N° 175
ED
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Copies authentiques
délivrées à :
- Me Grattirola,
- Me Maisonnier,
- Cps,
le 11.05.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 11 mai 2023
RG 21/00027 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 488, rg n° 19/00393 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 28 octobre 2020 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 21 janvier 2021 ;
Appelant :
M. [B] [K] [P] [H], né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 8], de nationalité française, [Adresse 4] ;
Représenté par Me Miguel GRATTIROLA, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
M. [A] [Y], né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 10], Ile de la Réunion, de nationalité française, chirurgien, demeurant [Adresse 6] ;
Représenté par Me Michèle MAISONNIER, avocat au barreau de Papeete ;
La Caisse de Prévoyance Sociale de la Polynésie française, [Adresse 3] ;
Ayant conclu ;
Ordonnance de clôture du 24 février 2023 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 9 mars 2023, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL et Mme DEGORCE, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. RIPOLL, conseiller et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
SUR LES FAITS ET LA PROCEDURE :
SUR LES FAITS :
Le 21 juillet 1998, à [Localité 5], [B] [H], alors qu'il exerçait son activité professionnelle, se blessait à la cheville gauche.
Le même jour, le Docteur [F] [I], médecin au centre médical de [Localité 5], qu'il consultait, constatait une entorse simple de la cheville et prescrivait une attelle ainsi qu'un arrêt de travail de 8 jours
Le 6 août 1998, elle sollicitait l'avis du Docteur [A] [Y], chirurgien orthopédiste à la clinique [7] à [Localité 8], sur la nécessité d'un acte chirurgical de la cheville, qui présentait une instabilité et «un volumineux kyste synoviale».
Le 1er septembre 1998, les examens (radiographie et échographie) prescrits par le Dr [Y] mettaient en évidence un important'«oedème des parties molles péri-articulaires».
Dans le courrier, adressé le même jour, au Dr [I], le Dr [Y] confirmait le diagnostic de synovite, préconisait une rééducation et une réévaluation de la situation médicale du patient.
Le Dr [Y] recevait, une seconde fois, [B] [H], en consultation, le 22 septembre 1998 et constatait une aggravation de la synovite.
Le'2 octobre 1998, il opérait [B] [H] «à ciel ouvert» pour une synovite antérieure de la cheville en pratiquant une synovectomie.
Le 13 octobre 1999, à la suite de nouveaux examens et de consultations en métropole ayant révélé une synoviste villo-nodulaire récidivante, [B] [H] était opéré une seconde fois (chirurgie carcinologique extensive), le 13 octobre 1999, dans un hôpital, à [Localité 9].
Postérieurement à cette intervention, entre 1999 et 2015, [B] [H] consultait divers médecins spécialistes et subissait de nombreux examens (IRM, radiographies, échographies, arthrographie, arthroscopie') en Polynésie, en métropole et aux Etats-Unis.
Par ordonnance du 11 juillet 2014, le juge des référés du tribunal de première instance, saisi par [B] [H], ordonnait un expertise médicale confiée au Docteur [Z] [E] aux fins de rechercher d'éventuels manquements commis par le Dr [Y] et d'évaluer les préjudices qui en auraient résulté. L'expertise était réalisée le 25 septembre 2014
Trois autres expertises, amiables et judiciaire, étaient effectuées, aux fins de dire si les séquelles présentées par [B] [H] en raison de la synovite étaient imputables à l'accident du travail et de fixer un éventuel taux d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) :
- Deux expertises, à la demande de la caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie française (le 8 janvier 2005, par le Docteur [E] et le 1er mars 2014 par le Docteur [M] [T]), lesquelles ont écarté cette imputabilité,
- Une expertise du 9 juillet 2007, ordonnée par le tribunal du travail de Papeete et confiée au Docteur [J], à la demande d'[B] [H] qui contestait l'évaluation du taux d'IPP.
La Caisse de Prévoyance Sociale de la Polynésie française (la CPS), après avoir retenu comme date de consolidation, le 13 août 1999, et fixé le taux d'incapacité permanente partielle à 25'%, réduisait ce taux à 5'%, le 1er février 2005.
SUR LA PROCEDURE :
Par requête enregistrée le 27 août 2019 et assignations des 14 et 21 août 2019, [B] [H] demandait au tribunal de première instance de Papeete de':
- Dire que le Dr [Y] n'a pas prodigué des soins en conformité avec les données de la science,
- Dire qu'il a commis une faute sur la pertinence des choix thérapeutiques, aucune information complète et loyale ne lui ayant été prodiguée,
- Le déclarer responsable de son préjudice,
- Le condamner à l'indemniser,
- Subsidiairement, ordonner une contre-expertise.
Par jugement du 28 octobre 2020, le tribunal de première instance déboutait [B] [H] de ses demandes.
Par requête enregistrée le 21 janvier 2021 et assignation du 1er février 2021, [B] [H] formait appel de ce jugement.
[B] [H] et [A] [Y] transmettaient des conclusions récapitulatives, respectivement, le 24 février 2022 et le 24 août 2021.
AXA France IARD (AXA), intervenant volontaire à la procédure, et la CPS transmettaient leurs conclusions le 23 juin 2022 et le 28 octobre 2022.
La clôture de l'instruction était ordonnée le 24 février 2023 et l'audience des débats fixée au 9 mars 2023. L'affaire était mise en délibéré au 11 mai 2023.
SUR LES DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
Dans sa requête d'appel , [B] [H] demandait à la cour de':
- Infirmer le jugement déféré,
- Dire que ses préjudices sont imputables à l'intervention chirurgicale pratiquée par le Dr [Y],
- Dire que celui-ci n'a pas prodigué les soins en conformité avec les données de la science,
- Dire que celui-ci a commis une faute sur la pertinence des choix thérapeutiques,
- Dire que celui-ci a manqué à son devoir d'information médicale,
- Le déclarer responsable des préjudices subis,
- Le condamner à lui payer diverses sommes avant consolidation (du 2 octobre 1998 au 30 juillet 2015) et après consolidation.
Dans ses conclusions récapitulatives, [B] [H] réitère ses demandes.
[B] [H] fait valoir que':
- Le premier juge n'a pas tiré les conséquences juridiques découlant du constat du manquement du Dr [Y] à son devoir d'information et a omis de se prononcer sur les fautes de celui-ci consistant en des choix thérapeutiques non pertinents et des soins non conformes aux données de la science à l'époque des faits,
- L'imputabilité de ses séquelles à l'opération réalisée par le Dr [Y] le 2 octobre 2018 résulte du rapport du Dr [T] (pages 30, 34 et 35),
- Le Dr [Y] est responsable au titre de l'absence d'information sur les risques de l'information,
- En effet, le patient doit être informé des risques dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé en application des articles 16 et 16-3 du code civil ainsi que de la jurisprudence judiciaire et administrative antérieure à la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades qui a introduit l'article L1111-2 du code de la santé publique,
- A la fin des années 1990, La Cour de cassation a renforcé l'obligation d'information du médecin en mettant à sa charge la preuve de son exécution, qui peut être apportée par tout moyen,
- Le manquement fautif du Dr [Y] à son devoir d'information lui a fait perdre une chance dès lors que l'intervention n'était pas impérieusement requise et que le patient ne disposait donc d'aucune possibilité raisonnable de refus ainsi que le rapport du Dr [T] le relève (pages 33 et 35),
- Il avait d'autant plus la possibilité de refuser l'intervention à ciel ouvert qu'il existait des alternatives thérapeutiques moins risquées (synovectomie par arthroscopie) que cette opération hautement invasive,
- La responsabilité du Dr [Y] doit être envisagée sur le fondement de la responsabilité du fait personnel (l'ancien article 1382 du code civil) et non l'article 1147, indépendamment de l'interprétation jurisprudentielle prévalant à l'époque des faits,
- Même en l'absence d'alternative thérapeutique, le défaut d'information lui cause un préjudice moral qui doit être réparé (préjudice d'impréparation psychologique) même si les risques non révélés ne se réalisent pas,
- Le Dr [Y] a, en outre, commis des fautes au titre des atteintes corporelles qu'il lui a causées,
- Le choix de l'opération d'ouvrir la cheville et procéder à l'ablation de la «synovite villo-nodulaire» (arthrotomie) est critiquable,
- Il était préférable de traiter la tumeur sous arthroscopie permettant d'éviter des dommages collatéraux importants (rapport du Dr [T] page 3),
- Il conviendra de retenir les préjudices tels que retenus par le Dr [T] qui retient une consolidation à la date du 30 juillet 2015.
Par conclusions récapitulatives, le Dr [Y] sollicite la confirmation du jugement entrepris et le rejet des demandes d'[B] [H].
Le Dr [Y] invoque que':
- Dans son rapport d'expertise, le Dr [E] conclut que l'intervention réalisée correspond aux données de la science et le compte-rendu opératoire, qui détaille la voie d'abord, montre clairement que la tumeur a été retirée en totalité,
- Il n'a pas effectué la surveillance post-opératoire et la récidive est détectée un an environ après l'intervention,
- La situation d'[B] [H] est stable et l'examen clinique et les examens IRM ne montrent pas de signe évolutif,
- Concernant les soins qu'il a réalisés, l'expert retient qu'ils sont conformes aux données de la science à l'époque des faits et que le document relatif au consentement éclairé du patient, qui n'a pas été présenté, n'était pas obligatoire,
- Le Dr [E] conclut qu'il n'y a pas de relation de cause à effet entre le traumatisme et le développement tumoral et qu'il n'y a ni faute technique, ni erreur d'indication opératoire, ni négligence dans le suivi de l'intervention,
- Selon l'expert, l'intervention a été réalisée dans les règles de l'art, conformément aux données de la science qui prévalent encore actuellement et il n'y a pas de préjudice qui soit le fait d'un acte inconsidéré ou mal réalisé,
- Le rapport retient, en outre, que si le dossier tumoral ne pourra jamais être consolidé, la cheville est consolidée avec une IPP de 5'% dans le cadre d'un accident du travail,
- L'expertise du Dr [T] n'est pas contradictoire et ne contredit pas formellement les conclusions du Dr [E],
- Le Dr [T] n'est ni un spécialiste en chirurgie orthopédique ni un expert judiciaire et son rapport ne peut permettre à retenir sa responsabilité pour faute médicale,
- L'atteinte tumorale dont souffre [B] [H] est un fait inhérent à son organisme et ne peut être imputée à l'opération,
- Un an après le retrait de la tumeur, la récidive a nécessité une nouvelle intervention par le Dr [W] qui était inéluctable en raison d'une nouvelle tumeur posturale,
- Le rapport du Dr [E] met, en effet, en évidence que la récidive est le fait «du génie évolutif et imprévisible de cette pathologie»,
- Il a réalisé un diagnostic comme le démontre le courrier du 1er septembre 1998 et [B] [H] a été informé,
- En l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation, le patient ne peut plus engager la responsabilité de son médecin sur la seule affirmation de son silence coupable et il doit avoir subi un préjudice distinct (arrêt du 23 janvier 2014),
- [B] [H], qui n'établit pas le préjudice lié à son intervention, est infondé à invoquer un préjudice d'impréparation,
Dans ses conclusions, AXA, assureur en responsabilité professionnelle du Dr [Y] demande à la cour de':
- Lui donner acte de son intervention volontaire et de son association aux moyens développés par le Dr [Y] sur son absence de responsabilité et de lien de causalité entre l'opération et les préjudices invoqués,
- Débouter [B] [H] de ses demandes,
- A titre subsidiaire, dire n'y avoir lieu à contre-expertise
- A titre infiniment subsidiaire, dire qu'en l'absence de justificatif, seuls le DFTP à hauteur de 90.000 FCP, les souffrances endurées à hauteur de 500.000 FCP et le préjudice à hauteur de 50.000 FCP, pourront donner lieu à indemnisation.
Elle soutient que':
- L'expert judiciaire, le Dr [E] n'a identifié aucune faute imputable au Dr [Y],
- ce dernier n'a pas manqué à son obligation d'information et si tel était le cas, il n'est pas démontré que cette information aurait amené [B] [H] à ne pas réaliser l'intervention chirurgicale (arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2002),
- Le compte-rendu du Dr [S] produit par [B] [H], ne confirme pas les conclusions du Dr [T] et, n'établissant aucun élément nouveau, il ne justifie pas d'ordonner une nouvelle mesure d'instruction.
Dans ses conclusions récapitulatives, la CPS demande à la cour de prendre acte de ce qu'elle est favorable à la demande d'expertise médicale formulée par [B] [H] avec missions d'usage et de réserver ses droits.
Dans ses conclusions, le CPS fait valoir que':
- [B] [H] est affilié sous le régime général des salariés et a bénéficié d'une prise en charge des prestations faisant suite à son accident du travail selon le décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer,
- Il a perçu des indemnités journalières jusqu'au 13 août 1999,
- En effet, examiné par un médecin-conseil le 30 mars 2000, son état de santé a été déclaré consolidé à compter du 14 août 1999 avec un taux d'IPP de 25'%,
- A compter du 15 août 1999, il a perçu une rente accident du travail et la plupart des soins relatifs à sa cheville ont continué à être pris en charge conformément à la réglementation des accidents du travail,
- Réexaminé le 11 juin 2002 et le 9 septembre 2004, ce taux a été maintenu à 25'%,
- Le rapport du Dr [E] établi le 15 janvier 2005, missionné d'un commun en accord, a conclu que l'imputabilité de l'accident du 21 juillet 1998 sur les séquelles présentées par [B] [H] était exclue, que le traumatisme subi avait seulement permis de mettre en évidence une lésion synoviale étrangère et que le taux de l'IPP pouvait être fixé à 5'%,
- A la suite de ce rapport, l'IPP a été réduit à ce taux, le 17 février 2005,
- Le Dr [J], désigné comme expert par le tribunal du travail a également conclu que la synovite villo-nodulaire n'était pas une séquelle d'entorse de la cheville et a confirmé ce taux,
-Elle exerce donc son recours subrogatoire non sur le fondement de la réglementation professionnelle mais sur celle de l'article 42 alinéa 1er de la délibération n°74-22 du 14 février 1974 instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés.
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL ET DE L'INTERVENTION DE L'ASSUREUR :
L'appel formé par [B] [H] contre le jugement déféré, est recevable comme ayant été interjeté dans les formes et délais prescrits par les articles 336 à 338 du code de procédure civile de la Polynésie française
Par ailleurs, l'intervention volontaire d'AXA est recevable sur le fondement des articles 195 et 343 du même code.
MOTIFS :
SUR LA DEMANDE D'EXPERTISE :
Il résulte des articles 82 et 83 du code de procédure civile de la Polynésie française (le CPCPF) qu'une mesure d'instruction peut être ordonnée relativement aux faits dont dépend la solution du litige si le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.
La cour d'appel, pour apprécier si le Dr [Y] a commis des fautes dans la prise en charge d'[B] [H] lorsque celui-ci était son patient, est en possession du rapport expertise établi le 26 septembre 2014 par le Dr [E]. La mission qui lui avait été confiée était la suivante :
- Examiner [B] [H] et donner son avis sur les conditions dans lesquelles il a été amené à subir les actes médicaux pratiqués par le Dr [Y],
- Dire si l'intervention a été réalisée dans les règles de l'art et, à défaut, décrire les éventuels manquements en précisant les conséquences qui résultent ou peuvent en résulter.
L'expert a répondu à ses questions et rempli correctement sa mission.
Par ailleurs, le rapport comporte de nombreuses pièces médicales (consultations et certificats, traitements, examens, actes médicaux et chirurgicaux) permettant de connaître, de manière précise, la situation médicale de [B] [H], avant et après l'intervention du Dr [Y] et d'apprécier les éventuels manquements de ce médecin dans les conseils et soins dispensés ainsi que dans le choix et l'exécution de l'opération pratiquée le 2 octobre 1998.
[B] [H] produit, en appel, deux nouvelles pièces datées des 7 et 8 février 2022 émanant du centre hospitalier de la Polynésie française.
La première datée du 7 février 2022 est le résultat d'une IRM de la cheville gauche qui conclut à une «arthrose libio-tarsienne sans signe de récidive de synovite villonodulaire» et une «tendinopathie fissuraire des fibulaires».
La seconde est une lettre du 8 février 2022 dans laquelle un chirurgien orthopédique informe un médecin de [Localité 5] des résultats de cette IRM, de son avis médical après une consultation de «contrôle d'une tumeur à cellule géante de la cheville gauche opérée en 1998» et des suites à envisager.
Ces documents, qui ne contredisent pas les diagnostics et examens antérieurs, n'apportent aucun élément nouveau.
La cour dispose donc d'éléments suffisants pour statuer sur le présent litige. Aucune mesure d'instruction supplémentaire n'est nécessaire.
SUR LA RESPONSABILITE DE L'INTIME :
Sur le fondement juridique de la responsabilité :
Le Dr [Y], chirurgien orthopédiste exerçant dans une clinique à [Localité 8], a reçu [B] [H], en consultation, à 2 reprises le 1er et le 22 septembre 1998, en raison d'une entorse causée par un accident du travail survenu le 21 juillet 1998. Le 2 octobre 1998, il a pratiqué une opération de la cheville.
Les deux parties ont conclu une convention de prestations de service médical tenant lieu, conformément à l'article 1134 du code civil, «de loi à ceux qui les ont faites».
La responsabilité du Dr [Y] pour manquements à ses obligations ne peut donc être que contractuelle, sur le fondement des articles 1142 et 1147 du code civil, et non quasi-délictuelle sur le fondement de l'article 1382.
Elle sera également appréciée au regard des dispositions de l'article 16-3 du même code, qui ont été instaurées par la loi n°94-653 du 29 juillet 1994 et sont applicables en Polynésie française.
Les trois textes précités tout comme l'ensemble de ceux mentionnés dans le présent arrêt s'entendent des textes dans leur rédaction applicable en Polynésie.
ll convient, en outre, de relever qu'à la date des faits, en 1998, les disposi-tions de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé n'étaient pas entrées en vigueur. En outre, certains articles du code de la santé publique n'ont été rendues applicables en Polynésie française que par des textes postérieurs et, en dernier lieu, par l'ordonnance n°2023-285 du 19 avril 2023 étendant et adaptant certaines dispositions relatives à la santé à la Polynésie française.
Il n'existe, en outre, pas de code de la santé publique local mais uniquement des textes épars édictés par les autorités du Pays.
Sur les manquements contractuels :
Il résulte des articles 1142 et 1147 du même code que le débiteur, en cas d'inexécution d'une obligation de faire découlant d'une convention est tenu à des dommages-intérêts s'il ne justifie pas d'une cause étrangère. Cette obligation, selon l'article 1135, s'étend aux suites que l'équité ou l'usage donnent à l'obligation et notamment aux règles de l'art.
Par ailleurs, l'article 16-3 du code civil dont les dispositions sont d'ordre public prévoit qu'il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale ou, à titre exceptionnel, dans un intérêt thérapeutique et que le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement sauf s'il est hors d'état d'y consentir.
La partie intimée fait valoir que la responsabilité du Dr [Y] doit être engagée et son préjudice réparé en raison d'un manquement à son devoir de conseil sur :
- L'intervention chirurgicale (perte de chance d'éviter les dommages consécutifs à la réalisation des risques opératoires et défaut de préparation aux conséquences de ces risques),
- Les risques de l'intervention alors qu'il existait une autre technique moins invasive.
Sur les prestations médicales et chirurgicales dispensées :
Les relations contractuelles entre les parties ont commencé le 1er septembre 2022 (jour de première consultation) pour se terminer le 2 octobre 2022 (jour de l'intervention chirurgicale). Le Dr [Y] n'était plus le médecin d'[B] [H] et n'avait plus d'obligations à son égard à cette date.
Ses éventuels manquements contractuels doivent être appréciés au regard des pièces versées aux débats et des expertises réalisées et, plus particulièrement, de celle ordonnée en référé, en 2014, dans le présent litige.
Sur les prestations médicales antérieures à l'intervention chirurgicale :
Le Dr [Y], chirurgien orthopédiste, a été saisi, le 6 août 1998, de la situation médicale d'[B] [H], victime d'un accident du travail cause d'une entorse, par son confrère, le Dr [I], médecin généraliste, dans les termes suivants «[B] [H], qui depuis une fracture de la malléole externe de la jambe gauche en 74, d'après le patient, présente un volumineux kyste synoviale de la cheville. La cheville est instable. M. [H] s'est refait une entorse simple le 21 juillet dernier. J'aimerais votre avis et savoir si cette cheville est justiciable d'un acte chirurgical».
Le 1er septembre 1998, le Dr [Y] a reçu [B] [H] en consultation et prescrit des examens (radiographie et échographie) pour «oedème et douleurs chroniques de la cheville dans les suites d'un traumatisme osseux ancien'. Ces examens ont confirmé le diagnostic de synovite. Ols ont fait état d'un «important oedème des parties molles péri-articulaires» et d'une «formation tissulaire réalisant un bourrelet en avant de l'articulation de la cheville mesurant 2 cm d'épaisseur et étendue dans le plan frontal sur 6 cm de largeur».
Au regard de ces éléments, le Dr [Y] a adressé un courrier en réponse au Dr [I] dans lequel il conclut à «une synovite confirmée échographiquement dont l'origine peut probablement être rapportée aux traumatismes dont le traitement ne pourrait être que chirurgical mais qui n'a pas de retentissement fonctionnel'actuellement». [B] [H] a, en effet, subi antérieurement une fracture du tibia gauche (malléole externe).
Il prescrit une rééducation quotidienne pendant un mois et préconise une réévaluation par son confrère.
Il conclut que «ce n'est qu'en cas de gêne marquée que la synovectomie devra être envisagée».
Le 22 septembre 1998, le Dr [Y] reçoit, une seconde fois, [B] [H], en consultation et note «souffre moins, toujours augmentation de volume, synovite encore plus importante, envisager intervention par anapath».
L'examen anato-pathologique (tumorectomie) réalisé le 5 octobre 1998 à la demande du Dr [Y] a conclu à une tumeur ténosynoviale (et donc bénigne) à cellules géantes.»
Au jour de l'expertise, le 25 septembre 2014, la situation médicale d'[B] [H] apparaissait stable, l'examen clinique et les IRM ne montraient pas de signe évolutif.
Le rapport du Dr [E] indique que :
- Les deux consultations accordées au patient par le Dr [Y], à la demande du Dr [I] et les examens complémentaires qu'il a fait réaliser et qui étaient nécessaires et adaptés (radiographies et IRM), ont permis d'établir un diagnostic, exact et conforme aux données de la science de la pathologie dont souffrait [B] [H] à la suite de son entorse à savoir une ténosynovite avec prolifération d'origine synoviale,
- Le Dr [Y] en a rendu compte au Dr [I] qui l'avait saisi de la situation d'[B] [H], conformément aux usages.
Il résulte de ces éléments corroborés, sur ce point, par l'expertise amiable du Dr [T], qu'aucun manquement contractuel ne peut être imputé, à ce stade, au Dr [Y]. Celui-ci a, en effet, prescrit les examens nécessaires et posé un diagnostic de synovite (inflammation de la membrane tapissant la face interne de la capsule qui entoure l'articulation de la cheville), qui s'est révélé exact. Ce diagnostic sera confirmé, à de multiples reprises, par des consultations, examens et expertises postérieurs.
Il y a donc lieu d'examiner les manquements allégués quant au choix du type d'opération et au devoir de conseil.
Sur l'intervention chirurgicale et son exécution :
Le'2 octobre 1998, [B] [H] a été opéré «à ciel ouvert» pour une «synovite antérieure de la cheville gauche» par arthrotomie (résection du tissu synovial par ouverture de l'articulation).
Selon le compte-rendu opératoire établi par le Dr [Y]':
- Les tendons et les corps musculaires sous forte tension sont réclinés.
- Hémastase des branches vasculaires transversales.
- L'ouverture de la capsule fait découvrir une tumeur solide développée au dépend de la synoviale. La synovectomie antérieure est réalisée de façon la plus complète possible, la pièce est envoyée à l'anato-pathologie.
- fermeture plan par plan.
Il résulte du rapport du Dr [E] que :
- La pathologie synoviale présentée par [B] [H] n'est pas d'origine traumatique et n'est pas dû à l'accident du 21 juillet 1998,
- La récidive n'est pas le fait de la chirurgie mais du génie, propre et imprévisible, de cette pathologie,
- L'invalidité liée à l'entorse de la cheville en tant que telle est quasiment nulle.
En premier lieu, une intervention chirurgicale était indispensable, qu'elle soit exécutée selon l'une ou l'autre des techniques, au regard des pièces en la possession de la cour, de l'importance de la synovite, de la réalisation d'une nouvelle opération à la suite d'une récidive et du rapport d'expertise judiciaire qui relève que «la logique de la prise en charge des tissus mous rendait nécessaire une opération».
La partie appelante invoque que le Dr [Y] a commis une faute en pratiquant une arthrotomie et non une arthroscopie, technique moins invasive et moins risquée.
L'appelant se fonde essentiellement sur le rapport d'expertise du Dr [T], selon lequel :
- «On ne sait pas pourquoi le Dr [Y] a procédé à une synovectomie «à ciel ouvert» et non par arthroscopie, geste qui évite l'ouverture de l'articulation et qui est donc moins agressif, avec un moindre risque de raideurs et de complications outre le fait qu'il peut permettre une résection synoviale plus complète»,
- «L'arthroscopie était largement préférable à l'arthrotomie»,
L'expert judiciaire relève, au contraire, dans son rapport :
- La logique de la prise en charge des tissus mous rendait nécessaire une opération avec réalisation d'une résection,
- L'intervention du Dr [Y] a été réalisée à bon escient, dans les règles de l'art, conformément aux données des sciences à l'époque.
Aucune documentation ou pièce versée aux débats ne permet d'affirmer qu'à la date des faits, et au regard de la nature et de l'étendue de la synovite dont souffrait [B] [H], l'arthroscopie était préférable à l'arthrotomie, et ce même, si cette dernière technique est plus invasive.
Par ailleurs, il convient de relever que le Docteur [T] a été missionné par la CPS pour examiner l'imputabilité des séquelles d'[B] [H] à l'accident du travail, et non par une juridiction pour rechercher les éventuels manquements du Dr [Y].
Par ailleurs, le Dr [T], qui n'est pas un expert de la cour d'appel, est médecin généraliste, diplômé en chirurgie et accouchements et en assurance de personnes et n'est pas spécialisé en chirurgie orthopédique.
Il ne peut donc être reproché au Dr [Y] d'avoir commis une faute en raison du choix inadapté d'une technique chirurgicale.
En outre, l'expert judiciaire retient qu'il n'existe «pas de préjudice qui soit le fait d'un acte inconsidéré ou mal réalisé».
L'intervention chirurgicale du Dr [Y], qui a nécessairement porté atteinte à l'intégrité corporelle d'[B] [H], était justifiée, dans le seul intérêt du patient, par la nécessité médicale. Elle était donc conforme aux exigences de l'article 16-3 alinéa 1er précité.
En troisième lieu, s'agissant de l'exécution de l'acte chirurgical lui-même, et contrairement à l'assertion, non étayée, du Dr [T] selon laquelle la résection a été «largement incomplète», l'opération a permis de retirer en totalité la tumeur.
Enfin, ainsi que le mentionne l'expert judiciaire, aucune faute ne pourrait être imputée au Dr [Y] dans la surveillance postopératoire puisque celle-ci a été effectuée par un autre praticien à la demande d'[B] [H], qui a changé de thérapeute.
Le Dr [Y] n'a donc commis aucun manquement dans le diagnostic délivré, dans les soins et examens prescrits, dans le choix et l'exécution de l'opération. Ses prestations médicales et chirurgicales ont été réalisées dans les règles de l'art au vu des données acquises de la science en 1998.
Sa responsabilité ne peut donc être engagée de ces chefs.
Sur les manquements résultant de l'absence d'information relative à l'opération :
Selon l'article 16-3 alinéa 2 du code civil, le consentement du patient doit être recueilli préalablement.
En 1998, un médecin chirurgien avait déjà une obligation d'information sur l'opération, ses risques et les choix thérapeutiques offerts au patient.
Il résulte de l'expertise judiciaire du Dr [E] corroborée par l'expertise amiable du Dr [T] et de l'absence de preuve contraire que le Dr [Y] n'a donné d'information ni sur la nature exacte et les risques de l'opération envisagée ni sur les options chirurgicales possibles.
La preuve n'est donc pas rapportée que [B] [H] a reçu une information lui permettant de donner un consentement éclairé.
Toutefois, le défaut d'information sur un risque lié à l'exécution d'une opération et à son exécution (en l'espèce, par arthrotomie) n'a pas fait perdre à [B] [H] une chance d'éviter un dommage dès lors qu'un tel risque ne s'est pas réalisé.
En effet, contrairement à ce que soutient la partie appelante, le manque d'information en lui-même n'entraîne ni une perte de chance ni un préjudice d'impréparation, qui ouvrirait un droit à indemnisation, même moral, pour le patient lésé.
[B] [H] n'a subi aucun dommage en raison de l'insuffisance d'information donnée par le praticien.
Le Dr [Y] n'a pas commis un manquement contractuel ouvrant droit à indemnisation à la partie appelante.
Celle-ci sera donc déboutée de ses demandes et le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
SUR LES AUTRES DEMANDES :
Il n'apparaît pas inéquitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
En application de l'article 406 du même code, il convient de laisser les dépens à la charge des parties qui les ont exposés.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
Déclare recevable l'appel formé par [B] [H],
Déclare recevable l'intervention d'AXA France IARD,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,
Laisse les dépens à la charge des parties qui les ont exposés sur le fondement de l'article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Prononcé à Papeete, le 11 mai 2023.
Le Greffier, P/Le Président empêché,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL