No 38
RG 233 / CIV / 06
Grosse délivrée à
Me Liu- Bouloc
le
Expédition délivrée à
Me Céran- Jérusalémy
le
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D' APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 31 Janvier 2008
Madame Roselyne LASSUS- IGNACIO, conseillère à la Cour d' Appel de Papeete, assistée de Mme Maeva SUHAS- TEVERO, greffier ;
En audience publique tenue au Palais de Justice ;
A prononcé l' arrêt dont la teneur suit :
Entre :
Madame Florence Y... Y... épouse YY..., née le 25 mars 1966 à Papeete, de nationalité française, demeurant à Taputapuatea- Tepua- Raiatea ;
Appelante par requête en date du 8 mai 2006, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d' Appel le 9 mai 2006, sous le numéro de rôle 06 / 00233, ensuite d' un jugement no 800 du Tribunal Civil de première instance de Papeete en date du 7 novembre 2005 ;
Représentée par Me LIU- BOULOC, avocat à Papeete ;
d' une part ;
Et :
1- Monsieur Roland Z..., né le 8 juin 1952 à Papeete, de nationalité française, gérant de galerie de peinture, demeurant à Mahina PK 9, 200 ;
2- Madame Djin Hélène A...Z..., née le 3 janvier 1957 à Papeete, de nationalité française, couturière, demeurant au Motu Temae à Moorea ;
3- Madame Alma Sabrina Z..., née le 17 juillet 1958 à Papeete, de nationalité française, adjoint administratif, demeurant ...;
4- Madame Lovina B...Z..., née le 31 août 1962 à Papeete, de nationalité française, demeurant à Arue ;
5- Monsieur Tutomo Maurice Z..., né le 29 mars 1964 à Papeete, de nationalité française, demeurant à Mahina PK 11 ;
Intimés ;
Représentés par Me CERAN- JERUSALEMY, avocat à Papeete ;
d' autre part ;
Après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 29 novembre 2007, devant M. GAUSSEN, Président de chambre, Mme LASSUS- IGNACIO, conseillère et M. MONDONNEIX, conseiller, assistés de Mme SUHAS- TEVERO, greffier, le prononcé de l' arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,
LES FAITS ET LA PROCEDURE :
Par actes des 29 avril 1982 et 13 décembre 1985, Temarii et Hélène Z...ont procédé à la donation partage de leurs biens entre leurs 5 enfants, Charles, André, Iris, Jean et Maurice Z...; ce dernier s' est vu attribuer le lot 5 de la terre Ofairuro située à MOOREA.
Ces deux actes comportaient les clauses suivantes :
Réserve du droit de retour :
Les donateurs " se réservent expressément à leur profit " du (sic) droit de retour conventionnel sur les immeubles par eux donnés pour le cas où les donataires ou l' un d' eux viendraient à décéder avant eux, sans enfants ni descendants et pour le cas encore où les enfants ou descendants desdits donataires viendraient à décéder avant les donateurs sans postérité.
Toutefois cette réserve ne mettra pas obstacle à l' exécution de toutes donations ou legs en usufruit que chacun des donataires a pu faire en faveur de son conjoint.
Interdiction d' aliéner ou d' hypothéquer :
En raison du droit de retour stipulé à leur profit, les donateurs interdisent formellement aux donataires … d' aliéner …. pendant leur vie, sans leur concours, tout ou partie des biens donnés, à peine de nullité des aliénations …. et même révocation des présentes.
Maurice Z...est décédé le 3 octobre 1986, avant ses parents Temarii et Hélène Z...respectivement décédés en 1992 et 1994.
Le 10 mars 1986 il avait déposé devant notaire un testament aux termes duquel il léguait à Florence CHIN C...épouse D...AH CHE, une parcelle de terre de 1000 m ² à prendre sur le lot 5 de la terre Ofairuro située à MOOREA.
Le 10 juin 2003, Roland, Djin, Alma, Lovaina et Tutomo Z...- les consorts E...qui sont les 5 enfants de Maurice Z..., ont fait assigner Florence CHIN C...épouse D...AH CHE afin d' obtenir la nullité du legs consenti à Florence CHIN C...épouse D...AH CHE, qui contrevient selon eux à la clause d' interdiction d' aliéner.
Par jugement du 7 novembre 2005 le Tribunal de Première Instance de PAPEETE a constaté la nullité du legs et a rejeté toutes les autres demandes.
Pour statuer ainsi le premier juge (résumé des motifs) :
- a dit que la clause d' interdiction d' aliéner est valable dès lors qu' elle avait un caractère temporaire puisqu' elle était limitée dans le temps à la vie des donateurs, et qu' elle était justifiée par un intérêt légitime et sérieux dans le souci de conserver un bien immobilier dans la famille des donateurs ;
- a jugé que cette clause ne portait pas atteinte à la réserve héréditaire ;
- a jugé que la clause d' interdiction d' aliéner rend le bien incessible sauf concours du donateur à la cession, que le détenteur du bien peut en disposer à cause de mort, mais que la validité de l' opération s' apprécie à la date du décès de celui- ci ;
- a dit qu' en cas de prédécès du donataire, le legs reçoit effet à la date de la mort du légataire, alors que l' immeuble est encore grevé d' inaliénabilité puisque les donateurs sont encore vivants, et, n' ayant pas été appelé à intervenir lors de l' ouverture du testament, ils n' ont pu donner leur concours, de sorte que le testament entraîne une aliénation d' une partie de l' immeuble encore grevé par les effets de la clause.
Le Tribunal a ajouté que l' aliénation s' entend comme tout acte susceptible d' entraîner une mutation, et que le droit de retour appartient exclusivement aux donateurs et conduit à un retour du bien dans leur patrimoine, où les consorts Z...sont en concours avec les frères et s œ urs de leur père, et en a déduit qu' ils avaient un intérêt à agir pour faire respecter la clause d' interdiction d' aliéner.
Florence CHIN C...épouse D...AH CHE a relevé appel de ce jugement.
LES MOYENS DES PARTIES DEVANT LA COUR :
Florence CHIN C...épouse D...AH CHE fait valoir, au soutien de son appel, que la clause d' interdiction d' aliéner est nulle et de nul effet.
En effet, selon elle, il s' agit d' un partage, par des ascendants, de leur seul bien ; chacun des enfants a reçu sa part, et tout héritier doit recevoir sa part de réserve libre de toute charge, les donateurs ne pouvant limiter ses prérogatives en grevant le bien donné d' une clause d' inaliénabilité, ce qui ferait échec à son droit de disposer, en particulier par testament, que lui reconnaît la loi.
A supposer la clause valable, l' appelante estime qu' elle ne s' applique pas au cas d' espèce. Le bien objet du legs n' est pas sorti du patrimoine du testateur le jour même du testament, la clause de retour n' a pas à s' appliquer, et de ce fait la clause d' inaliénabilité ne s' applique pas non plus.
Elle ajoute que la nullité d' une clause d' inaliénabilité est une nullité relative dont l' action est ouverte à la seule personne dans l' intérêt de laquelle l' inaliénabilité a été stipulée. Or en l' espèce les donateurs n' ont jamais jugé utile de leur vivant, de demander la nullité du testament de leur fils Maurice Z....
La nullité étant relative, leurs petits- enfants ne sont pas recevables à agir selon l' appelante.
Selon elle, accorder aux enfants de Maurice Z...le droit de demander la nullité du testament pour violation de la clause est contraire à l' objectif de cette clause insérée à l' acte au seul profit des donateurs, mais également serait faire échec au droit de leur père de disposer gratuitement d' une partie de ses biens.
Florence CHIN C...épouse D...AH CHE demande en conséquence à la cour de réformer le jugement déféré, de dire que les consorts Z...sont irrecevables à invoquer une nullité relative, de les débouter de leur demande, de dire valable le testament dont elle a bénéficié, d' ordonner la délivrance du legs, et de dire qu' à défaut pour les consorts Z...de consentir volontairement à la délivrance dans le délai imparti l' arrêt à intervenir en tiendra lieu, de désigner un expert géomètre pour établir le plan de la parcelle et d' ordonner la transcription de l' arrêt.
Les consorts Z...concluent à la confirmation du jugement, le tribunal ayant fait une juste application du droit applicable, et demandent que Florence CHIN C...épouse D...AH CHE soit condamnée à leur payer 200 000 FCFP pour frais et honoraires.
En réplique aux moyens soulevés par l' appelante, ils soutiennent qu' ils ont bien intérêt à agir. Ils affirment à cet égard que l' action en nullité du legs appartient autant aux donateurs qu' au donataire.
Les intimés précisent que le legs litigieux constitue une aliénation au jour du décès du testateur, le 3 octobre 1986 ; or à cette date les donateurs étaient encore en vie de sorte que leur consentement était nécessaire pour le valider.
Ils ajoutent que les grands- parents n' ont jamais eu connaissance de ce legs, qui n' a été révélé qu' en 2003 lors de l' établissement par les intimés de la notoriété de leur père Maurice Z....
MOTIFS DE LA DECISION,
Sur la recevabilité de l' action des consorts Z...:
Les consorts Z...en leur qualité de descendants directs de Maurice Z...ont qualité pour solliciter la nullité du testament de leur père en faveur de Florence CHIN C...épouse D...AH CHE.
En effet, contrairement à ce que fait plaider Florence CHIN C...épouse D...AH CHE, si l' article 951 du Code Civil énonce que la clause de retour ne peut être stipulée qu' en faveur du donateur, de sorte que lui seul peut se prévaloir du non respect de la clause, cette nullité relative n' affecte pas le droit d' agir des ayants droit de Maurice Z...contre le legs dès lors qu' ils sollicitent la nullité du legs pour cause de non respect de la clause d' inaliénabilité et n' invoquent pas la clause de retour.
Sur la validité de la clause d' inaliénabilité :
Florence CHIN C...épouse D...AH CHE est mal fondée à soulever la nullité de la clause d' inaliénabilité, le premier juge ayant à juste titre considéré qu' elle était valable, puisque limitée dans le temps à la vie des donateurs et justifiée par leur volonté d' éviter le morcellement de leur terre de leur vivant ; ainsi c' est en vain qu' elle invoque, à cet égard, diverses ventes consenties après le décès de Temarii et Hélène Z....
En l' espèce, en liant la clause d' inaliénabilité et le droit de retour, les donateurs ont manifesté de façon précise et expresse leur intention d' éviter de leur vivant le morcellement de leur propriété.
C' est ainsi qu' ils se sont opposés, de leur vivant, à une vente proposée par Maurice Z....
De plus, cette clause ne porte nullement atteinte à la réserve héréditaire de Maurice Z...puisqu' elle s' appliquait à tous les héritiers de la même façon.
Cette clause est légitime et ne peut donc être jugée nulle. Cependant, s' agissant d' une clause restreignant le droit de chacun de gérer et d' administrer son propre patrimoine, une jurisprudence constante depuis 1901 impose aux juges de l' interpréter restrictivement tout en respectant la volonté des disposants.
Sur la nullité du legs consenti à Florence CHIN C...épouse D...AH CHE :
Les consorts Z...soutiennent que, pour pouvoir léguer une partie de la terre, Maurice Z...aurait du solliciter l' avis de ses parents.
Cependant la jurisprudence a toujours considéré que la clause d' interdiction d' aliéner n' empêche pas les actes de disposition à cause de mort (cass, req 2- 1- 1838).
On ne peut pas plus considérer que Maurice Z...a légué plus de droit qu' il n' en possédait ou un bien ne lui appartenant pas, puisqu' à la date du testament et à la date de son décès, la part de terre donnée par ses parents lui appartenait bien en propre, la jurisprudence considérant comme valable le legs d' un bien d' une chose n' appartenant qu' éventuellement au testateur.
Si la succession de Maurice Z...s' est ouverte au jour de son décès, il n' en est pas de même pour le legs particulier, dont le bénéficiaire doit demander la délivrance. Le transfert de patrimoine ne s' opère donc dans ce cas qu' à la délivrance du legs.
En l' espèce, la demande de délivrance du legs n' a été formulée qu' en 2003, après le décès de Temarii et Hélène Z..., donateurs, en 1992 et 1994.
Or la mort du donateur entraîne l' extinction de la clause d' inaliénabilité instituée à son profit. Il s' ensuit que lorsque Florence CHIN C...épouse D...AH CHE a sollicité la délivrance de son legs, le bien légué n' était plus inaliénable.
Le jugement déféré doit donc être réformé, et il convient de faire droit aux demandes de Florence CHIN C...épouse D...AH CHEF quant au transfert de propriété.
Un expert doit être désigné afin de délimiter et borner, aux frais exclusifs de Florence CHIN C...épouse D...AH CHE, la parcelle léguée, dans les termes du testament et du plan qui y était annexé et a dû demeurer dans les minutes du notaire Maître F...mais n' est pas produit aux débats.
Par ailleurs aucune équité ne conduit la cour à faire application en sa faveur de l' article 407 du Code de Procédure Civile de la Polynésie Française.
Enfin les dépens de première instance et d' appel doivent être mis à la charge de Roland, Djin, Alma, Lovaina et Tutomo Z....
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort ;
Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau,
Dit que Roland, Djin, Alma, Lovaina et Tutomo Z...sont recevables mais mal fondés à contester le legs fait par Maurice Z...au profit de Florence CHIN C...épouse D...AH CHE sur le fondement des clauses de la donation consentie par Temarii et Hélène Z...à leur père Maurice Z...;
Dit que Maurice Z...a valablement légué à Florence CHIN C...épouse D...AH CHE le 10 mars 1986 une partie de sa part dans la donation partage de Temarii et Hélène Z...;
Ordonne la délivrance du legs consenti à Florence CHIN C...épouse D...AH CHE par Maurice Z..., dans le délai de 3 mois à compter de la signification du présent arrêt ;
Dit qu' à défaut le présent arrêt en tiendra lieu ;
Désigne Jean Michel G..., expert géomètre, aux fins de délimiter et borner une parcelle de 1000 m ² à prendre sur le lot no 5 issu de la donation partage 1142 / 24 par Temarii et Hélène Z...en 1985 et 1986 terre Ofairuro à MOOREA TEMAE, conformément au testament de Maurice Z..., et au plan annexé, dans les termes suivants : " cette parcelle de 1000 mètres carrés environ est bornée par la plage vers l' intérieur, sur 20 m de large et dont un plan sera annexé au présent. Elle comportera n accès de 5 mètres de large et du côté sud ouest sera aménagé un accès à la mer de 2 mètres environ de large " ;
Dit que l' expert devra procéder à ses opérations dans l' année de sa saisine ;
Ordonne au notaire détenteur de l' original du testament de Maurice Z...de remettre à l' expert la copie du plan annexé à ce testament ;
Dit que Florence CHIN C...épouse D...AH CHE doit verser au greffe une provision de CENT CINQUANTE MILLE (150 000) FRANCS PACIFIQUE à valoir sur les honoraires de l' expert ;
Ordonne la transcription du présent arrêt ainsi que du plan qui sera dressé par le géomètre ;
Désigne Roselyne LASSUS- IGNACIO, conseiller, en cas de difficulté d' exécution du présent arrêt ;
Condamne Roland, Djin, Alma, Lovaina et Tutomo Z...solidairement aux dépens de première instance et d' appel ;
Rejette toute autre demande.
Prononcé à Papeete, le 31 janvier 2008.
Le Greffier, P / Le Président,
M. SUHAS- TEVERO R. LASSUS- IGNACIO