» ; que l'«autorisation du maire de [Localité 8] pour la réalisation d'une serre, datant du 20 juillet 1981, ainsi qu'une autorisation du 27 février 1986 pour fermer les issues du magasin» fournies en référé par l'intimée ne concernent pas l'empiètement litigieux ; qu' «en effet, d'une part aucun des documents produits ne précise que l'agrandissement de la serre et la fermeture des issues du magasin vont entrainer un empiètement sur la servitude» et que, «d'autre part, les travaux litigieux ont été réalisés en 2006, et non dans les années 80...».
La Sarl Etablissements Hugues sollicite la confirmation du jugement attaqué et le paiement par [I] [R] de la somme de 350 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Elle fait valoir qu'«il n'existe aucune preuve certaine et incontestable de l'empiètement alléguée par M. [I] [R]» ; que, quand bien même l'empiètement serait prouvé, celui-ci a été autorisé les 20 juillet 1981 et 27 février 1986 par le maire de [Localité 8] ; qu'aucun propriétaire habitant le long et au fond de la servitude n'a critiqué, ni attaqué ces autorisations ; que le plan topographique fourni par l'appelant « n'est pas une preuve en soi d'autant plus que ce plan'montre clairement l'absence d'empiètement sur la route et conforte le fait que la Commune, garante de la largeur du passage pour les véhicules, ne s'est jamais plainte d'un tel empiètement sur la servitude» ; que, «suivant constat en date 04 septembre 2022, la présence des grillages de protection installés ' «respecte l'emprise de la servitude dont la largeur est d'environ 5 mètres et ne gênent pas l'accès à la servitude» et que «la clôture grillagée posée'avec l'accord de la Mairie de [Localité 8] se situe dans l'alignement de ses limites et est donc conforme aux règles en vigueur» ; que «l'ancienneté de l'autorisation administrative accordée par la mairie à l'Ets HUGUES, jamais contestée jusqu'à ce jour et devenue incontestable au regard des délais de prescriptions en vigueur dans l'administration» ainsi que «l'inertie des propriétaires habitant cette servitude durant plus de 30 ans et même 10 ans, et le fait que nombre d'entre eux ont bâti leur clôture en empiétant sur la servitude pour suivre le tracé (limite de construction) de l'Ets HUGUES» rendent inutile et inopportune une mesure d'expertise judiciaire ; que «l'inertie de M. [I] [R] durant des années et l'absence de contestation judiciaire de l'autorisation accordée par la mairie depuis son origine» confirme l'absence de préjudice subi par l'appelant et que «cette inertie a engendré un état de fait couvert par l'administration et en droit par une prescription extinctive de toute action possible» ; que [I] [R], propriétaire d'un restaurant, «ne cherche qu'à s'approprier les places de parking chez son voisin la nuit lorsque sa clientèle devient trop importante» et que «l'absence d'intérêt juridique à agir de M. [I] [R] ainsi que l'absence de fondement à ses prétentions» justifient la confirmation du jugement attaqué.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la recevabilité de l'appel :
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité.
Sur la demande d'expertise :
L'article 140 du code de procédure civile de la Polynésie française, sur lequel [I] [R] fonde ses prétentions dispose que :
«Le juge chargé de suivre la procédure ou la juridiction peut, après avoir entendu les parties, commettre toute personne de son choix pour l'éclairer sur les questions de fait requérant les connaissances d'un ou plusieurs experts.»
Toutefois, l'article 85 du même code précise que :
«Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.
En aucun cas, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.»
En l'espèce, pour justifier sa demande d'expertise, [I] [R] se prévaut d'un empiètement sur la servitude cadastrée K[Cadastre 3] et il lui appartient donc d'établir l'existence de cette situation ou, du moins, de la rendre vraisemblable.
Or, si la Sarl Etablissements Hugues ne conteste pas que [I] [R] est un des 5 propriétaires de la servitude litigieuse, il n'en demeure pas moins que l'appelant ne fournit aucun document probant concernant ladite servitude.
En effet, la cour ne dispose que d'une attestation notariée mentionnant que l'appelant a reçu en donation une propriété située à [Localité 8] comprenant une parcelle de terre dénommée [Localité 7] lots A1 et A2 d'une superficie de 1785 m2 ainsi que les constructions en dur qui y sont édifiées, sans faire état d'une servitude.
Et l'appelant ne produit pas l'acte notarié du 31 octobre 2018 matérialisant la donation.
Par ailleurs, sa qualité de propriétaire de la servitude ne figure pas sur l'extrait cadastral versé aux débats.
Dans ces conditions, sont notamment ignorés l'assiette du chemin de servitude ainsi que les droits de l'appelant sur celui-ci.
L'absence de l'acte authentique rend ainsi impossible la constatation d'un empiètement.
En tout état de cause, ni l'acte dressé le 7 mars 2009 dans lequel l'huissier constate un empiètement uniquement sur la base d'un extrait de plan cadastral, ni le plan topographique daté du 23 septembre 2021 non signé et non motivé par Geopro Polynésie ne sont susceptibles d'établir la situation reprochée à l'intimé.
Il en est de même des autorisations de procéder à un agrandissement d'une serre pour exposition et de protéger le stock données respectivement le 20 juillet 1981et le 27 février 1986 par le maire de [Localité 8] à la Sarl Etablissements Hugues qui ne font pas référence au chemin de servitude.
Enfin, l'attestation d'[U] [C] ne possède pas de valeur probante en raison de son imprécision.
Le jugement attaqué, qui a rejeté les demandes de [I] [R] sur le fondement de l'article 85 alinéa 2 du code de procédure civile de la Polynésie française doit, en conséquence, être confirmé.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée la totalité de ses frais irrépétibles d'appel et il lui sera ainsi alloué la somme de 200 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
La partie qui succombe doit supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 23 juillet 2021 par le tribunal foncier de la Polynésie française section 2 ;
Dit que [I] [R] doit verser à la Sarl Etablissements Hugues la somme de 200 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Rejette toutes autres demandes formées par les parties ;
Dit que [I] [R] doit supporter les dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Laudon, avocat.
Prononcé à Papeete, le 25 mai 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : K. SZKLARZ