No 718
RG 77/Terre/02
Grosse délivrée à
Me Chansin-Wong
le
Expéditions délivrées
A Mes Antz et
Lamourette et
Mme X...
le
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 17 Novembre 2005
Mme Catherine TEHEIURA, conseillère à la Cour d'Appel de Papeete, assistée de Mme Maeva TEVERO, greffier ;
En audience publique au Palais de Justice de Papeete ;
A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :
Entre :
1- Monsieur Terii Y..., né le 28 juillet 1936 à Papara, de nationalité française, demeurant à Manihi – Tuamotu ;
2 – Monsieur Alfred Y..., né le 22 août 1941 à Papeete, de nationalité française, demeurant à Manihi – Tuamotu ;
3- Monsieur Tefau Alphan Y..., né le 5 novembre 1952 à Takaroa, de nationalité française, demeurant à Manihi – Tuamotu ;
ès qualité d'héritiers de Faura Y..., né le 29 mai 1919 à Manihi, décédé ;
Appelants par requête en date du 12 février 2002, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel de Papeete le 22 du même mois, sous le numéro de rôle 77/CIV/02, d'un jugement no 1360/99/RG du Tribunal Civil de première instance de Papeete – chambre des terres en date du 12 septembre 2001 ;
Représentés par Me CHANSIN-WONG, avocat à Papeete ;
d'une part ;
Et :
1- Monsieur Marama A... B..., né le 30 mars 1931 à Manihi, de nationalité française, demeurant à Manihi – Tuamotu ;
Représenté par Me ANTZ, avocat à Papeete ;
2- Madame C... D... Huri E... a F..., née le 5 décembre 1935 à Manihi, de nationalité française, demeurant à Manihi – Tuamotu ;
3- Monsieur Taipuni E... G... a F..., né le 28 octobre 1938 à Manihi, de nationalité française, demeruant à Manihi – Tuamotu ;
4- Les ayants droit de Teanau HURI G..., née le 23 novembre 1944 à Takapoto, décédée le 15 mars 2003 ;
Les numéros 2 à 4, représentés par Me LAMOURETTE, avocat à Papeete ;
5- Madame Elisabeth X... épouse H..., née le 29 décembre 1949 à Papeete, de nationalité française, horticulteur, demeurant à Mataiea PK 46 côté montagne, ... ;
Non comparante, assignée à sa personne le 11 mars 2002 et non représentée par un avocat ;
d'autre part ;
Après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 8 septembre 2005, devant M. GAUSSEN, Président de chambre, président, Mme TEHEIURA, conseillère assesseur et Mme PINET-URIOT, conseillère assesseur, assistés de Mme TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour.
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,
Le litige concerne la terre MARINO 1 située à Manihi, d'une superficie de 86 a 58 ca, cadastrée sous le no 50 de la section H2 et revendiquée par I... a TUIHANI.
Par jugement rendu le 12 septembre 2001, le tribunal de première instance de Papeete a rejeté la demande d'expulsion de cette terre formée par les consorts Y... à l'encontre des consorts F... et B....
Par requête enregistrée au greffe le 22 février 2002, Terii Y..., Alfred Y... et Tefau Y..., agissant en qualité d'héritiers de FAURA Y... ont relevé appel de cette décision afin d'en obtenir l'infirmation.
Ils demandent à la Cour de constater qu'ils sont les héritiers de I... MOEAVA-TUIHANI ; d'interdire aux consorts J... de troubler leur droit sur la terre MARINO 1 et de leur allouer la somme de 220 000 FCP, au titre des frais irrépétibles.
Ils font valoir que, par testament du 1er mai 1902, I... a TUIHANI alias a K... a légué tous ses biens à son mari Teahi KEHAURI et à ses filles adoptives désignées dans la déclaration de succession du 29 décembre 1904 comme étant Tohu a TUPAKAKE et Tukara a Temariki ; que Teahi KEHAURI a légué tous ses biens à Tohu Tepurotu TUPAKAKE ; que celle-ci, alias a K..., décédée le 13 mars 1934, a légué tous ses biens à L... a TEVE, son mari et à leurs « enfants nourriciers », Merepoti a Faraire et FAURA Tavi a FAURA « précédemment nommé Y... » ; que Hinagaroa K... TUIHANI, en léguant tous ses biens, a nécessairement, légué la terre MARINO 1 dont elle était propriétaire ; que le testament du 1er mai 1902 écrit en langue tahitienne a été traduit par un interprète judiciaire assermenté ; qu'il n'y figure pas le mot « moitié » résultant uniquement de la traduction libre d'une copie dont l'origine est inconnue et qui n'offre aucune garantie d'authenticité ; que le juge forain saisi par le Président du conseil de district en 1965 a conclu que I... K... a voulu léguer toutes ses terres ; que les consorts F... et autres n'établissent pas être successibles de I... K... et qu'en tout état de cause, leur faculté d'accepter la succession est prescrite ; qu'aucune cause de nullité du testament de 1934 n'est démontrée et que les consorts F..., qui ne sont pas les héritiers de Teporotu TUPAKAKE n'ont pas qualité pour contester la validité de l'acte ; que les consorts Y... ont toujours occupé paisiblement la terre MARINO 1 et que les consorts F... n'y ont jamais été présents.
C... D... E... a F..., Taipuni E... G... a F... et les ayants droit de Teanau HURI G... demandent à la Cour de dire que les consorts F... possèdent des droits indivis sur la terre MARINO ; de rejeter les prétentions des consorts Y... et de leur allouer la somme de 300 000 FCP, au titre des frais irrépétibles.
Ils soutiennent que le testament du 1er mai 1902 porte sur la moitié des biens de I... a K... ; que la terre MARINO n'est pas comprise dans ce testament ; que le registre des déclarations de mutation par décès tenu par le service de l'enregistrement ne mentionne pas la terre MARINO ; que Tohu a TUPAKAKE et Tukara a Temariki ne sont pas nommément désignées dans les testament et que leur qualité de filles adoptives de la testatrice doit être prouvée ; que les biens exclus du testament appartiennent aux frères et sœurs de I... a TUIHANI ; que HURI E... a Tefaito, père de Teanau HURI G... est l'enfant de Puatua TUIHANI, sœur de I... a TUIHANI et que les consorts F... justifient d'une possession plus que trentenaire de la terre MARINO.
Marama B... sollicite la confirmation du jugement attaqué et le paiement de la somme de 150 000 FCP, au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Il affirme que le jugement du 16 février 1994 qui a reconnu la validité du testament olographe du 13 mars 1934 n'a pas acquis l'autorité de la chose jugée à son égard ; qu'il ne fait pas état de la terre MARINO 1 ; que le testament du 13 mars 1934 n'est pas versé aux débats ; qu'en outre, il a été fait le 13 mars 1934 à Papeete alors que Tepurotu Tohu a K... alias a TUPAKAKE est décédée le même jour à 8 heures du matin ; que cette dernière, qui ne savait ni lire, ni écrire et qui était mourante, n'a pu le rédiger et qu'il est vraisemblablement un faux ; qu'il soulève l'exception de nullité du testament ainsi que celle de faux ; qu'enfin, le testament du 1er septembre 1940 établi par L... a TEVE au profit de FAURA Tavi Y... n'est pas produit.
Elisabeth X... épouse H..., régulièrement assigné à personne, n'a pas comparu.
La présente décision sera réputée contradictoire, en application des dispositions de l'article 335 du code de procédure civile de la Polynésie française.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2005.
MOTIFS DE LA DECISION,
I... a TUIHANI a, le 15 mai 1888, déclaré revendiquer la propriété exclusive de la terre MARINO partie située à Manihi.
Cette revendication inscrite au volume 46 no 194 a été publiée au Journal officiel du 7 juillet 1898 no 2519.
Le droit de propriété de I... a TUIHANI sur la terre MARINO 1 est confirmé par le procès-verbal de bornage no 174 établi le 8 janvier 1963.
Par ailleurs, les appelants versent aux débats un acte notarié du 29 août 1903 intitulé « dépôt du testament olographe de Madame I... a K... décédée le 15 novembre 1902 ».
Cet acte fait ressortir que :
- M. THURET, greffier des tribunaux de Papeete, agissant en vertu d'un ordonnance du président du tribunal, a déposé devant notaire le testament olographe écrit en langue tahitienne par I... a K... le 1er mai 1902 ;
- Teahi a KEHAURI, époux de I... a K..., a présenté au président du tribunal civil de première instance de Papeete, assisté de M. THURET et de M. M..., interprète assermenté en langue tahitienne, une enveloppe contenant le testament de son épouse et ne paraissant avoir subi aucune altération ;
- le testament a été traduit de la façon suivante : « je I... a K...…donne mes parcelles de terre sises à Manihi et à Ahe à mon mari légitime, Teahi, et à ses filles adoptives, ainsi que mes autres biens ».
Contrairement à ce que prétendent C... D... E... a F..., Taipuni E... G... a F... et les ayants droit de Teanau HURI G..., ce testament concerne la terre MARINO 1 puisqu'il concerne tous les biens de I... a TUIHANI alias a K....
Et les filles adoptives de cette dernière sont identifiées dans la déclaration de succession faite le 29 décembre 1904 par Teahi a KEHAURI comme étant Tohu a TUPAKAKE et Tukara a Temariki.
C... D... E... a F..., Taipuni E... G... a F... et les ayants droit de Teanau HURI G... fondent leur contestation de la traduction opérée par M. M... sur une traduction faite par un interprète non judiciairement désigné et sur la base d'une photocopie ne possédant pas de caractère probant.
Les arguments qu'ils invoquent ne sont donc pas de nature à faire douter du sérieux et de l'exactitude du travail effectué par M. M... dans un cadre judiciaire.
Et ils le sont d'autant moins que, répondant au président du conseil de district de Manihi, le juge forain a écrit, le 5 avril 1965 :
« …J'ai fait étudier le testament original et sa traduction par l'interprète assermenté.
Il apparaît que la dame H. K... a entendu léguer toutes les parts des terres dont elle était propriétaire à Ahe et Manihi ainsi que ses autres biens à son époux et à ses filles faaamu.
Ceci est, du reste, confirmé par le fait que les terres de I... ont été, après sa mort, récoltées uniquement par son mari Teahi puis par l'une de ses filles faaamu Tepurotu Tohu a TUPAKAKE et ensuite par le mari de celle-ci L... a TEVE et enfin par Timi Y.... »
Dans ces conditions, il est établi que I... a TUIHANI alias a K... a légué la totalité de ses terres à son époux et à ses filles adoptives et que ses frères et sœurs n'ont hérité d'aucun bien.
Les intimés, qui descendent de la famille collatérale de I... a TUIHANI alias a K... ne possèdent donc pas de droits indivis sur la terre MARINO 1.
Enfin, ils ne produisent aucun document démontrant une possession trentenaire conforme aux exigences de l'article 2229 du code civil.
Et la seule attestation dont se prévalent C... D... E... a F..., Taipuni E... G... a F... et les ayants droit de Teanau HURI G..., celle de Mata Uria, fait état d'une seule intervention sur la terre dont le caractère n'était pas paisible.
C... D... E... a F..., Taipuni E... G... a F..., les ayants droit de Teanau HURI G... et Marama B... ne possèdent donc aucun droit de propriété sur la terre MARINO 1.
Par testament du 15 août 1905, Teahi a KEHAURI, décédé le 20 octobre 1905, a légué ses biens à Tohu Tepurotu a TUPAKAKE.
Celle-ci, décédée le 13 mars 1934, a, par testament du 13 mars 1934, légué tous ses biens à son époux L... a TEVE et à ses enfants nourriciers.
La validité de ce testament ne saurait être contestée par Marama B..., qui n'a pas qualité pour le faire puisqu'il ne possède aucun droit sur la succession de I... a TUIHANI alias a K... et donc de Tohu Teporotu a TUPAKAKE.
En tout état de cause, aucun élément n'est susceptible de rendre critiquable cette validité qui, au contraire, a été reconnue dans un jugement rendu le 16 février 1994.
L'acte de notoriété du 1er juin 1978 démontre que FAURA Tavi a FAURA, dont les appelants sont les héritiers, est un des enfants nourriciers de Tohu Tepurotu a TUPAKAKE alias a K... épouse de L... a TEVE.
Il convient donc de constater que Terii Y..., Alfred Y... et Tefau Y... sont propriétaires indivis de la terre MARINO 1 et d'interdire aux intimés de troubler leur droit de propriété.
La décision attaquée doit, dans ces conditions, être infirmée en toutes ses dispositions.
Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants la totalité des frais exposés pour leur défense et non compris dans les dépens et il doit leur être alloué la somme de 220 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
Infirme le jugement rendu le 12 septembre 2001 par le tribunal de première instance de Papeete en toutes ses dispositions ;
Constate que C... D... E... a F..., Taipuni E... G... a F..., les ayants droit de Teanau HURI G... et Marama B... ne sont pas les héritiers de I... a TUIHANI alias a K... et qu'ils ne possèdent aucun droit de propriété sur la terre MARINO 1 ;
Constate que Terii Y..., Alfred Y... et Tefau Y... sont les héritiers de I... a TUIHANI alias a K... et qu'ils propriétaires indivis de la terre MARINO 1 ;
En conséquence, interdit à D... E... a F..., à Taipuni E... G... a F..., aux ayants droit de Teanau HURI G... et à Marama B... de troubler le droit de propriété de Terii Y..., Alfred Y... et Tefau Y... sur la terre MARINO 1 ;
Dit que D... E... a F..., Taipuni E... G... a F..., les ayants droit de Teanau HURI G... et Marama B... doivent verser à Terii Y..., Alfred Y... et Tefau Y... la somme de deux cent vingt mille (220.000) francs pacifiques, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Dit que D... E... a F..., Taipuni E... G... a F..., les ayants droit de Teanau HURI G... et Marama B... supporteront les dépens de première instance et d'appel.
Prononcé à Papeete le 17 Novembre 2005.
Le Greffier, Le Président,
M. TEVERO P. GAUSSEN