N° 88
KS
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Algan,
le 22.09.2022.
Copies authentiques
délivrées à :
- Me Lau,
- Me Usang,
- Me Yao,
le 22.09.2022.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre des Terres
Audience du 22 septembre 2022
RG 20/00095 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 200, rg n° 19/00159 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal Foncier de la Polynésie française, du 19 octobre 2020 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 29 décembre 2021 ;
Appelants :
Mme [J] [A] épouse [O], née le 21 juin 1963 à Haapiti, de nationalité française, demeurant à [Adresse 2] ;
M. [P] [A], né le 24 novembre 1950 à Moorea, de nationalité française, demeurant à [Adresse 7] ;
M. [F] [A], né le 23 avril 1954 à [Localité 5], de nationalité française, demeurant à [Adresse 4] ;
Mme [L] [N] [A], née le 27 décembre 1956 à Vairao, de nationalité française, demeurant à [Adresse 4] ;
Représentés par Me Arcus USANG, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
Mme [M] [A], née le 29 décembre 1966 à Afareaitu, de nationalité française, demeurant à Afareaitu Moorea ;
Représenté par Me James LAU, avocat au barreau de Papeete ;
Me [U] [C], né le 15 mars 1951 à [Localité 6], de nationalité française, notaire, demeurant [Adresse 1] ;
Ayant pour avocat la Selarl Froment-Meurice & Associés, représentée par Mes François FROMENT-MEURICE et Vaitiare ALGAN, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 18 février 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 28 avril 2022, devant Mme SZKLARZ, conseiller faisant fonction de président, M. SEKKAKI, conseiller, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l'ordre judiciaire aux fins d'exercer à la cour d'appel de Papeete en qualité d'assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme SZKLARZ, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS :
Monsieur [N] [A], né le 10 juillet 1927 à [Localité 5], et décédé le 7 octobre 2014 à HAAPITI MOOREA et Madame [E] [K], née le 2 décembre 1931 à TEAVARO TAHAROA MOOREA, et décédée 26 avril 2017, ont eu ensemble 6 enfants légitimés par le mariage célébré le 5 septembre 1969 à la mairie de [Localité 3], à savoir :
- Monsieur [P] [A] né le 24 novembre 1950,
- Monsieur [F] [A] né le 23 mars 1954,
- Mademoiselle [L] [N] [A], née le 27 décembre 1956,
- Mademoiselle [V] [A] née le 9 novembre 1961 et décédée sans postérités le 17 juin 2016,
- Madame [J] [A] épouse [O], née le 21 juin 1963,
- Madame [M] [A], née le 29 décembre 1966.
Après sortie d'indivision du domaine [Y], sis à moorea, en 2012, avec expertise ayant fixé la valeur des terres, Monsieur [N] LO-TING et Madame [E] [K] ont partagé leur patrimoine entre leurs 6 enfants et ont donné suivant acte notarié en date du 8 juin 2012 à chacun de leurs enfants partie de leur patrimoine.
Chacun des enfants a accepté devant notaire la donation qui lui était faîte par ses parents.
Des donations ont également été consenties à certains petits-enfants.
Madame [V] [A] est décédée avant sa mère le 17 juin 2016, mais après son père, et a par testament désigné sa s'ur [M] [A] comme légataire universel. Elle a également gratifié certains de ses neveux en leur laissant des primes d'assurances vie.
Lors de l'ouverture du testament de [V] [A], les relations se sont tendues dans la fratrie et l'équilibre des donations mises en 'uvre par leurs parents questionné, Madame [M] [A] recevant une part du patrimoine de ses parents supérieure à celle de ses frères et s'urs et ayant reçu une donation hors part successoral alors que les donations au bénéfice de sa fratrie étaient en avancement de part successorale, les tensions étant d'autant plus fortes que Madame [M] [A] avait bénéficié du magasin de ses parents sans réserve d'usufruit, et donc sans loyer, et seule Madame [M] [A] bénéficiait du bord de route permettant une activité commerciale.
Par requête reçue au greffe le 26 juin 2018, Madame [J] [A] épouse [O], Monsieur [P] [A], Monsieur [F] [A] et Madame [L] [N] [A] (les consorts [A]), ont saisi le Tribunal civil de première instance de Papeete afin, principalement, de solliciter le partage des biens de leurs parents, comprenant des immeubles, en invoquant des actes de recel successoral, des loyers dus à la succession, ainsi que la nullité de donations faites par les de cujus, outre des dommages-intérêts. La requête était dirigée contre leur s'ur [M] [A] et contre Maître [U] [C], notaire à [Localité 5] (TAHITI).
Par jugement du 10 septembre 2019, le Tribunal civil s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal foncier de la Polynésie française siégeant à PAPEETE.
Par jugement n° RG 19/00159, n° de minute 200, en date du 19 octobre 2020, auquel la Cour se réfère expressément pour l'exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions de première instance, le Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier ' section 3, a notamment dit :
- Déclare irrecevable l'action des requérants en nullité des donations du 8 juin 2012 pour cause de violence ;
- Déboute les requérants de l'ensemble de leurs autres demandes ;
- Déboute la SCP office notarial [C] et [B] de sa demande d'indemnité contre les requérants ;
- Condamne [J], [P], [F] et [L] [A] à verser à [M] [A] la somme de 200 000 FCP en application de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ;
- Condamne in solidum [J], [P], [F] et [L] [A] à verser à la SCP office notarial [C] et PINNA la somme de 200 000 FCP en application de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ;
- Condamne in solidum [J], [P], [F] et [L] [A] aux dépens et ordonne leur distraction au profit de la SELARL Froment-Meurice et Associés.
Par requête d'appel enregistrée au greffe de la Cour le 29 décembre 2020, Madame [J] [A] épouse [O], Monsieur [P] [A], Monsieur [F] [A] et Madame [L] [N] [A] (les consorts [A]), ayant pour conseil Maître Arcus USANG, ont interjeté appel de cette décision qui a été signifiée par acte d'huissier à Madame [J] [A] le 2 novembre 2020.
Aux termes de leur requête, à laquelle il convient de se référer pour l'exposé des faits, des moyens et des prétentions, les consorts [A] demandent à la Cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal foncier de la Polynésie française en date du 19 octobre 2020 ;
STATUANT A NOUVEAU AU PRINCIPAL :
1/ Recevoir les requérants en leurs demandes ;
2/ Constater que les requérants ont été victimes de recel successoral tenant aux agissements de Madame [M] [A] et Me [U] [C] ;
3/ Dire et juger nulles les donations réalisées en 2012 par Me [U] [C] et compte tenu des faits constitutifs de recel successoral d'une part, et d'autre part, de l'état de faiblesse de Madame [E] [K] épouse [A], et de son incompréhension de la langue française ;
4/ Condamner Madame [M] [A] à payer les loyers en retard du magasin à la succession ainsi que les loyers de la maison de [V] [A] qu'elle a encaissé et continue d'encaisser ;
5/ Ordonner la révocation des donations effectuées par chez Me [U] [C] en collaboration avec Madame [M] [A] en raison du consentement vicié de Madame [E] [K] épouse [A] et de son état de faiblesse, au moment des faits en 2012 ;
6/ Dire et juger que la révocation aura pour effet de restituer l'ensemble des biens dans la succession appartenant à Feu Monsieur [N] LO-TING et Feue Madame [E] [K] épouse [A] ;
7/ Ordonner la liquidation de la succession de Monsieur [N] LO-TING et Feue Madame [E] [K] épouse [A] ;
8/ Voir désigner tel notaire à [Localité 5], en vue de procéder aux opérations de liquidation et partage des biens issus de la succession de Monsieur [N] LO- TING et Madame [E] [K] épouse [A] ;
9/ Voir désigner tel expert-géomètre et immobilier, lequel procédera à l'évaluation des biens composant la succession de Monsieur [N] LO-TING et Madame [E] [K] épouse [A] ;
10/ Mettre les frais de partage à la charge de toutes les parties ;
11/ Condamner Me [U] [C] à payer à chacun des requérants la somme de 10.000.000 FCP à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi ;
12/ Condamner Madame [M] [A] et Me [U] [C] à payer aux requérants la somme de 1.000.000 FCP au titre des frais irrépétibles ;
13/ Condamner Madame [M] [A] et Me [U] [C] aux dépens.
En préambule de leurs conclusions, il est indiqué : «Que les requérants sollicitent la liquidation des biens composant la succession de Feu Monsieur [N] LO-TING et Feue Madame [E] [K] épouse [A]. Au titre de cette demande relative à la liquidation des biens, les requérants demandent également la nullité des donations qui ont été faites.
En effet, pour liquider les biens composant les successions des époux [A] décédés, il est nécessaire de reconstituer le patrimoine, ce qui implique de demander la nullité des donations pour des raisons qui seront développés ci-après, en ce qu'elles ont été faites de manière illégale.»
Par conclusions déposées par voie électronique au greffe de la Cour le 12 juillet 2021, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des faits, des moyens et des prétentions, Madame [M] [A], ayant pour avocat Maître [I] [X], demande à la Cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 octobre 2020 par le Tribunal Foncier de la Polynésie-Française ;
- Débouter [J] [A], [P] [A], [F] [A] et [L] [A] de l'ensemble de leurs demandes ;
- Condamner [J] [A], [P] [A], [F] [A] et [L] [A] à payer à [M] [A] la somme de 400.000 FCP sur le fondement de l'artide 407 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner [J] [A], [P] [A], [F] [A] et [L] [A] aux entiers dépens.
Par conclusions déposées par voie électronique au greffe de la Cour le 26 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des faits, des moyens et des prétentions, Maître [U] [C], ayant pour avocat La SELARL Froment-Meurice & Associés, prise en son bureau secondaire, Maître [H], demande à la Cour de :
Vu les articles 778, 901, 1108, 1109, 1110, 1304 et 1382 du code civil tel qu'applicable en Polynésie française ;
Vu les articles 406 et 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Vu les jurisprudences citées ;
- Rejeter la requête d'appel de Mesdames [J] [A] épouse [O], [L] [N] [A] et Messieurs [P] [A] et [F] [A] ;
- Confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la SCP office notarial [C] et [B] de sa demande d'indemnisation du préjudice subi ;
Statuant à nouveau sur ce point,
- Condamner solidairement Mesdames [J] [A] épouse [O], [L] [N] [A] et Messieurs [P] [A] et [F] [A] à payer à la SCP [C] et PINNA la somme de 5.000.000 Fcfp à titre de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
- Condamner solidairement Mesdames [J] [A] épouse [O], [L] [N] [A] et Messieurs [P] [A] et [F] [A] à payer à la SCP [C] et PINNA la somme de 400.000 FCP au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction d'usage.
La clôture de la procédure a été ordonnée par ordonnance en date du 18 février 2022 pour l'affaire être fixée à l'audience de la Cour du 28 avril 2022. En l'état l'affaire a été mise en délibéré au 25 août 2022, délibéré qui a dû être prorogé.
MOTIFS :
Sur la recevabilité de l'appel :
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la Cour d'en relever d'office l'irrégularité.
Sur les demandes soumises à la Cour :
Si aux termes de l'article 5 du code de procédure civile de la Polynésie française, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et qu'il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, le procès civil reste la chose des parties qui sont tenues d'exprimer avec clarté leurs demandes.
En l'espèce, les conclusions soumises à la cour sont toutes aussi confuses que celles soumises au premier juge. La Cour constate que celui-ci est cependant parvenu à en faire une exégèse de qualité dont il aurait dû être tenu compte devant la Cour. Le conseil des appelants maintient cependant devant la Cour la confusion entretenue entre révocation et annulation des donations. la Cour ne peut que regretter que malgré les points soulevés par le premier juge, le conseil des parties n'ait pas tenté d'organiser davantage ses conclusions, et n'ait pas distingué entre demandes principales, subséquentes et subsidiaires.
Compte tenu des contradictions du dispositif, la Cour retient que la demande principale des appelants devant la Cour est la suivante, extraite du corps des conclusions :
«Que les requérants sollicitent la liquidation des biens composant la succession de Feu Monsieur [N] [A] et Feue Madame [E] [K] épouse [A]. Au titre de cette demande relative à la liquidation des biens, les requérants demandent également la nullité des donations qui ont été faites.
En effet, pour liquider les biens composant les successions des époux [A] décédés, il est nécessaire de reconstituer le patrimoine, ce qui implique de demander la nullité des donations pour des raisons qui seront développés ci- après, en ce qu'elles ont été faites de manière illégale.»
Ainsi, si les consorts [A] n'indique pas clairement qu'ils agissent en réduction de libéralités, ils développent longuement les atteintes portées à leur réserve héréditaire et le déséquilibre du partage mis en 'uvre par leurs parents par l'effet des donations du 8 juin 2012 à leur détriment et au seul bénéfice de leur s'ur.
De fait, les consorts [A] demandent la liquidation de la succession de leurs parents en tenant compte des donations, si elles n'étaient pas révoquées ou annulées, dans le respect de leurs droits d'héritiers réservataires. Pour écrire en leurs conclusions «il est nécessaire de reconstituer le patrimoine, ce qui implique de demander la nullité des donations», ils semblent ignorer que l'annulation des donations, dont leur s'ur et eux-mêmes ont bénéficiées, n'est pas un préalable indispensable à la réduction des libéralités qui porteraient atteinte à la réserve héréditaire, la reconstitution du patrimoine pouvant être fictive.
Sur le recel successoral qui aurait été commis par Madame [M] [A] avec la complicité de Maître [C] :
Aux termes de l'article 778 du code civil, sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés.
Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.
Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.
L'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession.
Le recel vise toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l'égalité du partage, soit qu'il divertisse des effets de la succession en se les appropriant indûment, soit qu'il les recèle en dissimulant sa possession dans les circonstances où il serait, d'après la loi, tenu de la déclarer. Ainsi, la dissimulation des libéralités rapportables, sujettes à réduction, comme c'est le cas des dons manuels, peuvent relever du recel successoral.
Sans dissimulation volontaire et sans intention frauduleuse, il n'y a pas de recel.
En l'espèce, les appelants prétendent que le recel successoral émanerait des circonstances dans lesquelles le notaire, à l'instigation de Madame [M] [A], aurait établi les actes de donation du 8 juin 2012.
Or, outre que les actes de donation au bénéfice de chacun des enfants ont été établi et accepté le même jour, en un même lieu, par tous les enfants, un acte de donation établi par acte authentique ne peut constituer un élément constitutif du recel successoral dans la mesure où un tel acte est soumis à publicité foncière, ce qui est incompatible avec toute notion de dissimulation.
À supposer que chaque membre de la fratrie n'ait pas eu connaissance du contenu de la donation des autres membres, tous les actes de donations du 8 juin 2012 ont été transcrits et les héritiers ont nécessairement été en mesure d'apprécier et vérifier le contenu des actes et de demander à leurs parents ce qui les avait déterminés dans l'établissement de la répartition de leurs biens entre leurs enfants.
De plus, il résulte des conclusions des consorts [A] que Madame [M] [A] a pris possession des biens qui lui avait été donné aux yeux de tous, ses frères et s'urs bénéficiant de lots voisins du sien.
Le déséquilibre dans la répartition du patrimoine, si déséquilibre il y a, résulte des choix des donateurs, qui ont le droit de souhaiter favoriser un de leurs enfants, aussi douloureux que ce soit pour les autres ; il ne caractérise pas un recel successoral.
En l'absence de dissimulation volontaire de la part de Madame [M] [A], aucun recel successoral ne peut donc être caractérisé.
En l'absence de recel successoral caractérisé, il est constant que la Cour n'a pas à rechercher une éventuelle complicité du notaire.
C'est donc à raison que le premier juge a débouté les appelants de toutes les demandes sur le recel successoral tant à l'égard de [M] [A] que de Maître [C].
Sur la demande de révocation des donations du 8 juin 2012 pour abus de faiblesse :
Aux termes de l'article 955 du Code Civil, la donation entre vifs ne peut être révoquée pour cause d'ingratitude que dans les cas suivants :
- Si le donataire a attenté à la vie du donateur ;
- Si le donataire s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves,
- S'il lui refuse des aliments.
Et aux termes des articles 956 et 957 du code civil, la révocation pour cause d'inexécution des conditions, ou pour cause d'ingratitude, n'aura jamais lieu de plein droit. La demande en révocation pour cause d'ingratitude devra être formée dans l'année, à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur.
Cette révocation ne pourra être demandée par le donateur contre les héritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur contre le donataire, à moins que, dans ce dernier cas, l'action n'ait été intentée par le donateur, ou qu'il ne soit décédé dans l'année du délit.
Ainsi, outre qu'en l'espèce le donateur n'a pas actionné le donataire en révocation de la donation et que les consorts [A] n'ont pas qualité à agir en révocation de donation pour ingratitude, l'abus de faiblesse ne constitue pas une forme d'ingratitude tel que défini à l'article 955 du code civil. Surabondamment, la Cour constate qu'il ne résulte pas des attestations produites que Monsieur [N] [A] et Madame [E] [K] aient été en état de faiblesse, aucune des attestations produites ne faisant état de difficultés de compréhension de leur part, seule étant soulignée la difficulté à écrire de Monsieur [N] [A] du fait de son handicap physique et le fait que Madame [E] [K] ne savait ni lire ni écrire, ce qui ne démontre pas un état de faiblesse.
La Cour confirme donc le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [A] de leur demande de révocation des donations en date du 8 juin 2012.
Sur la demande de nullité des donations du 8 juin 2012 pour insanité d'esprit des donateurs :
Aux termes de l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
Et aux termes de l'article 931 de ce même code, tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité.
L'insanité d'esprit visée par l'article 901 du code civil doit s'entendre comme une affection mentale, quelle qu'elle soit, par l'effet de laquelle l'intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement compromise. La preuve de l'insanité d'esprit doit être rapportée par celui qui demande la nullité de la libéralité.
Par ailleurs, s'agissant d'une éventuelle violence, il résulte de l'article 1304 du Code civil, dans sa version applicable en Polynésie française, que l'action en nullité pour ce fondement est de cinq ans et que le délai commence à courir à compter de la cessation des violences. S'agissant de l'insanité d'esprit alléguée, la prescription de l'action en nullité intentée es-qualité d'héritier du donateur ne commence à courir qu'à compter du décès de celui-ci, cette action ne se trouve donc pas prescrite en l'espèce, les parents étant décédés.
En l'espèce, si les appelants soutiennent avoir alerté Maître [U] [C] par courrier en date du 26 mai 2012 de l'état de faiblesse de Monsieur [N] [A] et du fait que Madame [M] [A] se livrait à des manipulations en particulier sur les comptes bancaires des parents, il est constant que le 8 juin 2012, les consorts [A] ont signé sans réserve les actes de donation dont ils étaient les bénéficiaires sans remettre alors en cause la capacité de leurs parents à disposer de leurs biens en leur faveur.
En suite de l'alerte formulée au notaire, les consorts [A] n'ont par ailleurs entrepris aucune démarche pour mettre en 'uvre une mesure de protection juridique de leurs parents. Il n'est pas fait état d'une mise sous sauvegarde de justice ni de procédure de tutelle ou curatelle.
Les consorts [A], comme leur s'ur [M] [A], se sont alors comportés en propriétaires des biens ayant fait l'objet de la donation.
Par ailleurs, il résulte du certificat établi par le Docteur [R] [D], qui était le médecin traitant de Madame [E] [K] épouse [A] que celle-ci disposait de toutes ses facultés cognitives et mentales.
Madame [M] [A] produit également des témoignages de personnes qui attestent de ce que Madame [E] [K] épouse [A] pouvait s'exprimer en français, ce dont il se déduit qu'elle comprenait le français.
Aucune des attestations produites par les consorts [A] n'indique que Monsieur [N] [A] et, ou, Madame [E] [K] avaient des difficultés de compréhension ou des paroles incohérentes, les attestations indiquent seulement que Madame [E] [K] ne savait pas lire et écrire. Ces éléments, outre qu'ils sont contredit par le certificat médical du médecin traitant, sont bien insuffisants pour prouver l'insanité d'esprit au temps des donations, d'autant plus que Madame [M] [A] produit des attestations dont il résulte que Madame a suivi ses affaires jusqu'à sa mort et qu'elle était en capacité de suivre une conversation et d'être cohérente.
En conséquence, la Cour confirme le jugement de ce chef.
Sur la demande de voir ordonner la liquidation de la succession de Monsieur [N] LO-TING et de Madame [E] [K] épouse [A] :
Aux termes de l'article 825, la masse partageable comprend les biens existant à l'ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n'a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l'indivision.
Aux termes de l'article 843 du code civil qui protège les droits des héritiers réservataires, tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant.
L'article 844 de ce même code dispose que «Les dons faits hors part successorale ne peuvent être retenus ni les legs réclamés par l'héritier venant à partage que jusqu'à concurrence de la quotité disponible : l'excédent est sujet à réduction.»
Aux termes des articles 912, 913, 919 et suivant du code civil, la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent. La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités.
Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre.
La quotité disponible pourra être donnée en tout ou en partie soit par acte entre vifs, soit par testament, aux enfants ou autres successibles du donateur, sans être sujette au rapport par le donataire ou le légataire venant à la succession, pourvu qu'en ce qui touche les dons la disposition ait été faite expressément et hors part successorale. La déclaration que la donation est hors part successorale pourra être faite, soit par l'acte qui contiendra la disposition, soit postérieurement, dans la forme des dispositions entre vifs ou testamentaires.
La donation faite en avancement de part successorale à un héritier réservataire qui accepte la succession s'impute sur sa part de réserve et, subsidiairement, sur la quotité disponible, s'il n'en a pas été autrement convenu dans l'acte de donation. L'excédent est sujet à réduction.
La donation faite en avancement de part successorale à un héritier réservataire qui renonce à la succession est traitée comme une donation faite hors part successorale. Toutefois, lorsqu'il est astreint au rapport en application des dispositions de l'article 845, l'héritier qui renonce est traité comme un héritier acceptant pour la réunion fictive l'imputation et, le cas échéant, la réduction de la libéralité qui lui a été consentie.
La libéralité faite hors part successorale s'impute sur la quotité disponible. L'excédent est sujet à réduction.
Les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l'ouverture de la succession.
Et aux termes des articles 921, 922, 923 et 924 du code civil, la réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause : les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt ne pourront demander cette réduction, ni en profiter.
Le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.
Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d'un héritier sont susceptibles d'être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible.
La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation. On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer.
Il n'y aura jamais lieu à réduire les donations entre vifs, qu'après avoir épuisé la valeur de tous les biens compris dans les dispositions testamentaires ; et lorsqu'il y aura lieu à cette réduction, elle se fera en commençant par la dernière donation, et ainsi de suite en remontant des dernières aux plus anciennes.
Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent. Le paiement de l'indemnité par l'héritier réservataire se fait en moins prenant et en priorité par voie d'imputation sur ses droits dans la réserve.
Le gratifié peut exécuter la réduction en nature, par dérogation à l'article 924, lorsque le bien donné ou légué lui appartient encore et qu'il est libre de toute charge dont il n'aurait pas déjà été grevé à la date de la libéralité, ainsi que de toute occupation dont il n'aurait pas déjà fait l'objet à cette même date. Cette faculté s'éteint s'il n'exprime pas son choix pour cette modalité de réduction dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle un héritier réservataire l'a mis en demeure de prendre parti.
Le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet. S'il y a eu subrogation, le calcul de l'indemnité de réduction tient compte de la valeur des nouveaux biens à l'époque du partage, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation.
Ainsi, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'indivision successorale du fait de donations qu'il n'y a pas lieu à liquidation de la succession, d'autant plus qu'en l'espèce, il ressort des actes de donation réalisés au bénéfice de Madame [M] [A] que les libéralités dont elle a bénéficié ont été effectuées hors part successorale, à la différence de ses frères et s'urs dont les donations s'imputent sur leurs parts successorales.
Il résulte de la pièce n°13 des appelants que l'étude de Maître [S] a été saisie de la succession des époux [A]. En effet, par courrier en date du 30 avril 2018, la Banque de Polynésie, après avoir fait l'état des comptes des époux [A] en ses livres, indique au notaire que «conformément à vos instructions, nous effectuons ce jour, un virement sur votre compte n°06730/01946201017-22, d'un montant de 10.458.578 francs pacifiques», cette somme représentant le solde des comptes joint des époux [A].
Aucune atteinte à la réserve héréditaire ne peut être caractérisée si la masse partageable n'est pas fixée et le seul sentiment des consorts [A] d'une inégalité avec leur s'ur est bien insuffisant pour caractériser une atteinte à leurs droits d'héritiers réservataires.
Ainsi, la cour confirmant le jugement en ce qu'il n'y a pas lieu à révocation ou à annulation des donations, il appartient au notaire qui a pris la suite de Maître [S] de poursuivre les opérations de liquidation de la succession des époux [A]. Le notaire devra nécessairement faire procéder à l'évaluation des biens des époux [A] ayant fait l'objet de donations ; puis procéder à la reconstitution fictive de leur patrimoine pour établir la masse partageable et déterminer la quotité disponible ; puis déterminer s'il y a lieu, ou pas, à indemnité de réduction et s'il y a lieu, à son montant.
En conséquence, la Cour confirme le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier ' section 3, n° RG 19/00159, n° de minute 200, en date du 19 octobre 2020, sauf en ce qu'il a débouté les consorts [A] de leur demande de voir ordonner la liquidation de la succession de leurs parents.
La Cour ordonne à Maître YAO, successeur de Maître [S], de poursuivre la liquidation de la succession de Monsieur [N] [A], né le 10 juillet 1927 à [Localité 5], et décédé le 7 octobre 2014 à HAAPITI MOOREA et de Madame [E] [K], née le 2 décembre 1931 à TEAVARO TAHAROA MOOREA, et décédée 26 avril 2017.
En cas d'entrave aux opérations de liquidation, il y aura lieu pour la partie la plus diligente de saisir le premier Juge des difficultés rencontrées.
Sur les autres chefs de demande :
Si les accusations de complicité d'abus de faiblesse et de complicité de recel successoral portées à l'encontre de Maître [U] [C] par les consorts [A] devant le premier juge et la Cour sont graves, il n'est pas démontré qu'il en ait été fait publicité en dehors de l'enceinte judiciaire. Le préjudice d'atteinte à la réputation n'est donc pas démontré. En conséquence, la Cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté Maître [U] [C] de sa demande de ce chef.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'étude notariale les frais qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts. En conséquence, les consorts [A] doivent être condamnés in solidum à payer à la SCP [C] et PINNA la somme de 400.000 Fcfp au titre des frais irrépétibles.
Compte tenu des spécificités du litige, il n'est pas inéquitable de laisser aux autres parties la charge des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
Il y a lieu de partager les dépens, à part égale, entre Madame [J] [A] épouse [O], Monsieur [P] [A], Monsieur [F] [A], Madame [L] [N] [A] et Madame [M] [A].
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
DÉCLARE l'appel recevable,
CONFIRME le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier ' section 3, n° RG 19/00159, n° de minute 200, en date du 19 octobre 2020, sauf en ce qu'il a débouté les consorts [A] de leur demande de voir ordonner la liquidation de la succession de leurs parents ;
INFIRME le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier ' section 3, n° RG 19/00159, n° de minute 200, en date du 19 octobre 2020, seulement en ce qu'il a débouté les consorts [A] de leur demande de voir ordonner la liquidation de la succession de leurs parents ;
Statuant de nouveau,
ORDONNE à Maître YAO, successeur de Maître [S], de poursuivre la liquidation de la succession de Monsieur [N] [A], né le 10 juillet 1927 à [Localité 5], et décédé le 7 octobre 2014 à HAAPITI MOOREA et de Madame [E] [K], née le 2 décembre 1931 à TEAVARO TAHAROA MOOREA, et décédée 26 avril 2017 ;
DIT que le notaire devra nécessairement faire procéder à l'évaluation des biens des époux [A] ayant fait l'objet de donations ; puis procéder à la reconstitution fictive de leur patrimoine pour établir la masse partageable et déterminer la quotité disponible ; puis déterminer s'il y a lieu, ou pas, à indemnité de réduction et s'il y a lieu, à son montant ;
DIT que, en cas d'entrave aux opérations de liquidation, il y aura lieu pour la partie la plus diligente de saisir le premier Juge des difficultés rencontrées ;
CONDAMNE in solidum Madame [J] [A] épouse [O], Monsieur [P] [A], Monsieur [F] [A] et Madame [L] [N] [A] à payer à la SCP [C] et PINNA la somme de 400.000 francs pacifiques en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
REJETTE tout autre chef de demande des parties, plus ample ou contraire au présent arrêt ;
PARTAGE les dépens, à part égale, entre Madame [J] [A] épouse [O], Monsieur [P] [A], Monsieur [F] [A], Madame [L] [N] [A] et Madame [M] [A].
Prononcé à Papeete, le 22 septembre 2022.
Le Greffier, Le Président,
M. SUHAS-TEVEROK. SZKLARZ