La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2022 | FRANCE | N°21/00058

France | France, Cour d'appel de Papeete, Cabinet b, 10 novembre 2022, 21/00058


N° 423





MF B

--------------



Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Maisonnier,

le 14.11.2022.





Copie authentique

délivrée à :

- Me Eftimie-Spitz,

le 14.11.2022.

REPUBLIQUE FRANCAISE



COUR D'APPEL DE PAPEETE



Chambre Civile



Audience du 10 novembre 2022



RG 21/00058 ;



Décision déférée à la Cour : arrêt n° 673 F-D de la Cour de Cassation de Paris du 24 septembre 2020, ayant cassé l'arrêt n°35, rg

n° 13/00744 de la Cour d'Appel de Papeete du 14 février 2019 suite à l'appel du jugement n° 758, rg n° 12/00831 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 16 octobre 2013 ;



Sur requête après cassation déposée...

N° 423

MF B

--------------

Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Maisonnier,

le 14.11.2022.

Copie authentique

délivrée à :

- Me Eftimie-Spitz,

le 14.11.2022.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 10 novembre 2022

RG 21/00058 ;

Décision déférée à la Cour : arrêt n° 673 F-D de la Cour de Cassation de Paris du 24 septembre 2020, ayant cassé l'arrêt n°35, rg n° 13/00744 de la Cour d'Appel de Papeete du 14 février 2019 suite à l'appel du jugement n° 758, rg n° 12/00831 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 16 octobre 2013 ;

Sur requête après cassation déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 24 février 2021 ;

Demandeurs :

Mme [F] [A] veuve [W], née le 2 septembre 1945 à [Localité 15], de nationalité française, demeurant à [Adresse 16] ;

M. [L] [K] [G] [W], né le 16 décembre 1949 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant à [Adresse 13] ;

M. [J] [U] [OJ] [W], né le 14 juin 1955 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant à [Adresse 1] ;

Mme [VJ] [P] [N] [B], née le 26 décembre 1956 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant à [Adresse 11] ;

Mme [H] [M] [W], née le 26 février 1960 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant à [Adresse 3] ;

Mme [T] [C] [W], née le 19 août 1963 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant [Adresse 2] ;

Mme [Y] [X] [W], née le 17 juin 1965 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant à [Adresse 10] ;

Représentés par Me Michèle MAISONNIER, avocat au barreau de Papeete ;

Défenderesse :

La Sa Matavai, inscrite au Rcs de Papeete sous le n° 473 B dont le siège social est sis à [Adresse 14] ;

Représentée par Me Marie EFTIMIE-SPITZ, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 12 août 2022 ;

Composition de la Cour :

Vu l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire ;

Dit que l'affaire, dont ni la nature ni la complexité ne justifient le renvoi en audience solennelle, sera jugée, en audience ordinaire publique 8 septembre 2022, devant Mme BRENGARD, président de chambre, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme OPUTU-TERAIMATEATA, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

Faits et procédure antérieure :

Par acte authentique du 20 juin 2003, M. [I] [W] a donné à bail à la société du Matavai représentée par M.[ZU] [Z], un droit de superficie sur un terrain présentant une surface totale de 1ha10a16ca cadastré Cz n°[Cadastre 6] ( pour 68a28ca) et Dh n°[Cadastre 7] ( pour 41a88ca) situé à [Localité 12] (Ile de Tahiti), au [Localité 9], Partie ou [Localité 8], pour une durée de 99 années à compter du 1er juillet 2003, moyennant un loyer mensuel de 1 500 000 Fcfp, et pour toutes destinations et l'édification de toutes constructions et aménagements à tous usages.

La société locataire envisageait de construire un ensemble de commerces et logements.

* * *

Suivant procès-verbal d'huissier en date du 14 novembre 2006 , il a été constaté que des tiers non autorisés (Mme [V] [R] et M. [S] [SJ]) s'étaient installés sur la parcelle CZ6, objet du bail, et sur la parcelle CZ[Cadastre 5] (aujourd'hui CZ[Cadastre 4]) appartenant à la société du Matavai. M. [W] et la société du Matavai ont engagé une procédure à leur égard et, par ordonnance du 12 février 2007, le juge des référés a ordonné l'expulsion des occupants sans titre, cette mesure étant exécutée le 27 mars 2007.

Par acte du 24 avril 2007, M. [W] et la société du Matavai ont été assignés par les consorts [R] [SJ] devant le tribunal civil de première instance de Papeete en revendication de la propriété d'une partie du terrain litigieux. Par arrêt du 11 octobre 2012, la cour d'appel de Papeete a confirmé le jugement ayant rejeté leurs demandes.

Entre temps, les consorts [R] [SJ] avaient à nouveau assigné M. [W] et la société du Matavai en revendiquant la propriété des parcelles CZ[Cadastre 5] et CZ[Cadastre 6] et arguant de ce que l'acte de vente de la terre qu'aurait signé leur auteur le 4 septembre 1862 était un faux. Ils ont été déboutés de leur demande par jugement du 29 avril 2013 confirmé en appel par un arrêt du 17 mars 2016 qui est devenu définitif par suite d'un arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 14 juin 2018.

* * *

Dans l'intervalle, le 2 août 2012, M. [W] a fait signifier à la société du Matavai, un acte d'huissier contenant commandement de payer dans un délai de 3 mois, les loyers échus et arriérés des mois d'avril à juillet 2012 soit ( 1 500 000 Fcfp X4 ) = 6 000 000 Fcfp au principal, en visant la clause du bail stipulée en cas de défaut de paiement des loyers.

Suivant courrier du 11 septembre 2012, la société du Matavai a répondu qu'elle estimait ne pas avoir à payer ces arriérés en raison de l'existence de la revendication judiciaire de propriété en cours en motivant sa position comme suit : 'malgré les occupations, les procédures judiciaires et les blocages des autorités administratives ... notre société vous a versé 141 500 000 Fcfp de loyers depuis la signature du bail (...) Bien qu'étant partie à la procédure, vous n'avez jamais apporté votre contribution à la rédaction des conclusions en défense dans ce dossier, alors qu'il vous appartient de faire la preuve de votre propriété. Compte tenu de ces éléments, notre société suspend le paiement des loyers dans l'attente d'un jugement. Il va de soi que nous reprendrons les règlements dès que ce contentieux aura trouvé une issue favorable.'

Il est constant que la preneuse n'a jamais repris le paiement des loyers.

Le jugement déféré :

Par requête déposée le 19 novembre 2012 précédée d'une assignation du 16 novembre 2012, la société du Matavai a saisi le tribunal civil de première instance de Papeete pour voir ordonner la suspension du paiement des loyers dans l'attente du déblocage de la situation administrative et le paiement d'une somme de 165 552 146 Fcfp.

Elle soutenait que,

- l'occupation illicite du terrain et la revendication de propriété à l'égard de M. [W] avaient entravé la délivrance des autorisations administratives indispensables à la construction des immeubles qu'elle projetait de construire sur le terrain, objet du bail ;

- la situation l'avait contrainte à engager des dépenses importantes en particulier, de gardiennage, des frais bancaires et de procédure.

M. [W] a sollicité reconventionnellement la résiliation du bail pour non-paiement des loyers par la preneuse, en faisant notamment valoir que le contentieux avec les squatters s'était achevé en 2012 et n'avait pas donné lieu à une occupation durable du terrain litigieux, de sorte que la locataire avait pu en jouir.

* * *

Par jugement rendu contradictoirement le 16 octobre 2013 (RG12/00831), le tribunal, retenant l'argumentation de la preneuse, a,

- dit sans effet le commandement de payer du 2 août 2012 visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail du 20 juin 2003,

- débouté M. [W] de ses demandes,

- ordonné la suspension de l'exigibilité des loyers dûs par la société du Matavai à M. [I] [W] jusqu'à ce qu'une décision irrévocable ait tranché le droit de propriété de celui-ci,

- condamné M. [W] à payer à la société du Matavai une somme de 154 878 440 Fcfp à titre de dommages-intérêts, outre celle de 200'000 Fcfp sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, en plus des entiers dépens.

Par arrêt du 14 février 2019, la cour d'appel de Papeete a infirmé ce jugement puis, statuant à nouveau :

-a débouté la société du Matavai de ses demandes,

- a prononcé la résiliation du bail à compter du 5 décembre 2012,

- a également condamné la société du Matavai à payer à M. [W], un arriéré de loyers s'élevant à 12 000 000 Fcfp au titre des loyers échus d'avril à novembre 2012,

- a ordonné l'expulsion de la preneuse ainsi que la restitution des parcelles louées, sous astreinte,

- a condamné la société du Matavai au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1 500 000 Fcfp à compter du 5 décembre 2012 jusqu'à la libération effective des lieux.

* * *

Saisie par le pourvoi de la société du Matavai, la Cour de cassation, troisième chambre civile, statuant par un arrêt n°673 rendu le 24 septembre 2020 (pourvoi n°19-16.547), a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete, aux motifs suivants :

'Vu l'article 1726 du code civil :

3. Selon ce texte, si le locataire ou le fermier ont été troublés dans leur jouissance par suite d'une action concernant la propriété du fonds, ils ont droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail à loyer ou à ferme, pourvu que le trouble ou l'empêchement aient été dénoncés au propriétaire.

4. Pour rejeter les demandes de la société du Matavai, l'arrêt retient qu'en cas d'éviction partielle, le preneur peut demander, suivant les circonstances, soit une réduction de loyers, soit la résiliation du bail, que la société du Matavai, qui n'aurait pu subir qu'une éviction partielle puisqu'une seule des deux parcelles louées faisait l'objet de l'action en revendication, n'a demandé ni la réduction du loyer ni la résiliation du bail, que le risque d'éviction ne s'est pas réalisé et qu'aucun manquement de M. [W] à son obligation de délivrance et de jouissance paisible n'est établi.

5. En statuant ainsi, alors que le bailleur est tenu de répondre du trouble subi par son locataire par suite d'une action concernant la propriété du fonds en cas d'éviction ou de risque d'éviction du preneur et que la possibilité offerte au preneur de solliciter la diminution du prix du bail ne lui interdit pas d'invoquer l'exception d'inexécution, la cour d'appel a violé le texte susvisé'.

L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Papeete autrement composée.

La procédure de saisine de la cour d'appel sur renvoi après cassation :

Suivant requête d'appel sur renvoi de cassation enregistrée au greffe le 24 février 2021, les consorts [W] venant aux droits de M. [I] [W] décédé le 12 novembre 2019, ont saisi la cour d'appel de Papeete à l'égard de la société du Matavai, en sollicitant l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à titre principal, qu'il soit fait droit à leurs demandes de résiliation du bail aux torts de la société du Matavai.

En leurs conclusions récapitulatives et en réplique du 9 août 2022, les appelants demandent à la cour,

A titre principal,

- Débouter la société du Matavai de ses demandes d'irrecevabilité de la déclaration de saisine,

- Recevoir l'appel formé par les ayants droit de feu [I] [W], objet de la requête enregistrée le 24 février 2021,

A titre subsidiaire, en tant que de besoin,

Vu l'ordonnance du 8.4.22 par laquelle le magistrat de la mise en état, déclarant l'incident recevable l'a renvoyé devant la cour,

Vu les dispositions des articles 395-2 et 396-1 du code de procédure civile de la Polynésie française,

- Constater que l'exploit de signification de l'arrêt de cassation du 24 septembre 2020 réceptionné par leur soeur, [Y] [W] épouse [LC], le 18 décembre 2020, porte atteinte à leurs intérêts,

- Le déclarer nul à leur égard pour non-respect des dispositions de l'article 395-2 et de l'article 396-1 du code de procédure civile,

- Dire que cet acte ne fait pas courir à leur encontre le délai de deux mois de saisine de la cour d'appel de Papeete sur renvoi de cassation,

Par suite, les déclarer recevables en leur appel, objet de la requête enregistrée le 24 février 2021,

- Débouter la société du Matavai de ses prétentions contraires,

A titre infiniment subsidiaire,

Considérant que Mme [F] [A] veuve [W] qui n'a jamais reçu la signification de l'arrêt de cassation, a interjeté appel dans le cadre de la requête conjointe enregistrée le 24 février 2021,

- La déclarer recevable en son appel,

Concernant les autres appelants, vu l'article 329 du code civil,

- Prendre acte que les consorts [W] intervenant en qualité d'ayant droits revendiquent la qualité d'appelants incident et les recevoir en leur recours,

Au fond, vu les articles 1725, 1726 et l'article 1728-2° du code civil, vu les pièces du dossier,

statuant après infirmation du jugement entrepris,

- Débouter la société du Matavai de toutes ses prétentions, et recevant leur appel,

1°/ du chef des manquements du preneur à régler les loyers,

A titre principal,

- Constater que la société du Matavai n'a pas déféré au commandement de payer du 2 août 2012 visant la clause résolutoire contractuelle,

- Constater que la procédure qu'elle a engagée pour contester ledit commandement a été enregistrée au greffe du tribunal, le 19 novembre 2012, soit 16 jours après l'expiration du délai de trois mois visé au commandement de payer,

- Voir déclarer acquise la clause résolutoire à compter du 3 novembre 2012, date d'expiration dudit délai,

- Voir dire que la société du Matavai, à compter du 1er décembre 2012, est occupante sans droit ni titre, puis fixer l'indemnité d'occupation due par la société du Matavai à la somme mensuelle de 1.500.000 Fcfp,

- La condamner, à ce titre, à payer, du mois de décembre 2012 à août 2022 inclus, soit 9 ans et 8 mois (116 mois), la somme de 174.000.000 Fcfp avec capitalisation des intérêts, sauf à parfaire jusqu'à la restitution effective des lieux,

- Enjoindre à la société du Matavai de restituer la parcelle à la succession de feu M. [I] [W] dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir,

- Assortir ladite injonction d'une astreinte de 300.000 Fcfp par jour de retard passé ledit délai,

- A défaut par elle de s'exécuter, ordonner son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique,

- Prendre acte que la société du Matavai a réglé en exécution de l'arrêt du 14 février 2019, la somme de 14.457.706 Fcfp représentant les 8 loyers échus, avec intérêts au taux légal à compter du 5 décembre 2012 et capitalisation des intérêts,

A titre subsidiaire, si la cour ne déclare pas acquise la clause résolutoire,

Considérant que ce n'est qu'à la suite de la signification de l'arrêt du 14 février 2019, que la société du Matavai a réglé la somme susvisée de 14.457.706 Fcfp et que depuis lors, elle ne règle aucun loyer alors qu'elle n'a jamais restitué les parcelles données à bail et qu'elle poursuit les démarches pour l'obtention de son permis de construire, et vu la gravité du manquement,

- Prononcer au visa de l'article 1728 -2° du code civil aux torts de la société du Matavai, la résiliation du bail du 20 juin 2003 avec toutes les conséquences de droit,

- Condamner la société du Matavai à payer aux appelants, le loyer mensuel de 1.500.000 Fcfp de décembre 2012 à août 2022 inclus, pendant 9 ans et 8 mois (116 mois), soit la somme de 174.000.000 Fcfp avec capitalisation des intérêts, sauf à parfaire,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait devoir faire droit à la demande de remboursement des 8 loyers échus d'avril à novembre 2012 réglé le 6 mai 2019 par la société du Matavai suite à la signification de l'arrêt d'appel cassé,

- Prendre acte que les concluants reformulent leur demande, y intégrant les loyers querellés échus d'avril à novembre 2012,

- Dès lors, prononcer au visa de l'article 1728-2° du code civil aux torts de la Société du Matavai la résiliation du bail du 20 juin 2003,

- Condamner la société du Matavai à leur payer le loyer mensuel de 1 500 000 Fcfp d'avril 2012 à août 2022 inclus soit pour 10 ans et 4 mois, la somme de 186 000 000 Fcfp, avec capitalisation des intérêts, sauf à parfaire,

2°/ du chef du comportement déloyal de la société du Matavai,

- Dire et juger que l'intimée a eu un comportement déloyal et commis un abus de droit en faisant faussement valoir que la revendication foncière l'aurait empêchée de mener à bien son projet immobilier et la paralyserait dans la concrétisation dudit projet,

- La condamner, en conséquence, sur le fondement de 1383 du Code civil, à leur payer la somme de 3 000 000 Fcfp eu égard au préjudice financier moral subi par leur auteur, du fait de la suspension des loyers ordonnés par le premier juge et de sa demande en paiement de la somme exorbitante de 154'878'440 Fcfp,

- La débouter de toutes ses prétentions puis la condamner au paiement d'une somme de 1 000 000 Fcfp au titre de l'article 407 du code de procédure civile, outre les dépens avec distraction d'usage.

En ses conclusions récapitulatives du 7 juillet 2022, la société du Matavai entend voir la cour,

A titre principal, sur la recevabilité,

- Déclarer irrecevables les demandes des consorts [W] dès lors que la Cour n'a pas été saisie d'une déclaration d'appel dans le délai de deux mois à compter de la signification des 18 et 22 décembre 2020,

- Dire et juger que le jugement du 16 octobre 2013 est passé en force de chose jugée puis débouter les consorts [W] de toutes leurs demandes,

A titre subsidiaire, si l'appel est jugé recevable,

Confirmer le jugement du 16 octobre 2013 en ce qu'il a :

- Dit sans effet le commandement de payer du 2 août 2012 visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail du 20 juin 2003,

- Débouté M. [I] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- Ordonné la suspension de l'exigibilité des loyers dus par la société du Matavai à M. [I] [W],

- Condamné M. [I] [W] à payer à la société du Matavai la somme de 154 878 440 Fcfp à titre de dommages et intérêts outre celle de 200 000 Fcfp sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile,

Infirmer le jugement,

- en ce qu'il a précisé que la suspension des loyers aurait lieu jusqu'à ce qu'une décision irrévocable ait tranché le droit de propriété de celui-ci,

- en ce qu'il a limité les droits de la société du Matavai à un montant de 154 878 440 Fcfp,

- Ordonner la suspension de l'obligation de paiement des loyers jusqu'à ce que les consorts [W] lui signifient la décision de la Cour de Cassation du 14 juin 2018, qui a tranché le droit de propriété de M. [I] [W],

- Condamner M. [I] [W] à lui payer la somme de 165 552 146 Fcfp à titre de dommages et intérêts,

- Condamner les consorts [W] à lui restituer la somme de 14 457 706 Fcfp payée à tort en execution de 1'arrêt du 14 février 2019, pour les loyers non dus d'avril 2012 à novembre 2012,

Y ajoutant,

Sur la demande principale des consorts [W] d'acquisition de la clause résolutoire,

- La déclarer irrecevable comme étant nouvelle en appel, et au besoin, suspendre les effets de la clause résolutoire à compter du 1er avril 2012 pendant 8 ans jusqu'au 1er avril 2020,

Sur la demande subsidiaire des consorts [W] de résiliation judiciaire du bail à compter d'août 2022,

- La déclarer irrecevable car elle repose sur des manquements qui n'existaient pas en première instance, et, en tout état de cause, au fond, la rejeter au regard de l'exception d'inexécution qu'elle invoque,

- Débouter les consorts [W] de toutes leurs demandes en paiement de sommes,

A supposer par extraordinaire qu'une quelconque somme soit mise a la charge de la société du Matavai,

- Ordonner la compensation, ainsi que la production d'intérêts des sommes dues par les consorts [W] au titre des loyers d'avril à novembre 2012 au taux légal à compter du 18 décembre 2020, date de la signification de l'arrêt de la Cour de cassation, outre la production d'intérêts des sommes dues au titre de la confirmation du jugement au taux légal à compter du jugement du 16 octobre 2013, et dire qu'elles portent elles-mêmes intérêt pour chaque année échue conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- Condamner les consorts [W] à lui payer la somme de 2 000 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens d'appel.

* * *

Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Pour l'exposé des moyens des parties, tel que requis par les dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, il sera renvoyé à la motivation ci-après à l'effet d'y répondre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 août 2022.

Motifs de la décision :

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'dire et juger' ou de 'constater' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.

La Cour de cassation ayant cassé en toutes ses dispositions l'arrêt du 14 février 2019, l'affaire et les parties sont remises dans l'état où elles se trouvaient après le jugement rendu le 16 octobre 2013. Cependant, la cour de céans étant saisie par la requête des consorts [W], doit trancher le litige en fonction des conclusions des parties et des pièces versées dans le cadre du procès d'appel.

- Sur l'irrecevabilité alléguée de la requête ayant saisi la cour après renvoi de cassation -

La société du Matavai soutient, au visa des articles 1033 et 1034 du code de procédure civile métropolitain, que le jugement du 16 octobre 2013 a force de chose jugée car la déclaration d'appel a été déposée le 23 février 2021 soit plus de deux mois après la signification de l'arrêt effectuée par procès-verbal d'huissier du 18 décembre 2020 et, en outre, la saisine est formée par requête et non par une déclaration.

Elle se prévaut également de l'application de l'article 361 du code de procédure civile de Polynésie française qui dispose que les règles du pourvoi en cassation sont déterminées par la législation métropolitaine, ce qui, pour elle, renvoie à l'application des dispositions de l'article 1034 du code de procédure civile métropolitain modifié par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, libellé comme suit :

'À moins que la juridiction de renvoi n'ait été saisie sans notification préalable, la déclaration doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie. Ce délai court même à l'encontre de celui qui notifie.

L'absence de déclaration dans le délai ou l'irrecevabilité de celle-ci confère force de chose jugée au jugement rendu en premier ressort lorsque la décision cassée avait été rendue sur appel de ce jugement.'

La société du Matavai déclare qu'il n'existe aucune raison pour que le décret n° 2017-891 ne s'applique pas en Polynésie française.

Cependant, comme le concluent à juste titre les consorts [W], l'article 14. 2° de la Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française (modifiée par la Loi n°2019-706 du 5 juillet 2019), dispose que les autorités de l'État ne sont compétentes en matière de droit judiciaire privé, qu'en ce qui concerne l'organisation judiciaire.

Par ailleurs, le décret n° 2017-891 précité qui réforme la procédure civile (notamment exceptions d'incompétence et procédure d'appel) ne contient pas de clause d'applicabilité à la Polynésie française, et les dispositions qu'il comporte ne relèvent pas de l'organisation judiciaire.

Les dispositions de procédure applicables localement ne sont pas celles du code de procédure civile métropolitain, mais celles qui résultent des textes pris par les autorités polynésiennes dans l'exercice de leurs compétences, et notamment de la délibération n° 2001-200 APF du 4 décembre 2001 portant code de procédure civile de la Polynésie française.

Du reste, le livre II du code de procédure civile métropolitain distingue les dispositions relatives à la Cour de cassation (titre VII) (auxquelles renvoie l'article 361 précité), des dispositions particulières aux juridictions de renvoi traitées au titre VIII. Et le code de procédure civile de la Polynésie française ne contient pas de dispositions régissant la procédure de renvoi après cassation.

Enfin, en Polynésie française, la cour d'appel est saisie, quel que soit l'objet de la demande, par une requête suivie d'une assignation, et non par une déclaration comme prévue dans le code de procédure civile métropolitain.

Par conséquent, il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société du Matavai qui ne peut donc opposer à la partie appelante, la violation d'un texte légal fixant en Polynésie française, un délai de saisine de la cour d'appel de renvoi.

Le recours des consorts [W] n'étant pas autrement contesté, il sera en conséquence, déclaré recevable en la forme, la cour d'appel de Papeete ayant été valablement saisie le 24 février 2021.

* * *

Au fond,

Dans le cadre de leur appel, les consorts [W] critiquent le jugement qui a refusé de résilier le bail pour défaut de paiement des loyers et a rejeté les demandes de leur auteur, M. [I] [W], en retenant notamment, l'exception d'inexécution invoquée par la preneuse.

Ils avancent les arguments suivants :

- la société du Matavai a interrompu le paiement des loyers au mois d'avril 2012 alors que la procédure de revendication immobilière les opposant aux tiers revendiquant a pris fin par un arrêt du 11 octobre 2012 et que ceux-ci avaient été expulsés dès le 27 mars 2007,

- la Cour de cassation a certes, cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel le 14 février 2019 au visa de l'article 1726 du Code civil qui dispose que le bailleur est tenu de répondre du trouble subi par son locataire par suite d'une action concernant la propriété du fonds en cas d'éviction ou de risque d'éviction du preneur et la possibilité offerte aux preneurs de solliciter la diminution du prix du bail ne lui interdit pas d'invoquer l'exception d'inexécution, mais, en l'espèce,

$gt; l'occupation réelle par les squatters n'a duré que du 14 novembre 2006 au 27 mars 2007,

$gt; il résulte du rapport extrajudiciaire établi par Mme [E] [D], ancien chef des services de l'urbanisme exerçant à titre libéral à l'enseigne Ingepol, que si les autorisations administratives dont la société du Matavai avait besoin pour réaliser son projet, n'ont abouti à la délivrance d'un permis de construire que le 26 décembre 2013, c'est à la suite de difficultés d'exécution qui ne sont pas en lien avec l'occupation des terrains par les squatters,

$gt; en outre le risque d'éviction doit présenter un caractère certain et non éventuel : or, la société du Matavai n'a subi aucune éviction et le risque dont elle se prévaut était purement hypothétique puisque les décisions judiciaires rendues ont reconnu le droit de propriété de M. [W] et de la société sur les parcelles revendiquées par les tiers revendiquant,

$gt; l'exception d'inexécution du preneur n'est permise que s'il se trouve dans l'impossibilité totale d'utiliser les lieux ou si ceux-ci ne peuvent être utilisés selon la destination prévue au bail: en l'espèce, le projet immobilier de la société du Matavai avait pour assise, une parcelle appartenant à M. [W] (CZ6 et non DH69) mais également une parcelle appartenant en propre à la société du Matavai (CZ4).

Les appelants affirment ainsi, qu'à compter de la date du commandement de payer délivré le 2 août 2012, la société du Matavai n'était pas dans l'impossibilité totale d'utiliser les terrains loués conformément à leur destination et qu'elle ne pouvait dès lors, exciper de l'exception d'inexécution.

La société du Matavai réplique que,

- comme l'a retenu le tribunal dans son jugement querellé, elle ne pouvait raisonnablement investir une somme de 4 milliards Fcfp sur une parcelle qui était l'objet d'une revendication foncière,

- bien qu'elle ait largement participé au procès engagé contre M. [W], celui-ci, peu reconnaissant, lui a délivré un commandement de payer, à l'égard duquel elle a engagé une procédure en sollicitant le paiement d'une somme de 165 millions Fcfp au titre de frais qu'elle a engagés pour assurer la sécurité du site à l'égard des squatters.

Elle soutient,

$gt; l'irrecevabilité de la demande principale des consorts [W] tendant à l'acquisition de la clause résolutoire, nouvelle en appel en vertu de l'article 349 du code de procédure civile de Polynésie française ;

$gt; le bien-fondé de sa demande reconventionnelle de suspension des effets de la clause résolutoire même si elle s'est acquittée le 6 mai 2019 en exécution de l'arrêt du 14 février 2019, du montant des 8 loyers arriérés dont 4 lui étaient réclamés dans le commandement de payer du 2 août 2012,

$gt; le bien-fondé de l'exception d'inexécution invoquée au titre de l'éviction partielle du preneur :

le bail lui conférait le droit de construire sur l'ensemble du terrain ; le bailleur lui doit bien garantie de la jouissance paisible des lieux en l'espèce contre le trouble de droit ; M. [W] invoque en appel des moyens nouveaux tenant au fait qu'il n'a consenti qu'un droit de superficie et qu'il ne doit pas assurer la jouissance du terrain mais, en tout état de cause, elle n'a pu exercer son droit de superficie ; elle ne pouvait entreprendre le complexe immobilier pour lequel elle a déposé une première demande le 8 février 2005, alors qu'une procédure était suivie concernant le droit de propriété de M. [W]; le risque d'éviction est sanctionné quand bien même elle n'aurait eu aucune crainte à avoir quant à l'aboutissement de l'action concernant le droit de celui-ci ; il en résulte que ce n'est que tardivement qu'elle a obtenu un permis de construire purgé de tout recours, par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris le 24 octobre 2017,

$gt; en tout état de cause, le terrain a été restitué le 16 avril 2019 comme en atteste un constat d'huissier montrant qu'il libère d'accès depuis 2012 ; les consorts [W] sont donc de mauvaise foi puisqu'ils ont confié à un gardien la jouissance du terrain, comme le démontre le constat de huissier du 12 mai 2022 ; ils ne se sont jamais plaints d'une impossibilité de reprendre les lieux,

$gt; la demande en paiement qu'elle a formée est justifiée car les frais dont elle réclame le remboursement ont été exposés dans l'attente d'une décision de justice irrévocable confirmant les droits de propriété de son bailleur.

- Sur la résiliation du bail -

La demande de constatation des effets de la clause résolutoire :

Le point de départ du litige est le commandement de payer que M. [W] a fait signifier à sa preneuse, la société du Matavai le 2 août 2012 aux fins d'obtenir le paiement des loyers arriérés d'avril à juillet 2012, et à défaut, la résiliation du bail par l'effet d'une clause du bail.

Le procès a été introduit par la société du Matavai qui réclamait le paiement de frais qu'elle déclare avoir exposés pendant la procédure opposant le bailleur aux tiers revendiquant, ainsi que la suspension du paiement des loyers dans l'attente du 'déblocage' de la situation administrative entravée par la procédure en question.

La demande reconventionnelle principale de M. [W] était d'entendre le tribunal prononcer la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers par le preneur ainsi que son expulsion et sa condamnation aux arriérés locatifs.

Les parties ne produisent pas leurs conclusions de première instance de sorte que la cour ne peut pas vérifier si le tribunal a répondu à des demandes expresses de la société du Matavai en déclarant sans effet le commandement de payer visant la clause résolutoire.

En appel, les consorts [W] demandent, en premier lieu, que la rupture du bail soit constatée par l'effet de plein droit de l'acquisition des effets de la clause résolutoire contractuelle depuis le 3 novembre 2012 soit 3 mois après le commandement du 2 août 2012 .

La société du Matavai qualifie de 'nouvelle' cette prétention et sollicite qu'elle soit déclarée irrecevable en vertu de l'article 349 du code de procédure civile de Polynésie française.

Cependant, il est impossible de distinguer dans les conclusions des parties, les moyens se rapportant spécifiquement à une procédure de constatation des effets de la clause résolutoire et ceux présentés à l'appui du prononcé de la résiliation du bail ; au surplus, il s'agit d'une prétention qui n'est pas nouvelle en ce qu'elle tend aux mêmes fins que la demande de prononcé de la résiliation judiciaire (art. 349-1 du code de procédure civile de Polynésie française).

En tout état de cause, c'est à juste titre, mais se déterminant par des motifs erronés, que le tribunal a jugé que le commandement était sans effet : En effet, la clause contractuelle à laquelle le commandement renvoie (page 8 du bail), est ainsi libellée : 'si le preneur ne payait pas les loyers aux dates prévues comme il s'y engage, le bailleur pourra faire résilier le bail par déci-sion de justice et demander au preneur toutes les indemnités qui lui seront dues, trois mois après une demande de paiement non exécutée par le preneur et adressée par lettre recommandée avec accusé de réception...'.

Cette clause stipulée dans des termes généraux, indique seulement que si le preneur ne paie pas les loyers, le bailleur doit s'adresser au juge pour obtenir la rupture du bail, mais elle n'édicte pas de mécanisme contractuel spécifique de résiliation de plein droit qui aurait conféré au commandement litigieux, un effet résolutoire automatique.

La demande de constatation de la résiliation du bail par l'effet de la clause contractuelle doit être rejetée.

La demande de prononcé de la résiliation judiciaire du bail :

- Sur la date de rupture des relations contractuelles :

L'article 349 du code de procédure civile de Polynésie française ne peut être valablement opposé par la société du Matavai pour contredire les nouveaux éléments soulevés par les consorts [W] à l'appui de leur demande de résiliation du bail (de graves manquements au sens de l'article 1728 du Code civil) puisqu'il ne s'agit pas d'une prétention mais de moyens qui, même inédits en appel, sont toujours recevables.

Quoiqu'il en soit, le litige se présente dans des conditions différentes devant la cour, car la société du Matavai affirme que les parcelles, objet du bail, sont libres de toute occupation depuis 2012 et qu'en définitive, elle les a officiellement restituées en exécution de l'arrêt d'appel du 14 février 2019 : elle ne s'oppose donc pas à la demande de résiliation du bail portant sur des terres qu'elle indique ne plus occuper.

Les consorts [W] qui maintiennent leur demande de résiliation du bail aux torts du preneur, expliquent pour leur part, n'avoir pas été mis en mesure de reprendre possession des parcelles louées à la société du Matavai qui, selon eux, s'est maintenue sur les parcelles louées depuis 2012 et jusqu'au mois d'août 2022 et qui, à ce titre, doit s'acquitter des loyers et/ou indemnités d'occupation d'avril 2012 à août 2022. Mais la société du Matavai produit un constat d'huissier dressé le 12 mai 2022, établissant que la parcelle CZ[Cadastre 6] est actuellement occupée par un gardien qui se déclare autorisé par les consorts [W].

Cependant, la société du Matavai n'est pas en mesure de prouver que le bail a été résilié d'un accord commun - ou, en tout cas, dans des conditions régulières -, avant le mois d'avril 2019.

En effet, la seule pièce permettant de fixer une date de remise du terrain est le courrier du 12 avril 2019 par lequel le conseil de la société du Matavai notifie officiellement à l'avocat des consorts [W], qu'elle a libéré les parcelles, objet du bail litigieux.

Dans cette missive, il est prétendu que le terrain est libre de toute occupation depuis l'année 2012 mais, force est de constater que la locataire ne justifie pas avoir manifesté auprès du bailleur, sa volonté de mettre fin à la location avant que son avocat ait adressé aux bailleurs, le courrier précité du 12 avril 2019.

Au contraire, comme l'affirment les consorts [W], la société du Matavai a montré clairement, dans le cadre des procès administratifs et judiciaires concernant le terrain litigieux, son intention de se maintenir sur le terrain en tant que locataire jusqu'à l'arrêt rendu par la cour d'appel de céans le 14 février 2019. Elle a ainsi sollicité l'obtention d'une autorisation de travaux qui lui a été accordée le 26 décembre 2013 et qui a donné lieu à un contentieux administratif qui s'est achevé par un arrêt de la cour d'appel admnistrative de Paris rende le 24 octobre 2017 ; au surplus, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire dont elle a fait l'objet du 22 juin 2015 au 15 février 2018, son mandataire judiciaire, M. [O], n'a jamais demandé la résiliation du bail.

Dès lors, la cour retiendra que la date de résiliation du contrat de bail passé le 20 juin 2003, est le 12 avril 2019.

- Sur la dette locative et l'exception d'inexécution :

Les consorts [W] sollicitent la résiliation du bail aux torts de la preneuse qui a cessé de payer les loyers contractuellement dus en avril 2012.

La société du Matavai estime n'avoir aucun arriéré locatif et s'en remet à la motivation du jugement qui a considéré qu'elle invoquait à juste titre l'exception d'inexécution, compte tenu des manquements du bailleur à son obligation de lui garantir une jouissance paisible de la totalité du terrain donné à bail.

Selon l'article 1728 2° du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

L'article 1719 1° dispose quant à lui que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée.

L'article 1184 du code civil dans sa version applicable au litige, prévoit que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera pas à son engagement.

En application de ce dernier texte légal, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est assez grave.

Ceci étant, en invoquant l'obligation pour son bailleur de répondre du trouble qu'elle a subi en sa qualité de locataire par suite de l'action concernant la propriété du fonds, la société du Matavai argue d'un préjudice résultant d'un risque d'éviction partielle puisqu'une seule des deux parcelles louées était concernée par la revendication de propriété - CZ6 - et qu'en outre, la revendication portait également sur une parcelle lui appartenant en propre - CZ4 ou CZ36-.

La société du Matavai devait donc prouver que le manquement du bailleur à son obligation de délivrance était suffisamment grave pour justifier l'exception d'inexécution.

Or, il résulte des pièces produites aux débats que la société du Matavai a cessé de payer les loyers au mois d'avril 2012 alors que le trouble allégué (l'occupation illicite du terrain et le procès intenté par les squatters) perdurait depuis l'année 2006.

Dans le courrier du 11 septembre 2012 qu'elle a adressé à M. [W] en réponse au commandement de payer, elle a invoqué des éléments qui sont sans rapport avec sa jouissance des terrains loués : elle reproche ainsi à M. [W] de ne pas avoir participé financièrement aux frais d'avocat générés par le procès contre les consorts [R] [SJ] revendiquant la propriété des parcelles CZ[Cadastre 5] et CZ[Cadastre 6], mais à supposer sa réclamation fondée, elle ne se réfère pas à la violation d'une clause du bail.

En tout état de cause, l'occupation illicite du terrain a duré 4 mois (du 14 novembre 2006 date du constat d'huissier au 27 mars 2007 date d'expulsion avec le concours de la force publique) et aucun élément du dossier n'indique que la société du Matavai qui avait un titre lui permettant de disposer au vu et au su de tous, des parcelles revendiquées, a entrepris un acte de possession matérielle de la parcelle CZ[Cadastre 6] et qu'elle a été concrètement empêchée de jouir du bien loué.

Au contraire, les éléments du dossier tendent à démontrer que si le projet de construction de la société du Matavai n'a pas pu suivre son cours, c'est en raison d'oppositions notamment administratives totalement indépendantes de la volonté de M. [W] :

- ainsi, le 27 août 2007, le ministère des affaires foncières et de l'aménagement a émis un avis défavorable sur le projet de construction d'un centre commercial en raison de l'impact sur l'environnement ; le 3 décembre 2008, le ministère indiquait à la société du Matavai qu'une suite défavorable serait donnée à sa demande de permis de construire au motif du non-respect de la règlementation locale et de la législation ;

le 30 juin 2009, la mairie a pris un arrêté n°3381 portant refus d'installation et d'exploitation d'un centre commercial et d'un parc de stationnement au motif d'incompatibilité du projet avec la zone concernée ;

- le tribunal administratif a été saisi en référé d'une demande de suspension de la décision précitée du 30 juin 2009 mais l'a rejetée par une ordonnance du 15 octobre 2009 retenant des motifs d'irrégularité de la procédure suivie par la société du Matavai ;

- une nouvelle demande de travaux immobiliers a été déposée le 30 décembre 2010 mais elle a fait l'objet d'un nouvel avis défavorable de la mairie de [Localité 12] ayant donné lieu à un long contentieux administratif dont la cause était le non-respect de dispositions techniques et réglementaires mais en aucun cas, la revendication judiciaire par des tiers, de la propriété des parcelles, assiette du projet.

Il résulte de ce qui précède que, même si la société du Matavai avait le droit d'opposer à son bailleur, l'exception d'inexécution, elle n'a pas établi que le risque d'éviction dont il devait la garantir, était suffisamment grave pour la priver de son droit de jouir des parcelles prises à bail.

En conséquence, statuant après infirmation de la décision querellée, la cour juge que la société du Matavai n'avait aucun motif légitime de suspendre les loyers et de ne pas en reprendre le règlement et qu'ainsi, elle a commis une faute commandant de prononcer la résiliation du bail à ses torts.

- Sur le montant de la dette locative :

Les bailleurs réclament le paiement des arriérés locatifs jusqu'à la libération des parcelles, objet du bail.

En son jugement déféré du 16 octobre 2013, le tribunal a ordonné la suspension de l'exigibilité des loyers jusqu'à la solution du litige sur le droit de propriété du bailleur mais sans prononcer l'exécution provisoire, ce qui induit que les loyers restaient exigibles, et qu'à tout le moins, la société du Matavai aurait pu, pour montrer sa bonne foi, les consigner dans l'attente de la décision de la cour d'appel.

Dans l'intervalle, la revendication de propriété a été rejetée par arrêt du 17 mars 2016 devenu définitif. Mais la société du Matavai n'a pas pour autant, repris le règlement des échéances locatives.

Or, si l'exception d'inexécution admise judiciairement suspend les relations contractuelles suivies entre les parties, elle ne les rompt pas .

Il en résulte que les loyers sont dus depuis l'interruption de leur paiement en avril 2012 jusqu'à la résolution du bail en avril 2019, soit 84 mois à 1 500 000 Fcfp = 126 000 000 Fcfp dont il convient de déduire le paiement de 12 000 000 Fcfp qui a été effectué par la société du Matavai en exécution de l'arrêt cassé, soit la somme de 114 000 000 Fcfp.

La société du Matavai sera en conséquence condamnée au paiement de ladite somme, avec intérêts courant à la date du présent arrêt.

- Sur le remboursement des frais exposés par la société du Matavai :

C'est l'objet originel de la procédure engagée par la société du Matavai qui n'a pas précisé le fondement juridique de cette prétention mais qui, s'emparant des motifs du jugement querellé qui y a fait partiellement droit, affirme devant la cour, qu'il s'agit de dommages intérêts.

En appel, la société du Matavai présente à nouveau, sa demande en totalité, sans préciser son fondement légal mais en produisant des pièces qui sont présentées comme des justificatifs de ces dépenses : il s'agit donc d'une prétention tendant à faire rembourser par le bailleur, des sommes qui seraient en lien avec la location des terres.

Pour leur part, les consorts [W] contestent devoir les sommes réclamées et affirment - sans être contredits par un seul élement du dossier - qu'elles ont été exposées sans leur accord.

Les frais de gardiennage facturés par l'entreprise Tahiti Vigiles à hauteur de 5 078 535 Fcfp.

Selon la société du Matavai, il s'agit de frais 'pour assurer la sécurité du site' (sic).

Le décompte établi par l'intimée est assorti de 5 factures établies en date des 28 novembre 2006, 31 décembre 2006, 5 février 2007, 14 mars 2007 et 10 avril 2007 ; elles se rapportent à des prestations de gardiennage par poste fixe de l'hôtel Matavai pendant ces mois.

Ces factures ne permettent pas de vérifier si les parcelles CZ[Cadastre 6] et DH[Cadastre 7] sont concernées par cette surveillance tarifée ni à quoi correspond une telle prestation effectuée sur 5 mois de 2006 à 2007.

Les frais de sécurité du site facturés par l'entreprise Dakat à hauteur de 42 246 032 Fcfp

Le décompte établi et produit par l'intimée est assorti de factures et courriers divers qui lui sont tous adressés ; il n'en résulte aucunement que le terrain loué à feu M. [W] soit concerné par les prestations commandées par le gérant de la société du Matavai lequel a accepté les factures sans consulter M. [W] et sans mentionner qu'il agissait au moins en partie pour celui-ci.

Les frais de procédure facturés à hauteur de 1 799 546 Fcfp.

Il s'agit d'honoraires et de frais liés aux procédures suivies contre les tiers revendiquant (les consorts [R] [SJ]) : certes, les deux parties avaient constitué le même avocat, mais aucun des factures ne mentionne expressément qu'elle concerne la défense des intérêts personnels de M. [W]. Au surplus, la société du Matavai ne justifie pas avoir déjà réclamé à M. [W], dans un autre cadre que la présente procédure, le paiement de ce qu'elle considère comme la part d'honoraires lui incombant. En outre, elle ne précise pas si ces dépenses de procédure ont été en partie ou en totalité, couvertes au titre des frais irrépétibles ou dépens, par la condamnation des tiers revendiquant qui ont succombé.

Les dépenses de terrassement du site par l'entreprise Ly Sao à hauteur de 2 250 600 Fcfp.

Le décompte établi par l'intimée est assorti de factures concernant des travaux commandés par une société nommée 'TB Promotion' et par la société du Matavai dans des conditions que la cour ignore car, notamment, aucune précision n'y figure concernant le terrain, objet du terrassement.

Les frais d'huissier à hauteur de 415 600 Fcfp.

Il s'agit d'actes d'huissier facturés à la société du Matavai qui est donc, au vu de ces pièces, le seul mandant.

Les frais d'installation d'une clôture et portail à hauteur de 7 629 160 Fcfp

La facture est adressée à la société TB Promotion ( non partie à l'instance) et le devis signé le 23 mars 2007 par la société du Matavai sans aucune précision sur le lieu d'implantation des ouvrages qui, quoiqu'il en soit, ont été installés à l'initiative de la locataire pour enclore son bien.

Les intérêts débiteurs s'élevant à 105 689 648 Fcfp et frais bancaires à 443 625 Fcfp.

Ces deux postes résultent des relations synallagmatiques entre la société du Matavai et la banque qui lui a prêté des fonds dans le cadre de conventions auxquelles les consorts [W] n'ont pas participé et sur lesquelles ils n'ont aucun moyen d'action.

Statuant par réformation du jugement, la cour déboutera la société du Matavai de l'intégralité de sa demande de dommages intérêts.

- Sur la demande de dommages intérêts présentée par les consorts [W] au titre de l'article 1383 du Code civil :

Les appelants ne caractérisent pas le préjudice financier et moral dont ils se prévalent et ils ne peuvent, de surcroît, faire porter à la société du Matavai, la responsabilité de la suspension des loyers prononcée par le tribunal dans son jugement du 16 octobre 2013, et ce, d'autant qu'après l'arrêt infirmatif du 14 février 2019, elle s'est acquittée de la condamnation prononcée contre elle par la cour d'appel.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La société du Matavai succombe sur l'essentiel de l'action qu'elle a introduite en 2012 . Elle doit donc supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et payer aux consorts [W] une indemnité de procédure sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

Vu l'appel des consorts [W] venant aux droits de feu M. [I] [W] ;

Vu le jugement n°758 (RG12/00831) rendu le 16 octobre 2013 par le tribunal de première instance de Papeete ;

Vu l'arrêt n°35 (RG 13/00744) rendu le 14 février 2019 par la cour d'appel de Papeete ;

Vu l'arrêt n°673 rendu le 24 septembre 2020 (pourvoi n° 19-16.547) par la Cour de cassation, troisième chambre civile, cassant et annulant l'arrêt précité ;

Vu la déclaration de saisine des consorts [W] ;

Déclare l'ensemble de leurs demandes recevables en la forme ;

Au fond,

Infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau ;

Déboute la société du Matavai de l'ensemble de ses prétentions ;

Prononce la résiliation du bail passé entre M. [I] [W] et la société du Matavai le 20 juin 2003, à la date du 12 avril 2019, aux torts de la preneuse, pour non-paiement des loyers ;

Constate que les consorts [W] ont déjà repris possession des parcelles, objet du bail rompu ;

Dit n'y avoir lieu en conséquence, de prononcer l'expulsion ;

Condamne la société du Matavai à payer aux consorts [W], au titre des loyers arriérés d'avril 2012 à avril 2019, la somme de 126 000 000 Fcfp sous déduction de la somme de 12 000 000 Fcfp réglée le 12 avril 2019, soit la somme de 114 000 000 Fcfp outre intérêts légaux courant de la date du présent arrêt ;

Condamne la société du Matavai à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils pourront être distraits au profit de Maître MAISONNIER qui en a fait la demande ;

Condamne également la société du Matavai à payer aux consorts [W], une somme de 600 000 Fcfp sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Déboute les consorts [W] de leurs plus amples demandes, en particulier, au titre des dommages intérêts sollicités sur le fondement de l'article 1383 du code civil.

Prononcé à Papeete, le 10 novembre 2022.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. OPUTU-TERAIMATEATA signé : MF BRENGARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Papeete
Formation : Cabinet b
Numéro d'arrêt : 21/00058
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;21.00058 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award