N° de minute : 2024/140
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 22 Juillet 2024
Chambre Civile
N° RG 23/00098 - N° Portalis DBWF-V-B7H-TZG
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Mars 2023 par le Tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :22/2834)
Saisine de la cour : 23 Mars 2023
APPELANT
Mme [K] [Y]
née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 4],
demeurant Chez M. [E] [I] - [Adresse 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/0000786 du 26/06/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représentée par Me Audrey NOYON de la SELARL A.NOYON AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
S.A.S. FONDS CALEDONIEN DE L'HABITAT (FCH),
Siège social : [Adresse 3]
Représentée par Me Philippe REUTER de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH.
22/07/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me NOYON ;
Expéditions - Me REUTER ;
- Copie CA ; Copie TPI
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Par jugement du tribunal de première instance de Nouméa en date du 23 mai 2022, notifié le 22 juillet 2022, à sa personne,Mme [K] [Y] a été condamnée à payer à la société Fonds calédonien de l'habitat la somme de 411 470 francs pacifique au titre des loyers impayés et des réparations locatives, outre les dépens.
Sur la base de cette décision, suivant acte du 5 octobre 2022, remis au greffe le 20 octobre 2022, la société Fonds calédonien de l'habitat a fait citer Mme [K] [Y] devant le tribunal de première instance de Nouméa afin d'obtenir sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la validation de la saisie-arrêt pratiquée le 30 septembre 2022 entre les mains de la Banque de Nouvelle-Calédonie, ( dite BNC) ainsi que l'autorisation de se faire payer, sur les fonds détenus pour le compte de la défenderesse sa créance en principal, frais et intérêts, outre une indemnité de 100 000 francs pacifique au titre des frais irrépétibles et les dépens.
Le 21 octobre 2022, Mme [K] [Y] a déposé un dossier de surendettement devant la commission de surendettement des particuliers de la Nouvelle Calédonie, qui a été déclaré recevable le 30 novembre 2022.
Le 03 mars 2022, la commission a décidé d'orienter le dossier vers une procédure de redressement personnel sans liquidation, avec l'effacement des dettes de Mme [Y], et le tribunal statuant sur le recours formé par le Fonds calédonien de l'habitat a entériné cette décision, dans son jugement rendu le 29 août 2023 , aujourd'hui définitif.
Par jugement frappé d'appel en date du 06 mars 2023, le tribunal de première instance de Nouméa a :
- constaté que la procédure de surendettement est sans impact sur la procédure de saisie-arrêt diligentée
-débouté la société Fonds calédonien de l'habitat de sa demande de dommages-intérêts au titre du caractère abusif de la procédure de saisie arrêt diligentée
- validé la saisie arrêt pratiquée le 30 septembe 2022 entre les mains de la BNC pour la somme de 469 895 francs pacifique (quatre-centsoixante-neuf mille huit cent quatre-vingt-quinze francs pacifique ) en principal, intérêts et frais,
-dit que les sommes dont le tiers-saisi se sera reconnu ou se reconnaîtra débiteur à l'égard de Mme [K] [Y] seront versées à la société Fonds calédonien de l'habitat en déduction ou jusqu'à concurrence du montant de sa créance en principal, intérêts et frais,
-dit que, par ce versement, le tiers-saisi sera valablement libéré d'autant à l'égard du saisi,
-débouté la société Fonds calédonien de l'habitat de sa demande au titre des frais irrépétibles,
-condamné Mme [K] [Y] aux dépens de l'instance qui comprendront les frais de signification du jugement intervenu,
-ordonné l'exécution provisoire de la décision.
PROCÉDURE D'APPEL
Mme [K] [Y] a relevé appel de ce jugement par requête déposée au greffe de la cour le 23 mars 2023.
Dans son mémoire ampliatif d'appel notifié par voie électronique le 06 juillet 2023, valant conclusions, auquel il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Mme [Y] demande à la cour de :
-déclarer son appel recevable et bien fondé ;
-infirmer le jugement n°23/53 du 06 mars 2023 (RG 22/02834) en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il a débouté la société Fonds calédonien de l'habitat de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
Statuer à nouveau ;
- débouter la société Fonds calédonien de l'habitat de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions aux fins de validation de la saisie, pour cause d'effacement de la dette;
En tout état de cause, débouter la société Fonds calédonien de l'habitat de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions aux fins de validation de la saisie,
-déclarer la saisie-arrêt disproportionnée et abusive ;
-ordonner le cas échéant la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée par la société Fonds calédonien de l'habitat entre les mains des établissements bancaires de [Localité 5], en l'espèce la BNC
-condamner la société Fonds calédonien de l'habitat à payer à Mme [Y] la somme de 100 000 francs pacifique en réparation de son préjudice moral consécutif à l'abus de saisie
-condamner la société Fonds calédonien de l'habitat à payer la somme de 200 000 francs pacifique à Maître Audrey Noyon au titre de l'article 24-1 de la délibération n°482 du 13 juillet 1994 réformant l'aide judiciaire ;
A défaut, fixer le nombre d'unités de valeurs (entre 4 et 6) revenant à l'avocat intervenant au titre de l'aide judiciaire, Me Audrey Noyon ;
-condamner la société Fonds calédonien de l'habitat aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 13 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Fonds calédonien de l'habitat demande à la cour de :
-confirmer le jugement RG 23/00098 rendu le 06 mars 2023 par le tribunal de première instance de Nouméa
-déclarer bonne et valable la saisie arrêt pratiquée
- débouter Mme [Y] de ses demandes, fins et conclusions
-débouter Mme [Y] de sa demande tendant à la condamnation de la société Fonds calédonien de l'habitat au paiement de la somme de 200 000 francs pacifique à Me Noyon au titre de l'article 24 -1 de la Délibération n° 482 du 13 juillet 1994
- fixer le nombre d'unités de valeurs revenant à l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle
La clôture de l'instruction est intervenue le 13 février 2024 par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état, et l'affaire, a été fixée à l'audience du 13 mai 2024 à 9 heures.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour est saisie du seul appel de la débitrice qui conteste la décision rendue par le tribunal le 06 mars 2023 ayant validé la créance et la procédure de saisie arrêt alors qu'elle faisait l'objet d'une procédure de surendettement qui s'est soldée par un jugement rendu le 29 août 2023, ayant prononcé son rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Elle réitère par ailleurs sa demande en dommages intérêts pour saisie abusive.
La société Fonds calédonien de l'habitat sollicite la confirmation du jugement ayant validé la mesure d'exécution
I Sur la validité de la saisie arrêt pratiquée.
Le tribunal a validé la saisie arrêt pratiquée le 30 septembre 2022, sur les comptes bancaires ouverts au nom de Mme [Y] dans les livres de la BNC, sur la requête de la société Fonds calédonien de l'habitat à hauteur de 469 895 francs pacifique, en principal, (411 740 francs pacifique), intérêts (1455 francs pacifique) et frais (total) en vertu du jugement de condamnation définitif prononcé à son encontre le 23 mai 2022. Le premier juge a en effet considéré que la procédure de surendettement n'avait aucun impact sur la procédure d'exécution dans la mesure où la saisie arrêt a été pratiquée le 30 septembre 2022, quelques semaines avant le dépôt du dossier de surendettement auprès de la commission (21 octobre 2022) et deux mois avant la décision de recevabilité ( 30 novembre 2022 ) .
Mme [K] [Y] fait valoir que la procédure de traitement s'est poursuivie parallèlement à la présente instance pour aboutir au jugement rendu par le tribunal de première instance de Nouméa le 29 août 2023 qui, en dépit du recours formé par la société Fonds calédonien de l'habitat, a constaté qu'elle était débitrice de bonne foi, dans une situation irrémédiablement compromise, et prononcé son rétablissement personnel impliquant un effacement de toutes ses dettes non professionnelles existantes, au jour du prononcé de ce jugement.
La société Fonds calédonien de l'habitat fait valoir que la régularité de la saisie- arrêt pratiquée le 30 septembre 2022 ne saurait être remise en question par la procédure de surendettement des lors que les poursuites étaient fondées sur le jugement désormais définitif du 23 mai 2022.
La cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article L 331-3-1 du code de la consommation applicable en Nouvelle Calédonie, la décision de recevabilité de la demande de traitement du surendettement, entraine de plein droit la suspension des procédures d'exécution diligentées sur les biens du débiteur, à l'exception des poursuites ayant pour fondement les dettes alimentaires pour une durée maximum d'un an. Il en découle que la décision de recevabilité prise par la commission de surendettement le 30 novembre 2022 a suspendu les effets de la saisie-arrêt pratiquée le 30 septembre 2022, jusqu'à la date du 23 août 2023, date à laquelle le jugement aujourd'hui définitif du tribunal de première instance a prononcé le rétablissement personnel de la débitrice sans liquidation judiciaire, impliquant l'effacement de l'ensemble de ses dettes non professionnelles, dont la dette envers le Fonds calédonien de l'habitat, conformément aux dispositions de l'article L 332-5 du code de la consommation.
Dans ces conditions force est de constater que l'effacement de la créance du fonds calédonien de l'habitat prive définitivement la saisie arrêt pratiquée le 30 septembre 2022 de tout objet.
Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef et sa main levée sera ordonnée.
II Sur la demande en dommages- intérêts.
Le tribunal a rejeté la demande en dommages-intérêts de Mme [Y] en considérant qu'elle n'apportait pas la preuve du caractère abusif de la saisie, en écartant le moyen tiré de la disproportion entre le montant des sommes saisies et celui des frais d'huissier exposés pour pour la mise en oeuvre de cette mesure d'exécution forcée.Mme [Y] réitère cette demande devant la cour, quand bien même le Fonds calédonien serait débouté en raison de l'effacement de la dette, en rappelant que la saisie a été brutale en ce sens qu'elle n'a jamais cessé d'être en contact avec le créancier, jusqu' à la fin du mois de septembre 2022, en produisant au Fonds calédonien de l'habitat tous les justificatifs de sa situation et plus particulièrement l'attestation de pointage témoignant de ses recherches actives d'emploi. Elle ajoute ne pas comprendre la mesure d'exécution qui ne fait qu'aggraver sa situation ce d'autant que les frais occasionnés par la saisie (145 296 francs pacifique de frais d'huissier et 18 300 francs pacifique de frais bancaires) sont selon elle supérieurs au montant des fonds disponibles sur son compte bancaire créditeur de 123501 francs pacifique.
Le fonds calédonien de l'habitat souligne l'ancienneté de la dette, qui remonte au mois de décembre 2018, et le caractère aléatoire des versements effectués par la débitrice qui était pourtant en mesure de supporter cette charge de 5 000 francs pacifique par mois, compte tenu de sa situation personnelle, puisqu'elle est hébergée à titre gratuit par son fils, et occupait un emploi d'auxiliaire de vie au moment de l'introduction de d'action en paiement. Le Fonds expose par ailleurs, n'avoir commis aucune faute dans la mise en 'uvre de la saisie-arrêt critiquée qui a été initiée avant le dépôt de la demande devant la commission de surendettement. Enfin il souligne le fait que les comptes bancaires de la débitrice font ressortir un solde créditeur de 135 195 francs pacifique, qui couvre le tiers du montant de la créance, ce qui prouve son utilité.
La cour rappelle que chaque créancier a le libre choix des mesures d'exécution propres à assurer le recouvrement de ses droits. Ce principe ne cède, pour engager la responsabilité civile de son titulaire sur le fondement de l'article 1383 du code civil que dans les cas d'abus générateur d'un préjudice pour le débiteur. Au cas d'espèce, la cour retient qu'en l'état de l'effacement des dettes et de la main levée de la procédure d'exécution qui s'impose, Mme [Y], bénéficiaire de l'aide judiciaire, ne justifie d'aucun préjudice particulier. Il convient en conséquence de confirmer la décision du tribunal de ce chef.
III Sur la demande fondée sur l'article 24 -1 de la délibération n° 482 du 13 juillet 1994 réformant l'aide judiciaire.
Selon l'article 24 -1 de la délibération 482 du 13 juillet 1994, les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de la Nouvelle-Calédonie et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre.
Le second alinéa de ce texte prévoit que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, non bénéficiaire de l'aide judiciaire, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide judiciaire, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de la Nouvelle-Calédonie, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Cependant le juge teint compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.
La cour, relève qu'au regard de la vocation sociale du Fonds calédonien de l'habitat, il serait inéquitable de faire application de ce texte en faveur du conseil de Mme [Y].
IV Sur les dépens.
Compte tenu de la nature du litige, les dépens resteront à la charge de Mme [Y], et seront recouvrés comme en matière d'aide judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Infirme le jugement rendu par le tribunal de prémière instance de Nouméa,
en ce qu'il a validé la saisie-arrêt pratiquée le 30 septembre 2022 entre les mains de la banque de Nouvelle Calédonie pour la somme de 469 895 francs pacifique en principal, intérêts et frais, dit que les sommes dont le tiers saisi se sera reconnu débiteur ou se reconnaître débiteur à l'égard de Mme [K] [Y] seront versées au Fonds Calédonien de l'habitat ou jusqu'à concurrence du montant de sa créance, en principal intérêts et frais, et dit que par ce versement , le tiers saisi sera valablement libéré à l'égard du saisi
Et, statuant à nouveau,
- Vu le jugement rendu le 29 août 2023 par le tribunal de première instance, statuant en matière de surendettement, ayant prononcé le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire de Mme [K] [Y] et rappelant que le rétablissement personnel prononcé par le juge ou rendu exécutoire entraine l'effacement de toutes les dettes non professionnelles ,
Statuant à nouveau,
- Dit n'y avoir lieu à validation de la saisie-arrêt pratiquée le 30 septembre 2022 entre les mains de la banque de Nouvelle Calédonie pour la somme de 469 895 francs pacifique en principal, intérêts et frais
-En ordonne la main levée
-Y ajoutant,
- Déboute Mme [K] [Y] de sa demande en dommages intérêts fondée sur le caractère abusif de la saisie-arrêt pratiquée le 30 septembre 2022
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 24-1 de la délibération n° 482 du 13 juillet 1994
- Condamne Mme [K] [Y] aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés comme en matière d'aide judiciaire
- Fixe à quatre le nombre des unités de valeur revenant à Maître Audrey Noyon au titre de l'aide judiciaire.
Le greffier, Le président.