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22/09/2022 | FRANCE | N°20/00010

France | France, Cour d'appel de Papeete, Chambre des terres, 22 septembre 2022, 20/00010


N° 85





KS

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Copies exécutoires

délivrées à :

- Me Jacquet,

- Me Quinquis,

- Me Deane,

le 22.09.2022.









REPUBLIQUE FRANCAISE



COUR D'APPEL DE PAPEETE



Chambre des Terres





Audience du 22 septembre 2022





RG 20/00010 ;



Décision déférée à la Cour : jugement n° 45-TER/2019, rg n° 18/00012 du Tribunal de Première Instance de Papeete, section détachée de Raiatea, Tribunal

Foncier de la Polynésie française, siégeant à Raiatea, du 15 novembre 2019 ;



Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 7 février 2020 ;



Appelants :



M. [R] [K], né le 20 avril 1971...

N° 85

KS

---------------

Copies exécutoires

délivrées à :

- Me Jacquet,

- Me Quinquis,

- Me Deane,

le 22.09.2022.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

Chambre des Terres

Audience du 22 septembre 2022

RG 20/00010 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 45-TER/2019, rg n° 18/00012 du Tribunal de Première Instance de Papeete, section détachée de Raiatea, Tribunal Foncier de la Polynésie française, siégeant à Raiatea, du 15 novembre 2019 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 7 février 2020 ;

Appelants :

M. [R] [K], né le 20 avril 1971 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant à [Localité 6] ;

Mme [V] [K], née le 19 juin 1972 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant à [Localité 3] ;

M. [A] [K], né le 16 novembre 1973 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant à [Adresse 2] ;

Représentés par Me Thierry JACQUET, avocat au barreau de Papeete ;

Intimé :

M. [J] [F], né le 19 août 1949 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant à [Adresse 4] ;

Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me François QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 4 février 2022 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 28 avril 2022, devant Mme SZKLARZ, conseiller faisant fonction de président, M. SEKKAKI, conseiller, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l'ordre judiciaire aux fins d'exercer à la cour d'appel de Papeete en qualité d'assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par Mme SZKLARZ, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS :

Madame [Y] [V] [W], née à [Localité 3] le 18 septembre 1952, est décédée à [Localité 7] le 5 janvier 2009.

Elle a laissé pour lui succéder Monsieur [J] [F], son conjoint survivant, ainsi que Monsieur [R] [K], Madame [V] [K], et Monsieur [A] [K], ses trois enfants nés d'une première union avec Monsieur [O] [K].

Par requête reçue au greffe le 28 décembre 2015, Monsieur [J] [F] a saisi le Tribunal civil de première instance de Papeete afin qu'il lui reconnaisse un droit d'un quart en propriété ainsi que la totalité en usufruit sur la succession de son épouse [Y] [W], décédée le 5 janvier 2009 à Papeete, et qu'il ordonne le partage de l'indivision existant entre lui et les trois enfants issus d'une première union de la défunte, suite au décès de celle-ci. Ces derniers ont été assignés par actes d'huissier de justice : [R] et [A] [K] le 19 janvier 2016, et [V] [K] le 20 janvier 2016.

Par jugement du 11 octobre 2017, le Tribunal de première instance de Papeete s'est déclaré incompétent au profit de la section détachée de Raiatea, après avoir relevé que l'objet du litige portait essentiellement sur une parcelle de terre située à [Localité 3]).

Monsieur [J] [F] a précisé que son épouse était notamment propriétaire d'une parcelle de 1600 m2 située à [Localité 3] pour l'avoir reçue par donation-partage du 14 novembre 1985 et a soutenu principalement que le droit légal du conjoint survivant d'un quart se cumule avec l'usufruit de la totalité légué par son épouse par testament authentique du 21 février 1995.

Les enfants du premier lit de [Y] [W], [R], [V] et [A] [K] (les consorts [K]) ont demandé au tribunal de dire que la succession de leur mère revient pour un 1/4 à [J] [F] et pour 3/4 à eux-mêmes et de désigner un expert géomètre pour effectuer un projet de partage de la parcelle D de la terre [M] sise à [Localité 3] appartenant à la défunte et en donner la valeur vénale et locative, et prévoir qu'il s'adjoindra un sapiteur pour évaluer la pension de famille se trouvant sur la terre et les revenus qu'elle génère.

Les consorts [K] ont rejeté toute idée de cumul en faisant référence à l'article 758-6 du Code civil, issu de la loi du 23 juin 2006, selon lequel les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession.

Par jugement n° RG 18/00012, n° de minute 45-TER/2019, en date du 15 novembre 2019, auquel la Cour se réfère expressément pour l'exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions de première instance, le Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier siégeant à Raiatea, a dit :

- Dit que le legs effectué par [Y] [V] [W] par testament authentique daté du 21 février 1995 au profit de son conjoint [J] [S] [F] s'impute sur les droits légaux de celui-ci et DIT qu'en conséquence les droits d'[J] [S] [F] dans la succession de [Y] [V] [W], née à [Localité 3] le 18 septembre 1952 et décédée à [Localité 7] le 5 janvier 2009, sont de un quart en pleine propriété et trois quart en usufruit ;

- Ordonne le partage de la nue-propriété de la parcelle D du partage de la terre [M] - parcelle d'une superficie de 1668 m2, cadastrée section AN n°[Cadastre 1], sise à [Localité 3]) appartenant à [Y] [V] [W], née à [Localité 3] le 18 septembre 1952 et décédée à [Localité 7] le 5 janvier 2009 - entre son conjoint suvivant [J] [S] [F], et ses enfants [R] [G], [V] et [A] [K], à raison de 1/4 chacun ;

- Désigne pour procéder à ces opérations de partage [D] [E], notaire domicilié [Adresse 5] ;

- Désigne [U] [Z] en sa qualité de magistrat affecté au poste de juge foncier à la Section détachée de Raiatea, pour surveiller ces opérations ;

- Rappelle que le notaire devra dresser dans le délai d'UN AN suivant sa désignation un état liquidatif établissant les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir ;

- Dit qu'il appartiendra aux copartageants de rémunérer directement le notaire selon le barème légal applicable et selon ses appels de provisions ;

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

- Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

Par requête d'appel enregistrée au greffe de la Cour le 7 février 2020, Monsieur [R] [K], Madame [V] [K] et Monsieur [A] [K] (les consorts [K]), ayant pour conseil Maître Thierry JACQUET, ont interjeté appel de cette décision qui a été signifiée par acte d'huissier le 17 janvier 2020.

Par conclusions récapitulatives déposées par voie électronique au greffe de la Cour le 18 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions, les consorts [K] demandent à la Cour de :

- Infirmer le jugement n°RG 18/00012 rendu le 15 novembre 2019 par le Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Section détachée de Raiatea, Tribunal foncier siégeant à Raiatea en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Dire et juger que les droits des parties s'établissent comme suit :

' Monsieur [J] [F] : un quart en pleine propriété,

' Monsieur [R] [K] : un quart en pleine propriété,

' Madame [V] [K] : un quart en pleine propriét,

' Monsieur [A] [K] : un quart en pleine propriété ;

- Ordonner le partage de la parcelle D du partage de la terre [M], d'une superficie de 1.668 m2, cadastrée Section AN n°[Cadastre 1] sise à [Localité 3], entre Monsieur [J] [F], Monsieur [R] [K], Madame [V] [K]. Monsieur [A] [K], à raison de un quart en pleine propriété chacun ;

- Désigner pour y procéder tel expert géomètre qu'il plaira, avec pour mission notamment de déterminer la valeur vénale du bien et sa valeur locative ;

- Dire et juger que l'expert géomètre s'adjoindra un sapiteur pour évaluer le fonds de commerce de pension de famille «Pension [Y]» se trouvant sur la terre et les revenus qu'elle génère ;

- Dire et juger que les frais d'expertise seront répartis entre les parties en proportion de leurs droits dans ce bien ;

- Condamner Monsieur [J] [F] à payer aux Consorts [K] une somme de 339.000 FCFP au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ;

- Le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les consorts [K] soutiennent qu'il n'y a pas lieu à cumul entre les droits successoraux légaux de l'époux et les libéralités stipulées par testament ; que s'agissant des successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 ayant réintroduit la règle de l'imputation en insérant un article 758-6 dans le Code civil, le conjoint survivant ne peut plus bénéficier du cumul des droits successoraux prévus aux articles 757 et suivants du Code civil avec une ou des libéralités consenties en application de l'article 1094 ou 1094-1 du Code civil. Ils soulignent que c'est l'application qu'en a fait le notaire qui a établi l'acte de notoriété en date du 24 août 2009, juste après avoir rappelé les termes du testament authentique du 21 février 1995. À leur sens, soit l'usufruit sur la totalité des biens de la défunte est inférieur en valeur au quart en pleine propriété auquel Monsieur [J] [F] a droit de par l'article 757, auquel cas il peut réclamer la disposition qui lui est la plus favorable soit le quart en pleine propriété, et telle est la position du notaire ayant établi la notoriété, et telle apparaît être la position de la Cour de Cassation qui ne juge autrement que si le testateur a entendu accorder à son conjoint l'usufruit et le quart en pleine propriété ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; soit l'usufruit sur la totalité des biens de la défunte est supérieur en valeur au quart en pleine propriété auquel il a droit de par l'article 757 auquel cas c'est l'usufruit sur la totalité des biens seul qui doit être retenu. Ils contestent vivement le cumul de l'usufruit et du quart en pleine propriété.

Sur la volonté de la défunte, les consorts [K] rappellent que le testament a été établi en 1995, soit antérieurement à l'application de la loi N°2001-1135 du 3 décembre 2001 attribuant la propriété du quart des biens au conjoint survivant, de sorte qu'il ne pouvait manifestement pas être de la volonté de la défunte de voir attribuer à son époux cumulativement ledit quart et la totalité en usufruit de ses biens ; qu'au contraire les termes du testament ne laissent place à aucun doute quant à la volonté de la défunte de ne laisser à son conjoint que l'usufruit.

Par conclusions récapitulatives reçues par voie électronique au greffe de la Cour le 16 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions, Monsieur [J] [F], ayant pour avocat la SELARL JURISPOL ' Maître François QUINQUIS, demande à la Cour de :

Vu les articles 757, 758-6, 1094-1 et 815 du Code Civil,

Vu le testament au ministère de Me [B] à [Localité 7] en date du 21 février 1995,

À titre principal,

- Infirmer le jugement du 15 Novembre 2019 ;

Et, statuant à nouveau,

- Dire et Juger que la testatrice Madame [W] a entendu que son époux Monsieur [J] [F] dispose à la fois de l'entier usufruit et du quart en pleine propriété ;

- Dire que Monsieur [J] [F] a un droit en pleine propriété à hauteur d'un quart sur la Succession de son épouse prédécédée, Madame [Y] [W], et de la totalité de l'usufruit de l'actif successoral ;

- Ordonner le partage de l'indivision existant entre Monsieur [J] [F] et les Consorts [K] à la suite du décès de Madame [Y] [W] survenu le 5 janvier 2009 ;

À titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement du 15 Novembre 2019 en toutes ses dispositions ;

En toutes hypothèses

- Désigner un Notaire pour procéder aux opérations de liquidation partage de la succession dont s'agit ainsi qu'un magistrat de ce siège afin d'en surveiller les opérations.

- Rejeter toutes demandes fins et conclusions de [R], [V] et [A] [K] ;

- Les condamner solidairement au paiement de la somme de 400.000 F CFP au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les dépens, dont distraction au profit de la SELARL JURISPOL.

Monsieur [J] [F] indique avoir demander le cumul : en application de l'article 757 du code civil, du quart en pleine propriété de la succession de son épouse ; et de l'usufruit de l'universalité des biens meubles et immeubles composant la succession de son épouse en application du Testament en date du 21 février 1995 au ministère de Me [B], Notaire, relaté dans l'acte de notoriété après décès, et ainsi libellé : «Je lègue l'usufruit de l'universalité des biens meubles et immeubles composant ma succession à mon époux M. [J] [F], né le 19 août 1949 à [Localité 7].»

Monsieur [J] [F] affirme que les demandes des Consorts [K], consistant à cantonner ses droits au quart en pleine propriété, se résument en définitive à faire totalement abstraction du Testament de leur mère.

Monsieur [F] sollicite au principal que, dans son pouvoir souverain d'appréciation, la Cour juge que Feue Madame [W] avait entendu que son époux dispose à la fois de l'entier usufruit et du quart en pleine propriété, la Cour de Cassation ayant eu l'occasion de rappeler que le Juge du fond a le pouvoir d'apprécier souverainement les volontés du testateur, et d'en faire application, même sous le régime du nouvel article 758-6 du code civil et pour une succession ouverte après 2007. Il affirme que Madame [W] a expressément souhaité que son époux bénéficie de l'usufruit de la totalité de son patrimoine, et notamment de la parcelle de Terre qu'elle avait reçue par [L] en 1985, la règle de non cumul ou d'imputabilité des libéralités n'ayant pas pour effet, comme le prétendent et le souhaitent les Consorts [K], de priver le légataire conjoint survivant de ses droits d'usufruit, pour les cantonner au droit de propriété d'un quart.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 4 février 2022 pour l'affaire être fixée à l'audience de la Cour du 28 avril 2022. En l'état l'affaire a été mise en délibéré au 25 août 2022, délibéré qui a dû être prorogé.

MOTIFS :

Sur la recevabilité de l'appel :

La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la Cour d'en relever d'office l'irrégularité.

Sur la vocation successorale de Monsieur [J] [F] :

Les parties s'accordent quant à l'application au litige des dispositions de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, la succession de feue [Y] [W] ayant été ouverte après le 1er janvier 2007.

L'article 757 du code civil dispose que « Si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux.»

Et aux termes de l'article 758-6 du code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1.

L'article 1094-1 du code civil dispose que «Pour le cas où l'époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l'autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, soit d'un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.

Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles.»

Aux termes de l'article 913, les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre.

En l'espèce, au titre de la vocation légale en présence d'enfants du premier lit, Monsieur [J] [F] es qualité de conjoint survivant recueille la propriété du quart des biens.

Aux termes de l'article 758-6 du code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession, en l'espèce donc sur le quart en pleine propriété.

Par testament en date du 21 février 1995 au ministère de Me [B], Notaire, relaté dans l'acte de notoriété après décès en date du 24 août 2009, et ainsi libellé : «Je lègue l'usufruit de l'universalité des biens meubles et immeubles composant ma succession à mon époux M. [J] [F], né le 19 août 1949 à [Localité 7].»

Les termes de ce testament sont clairs, Madame [Y] [W] souhaite alors léguer à son époux le seul usufruit de ces biens et préserver les droits de ces enfants d'un premier lit, les consorts [K], sur toute la nue-propriété de ses biens.

La vocation successorale au titre de la libéralité par testament en date du 21 février 1995 de Monsieur [J] [F] est donc de l'usufruit de tous les biens meubles et immeubles de la succession de Madame [Y] [W].

Au temps du testament de 1995, l'article 767 du code civil dispose que le conjoint survivant non divorcé, qui ne succède pas à la pleine propriété et contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée a, sur la succession du prédécédé, un droit d'usufruit qui est d'un quart, si le défunt laisse un ou plusieurs enfants soit légitimes, issus ou non du mariage, soit naturels.

Madame [Y] [W] est décédée le 5 janvier 2009, sans avoir modifié son testament établi plus de 20 ans auparavant. Il est peu probable qu'elle ait été informée avant son décès de ce que l'article 757 du code civil dispose depuis 2006 que le conjoint survivant recueille la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux. Il ne peut donc pas se déduire du testament que Madame [Y] [W] a eu la volonté de voir son époux recueillir un quart de ses biens en pleine propriété et ¿ en usufruit. Son testament marque au contraire son souhait de voir ses enfants bénéficiaient de la totalité de la nue-propriété de ses biens.

Ainsi, la volonté de Madame [Y] [W], exprimée devant notaire, doit nécessairement s'interpréter à l'aune des textes qui régissaient alors les droits du conjoint survivant. Il résulte des termes du testament qu'elle a alors voulu accroitre les droits en usufruit de son conjoint, qui n'aurait été que d'un quart dans le cadre de la vocation successorale légale, sans toucher aux droits en propriété de ses enfants d'un premier lit. Il peut donc être considéré que Madame [Y] [W] a entendu ne pas se référer aux dispositions du code civil pour léguer à son conjoint ce qu'elle souhaitait précisément, à savoir l'usufruit sur l'universalité des biens meubles et immeubles composant sa succession, ce qui permettait de sécuriser son époux quant à l'exploitation de la pension de famille exploitée de concert, tout en préservant les droits de ses enfants après le décès de celui-ci.

Il est constant que le fait pour un conjoint survivant de se voir léguer la totalité des biens en usufruit, en application de l'article 1094-1 du Code civil, ne viole pas l'article 913 prévoyant la réserve héréditaire des enfants, la réserve héréditaire des enfants du défunt étant respectée, alors même que le conjoint survivant est usufruitier des biens dont héritent les enfants.

Il en résulte que la règle de l'imputation des libéralités accordées au conjoint survivant sur ses droits successoraux légaux n'interdit pas à l'époux qui laisse des enfants de disposer en faveur de l'autre époux de l'usufruit sur le tout, outre le quart en pleine propriété prévu par la Loi. Cependant, pour qu'il en soit ainsi, il faut que la volonté exprimée par le testateur en ce sens soit claire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce comme démontré ci-dessus.

Ainsi, Monsieur [J] [F] ne peut pas cumuler la vocation légale du quart en pleine propriété et les dispositions du testament du 21 février 1995 pour les ¿ en usufruit. Dans le cadre des opérations de liquidation de la succession, trois options s'offrent à Monsieur [J] [F] :

- Faire évaluer la valeur vénale des biens composant la succession de [Y] [W] et de l'usufruit sur ces biens afin de rechercher si la libéralité reçue aux termes du testament du 21 février 1995 est inférieure aux droits définis aux articles 757 ; et si elle est inférieure en réclamer le complément ; le legs effectué par [Y] [V] [W] par testament authentique daté du 21 février 1995 au profit de son conjoint [J] [S] [F] s'imputant sur les droits légaux de celui-ci ;

- Renoncer à arguer du testament en date du 21 février 1995 pour bénéficier de la seule vocation légale du quart de la succession en pleine propriété ;

- Bénéficier de la seule libéralité effectuée par testament le 21 février 1995, à savoir recueillir seulement la totalité de l'usufruit de la succession, considérant alors que Madame [Y] [W] a entendu supprimer les droits légaux par son testament.

Sur la liquidation de la succession de Madame [Y] [W] :

Devant la Cour, comme devant le Tribunal, les consorts [K] indiquent que leur mère était propriétaire de la parcelle D du partage de la terre [M], d'une superficie de 1.668 m2, cadastrée Section AN n°[Cadastre 1] sise à [Localité 3], seule terre dont ils demandent le partage alors que Monsieur [J] [F] demande à la Cour d'ordonner le partage de l'indivision existant entre Monsieur [J] [F] et les Consorts [K] à la suite du décès de Madame [Y] [W] survenu le 5 janvier 2009 et de désigner un Notaire pour procéder aux opérations de liquidation partage de la succession dont s'agit ainsi qu'un magistrat de ce siège afin d'en surveiller les opérations.

Aux termes de l'article 825, la masse partageable comprend les biens existant à l'ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n'a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l'indivision.

La Cour ne peut que rappeler que le préalable à tout partage de succession, et des terres composant la succession, est d'établir la masse partageable. Or, il n'en est rien dit devant la Cour si ce n'est que la parcelle D du partage de la terre [M] la compose, sans qu'il soit précisé si c'est en partie ou totalement.

Comme l'a rappelé de manière très pertinente le premier juge, il ressort du Code de procédure civile de la Polynésie française, et notamment de l'article 3, que l'office du juge est de trancher des litiges. Appliqué à la matière des partages successoraux, cela implique qu'il ne revient pas au juge d'effectuer de manière générale une liquidation successorale, mais de trancher les problèmes juridiques venant à se poser dans le cadre de cette liquidation et du partage qui s'ensuit.

Il est par ailleurs constant que la liquidation d'une succession, impliquant de déterminer la quotité des droits de chacun et la masse partageable, incombe en premier lieu au notaire. Ce n'est qu'en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire que le Tribunal pourrait être saisi afin qu'il soit statué sur les éventuels points de désaccord.

En l'espèce, si le notaire doit, avant d'établir la masse partageable de la succession de Madame [Y] [W], procéder au partage de la communauté ayant existé entre [Y] [W] et son époux, la complexité des opérations de liquidation reste relative, la mission du notaire restant pour lui de dresser un état liquidatif établissant les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir.

La Cour ayant tranché par le présent arrêt le point de litige entre les parties quant à la demande de Monsieur [J] [F] de voir se cumuler sa vocation successorale légale au testament dressé par [Y] [W] en sa faveur, les opérations de liquidation partage de la succession peuvent se poursuivre devant le notaire sans qu'il y ait lieu à surveillance par le juge.

La Cour désigne pour procéder aux opérations de liquidation de la succession de Madame [Y] [V] [W], née à [Localité 3] le 18 septembre 1952, et décédée à [Localité 7] le 5 janvier 2009, Maître [D] [E], notaire domicilié [Adresse 5], notaire devant lequel Monsieur [J] [F] devra faire part du choix de son option.

En cas d'entrave aux opérations de liquidation, il y aura lieu pour la partie la plus diligente de saisir le premier Juge de tout nouveau litige.

En conséquence, la Cour infirme le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier siégeant à Raiatea, n° RG 18/00012, n° de minute 45-TER/2019, en date du 15 novembre 2019, en toutes ses dispositions.

Sur les autres chefs de demande :

Compte tenu des spécificités du litige, il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

Il y a lieu d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

DÉCLARE l'appel recevable ;

INFIRME le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier siégeant à Raiatea, n° RG 18/00012, n° de minute 45-TER /2019, en date du 15 novembre 2019, en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau,

DIT que Monsieur [J] [F] ne peut pas cumuler la vocation légale du quart en pleine propriété et les dispositions du testament du 21 février 1995 pour les ¿ en usufruit ;

DIT que, dans le cadre des opérations de liquidation de la succession, trois options s'offrent à Monsieur [J] [F] :

' Faire évaluer la valeur vénale des biens composant la succession de [Y] [W] et de l'usufruit sur ces biens afin de rechercher si la libéralité reçue aux termes du testament du 21 février 1995 est inférieure aux droits définis aux articles 757 ; et si elle est inférieure en réclamer le complément ; le legs effectué par [Y] [V] [W] par testament authentique daté du 21 février 1995 au profit de son conjoint [J] [S] [F] s'imputant sur les droits légaux de celui-ci ;

' Renoncer à arguer du testament en date du 21 février 1995 pour bénéficier de la seule vocation légale du quart de la succession en pleine propriété ;

' Bénéficier de la seule libéralité effectuée par testament le 21 février 1995, à savoir recueillir seulement la totalité de l'usufruit de la succession ;

ORDONNE la liquidation de la succession de Madame [Y] [V] [W], née à [Localité 3] le 18 septembre 1952, et décédée à [Localité 7] le 5 janvier 2009 ;

DÉSIGNE pour procéder aux opérations de liquidation de la succession de Madame [Y] [V] [W], née à [Localité 3] le 18 septembre 1952, et décédée à [Localité 7] le 5 janvier 2009, Maître [D] [E], notaire domicilié [Adresse 5], notaire devant lequel Monsieur [J] [F] devra faire part du choix de son option ;

DIT que, en cas d'entrave aux opérations de liquidation, il y aura lieu pour la partie la plus diligente de saisir le premier Juge de tout nouveau litige ;

REJETTE tout autre chef de demande des parties, plus ample ou contraire au présent arrêt ;

ORDONNE l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

Prononcé à Papeete, le 22 septembre 2022.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : K. SZKLARZ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Papeete
Formation : Chambre des terres
Numéro d'arrêt : 20/00010
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;20.00010 ?
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