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22/02/2007 | FRANCE | N°114

France | France, Cour d'appel de Papeete, Chambre civile 1, 22 février 2007, 114


No 114

RG 357/CIVI/06

Grosse délivrée à

Me Malgras

le

Expédition délivrée à

Me Bambridge-Babin

leREPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 22 février 2007

Madame Roselyne LASSUS-IGNACIO, conseiller, de la Cour d'Appel de Papeete, assisté de Madame Maeva SUHAS-TEVERO, greffier ;

En chambre du conseil tenue au Palais de Justice ;

A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :

Entre :

Le Fonds de Garantie, organisme régi par les dispositions de l'arti

cle L 421-1 du code des assurances, chargé de la gestion du Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et d'autres infractions, représenté par son Dir...

No 114

RG 357/CIVI/06

Grosse délivrée à

Me Malgras

le

Expédition délivrée à

Me Bambridge-Babin

leREPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 22 février 2007

Madame Roselyne LASSUS-IGNACIO, conseiller, de la Cour d'Appel de Papeete, assisté de Madame Maeva SUHAS-TEVERO, greffier ;

En chambre du conseil tenue au Palais de Justice ;

A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :

Entre :

Le Fonds de Garantie, organisme régi par les dispositions de l'article L 421-1 du code des assurances, chargé de la gestion du Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et d'autres infractions, représenté par son Directeur Général, dont le siège social est ... ;

Appelant par requête en date du 23 Juin 2006, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel le 17 Juillet 2006, sous le numéro de rôle 06/00357, par la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions du Tribunal de première instance de Papeete du 19 mai 2006 ;

Représenté par Me Temanava BAMBRIDGE-BABIN, avocat au barreau de Papeete ;

d'une part ;

Et :

Madame Taimanaia Tepare Y... A NONO veuve Z..., née le 5 février 1931 à Manihi (Tuamotu), de nationalité française, demeurant Chez Nini Z... résidence Atima à Mahina ;

Madame Moea Lucia A..., née le 23 septembre 1970 à Papeete, de nationalité française, demeurant Chez Tinaia Z... à Paea PK 20 côté montagne ;

Monsieur Tavihauroa B... Z..., né le 23 avril 1949 à Taenga (Tuamotu), de nationalité française, demeurant à Pamatai ;

Madame Tevahinenohoata C... Z..., née le 26 septembre 1950 à Nihiru (Tuamotu), de nationalité française, demeurant à Paea PK 22 côté montagne ;

Madame Tinaia D... Z..., née le 28 novembre 1951 à Taenga (Tuamotu), de nationalité française, demeurant à Paea PK 20 côté montagne ;

Madame Temou Léa Z..., née le 26 janvier 1953 à Taenga (Tuamotu), de nationalité française, couturière, demeurant à Heiri Faa'a ;

Monsieur E... F... Félix Z..., né le 7 février 1959 à Taenga (Tuamotu), de nationalité française, employé de banque, demeurant à Heiri Faa'a ;

Madame Tehutu Hélène Z..., née le 14 février 1962 à Marutea (Tuamotu), de nationalité française, employée de commerce, demeurant à Punavai Plaine Punaauia ;

Monsieur Maurice G... Z..., né le 11 février 1964 à Hikueru (Tuamotu), de nationalité française, employé de commerce, demeurant Chez Tinaia Z... à Paea PK 20 côté montagne ;

Madame Hinano Emilie Z..., née le 30 juin 1965 à Papeete, de nationalité française, secrétaire, demeurant à Mahaena quartier Raapoto ;

Monsieur Tematiti Albert Z..., né le 13 septembre 1966 à Papeete, de nationalité française, employé de commerce, demeurant Chez Tinaia Z... à Paea PK 20 côté montagne ;

Monsieur Noma Henri Z..., né le 24 avril 1968 à Papeete, de nationalité française, demeurant Chez Tinaia Z... à Paea PK 20 côté montagne ;

Madame Nini Paulette Z..., née le 19 juillet 1969 à Papeete, de nationalité française, employée de commerce, demeurant Chez Tamanaia Noho Résidence Atima à Mahina ;

Intimés ;

Représentés par Me MALGRAS, avocat à Papeete ;

d'autre part ;

Après communication de la procédure au ministère public conformément à l'article 249 du code de procédure civile de la Polynésie française et après que la cause ait été débattue et plaidée en audience non publique du 14 décembre 2006, devant M. ELLUL, président de chambre, M. H... et Mme LASSUS-IGNACIO, conseillers, assistés de Mme SUHAS-TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

A R R E T,

Les faits et la procédure :

Manumea Paeahi Z... est décédé le 11 mars 2003 après trois semaine de coma, des suites d'une chute du toit de l'immeuble sur lequel il travaillait le 18 février 2003.

I... ANTOINE, son employeur, a été poursuivi devant le Tribunal Correctionnel pour homicide involontaire, pour avoir laissé Manumea Paeahi Z... travailler à une hauteur de trois mètres, sans aucune protection.

Sa mère, Taimana Z... et ses douze frères et ses sœurs (les consorts Z...) ont saisi la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions d'une demande d'indemnisation de leur préjudice moral avant le décès (en raison du coma et des souffrances de Manumea Paeahi Z...), le préjudice résultant du décès de la victime et, pour Taimana Z..., des frais exposés pour les obsèques de son fils.

Les consorts Z... faisaient valoir que I... ANTOINE n'avait mis à la disposition de ses salariés aucun dispositif de sécurité, chaussures, casques ou garde corps, et avait laissé Manumea Paeahi Z... travailler en hauteur alors qu'il connaissait son intempérance et qu'il avait un peu bu le jour de l'accident ; ils indiquaient en outre que I... ANTOINE avait tardé à faire hospitaliser Manumea Paeahi Z... après sa chute, ce qui aurait aggravé son état.

Par décision du 19 mai 2006 la C.I.V.I du Tribunal de Première Instance de Papeete :

- a retenu que Manumea Paeahi Z... travaillait dans des conditions de précarité imputables à l'employeur, et que les demandes étaient recevables s'agissant de la réparation du préjudice moral, non prévu par la législation sociale locale,

- a rappelé que Manumea Paeahi Z... s'était vu reprocher son intempérance à plusieurs reprises par son employeur,

- a relevé que Manumea Paeahi Z... se trouvait sur le toit d'une maison en construction alors qu'il n'en avait pas reçu la mission,

- a estimé devoir laisser à la charge de la victime une part de responsabilité de moitié,

- a débouté les consorts Z... de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral avant décès,

- a chiffré à 2 000 000 F CFP l'indemnisation revenant à Taimana Z..., et à 600 000 F CFP l' indemnisation revenant à chacun des frères et sœurs,

- ces sommes devant toutefois être affectées du partage de responsabilité par moitié,

- a débouté les consorts Z... de leur demande en remboursement des frais funéraires, les considérant comme une libéralité ou une créance envers la succession, ainsi que de leur demande pour frais et honoraires.

Le FONDS DE GARANTIE a relevé appel de ce jugement.

Les moyens des parties devant la Cour :

Le FONDS DE GARANTIE rappelle que la législation locale des accidents du travail est régie par le décret 57-245 du 24 février 1957, et notamment les articles 35 et 36 desquels il résulte que la victime et ses ayant droits ne peuvent exercer de recours en droit commun contre l'auteur de l'accident lorsque celui-ci n'est pas dû à une faute intentionnelle de l'employeur ou de ses préposés

Le Fonds se prévaut de la jurisprudence de la Cour de Cassation selon laquelle les dispositions légales d'ordre public sur la réparation des accidents du travail excluent les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions ainsi qu'à leurs ayant droits en l'absence de faute intentionnelle de l'employeur.

Selon le FONDS DE GARANTIE, le mot "ayants-droit" s'applique à toute personne tirant ses droits de la victime, qu'elle soit ou non ayants-droit au sens de la législation sociale, de sorte que toute action devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions par suite d'un accident du travail serait irrecevable.

Les consorts Z... demandent que la décision déférée soit confirmée s'agissant de la recevabilité de leur demande mais forment un appel incident sur le partage de responsabilité.

Ils insistent sur les fautes de l'employeur qui a laissé la victime travailler en hauteur d'une part sans protection et d'autre part en raison de son intempérance habituelle qui avait valu à Manumea Paeahi Z... des remontrances.

En outre ils insistent sur le fait que I... ANTOINE a attendu plusieurs heures avant de conduire la victime à l'hôpital, dans sa propre voiture au lieu d'une ambulance, et que cette accumulation d'erreurs, de négligences, et de violation des règlements, assimilée par la jurisprudence, à la faute intentionnelle, a été fatale à Manumea Paeahi Z... qui est décédé un mois plus tard.

Les consorts Z... font valoir que la jurisprudence invoquée par le FONDS DE GARANTIE ne leur est pas applicable dans la mesure où ils ne sont pas ayants-droit au sens de la législation sociale et ne perçoivent aucune pension de la CPS.

Ils contestent le partage de responsabilité ordonné par la C.I.V.I rien ne permettant d'établir que Manumea Paeahi Z... était en état d'ébriété au moment de sa chute.

Taimana Z..., mère du défunt, sollicite 184 080 F CFP en remboursement des frais d'obsèques de son fils, 1 000 000 F CFP de dommages et intérêts pour la souffrance subie par le défunt et elle pendant le coma, et 3 000 000 F CFP pour le préjudice moral résultant du décès.

Les frères et sœurs sollicitent chacun 1 000 000 F CFP pour la souffrance avant le décès et 1 000 000 F CFP pour la perte de leur frère.

Ils réclament en outre 300 000 F CFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens.

Motifs de l'arrêt :

La recevabilité de l'appel du FONDS DE GARANTIE n'est pas contestée.

Sur la recevabilité de l' action des consorts Z... :

Selon les dispositions du décret 57-245 du 24 février 1957, qui régit la réparation des accidents du travail en POLYNESIE FRANÇAISE, lorsque l'accident est causé ..par une faute de l'employeur…..la victime ou ses ayant droits conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application de ce décret .

Selon le dernier état de la jurisprudence de la Cour de Cassation, lorsqu'une personne est victime d'un accident du travail imputable à son employeur, la réglementation d'ordre public sur la réparation des accidents du travail est seule applicable à ses ayants- droit.

Le terme "ayants-droit" employé dans le décret 57-245 du 24 février 1957 qui régit les accidents du travail s'applique nécessairement aux personnes bénéficiant de prestations sociales versées par la Caisse de Prévoyance Sociale de Polynésie.

Il s'ensuit que les personnes qui ne sont pas des ayants-droit au sens de la législation sociale ne peuvent se voir refuser le droit d'agir devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour obtenir réparation de leur préjudice.

L'action de la mère, des frères et des sœurs de Manumea Paeahi Z... est donc recevable dès lors qu'ils n'est pas soutenu par le FONDS DE GARANTIE qu'ils ont vocation à percevoir des prestations de la CPS par suite de cet accident.

Sur les causes de l'accident :

Il résulte du procès verbal de gendarmerie que Manumea Paeahi Z... travaillait à une hauteur de 2.80 mètres, sans aucune protection, ce qui constitue une faute inexcusable de l'employeur. Bien que celui-ci affirme dans son audition par les gendarmes que l'intéressé n'avait pas à monter sur le toit, il est manifeste qu'il n'avait pas donné les instructions nécessaires pour éviter les faits.

En effet, Manumea Paeahi Z... avait été rappelé à l'ordre à plusieurs reprises en raison de son intempérance ; ses collègues de travail ont confirmé que le jour de l' accident il avait bu un litre de bière pendant son repas, juste avant de monter sur le toit.

Le fait de laisser un salarié travailler en hauteur en état d'ébriété constitue une faute de l'employeur de sorte que le délit d'homicide involontaire est constitué, I... ANTOINE ayant été poursuivi pour ces faits ; la cour regrette toutefois que les parties n'aient pas jugé utile de produire le jugement correctionnel rendu sur citation du 30 juin 2004.

Si les fautes de l'employeur sont amplement établies, c'est à juste titre que la C.I.V.I a considéré que la victime avait, par son état d'ivresse, participé à l'accident et a réduit de moitié son droit à indemnisation.

Sur l'indemnisation du préjudice de Taimana Z... :

Taimana Z... justifie avoir exposé des frais d'obsèques et le FONDS DE GARANTIE ne démontre pas que ces frais auraient été pris en charge par la CPS.

Compte tenu de la part de responsabilité de la victime, il revient à Taimana Z... de ce chef 92 040 F CFP.

Le préjudice moral de la mère de la victime n'est pas contesté. Il doit être évalué à 2000000 F CFP , sans qu'il y ait lieu de distinguer le préjudice ressenti avant le décès de son fils de celui éprouvé après le décès, de sorte qu'il lui revient, après réduction de la part de responsabilité de la victime, 1 000 000 F CFP.

Sur le préjudice moral des frères et sœurs :

Le fondement même de la législation protectrice des victimes d'infractions et la création de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions résultent de la volonté du législateur de réparer les atteintes les plus graves résultant d'infractions.

Il s'ensuit que la solidarité nationale ne peut être mise en œuvre que pour réparer les préjudices graves, de sorte qu'il appartient à ceux qui prétendent à une indemnisation de démontrer la réalité de la douleur subie, en raison, par exemple, de leurs liens affectifs avec le défunt, de leur communauté de vie, ou toute autre circonstance.

En l'espèce, les consorts Z... ne produisent aucun élément au soutien de leur demande et il convient d'observer, comme le faisait le FONDS en première instance, que la victime avait 46 ans et avait sa propre famille, de sorte que les consorts Z... ne justifient d'aucun préjudice exceptionnel devant être pris en charge par la solidarité nationale .

Sur les frais et honoraires :

L'équité ne commande pas de faire droit à la demande des consorts Z... .

Les dépens restent à la charge du Trésor Public.

PAR CES MOTIFS,

Statuant en chambre du conseil, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

Réformant partiellement la décision déférée ;

Fixe à QUATRE VINGT DOUZE MILLE QUARANTE (92 040) FRANCS PACIFIQUE le préjudice matériel de Taimana Z... et à UN MILLION (1 000 000) FRANCS PACIFIQUE la réparation de son préjudice moral ;

Rejette les autres demandes ;

Dit que les dépens sont à la charge du Trésor Public.

Prononcé à Papeete, le 22 février 2007.

Le Greffier, P/Le Président,

M. SUHAS-TEVERO P. H...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Papeete
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 114
Date de la décision : 22/02/2007
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : C.I.V.I près le tribunal de Papeete, 19 mai 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.papeete;arret;2007-02-22;114 ?
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