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24/06/2024 | FRANCE | N°22/00088

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 24 juin 2024, 22/00088


N° de minute : 2024/45





COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 24 juin 2024



Chambre commerciale









N° RG 22/00088 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TMV



Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 6 octobre 2022 par le juge-commissaire du tribunal mixte de commerce de Nouméa (RG n° 22/1124)



Saisine de la cour : 12 octobre 2022



APPELANT



S.E.L.A.R.L. MARY LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur de M. [D] [S]

Siège social :

[Adresse 1]

Représentée par Me Lionel CHEVALIER, membre de la SELARL CHEVALIER AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA



INTIMÉS



M. [D] [S]

demeurant [Adresse 4]



SAEM BANQUE CALEDONI...

N° de minute : 2024/45

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 24 juin 2024

Chambre commerciale

N° RG 22/00088 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TMV

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 6 octobre 2022 par le juge-commissaire du tribunal mixte de commerce de Nouméa (RG n° 22/1124)

Saisine de la cour : 12 octobre 2022

APPELANT

S.E.L.A.R.L. MARY LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur de M. [D] [S]

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Lionel CHEVALIER, membre de la SELARL CHEVALIER AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. [D] [S]

demeurant [Adresse 4]

SAEM BANQUE CALEDONIENNE D'INVESTISSEMENT

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Anne-Laure VERKEYN, membre de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 avril 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

24/06/2024 : Copie revêtue de la forme exécutoire : - Me CHEVALIER ;

Expéditions : - Me VERKEYN; M. [S] (LR/AR) ;

- Copie CA ; Copie TMC

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

ARRÊT :

- rendu par défaut,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Suivant acte notarié des 1er et 8 décembre 2010, la BANQUE CALEDONIENNE D'INVESTISSEMENT (BCI) a consenti à Mme [T] un prêt d'un montant de 8 600 000 Fcfp destiné à l'acquisition d'un bien immobilier servant de futur domicile conjugal aux époux [S] / [T], mariés sous le régime de la communauté depuis le [Date mariage 2] 2010, ce qui n'apparaît pas dans l'acte notarié, l'emprunteur étant qualifié de célibataire.

Selon jugement du 7 décembre 2020, M. [S] a été placé en liquidation judiciaire et la Selarl GASTAUD étant nommée en qualité de mandataire liquidateur.

Le 20 janvier 2021,la BCI a déclaré une créance d'un montant de 4 576 238 Fcfp à titre privilégié, la banque faisant état d'une hypothèque conventionnelle.

Par courrier du 3 janvier 2022, le mandataire liquidateur a contesté le caractère hypothécaire de la créance au motif que l'état d'hypothécaire au nom de M. [S] ne faisait paraître l'inscription d'aucun privilège.

La créancière a maintenu sa déclaration.

Par ordonnance en date du 6 octobre 2022, le juge-commissaire a admis la créance de la BCI à titre privilégié. Pour se déterminer ainsi, il a considéré que l'inscription hypothécaire prise par la BCI sur le bien acquis par Mme [T], épouse de M. [S] avec lequel elle s'était mariée le [Date mariage 2] 2010, valait pour l'époux commun en biens puisque l'immeuble concerné faisait partie de la communauté, et ce, bien que l'acte notarié d'acquisition mentionnait à tort que Mme [T] était célibataire, raison pour laquelle la créancière n'avait pu requérir une inscription d'hypothèque au nom de M. [S].

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 12 octobre 2022, la Selarl GASTAUD a fait appel de la décision rendue et demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 27 décembre 2022 et ses dernières écritures du 14 septembre 2023 (récapitulatives n° 2) d'infirmer la décision et, statuant à nouveau, d'admettre la créance de la BCI à titre chirographaire et condamner la BCI à lui payer, ès qualités, la somme de 420 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que Mme [T] n'avait pas la capacité de consentir seule à l'hypothèque conventionnelle dès lors qu'aux termes de l'article 1424 du code civil, « les époux ne peuvent l'un sans l'autre aliéner ou grever de droits réels les immeubles » et qu'aux termes de l'article 2413 du code civil, « les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent. »

Elle soutient qu'au vu de ces deux textes, l'hypothèque conventionnelle est interdite à l'initiative individuelle d'un seul époux ; que Mme [T] n'avait pas la capacité d'y consentir.

Par ailleurs, elle soutient que la banque qui n'avait pas soutenu bénéficier du privilège du prêteur de deniers devant le juge-commissaire, est irrecevable à s'en prévaloir en appel ; qu'il lui appartenait de préciser la nature de sa sûreté dans la déclaration de créance ; qu'au surplus, n'ayant pas fait inscrire le privilège, elle ne peut en bénéficier. Sur le fond, elle estime que la mise en 'uvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement du conjoint dès lors que le couple est marié sous le régime de la communauté de sorte que la banque ne peut exercer ses droits de poursuite sur le bien, vidant de tout intérêt le droit de rang privilégié et le droit de préférence attachés à la dite sûreté.

La BCI, dans ses dernières écritures récapitulatives n°2, conclut à la confirmation de la décision et sollicite condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 400 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle cumule deux garanties : l'hypothèque conventionnelle consentie par l'emprunteur et le privilège spécial du prêteur de denier. Elle soutient concernant la seconde sûreté que le créancier, titulaire d'un privilège de prêteur de deniers constitué de plein droit et par le seul effet de la loi sur le bien qu'il a financé, peut saisir le bien ainsi grevé même s'il est entré en communauté et si l'emprunt a été souscrit par un seul des époux sans le consentement de son conjoint ; que ce privilège ne nécessite pas l'accord de l'emprunteur de sorte qu'il importe peu que M. [S] n'y ait pas consenti ; que le caractère privilégié de la créance est consacré sans autre condition sauf à ajouter une condition non posée par la loi ; qu'au stade de la déclaration, le problème n'est pas la mise en oeuvre de ce privilège mais seulement de qualifier la nature de la créance de sorte que le débat instauré par le mandataire liquidateur n'est pas d'actualité.

Vu l'ordonnance de clôture

Vu l'ordonnance de fixation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les parties tiennent pour acquis qu'en cours d'union, l'épouse a acquis pour le compte de la communauté, un bien immobilier entièrement financé au moyen d'un prêt qu'elle a seule souscrit après le mariage et qui est donc remboursé au moyen de deniers communs. Nonobstant l'absence de production aux débats de l'acte de mariage faisant mention de la date de celui-ci et du régime matrimonial des époux, la cour retiendra en l'absence de litige sur ce point que l'immeuble est un bien commun et que les deniers provenant de sa vente postérieurement à la mise en liquidation judiciaire de l'époux sont entrés en communauté.

Sur l'hypothèque conventionnelle

Il résulte de l'article 2413 du code civil que les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent.

L'article 1424 du code civil dispose pour sa part :

« Les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité. »

En l'espèce, le bien faisant partie de la communauté légale constituée entre les époux, Mme [T] n'avait pas la capacité de vendre seule ou de grever seule l'immeuble commun de sorte que l'hypothèque consentie par l'épouse seule est sans effet. Il s'en suit qu'à ce titre la BCI n'est pas fondée à se prévaloir d'une créance hypothécaire.

Sur le privilège de prêteur de deniers

Quand bien même, la BCI n'a pas fait valoir devant le premier juge, qu'elle bénéficiait de ce privilège, elle reste bien fondée à s'en prévaloir en appel, en application de l'article 564 du code de procédure civile locale.

De même, si le créancier doit préciser dans la déclaration de créance la nature du privilège ou de la sûreté dont il bénéficie, la Cour de cassation est assez souple à cet égard lorsque le privilège du prêteur vient en complément d'une hypothèque conventionnelle.

Sur le fond, la cour se trouve saisie de la question de savoir si le privilège spécial du prêteur de deniers qui se trouve investi de plein droit et par le seul effet de la loi de la sûreté, autorise le titulaire de cette créance privilégiée à saisir le bien grevé même si l'emprunt a été souscrit sans le consentement du conjoint de l'emprunteur.

Aux termes de l'article 2347-1° du code civil, les créanciers privilégiés sur les immeubles sont : 1° Le vendeur, sur l'immeuble vendu, pour le paiement du prix.

Ce privilège immobilier spécial confère à son titulaire les mêmes prérogatives que l'hypothèque : le droit de préférence et le droit de suite. Comme les hypothèques, il doit être inscrit pour pouvoir être opposé aux tiers.

En l'espèce, si l'acte de prêt souscrit par Mme [T], seule, sous le régime de la communauté est valable, la mise en 'uvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l'emprunt. ( 1re Civ., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-15.072). Il s'en suit que quand bien même la BCI bénéficierait du privilège de l'article 2373-2° du code civil, celui-ci ne lui permettrait pas de voir son droit de préférence reconnu en cas de vente du bien, comme c'est le cas en l'espèce.

Mais surtout, il appert que la BCI ne peut se prévaloir de cette sûreté faute d'avoir fait inscrire son privilège conformément à l'article 2379 du code civil local, comme en témoigne l'état des inscriptions délivré par le service de la publicité au nom de Mme [T], versé au débat par la Selarl GASTAUD, la BCI ne produisant pour sa part aucun relevé hypothécaire.

N'ayant pas fait inscrire le privilège spécial du prêteur de deniers, la BCI n'est pas fondée à se prévaloir d'une créance privilégiée. La décision du juge-commissaire sera infirmée.

Il sera enfin rappelé que selon la jurisprudence constante en la matière, le mandataire liquidateur est bien fondé à se voir remettre l'intégralité du prix de vente de l'immeuble ayant appartenu à des époux communs en bien dont l'un, comme c'est le cas en l'espèce, est placé en liquidation judiciaire dès lors que tous les biens communs sont inclus dans l'actif de la procédure collective et sont administrés par le liquidation judiciaire.

Sur l'article 700

Il n'est pas inéquitable de débouter la Selarl GASTAUD de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

La BCI succombant supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme la décision en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Dit que la créance de la Banque Calédonienne d'Investissement ne peut être admise qu'à titre chirographaire pour un montant de 4 526 238 Fcfp,

Ecarte l'application de l'article 700 en cause d'appel,

Condamne la Banque Calédonienne d'Investissement aux dépens de l'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/00088
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.00088 ?
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