N° 480
MF B
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Copies exécutoires délivrées à :
- Me Quinquis,
- Me Usang,
- Me Lollichon-Barle,
le 14.12.2022.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 8 décembre 2022
RG 20/00295 ;
Décision déférée à la Cour : arrêt n° 514 F-D de la Cour de Cassation de Paris du 10 septembre 2020 ayant cassé partiellement l'arrêt n° 316, rg n° 17/00147 de la Cour d'Appel de Papeete du 20 septembre 2018 suite à l'appel du jugement n° 02 Rg n° 2007 000006 de la Juridiction des Loyers Commerciaux du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 20 avril 2017 ;
Sur requête après cassation déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 24 septembre 2020 ;
Demanderesse :
La Société Brown Building Corporation, inscrite au Rcs de Papeete sous le n° 1375 C dont le siège social est sis à [Adresse 4], poursuites et diligences de son gérant : M. [F] [P] ;
Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me François QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete ;
Défendeurs :
La Sas Centre Vaima dont le siège social est sis à Papeete Centre Vaima, BP 618 - 98713 Papeete, représenté par son Président ;
Représentée par Me Arcus USANG, avocat au barreau de Papeete et Me Mathieu HANAUT, avocat au barreau de Paris ;
M. [G] [D] [E], né le 8 juillet 1955 à Californie, demeurant [Adresse 2] ;
M. [Y] [E], né le 25 avril 1952 à Californie, demeurant [Localité 1] ;
Représentés par Me Jean-Claude LOLLICHON-BARLE, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 11 février 2022 ;
Composition de la Cour :
Vu l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire ;
Dit que l'affaire, dont ni la nature ni la complexité ne justifient le renvoi en audience solennelle, sera jugée, en audience ordinaire publique du 13 octobre 2022, devant Mme BRENGARD, président de chambre, Mme PINET-URIOT et M. SEKKAKI, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. SEKKAKI, conseiller et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
LES FAITS ET LA PROCEDURE ANTERIEURE :
Par acte authentique du 22 novembre 1974, M. [F] [P], Mme [B] [P] et Mme [Z] [P], en qualité d'associés de la société Brown Building Corporation (BBC), ont donné à bail à la Société Polynésienne de Développement Touristique (SPDT), aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SAS Centre Vaima en qualité de sous-locataire, un terrain sis à [Localité 3] d'une superficie de 8 000 m² environ, dénommé 'bloc Vaima', et toutes les constructions y édifiées consistant en divers bâtiments affectés à usage commercial destinés à être démolis en vue de la reconstruction générale de l'îlot.
Aux termes de ce contrat, notamment :
-le bail était consenti pour une durée de 11 années entières et consécutives à compter du 22 novembre 1974, renouvelable huit fois pour des périodes identiques, à la seule demande du preneur,
- le loyer était fixé à 23 millions de Fcfp l'année, et stipulé révisable selon les modalités d'une clause d'échelle mobile.
Le bail a été reconduit tacitement en 1985 et en 1996.
Le 13 septembre 2006, la société BBC a délivré congé à la société SPDT pour le 22 novembre 2007 (3ème échéance), avec offre de renouvellement du bail comportant un nouveau loyer fixé à la somme annuelle de 96 millions de francs CFP.
Le 2007, la société BBC a saisi la juridiction des loyers commerciaux de [Localité 3] d'une instance en fixation du loyer du bail renouvelé.
La société SPDT l'a assignée en annulation de ce congé devant le tribunal de première instance de Papeete.
Le juge des loyers commerciaux a, par jugement du 17 avril 2008, prononcé un sursis à statuer sur la demande de la société BBC en attendant l'issue du procès relatif à la validation du congé.
Par jugement du 16 mars 2009, le tribunal a annulé le congé délivré le 13 septembre 2006 , sa décision étant confirmée par un arrêt de la cour d'appel de céancs rendu le 3 février 2011. Cet arrêt a été cassé en toutes ses dispositions par la Cour de Cassation statuant par arrêt du 12 décembre 2012 rendu au visa des articles 1134 du Code civil et L.145-11 du Code de commerce, au motif que 'une promesse de renouvellement du bail n'emporte pas renonciation du bailleur à faire fixer le prix du bail renouvelé et que s'il peut obtenir une modification du prix dès le renouvellement, il doit, sauf clause fixant une autre modalité de demande d'un nouveau prix, faire connaître le loyer qu'il propose dans un congé délivré conformément à l'article L.145-9 du Code de commerce.'
Suivant arrêt du 29 septembre 2016, statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Papeete a irrévocablement validé le congé.
L'instance en fixation du loyer du bail renouvelé en attente devant le juge des loyers commerciaux a été reprise.
Dans ce cadre, la société BBC a demandé la fixation du loyer du bail renouvelé sur la base de la valeur locative du bien loué au visa de l'article L.145-33 du code de commerce, outre la désignation d'un expert chargé de déterminer cette valeur vénale, tandis que la société Centre Vaima a déclaré que le nouveau loyer ne s'incrivait pas dans le cadre d'une révision triennale du loyer mais visait la fixation d'un nouveau loyer du bail renouvelé, de sorte que le loyer ne pouvait être libéré que dans la limite autorisée par la délibération n°75-41 du 14 février 1975 de l'assemblée territoriale de Polynésie française.
LE JUGEMENT DONT APPEL :
Suivant jugement rendu contradictoirement le 20 avril 2017 (RG 2007 000006), la juridiction des loyers commerciaux a,
' débouté la société centre Vaima de ses prétentions,
' ordonné une expertise,
' condamné la société centre Vaima à payer à la société BBC la somme de 500'000 Fcfp au titre de l'article 700 du code de procédure civile et réserver les dépens.
Le tribunal a considéré que,
- l'article L.145-33 du Code de commerce devait être appliqué pour établir les modalités de l'expertise à réaliser pour déterminer la valeur locative du bien, l'expert devant en particulier examiner la variation éventuelle des facteurs locaux de commercialité;
- la clause d'accession figurant au bail est applicable à la date de la fin du bail initial et non à l'issue de la relation contractuelle, au motif que 'le bail renouvelé est un nouveau bail.'
LA PROCEDURE AYANT DONNE LIEU AU RENVOI :
Sur appel de la société centre Vaima, la cour de céans a été saisie.
MM. [Y] et [G] [E] sont intervenus à l'instance en qualité d'héritiers de feue [K] [V] [S], fille adoptive de feu [M] [S], dans le patrimoine successoral duquel se trouvent le terrain et les constructions loués ainsi que les parts et actions de la société BBC.
Aux termes d'un arrêt rendu le 20 septembre 2018, la cour d'appel a :
- déclaré irrecevable l'intervention volontaire de [Y] [E] et de [G] [E] ;
- débouté la société Centre Vaima de ses fins de non-recevoir et exceptions à l'encontre de la société BBC ;
- débouté la société Centre Vaima de ses demandes d'annulation de jugements et de constatation de l'extinction de l'instance ;
- confirmé le jugement rendu le 20 avril 2017 par le juge des loyers commerciaux du tribunal civil de première instance de Papeete ;
- y ajoutant, dit que l'expert désigné aurait aussi pour mission de fournir à la juridiction tous éléments permettant de fixer le montant d'une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement du bail par la société Centre Vaima ;
- condamné la société Centre Vaima à payer à la société BBC la somme supplémentaire de 500 000 Fcfp en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour, outre les dépens d'appel.
Saisie par le pourvoi principal de la société Centre Vaima et le pourvoi incident de MM. [E], la Cour de Cassation, statuant par arrêt n°514 du 10 septembre 2020 ( pourvoi n° 18-25.924), a,
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Centre Vaima et ordonne une mesure d'expertise, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
- condamné la société BBC aux dépens des pourvois et au paiement à la société Centre Vaima d'une indemnité de procédure de 3 000 euros.
LA PROCEDURE DEVANT LA COUR DE RENVOI :
Suivant requête déposée par la société BBC et enregistrée au greffe le 24 septembre 2020, l'instance a été reprise devant la cour de céans .
MM. [Y] et [G] [E] ont soulevé un incident aux fins d'annulation de la requête en reprise d'instance et de l'assignation qui a été déclaré irrecevable par ordonnance rendue le 3 mai 2021 par le magistrat de la mise en état .
PRETENTIONS DES PARTIES DEVANT LA COUR :
Par conclusions récapitulatives du 19 mai 2021, la société BBC entend voir la cour, statuant au vu l'arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2012 et l'arrêt de la cour d'appel de Papeete du 29 septembre 2016, l'article 145 -11 du code de commerce,
' dire et juger qu'elle est fondée à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ces deux décisions,
' dire et juger que la Cour de Cassation n'a pas pris partie sur la qualification du bail du 22 novembre 1974,
' constater que par arrêt du 10 septembre 2020, la Cour de Cassation a cependant jugé que la procédure de renouvellement du bail était incompatible avec le caractère emphytéotique dudit bail évoqué à tort par la cour d'appel dans son arrêt cassé du 20 septembre 2018,
' dire et juger que la Cour de Cassation n'a pas statué sur la caractère emphytéotique du bail et la déclarer recevable à contester ce caractère emphytéotique,
' dire et juger que l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 décembre 2012 et l'arrêt définitif de la cour d'appel de Papeete du 29 septembre 2016 ont retenu que la durée du bail était de 11 ans renouvelable huit fois ainsi que la soumission dudit bail au statut des baux commerciaux,
' dire et juger qu'elle est recevable à se prévaloir de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel du 29 septembre 2016 en ce qu'il a validé le congé avec offre de renouvellement en date du 13 septembre 2006,
' dire et juger que le bail liant les parties n'est pas emphytéotique notamment en ce qui n'est que d'une durée de 11 ans, n'a pas été publié à la conservation des hypothèques n'est pas constitué de droits réels,
' constater en toute hypothèse que les parties n'ont pas eu la volonté de constituer une emphytéose et dire que ledit bail n'est susceptible d'aucune interprétation,
' dire et juger que la loi du 25 juin 1902 relative aux baux emphytéotiques n'est pas applicable en Polynésie française,
' par conséquent, dire et juger que le bail des 8 et 17 mars 1974 la liant à la société SP DT n'est pas un bail emphytéotique,
' constater que l'expert désigné par le juge des loyers commerciaux a régulièrement déposé son rapport sur la valeur locative des locaux loués,
' dire n'y avoir eu d'erreur obstacle de la part de la société Centre Vaima et dire de surcroît prescrite l'action en nullité,
En conséquence, confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter la société Centre Vaima de toutes ses demandes et déclarer irrecevable sa demande en dommages-intérêts, puis la condamner au paiement d'une somme de 10 millions Fcfp au titre des frais irrépétibles outre les dépens.
En ses conclusions responsives et récapitulatives après cassation, la société Centre Vaima demande à la cour,
vu les articles 555, 1134, 1156 et 1162 du Code civil,
vu les articles L 145-3 et L 145 -33 du code de commerce, les articles 2 et 12 de la délibération 75641 du 14 février 1975 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française portant réglementation des baux à usage commercial, industriel et artisanal, la délibération 74 -43 du 30 avril 1974 portant fractionnement annuel du droit de transcription relatif aux baux de longue durée, spécialement son article 1er visant une durée minimum du bail de 30 ans,
vu le Sénatus consulte du 7 juillet 1856 sur la transcription en matière hypothécaire rendue applicable en Polynésie française par l'arrêté du 28 novembre 1867,
vu la loi de pays n° 20146 32 du 17 novembre 2014, en tant que de besoin les articles L451-1 et suivants du code rural, article 604 du code de procédure civile,
vu la délibération 71 -110 du 12 juillet 1971 portant réglementation des loyers des locaux à usage commercial et artisanal,
vu l'arrêté 14 62 CM du 31 décembre 1992 relative aux révisions des loyers des baux des locaux à usage d'habitation, professionnel, commerciale, industrielle ou artisanale,
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau,
' dire et juger que l'acte notarié en date du 22 novembre 1974 enregistré le 26 novembre 1974 et transcrit le 18 décembre 1974 est un bail emphytéotique d'une durée de 99 ans, durée composée de neuf périodes de 11 ans,
' dire et juger que le bail emphytéotique du 22 novembre 1974 est d'une durée supérieure à 30 ans sans préjudice de ce que cette durée contractuellement renouvelée et continuée par périodes de 11 ans au sein d'un bail unique,
' dire et juger qu'en conséquence de la nature emphytéotique du bail et, en toute hypothèse, par la volonté des parties, l'accession des constructions au profit du bailleur est seulement à l'échéance du contrat de 99 ans,
' dire et juger que les dispositions du statut des baux commerciaux ne sont pas applicables sauf en ce qui concerne la révision du loyer, et que la fixation d'un nouveau loyer est par conséquent exclue,
' dire et juger qu'il n'y a pas lieu à expertise judiciaire en vue de fixer un nouveau loyer, comme l'a rappelé la Cour de Cassation,
' dire et juger que le bail emphytéotique prévoit en l'espèce une révision triennale (clause d'échelle mobile) qui doit s'appliquer et qui ne permet pas de d'augmentation au-delà de la révision prévue au contrat,
A titre principal, débouter la société BBC de toutes ses demandes dont celles relatives à la fixation d'un nouveau loyer, de sa demande d'accession qui ne peut intervenir qu'à l'échéance de 99 ans, sauf résiliation à l'initiative du preneur ou résolution pour faute du preneur,
A titre subsidiaire, si par impossible la cour d'appel faisait droit aux prétentions de la société BBC,
' constater que la société Centre Vaima se retrouverait dans un schéma juridique et économique en totale rupture avec ses prévisions et l'attente raisonnable qui était la sienne lors de l'engagement contractuel du 26 novembre 1974,
' dire et juger que la société Centre Vaima est victime d'une erreur obstacle entraînant la nullité du bail, et qu'en conséquence les créancières d'une réparation intégrale des suites de la nullité, au titre des droits du constructeur de bonne foi, sans préjudice de toutes autres réparations,
Désigner tel expert à l'effet d'évaluer l'ensemble des préjudices, perte ou gain manqué,
' dire et juger qu'en toute hypothèse la société Centre Vaima devra être indemnisée par la société BBC de la valeur de ces constructions en application de l'article 555 du Code civil, que le droit à la conservation des fruits lui est acquis car elle est possesseur de bonne foi,
Condamner la société BBC à lui payer la provision de 6 milliards Fcfp, somme à parfaire dans l'attente de l'évaluation par voie d'expertise judiciaire, puis désigner tel expert avec mission de chiffrer le montant de l'indemnité à laquelle elle aurait droit,
' dire et juger qu'elle est autorisée à continuer à jouir des lieux et à exploiter les constructions du bloc Vaima tant qu'elle n'est pas payée du montant total de l'indemnité susvisée,
En tout état de cause, à titre reconventionnel,
' dire et juger que la mauvaise foi de la société BBC est avérée quant à l'interprétation de l'acte notarié du 26 novembre 1974, quant à sa publicité foncière et à l'intention des parties,
' dire et juger que la société BBC manque à cette obligation de garantie, de délivrance, de jouissance paisible du par le bailleur,
' dire et juger que ces agissements délibérés de la société BBC depuis 2008 troublant la jouissance du bail, sa sécurité et la prévisibilité de l'investissement et du travail de la société Centre Vaima, constitue une faute dolosive qui lui cause un préjudice,
Condamner en conséquence la société BBC à lui verser une somme de 2 milliards Fcfp à parfaire, ainsi qu'une indemnité de procédure de 10 millions Fcfp, outre les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Pour l'exposé des moyens des parties, tel que requis par les dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, il sera renvoyé à la motivation ci-après à l'effet d'y répondre.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'dire et juger' ou de 'constater' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
Les prétentions de la société BBC qui a saisi la cour de renvoi après cassation, tendent à obtenir la confirmation du jugement alors que la société Centre Vaima qui est la partie déboutée par le tribunal mixte de commerce de Papeete en sollicite l'infirmation.
Sur l'autorité de chose jugée alléguée :
La société BBC invoque en premier lieu, l'autorité de chose jugée qui serait attachée à l'arrêt de la Cour de Cassation rendu le 12 décembre 2012 et l'arrêt rendu sur renvoi de cassation par la cour d'appel de Papeete le 29 septembre 2016. Pour elle, ces deux décisions ont décidé que le bail du 22 novembre 1974 était soumis au statut des baux commerciaux et elle soutient qu'en tout état de cause, aucun élément contraire ne montre que les parties ont convenu de signer un bail emphytéotique.
Elle ajoute qu'au contraire, l'arrêt partiellement cassé du 20 septembre 2018 a repris l'argumentation de la société Centre Vaima plaidant que le bail litigieux est de nature emphytéotique mais seulement dans les motifs et non dans le dispositif qui a seule autorité de chose jugée.
Elle soutient que dans sa décision du 10 septembre 2020 qui a renvoyé l'affaire à la cour de céans, la Cour de Cassation n'a pas pris partie sur la qualification du bail, et n'a fait que censurer l'arrêt du 20 septembre 2018 en ce qu'il appliquait le statut des baux commerciaux, au congé avec offre de renouvellement d'un bail qualifié d'emphytéotique.
Pour la société Centre Vaima, aucune autorité de chose jugée ne s'évince des décisions du 12 décembre 2012 et du 29 septembre 2016 qui n'ont pas décidé dans leur dispositif que la relation contractuelle entre les parties était un bail commercial.
Elle maintient que l'acte signé le 22 novembre 1974 est un bail emphytéotique qui ne relève pas du statut des baux commerciaux sauf pour la révision des loyers, de sorte qu'en l'espèce, le litige se déroulant dans le cadre d'un congé avec offre de bail renouvelé avec fixation d'un nouveau loyer, ce loyer ne peut être déterminé que conformément aux clauses du contrat.
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Ceci étant, l'autorité de chose jugée constitue une fin de non-recevoir si elle est présentée dans les conditions des articles 45 et suivants du code de procédure civile de Polynésie française, tend alors à entendre déclarer irrecevable, l'action de la partie adverse.
En l'espèce, la société BBC se prévaut de l'autorité de chose jugée comme un simple moyen de fond sans viser le texte légal s'y rapportant ( art.1351 du Code civil ) ni sans justifier que les conditions requises par la loi pour qu'elle soit constituée, sont réunies.
Quoiqu'il en soit, il ne ressort pas de la lecture de l'arrêt n°1509 du 12 décembre 2012 que la Cour de Cassation ait tranché la qualification du bail du 22 novembre 1974 car le problème de droit dont elle était saisie concernait la validité du congé donné par la BBC le 13 septembre 2006 et la cassation qu'elle a prononcé ne concernait que l'erreur de droit commise par la cour d'appel en annulant le congé donné par le bailleur.
Dans le sillage de l'arrêt précité de la Cour de Cassation à la suite duquel elle a été saisie, la cour d'appel de céans, a, dans son arrêt du 29 septembre 2016, validé le congé sans se prononcer dans le dispositif de sa décision - et même d'ailleurs dans ses motifs - sur la qualification du bail .
Dès lors, la société BBC ne peut pas sérieusement alléguer de ce que dans le cadre des procédures qu'elle a elle-même engagées, elle a obtenu une décision qualifiant le contrat authentique de 1974, de bail commercial.
Dans le cadre du présent procès introduit par la société BBC devant le juge des loyers commerciaux, la qualification du bail ne paraît pas avoir été débattue par les parties en première instance, mais la société Centre Vaima l'a évoquée en appel et c'est ainsi que la cour de céans a, dans les motifs de son arrêt partiellement cassé du 20 septembre 2018, considéré que le bail était emphytéotique; il s'agit à l'évidence de motifs décisoires qui l'ont conduit à confirmer le jugement et qui n'ont été censurés par la Cour de Cassation que sur l'erreur de droit consistant à appliquer le statut des baux commerciaux, à la fixation du loyer du bail emphytéotique renouvelé. Cependant, il est constant que l'autorité de chose jugée n'est attachée qu'au dispositif d'une décision de justice qui tranche tout ou partie du principal. (Art.284 du code de procédure civile).
Devant la Cour de Cassation, la qualification du bail par la cour d'appel n'a pas été remise en cause par la société BBC qui aurait pu faire un pourvoi incident sur ce point, mais qui, ne l'ayant pas fait, a laissé la Cour répondre à la seule question qui lui était posée - à l'exception de l'intervention volontaire des consorts [E] - sur l'application du statut des baux commerciaux, à un bail qualifié d'emphytéotique qui a fait l'objet de la part du bailleur, d'une offre régulière de renouvellement avec demande de fixation d'un nouveau loyer.
La cour de céans est donc libre de son appréciation sur la question posée par les parties de la qualification du contrat de louage les liant.
Sur la nature juridique du bail passé le 22 novembre 1974 :
Pour entendre qualifier ce contrat de bail commercial, la société BBC soutient en substance que,
- ce louage est consenti pour une période de 11 ans renouvelable 8 fois, et non pour une durée de 18 à 99 ans,
-il ne confère pas un droit immobilier au preneur car sinon, il aurait fait l'objet d'une publicité foncière,
-la législation métropolitaine qui définit le bail emphytéotique n'est pas applicable en Polynésie.
La société Centre Vaima s'en remet à la motivation de l'arrêt du 20 septembre 2018, et conclut au rejet de tous les arguments et moyens du bailleur.
Au regard des conclusions des parties et des pièces produites, la cour retient les éléments de fait et de droit suivants :
' le bail emphytéotique est un contrat de louage relevant de l'article 1709 du Code civil et ses caractéristiques sont définies par les articles 451 et suivants du Code rural qui n'est certes pas applicable en Polynésie française mais qui édicte des dispositions concernant le bail emphytéotique qui ne sont pas d'ordre public, de sorte que les parties peuvent toujours décidé d'un commun accord de s'y soumettre ;
' du reste, la Délibération n°75-41 du 14 février 1975 portant réglementation des baux à usage commercial, industriel et artisanal en Polynésie française mentionne expréssement dans son article 2 que le statut est applicable au bail emphytéotique pour la révision des loyers et aux sous-locations passées par les emphytéotes, ce qui induit nécessairement que cette catégorie de louage n'est pas interdite par le législateur du Pays.
' en vertu de l'article 1134 du Code civil , la commune intention des parties doit être apprécier à la signature du contrat.
En l'espèce,
' les parties n'ont pas expressément soumis leur accord au statut des baux commerciaux qui ne se présume pas ;
' le bail porte, certes, sur une période initiale de louage de 11 ans mais qui est renouvelable 8 fois à l'identique par la société preneuse qui est seule à disposer de la possibilité de faire cesser le bail à l'expiration de chaque période, le bailleur ne conservant que la possibilité de rompre le bail qu'en cas de non-paiement d'un loyer ou en cas de procédure collective visant la société preneuse ;
' le bail emphytéotique confère à la preneuse un droit réel immobilier pendant toute la durée du bail ; pour ce motif, le contrat n°2459 du 22 novembre 1974 a été passé en forme authentique et a fait l'objet d'une transcription au bureau des hypothèques de [Localité 3] ;
' le bail emphytéotique s'applique à tous les immeubles quelque soit leur destination ; le bail en cause porte sur un terrain sur lequel sont édifiées des constructions à usage commercial destinées à être démolies en vue d'une reconstruction générale, mais sans limiter l'usage que la preneuse en fera, dans le respect de la législation en vigueur et des droits des tiers ;
' l'ensemble des charges tenant au bien loué sont transférées à la preneuse pendant la durée du louage y compris tous les impôts, contributions et taxes auxquels sont assujettis les lieux loués, tel que l'impôt foncier sur le bâti ;
' Enfin, la cour observe que le loyer annuel demandé par la société BBC dans le cadre de son offre de renouvellement soit 96 millions Fcfp est plus de 4 fois supérieur au loyer contractuel de 23 millions, ce qui tend à confirmer que les parties ont bien eu l'intention de passer un bail emphytéotique avec un loyer ne tenant pas compte de la valeur locative, compte tenu de la nature des droits qui sont transférés au preneur mais aussi des charges s'y rapportant.
En conséquence, la société BBC n'a pas rapporté la preuve de ce que le bail la liant à la société Centre Vaima était un bail soumis au statut des baux commerciaux et au regard des éléments du dossier, la cour juge que c'est à juste titre que la société Centre Vaima se prévaut d'un bail emphytéotique à l'égard de son bailleur, la société BBC.
Sur la date d'applicabilité de la clause contractuelle d'accession :
Le bail contient une clause d'accession selon laquelle à l'expiration du bail, les embellissements, améliorations, installations et constructions nouvelles réalisés par la société preneuse sur le terrain appartiendront de plein droit, sans aucune indemnité, au bailleur.
Le tribunal a considéré que cette clause était applicable puisque le congé donné par le bailleur était valable et mettait fin au bail originel contenant ladite clause, même s'il offrait le renouvellement dudit bail puisqu'il s'agissait alorsd'un nouveau bail.
En son arrêt du 20 septembre 2018, la cour d'appel a confirmé cette analyse estimant qu'en conséquence, les investissements réalisés par la preneuse devaient être pris en compte puisque la clause d'accession aura joué au profit de la société BBC lors de la prise d'effet du bail renouvelé.
La société BBC demande à la cour de céans, statuant après la cassation de l'arrêt sur ses dispositions qui ont rejeté les demandes de la société Centre Vaima et ordonné une expertise, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a admis que la clause d'accession du bail initial s'appliquait dès la prise d'effet du bail renouvelé.
La société Centre Vaima au contraire, entend voir juger que la clause d'accession n'entrera en vigueur qu'à l'expiration du contrat initial prévu pour 99 ans.
Elle avance cependant peu d'arguments précis et circonstanciés dans ses conclusions de 52 pages pour étayer cette demande sauf de manière très brève et indirecte au chapitre intitulé :
'2) sur la mauvaise foi de la société BBC' (page47), en indiquant que 'le bailleur pendant plus de 45 ans n'a jamais allégué une quelconque accession.'
En outre, il apparaît que dans son arrêt du 10 septembre 2020, la Cour de Cassation n'a pas retenu la dixième branche du moyen de la société Centre Vaima en ce qu'elle reprochait à la cour d'appel dans son arrêt du 20 septembre 2018 de ne pas avoir recherché si la clause d'accession pouvait s'appliquer avant que ne soit arrivée la fin de la jouissance du terrain loué conférée à la preneuse par le bail initial.
Devant la cour de céans, la société Centre Vaima reproche à la société BBC sa mauvaise foi mais n'invoque pas l'ambigüité de la clause d'accession qui, en tout état de cause, indique dans des termes clairs non susceptibles d'interprétation, que : 'à l'expiration du bail, à quelque époque et de quelque façon qu'elle arrive, ...' (Sic), le bailleur deviendra propriétaire de plein droit et sans indemnité, des constructions et améliorations diverses réalisées par lapreneuse.
La société Centre Vaima demande encore à la cour de 'dire et juger' qu'en toutes hypothèses, elle devra être indemnisée de la valeur des constructions qu'elle a édifiées, en application de l'article 555 du code civil et qu'elle a droit à la conservation des fruits comme possesseur de bonne foi ; cependant, son moyen va à l'encontre du contenu de la clause d'accession, qu'elle a acceptée en signant le bail.
Dès lors, comme l'a à juste titre, retenu la juridiction des loyers commerciaux, l'application de la clause d'accession en toutes ses stipulations est de droit à la date du congé donné pour le 22 novembre 2007 qui a mis fin au bail initial pour laisser la place à un nouveau bail liant les parties.
En conséquence, la société Centre Vaima doit être déboutée de ses prétentions tendant à obtenir que lui soit reconnu le droit à l'indemnisation des constructions qu'elle a édifiées sur le terrain loué, et partant, de sa demande de provision à valoir sur l'évaluation par expert judiciaire.
Sur la demande de dommages intérêts présentée par la société Centre Vaima :
Dès lors que le bail est qualifié d'emphytéotique comme le sollicite la preneuse, l'action en responsabilité du bailleur est vouée à l'échec et en outre, la société BBC invoque à juste titre la prescription trentenaire puisque le bail a été signé le 22 novembre 1974 et que la société Centre Vaima qui doit rapporter la preuve d'actes interruptifs de prescription n'établit pas avoir présenté ce moyen avant le 22 novembre 2004 ou avoir effectué des actes interruptifs.
Sur la fixation du loyer du bail renouvelé :
Le statut des baux commerciaux, et particulièrement l'article L.145-33 du code de commerce ne s'applique pas au bail emphytéotique sauf en matière de révision des loyers, ce qui n'est pas le cas dans le présent litige qui concerne la détermination d'un nouveau loyer pour le nouveau bail dont l'offre a été faite par le bailleur.
Dès lors, le tribunal ne pouvait, même si dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation il estimait une expertise utile, inviter l'expert à chiffrer l'indemnité d'éviction qui d'une part, n'est prévue que dans le cadre de la fixation du loyer du bail commercial renouvelé et d'autre part, est contraire aux stipulations du contrat liant les parties.
Contrairement aux affirmations de la société Centre Vaima, la clause d'échelle mobile insérée au bail du 22 novembre 1974 n'est pas non plus applicable car elle concerne la révision du loyer prévu dans ce bail et non celui à fixer après délivrance du congé dans le cadre d'un nouveau bail.
En conséquence de ce qui précède, la fixation du loyer du bail renouvelé demeure de la libre appréciation du juge qui doit se déterminer en fonction des éléments de droit et de fait du dossier.
Le tribunal ne s'est pas prononcé sur le montant du loyer et les parties ne demandent pas à la cour d'évoquer, ce qui serait, du reste, contraire à leur intérêt de bénéficier du double degré de juridiction.
Sur les frais de la procédure :
Chaque partie succombant partiellement sur ses prétentions, la cour faisant masse des dépens, condamnera chacune d'entre elles, à supporter la moitié de ces frais, et rejettera les demandes réciproques au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Vu l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la Cour d'appel de Papeete autrement composée;
Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 10 septembre 2020 par la Cour de Cassation ;
Infirmant le jugement rendu le 20 avril 2017 par la juridiction des loyers commerciaux,
Statuant à nouveau,
Vu le bail emphytéotique passé en la forme authentique le 22 novembre 1974 entre les parties,
Vu le congé donné par la société BBC avec offre de renouvellement et loyer modifié, par acte d'huissier du 30 septembre 2006 à effet au 22 novembre 2007,
Dit et juge que la clause d'accession insérée au bail du 22 novembre 1974 a pris effet à l'expiration dudit bail, le 22 novembre 2007,
Dit et juge que le statut des baux commerciaux ne s'applique pas à la fixation du loyer du bail renouvelé le 22 novembre 2007,
Renvoie les parties à saisir la juridiction du premier ressort aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé,
Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés en deux parts égales par les parties,
Déboute les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires, y compris au titre des frais irrépétibles.
Prononcé à Papeete, le 8 décembre 2022.
Le Greffier, P/Le Président empêché,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : K. SEKKAKI