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30/05/2024 | FRANCE | N°23/00015

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 30 mai 2024, 23/00015


N° de minute : 2024/17



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 30 Mai 2024



Chambre sociale







N° RG 23/00015 - N° Portalis DBWF-V-B7H-TY5



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Février 2023 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :21/74)



Saisine de la cour : 21 Mars 2023



APPELANT



S.A.R.L. PACIFIC CARE, prise en la personne de ses représentants légaux

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Noémie KOZLOWSKI, avocat a

u barreau de NOUMEA



INTIMÉ



Mme [L] [CC]

née le 11 Mars 1986 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat...

N° de minute : 2024/17

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 Mai 2024

Chambre sociale

N° RG 23/00015 - N° Portalis DBWF-V-B7H-TY5

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Février 2023 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :21/74)

Saisine de la cour : 21 Mars 2023

APPELANT

S.A.R.L. PACIFIC CARE, prise en la personne de ses représentants légaux

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Noémie KOZLOWSKI, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme [L] [CC]

née le 11 Mars 1986 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. [P] [Z].

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

30/05/2024 : Copie revêtue de la forme exécutoire : - Me [J] ;

Expéditions : - Me KOZLOWSKI ; SARL PACIFIC CARE, Mme [CC] (LR/AR)

- Copie CA ; Copie TT

ARRÊT

contradictoire,

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 16 mai 2024 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 30 mai 2024 , les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE

DE PREMIÈRE INSTANCE

Par contrat à durée indéterminée date du 1er avril 2019, Mme [L] [CC] a été embauchée par la Société PACIFIC CARE en qualité de technicienne respiratoire, employé niveau 4, échelon 1, moyennant un salaire mensuel brut de 265 000 F CFP pour 169 heures mensuelles (convention collective commerce) (pièce n° 3 req).

La société PACIFIC CARE a pour objet social, l'installation, la location, l'assistance et le maintien de tout appareil respiratoire portatif pour le traitement des personnes atteintes d'apnée du sommeil et/ou de difficultés respiratoires. La société peut exercer son activité au domicile du patient, en son siège social ou dans tout. autre établissement en ce compris à l'hôpital.

La société PACIFIC CARE qui cornprenait initialement trois gérants, M. [X] [Y], Mme [N] [B] et M. [GG] [O], n'en comporte aujourd'hui plus que deux, M. [X] [Y] et Mme [N] [B].

Mme [CC] a été victime d'un accident de travail le 29 décembre 2019 (lumbago), alors qu'elle manipulait une bouteille d'oxygène de 4 m3 .

Un arrêt de travail pour accident du travail lui a été délivré du 29 décembre 2019 au 3 janvier 2020 inclus (pièce n° 36 req).

Une déclaration d'accident de travail a été rédigée par l'employeur le lendemain et l'accident pris en charge au titre des accidents professionnels par la CAFAT.

L'arrêt de travail a été prolongé jusqu'au 29 septembre 2020 (pièces n°26 req n°15, 23, 26, 29, 30 def).

Le 5 mars 2020, la CAFAT a refusé de prendre en charge le syndrôme dépressif de Mme [CC] au titre de I'accident du travail déclaré par le médecin le 6 février 2020 (pièce n°29 req).

Par courrier du 5 juillet 2020 de son conseil, Mme [CC] a déposé plainte contre X pouvant être Mme [B], gérante de la SARL PACIFIC CARE et la SARL PACIFIC CARE, s'estimant victime de harcèlement moral (pièce req. n° 6).

.

Au cours de l'enquête, trois autres salariés (MM. [UM],[V] et [R]) déclaraient être victimes des mêmes faits.

Le 21 septembre 2020, le médecin du service médical inter-entreprises du travail (SMIT) a déclaré Mme [CC] inapte définitivement à son poste et apte à un poste administratif ou sans port de charges lourdes supérieur à 15 kgs (pièce n°30 req).

Le 30 septembre 2020, le médecin du travail a confirmé la décision d'inaptitude définitive en précisant que : "l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans I'entreprise" (pièce n°31 req).

Le même jour, le médecin traitant de Mme [CC] a déclaré son état de santé consolidé.

Suite à une convocation à un entretien préalable fixé au 22 octobre 2020 auquel la salariée ne s'est pas présentée, I'employeur a licencié Mme [CC] pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement, par courrier du 28 octobre 2020 adressé en recommandé avec accusé de réception (pièce n°33 req).

Le 5 novembre 2020, Mme [CC] a été destinataire de son solde de tout compte et d'un certificat de travail (pièce s N°34 et 35 req).

Son état a été consolidé selon la CAFAT le 29 décembre 2020.

Un taux d'incapacité permanente de 7% à la date de consolidation avec une rente annuelle de 103 272 F CFP a été accordé par la CAFAT qui reconnaissant que "Mme [CC] souffrait de lombosciatalgie résiduelle dans Ies suites d'un port de charge sans anomalie discale scanographique."

***

' Mme [CC], par requête enregistrée le 16 avril 2021, complétée par conclusions responsives, a fait convoquer devant le tribunal du travail de Nouméa la Société SARL PACIFIC CARE et la CAFAT essentiellement aux fins de constater la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de son accident de travail, son harcèlement moral, de surseoir à statuer sur ses préjudices, d'ordonner une expertise la concernant, de condamner l'employeur à une somme provisionnelle de 5 000 000 F CFP et de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en condamnant son employeur à diverses indemnités.

' La CAFAT, en I'état de ses dernières écritures, a rappelé qu'elle avait reconnu l'accident de travail de Mme [CC] qui s'était traduit par une Iombo-sciatique bilatérale et qu'elle ne s'opposait pas à I'expertise sollicitée.

' La société PACIFIC CARE a conclu au débouté des différentes demandes formées par Mme [CC].

' Par jugement du 21 février 2023, le tribunal du travail de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :

DIT que Mme [L] [CC] a été victime d'un accident du travail le 29 décembre 2019 dû à la faute inexcusable de la Société SARL PACIFIC CARE, son employeur ;

DIT que la majoration de Ia rente doit être fixée au maximum ;

RENVOIE la CAFAT à procéder conformément aux dispositions de l'article 34 et suivants du décret n°57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents et des maladies professionnelles ;

ORDONNE sur Ies conséquences de l'accident du 29 décembre 2019 lui ayant causé une lomboscialgie, l'expertise médicale de Mme [L] [CC] et à cet effet commet Ie Docteur [ZN] [S] (...) ;

DIT que Mme [L] [CC] a fait I'objet de harcèlement moral ;

Sur le caractère professionnel du syndrôme dépressif constaté par Ie médecin le 6 février 2020 :

SURSOIT à statuer sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable quant à la cause de la dépression dans I'attente des conclusions de l'expertise et sur l'indemnisation d'un éventuel préjudice distinct de celui indemnisé au titre du préjudice moral ;

DEBOUTE Mme [L] [CC] de sa demande de provision à valoir sur son préjudice corporel définitif ;

DIT que le licenciement de Mme [L] [CC] pour inaptitude définitive est dépourvu d'une cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la Société PACIFIC CARE à lui payer Ies sommes suivantes :

* 1 580 000 F CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 2 500 000 F CFP à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral ;

* 282 242 F CFP à titre de dommages-intérêts pour non paiement des primes de fin d'année ;

DEBOUTE Ia requérante du surplus de ses demandes ;

DIT que ces sommes produiront des intérêts au taux légal à compter de la requête s'agissant des créances salariales et à compter de la décision, s'agissant des créances indemnitaires ;

FIXE à 315 860 F CFP la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de plein droit sur Ies créances salariales dans la limite des dispositions de l'article 886-2 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

ORDONNE I'exécution provisoire à concurrence de 50% des sommes allouées au titre des dommages-intérêts compte-tenu de Ia nature de la demande et l'anciennété du litige ;

Dans l'attente du dépôt des rapports des expertises médicales,

ORDONNE la radiation de l'affaire du rôle ;

DIT qu'il appartiendra à Mme [L] [CC] de saisir Ie tribunal pour ses demandes éventuelles suite aux rapports d'expertise médicale ;

DEBOUTE Ies parties du surplus de Ieurs demandes ;

CONDAMNE la Société PACIFIC CARE à payer à Mme [L] [CC] la somme de 180 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la Société PACIFIC CARE aux dépens.

PROCÉDURE D'APPEL

I- La SARL PACIFIC CARE, par requête enregistrée au greffe le 21 mars 2023, a interjeté appel de la décision.

Par son mémoire ampliatif d'appel enregistré le 22 juin 2023, l'employeur fait valoir, pour l'essentiel :

- qu'en matière de faute inexcusable, la preuve repose sur le seul salarié qui doit établir une défaillance de l'employeur à ses obligations en matière de préservation de la santé et de la sécurité au travail, aucune présomption d'imputabilité ne profitant au salarié ; que la victime doit apporter la preuve du manquement de l'employeur à une obligation de sécurité et du lien avec sa pathologie ;

- que Mme [CC] n'hésite pas à entretenir une confusion injuste sur l'origine de la faute inexcusable qui reposerait sur l'accident du travail du 29 décembre 2019 mais dont la cause serait issue d'une situation de harcèlement moral ;

- que Mme [CC] fait ainsi valoir que l'employeur aurait manqué à ses obligations en matière de sécurité se fondant sur le non-respect des dispositions des articles Lp. 261-3 et R.261-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

- que contrairement à ce que laisse abusivement entendre la salariée, cette évaluation individuelle a bien été opérée, et ce avant la survenue de l'accident du travail du 29 décembre 2019, ainsi qu'en atteste la fiche de risques professionnels qui a été remplie et signée par Mme [CC] le 30 mai 2019, soit après la confirmation de la salariée dans son emploi et après l'expiration de la période d'essai renouvelée, d'accord parties, le 30 avril 2019 ; que le technicien qui a assuré cette formation individuelle de 4 semaines a pu en attester ; que s'agissant plus précisément du port de charges, Mme [CC] a expressément indiqué sur cette fiche des risques que le port de charges de 10 à 25 kgs existait mais n'était qu'occasionnel et limité et qu'elle ne peut aujourd'hui soutenir que de tels ports étaient quotidiens ; qu'en outre, le port de charges n'était nullement l'activité principale et quotidienne de la salariée dont les missions étaient bien plus larges et consistaient principalement à assurer le suivi des patients généralement déjà équipés du matériel ; qu'enfin, Mme [CC] a toujours bénéficié de matériel de levage qui était à sa disposition pour les bouteilles d'oxygène le jour de l'accident du 29 décembre 2019, ainsi que l'a confirmé M. [F], directeur salarié de la Société qui est intervenu personnellement sur les lieux, témoignage corroboré par des éléments objectifs (pièces 20 à 22 appelant principal) ; qu'en tout état de cause, Mme [CC] n'aurait jamais dû prendre l'initiative de porter seule et manuellement la bouteille d'oxygène ; que la société ne saurait ainsi sérieusement être accusée d'avoir manqué à son obligation de 'conscience du danger' ou d'avoir défailli dans le cadre de son obligation de sécurité et de santé au travail et ce alors que la cause de l'accident repose exclusivement sur la salariée elle-même qui a irrégulièrement omis d'emprunter le matériel de sécurité adapté à la réalisation de la prestation de son travail ; que la Société a ainsi régulièrement rempli ses obligations en matière de sécurité au travail et de formation ;

- que la juridiction d'appel devra tenir compte de ces éléments qui démontrent indiscutablement l'intérêt sérieux de la direction pour la santé et la sécurité de son personnel ;

- que la salariée qui supporte pourtant l'intégralité de la charge de la preuve, n'apporte pas d'éléments suffisants pour caractériser une quelconque défaillance de l'employeur en matière d'obligation de santé et de sécurité et dont le lien de causalité serait par ailleurs établi avec l'accident du 29 décembre 2019 ;

- que si l'accident survenu le 29 décembre 2019 est bien un accident du travail en ce qu'il est survenu au temps et au lieu de travail, l'employeur ne saurait en être responsable, encore moins au titre d'une faute inexcusable, aucune défaillance de l'employeur n'étant à l'origine de cet accident ;

- que le harcèlement moral qu'on impute à l'employeur qui reposerait sur de prétendues conditions de travail dégradées à l'origine d'une dégradation progressive de l'état de santé de la salariée qui aurait conduit à son inaptitude définitive à l'emploi, dont la responsable serait Mme [N] [B], co-gérante de la Société, est purement opportuniste ; que le SMIT n'a d'ailleurs jamais fait référence à une situation de dégradation professionnelle en lien avec une difficulté relationnelle ou une situation de harcèlement moral ; que l'inaptitude professionnelle prononcée par le SMIT repose donc nécessairement que sur l'accident du travail du 29 décembre 2019 ;

- que le harcèlement moral, par ailleurs dénoncé au pénal par Mme [CC], n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale définitive et ne pouvait être retenu par le premier juge ; que les attestations produites par Mme [CC] qui émanent de proches qui n'ont pas été personnellement témoins des faits rapportés, ne sauraient donc constituer des preuves suffisantes de la réalité d'une situation professionnelle de harcèlement moral subie par la salariée, en raison du comportement de Mme [B] ; que ces éléments ne répondent en outre aucunement à la définition du harcèlement moral qui nécessite, en Nouvelle-Calédonie, outre des agissements répétés, un élément intentionnel c'est à dire des actes volontaires blâmables, conformément aux dispositions de l'article Lp.114-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

- qu'en conclusion, la preuve de l'existence d'une faute inexcusable n'étant pas rapportée, les demandes de Mme [CC] relatives à la validité de son licenciement et les conséquences indemnitaires qui y sont attachées sont infondées, Mme [CC] doit en être intégralement déboutées.

' En conséquence, la SARL PACIFIC CARE demande qu'il soit statué ainsi :

JUGER recevable l'appel formé par la société PACIFIC CARE, à l'encontre du jugement rendu n°23-25 (n° RG : F 21/00074) rendu en date du 21 février 2023 par le Tribunal du Travail de Nouméa ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté la CAFAT de ses demandes de remboursement de ses débours ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Mme [L] [CC] de sa demande de provision à valoir sur son préjudice corporel définitif ;

PRENDRE ACTE de ce que la Société n'interjette pas appel de la condamnation au titre de la prime de fin d'année ;

INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

JUGER que la matérialité de l'accident du travail dont se prévaut Mme [L] [CC] n'est pas établie, et, en conséquence,

DEBOUTER Mme [CC] de ses demandes formulées au titre de la reconnaissance d'un accident du travail et de la faute inexcusable de l'employeur ;

JUGER le licenciement de Mme [CC] pour inaptitude définitive, régulier et bien fondé et, en conséquence,

DEBOUTER Mme [CC] de l'intégralité de ses demandes formulées sur ce fondement.

En tout état de cause,

CONDAMNER Mme [L] [CC] à verser à la Société la somme de 350 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.

************************

II- Mme [CC], par mémoire en réponse valant appel incident, enregistré au RPVA le 23 août 2023, fait valoir, pour l'essentiel :

- que la méconnaissance par l'employeur de ses obligations légales en matière de risques professionnels du fait de port de charges lourdes et de formations à l'emploi et à ses techniques, est établie compte-tenu de l'absence d'évaluation préalable des risques, de l'absence de formation sur le port de charges lourdes et de la méconnaissance du port des poids maximums ; qu'elle n'a ainsi nullement été formée, ni au métier de technicien respiratoire, ni aux gestes et postures, ni au port de charges lourdes ; que, dans ces conditions, la juridiction d'appel devra constater que la SARL PACIFIC CARE a manqué aux obligations légales mises à sa charge pour garantir Ia sécurité de sa salariée puisqu'elle aurait dû avoir conscience des risques auxquels Mme [CC] allait être exposée pendant son exercice professionnel ; que faute d'avoir dispensé à sa salariée une formation de gestes et postures et ports de charges lourdes, la faute inexcusable de l'employeur sera retenue ; qu'il ne peut être soutenu que la salariée aurait commis une quelconque faute en portant une bouteille d'oxygène, alors que l'accident du travail est survenu alors qu'elle n'avait pas été formée aux mesures de sécurité, ni n'avait fait l'objet de rappel sur le mode opératoire et les mesures de sécurité quant au port de charges lourdes ;

- que l'employeur a également manqué à son obliqation légale de sécurité quant à la santé psychologique de la salariée ; que l'ensemble des médecins ayant eu à examiner Mme [CC] relèvent un état dépressif très important réactionnel au conflit avec son employeur et à son incapacité à reprendre son emploi eu égard à son état de santé ; que le courrier du SMIT du 8 octobre 2020 du Dr [K] rappelle que que : 'la mission du service de santé au travail étant de veiller à la santé physique et mentale des salariés, j'ai pris la décision de prononcer l'inaptitude définitive (de MmeT [H]) au poste sans recherche de reclassement' ; que Mme [V] a très rapidement signalé à son employeur les faits de harcèlement moral dont elle faisait l'objet en expliquant qu'après avoir été syndiquée, Mme [B] (co-gérante) ne lui adressait plus la parole et ne lui disait plus bonjour ; que Mme [V], avec son syndicat de l'époque l'USOENC SANTE, a même décidé de poser un préavis de grève au mois de juillet 2019 avec pour ordre du jour la mention de la discrimination syndicale mais aussi les faits de harcèlement moral au sein de la Société ; qu'ainsi, l'employeur était donc parfaitement informé des faits de harcèlement reprochés à Mme [B] et aurait dû mettre en oeuvre tous moyens de nature à protéger ses salariés tels que la mise en place d'un audit ou d'une médiation ; que Mme [CC] soutient qu'elle a été personnellement confrontée à un véritable harcèlement moral de la part de Mme [B] en étant soumise à un stress important traduit par des heures supplémentaires du fait d'un nombre de patients excessivement élevé (430) ; qu'elle a en outre été victime de comportements agressifs et inappropriés de la part de sa direction, et plus spécialement de la part de Mme [B], co-gérante, ainsi qu'en témoignent les différentes attestations versées correspondant à des faits survenus en mai et octobre 2019 tenant à des propos dénigrants et des insultes versées notamment dans le cadre de la plainte pénale ; qu'en conséquence, à la suite de l'accident du travail du 29 décembre 2019, les arrêts maladies de la salariée ont été prolongés, Mme [CC] s'enfonçant dans une lourde dépression comme les certificats médicaux en attestent ; que le harcèlement moral de l'employeur a ainsi été justement retenu par le premier juge ;

- qu'en conséquence, la faute inexcusable de l'employeur étant établie, Mme [CC] est fondée à solliciter que le licenciement survenu pour inaptitude définitive à son poste de travail soit requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en effet, son employeur n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires pour protéger la santé et la sécurité du salarié, alors qu'il aurait dû avoir conscience des risques auxquels il se trouvait exposé ; qu'ainsi, a été jugé que le manquement à l'obligation de sécurité de résultat est un grief suffisant pour justifier une prise d'acte ou un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass.Sociale 30 octobre 2007 n°06-43.327) ; que dans ces conditions, la cour d'appel devra confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [CC] devait être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

' En conséquence, Mme [CC] demande qu'il soit statué ainsi :

Vu Ia requête et les pièces y annexées,

Vu le décret n°57/245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail dans les Territoires d'Oute Mer,

Vu. l'arrêté n°2009-42 71 /GNC do 22 septembre 2009 relatif aux prescriptions minimales de sécurité et de santé ;

Vu la convention collective Commerce et divers,

Vu les article Lp.261-1 et suivants du Code du travail de Nouvelle-Calédonie,

Vu les articles R. 2614 à R. 216-7 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie,

Vu l'article Lp.114-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie sur le harcèlement moral,

CONFIRMER le jugement rendu par Ie Tribunal du travail de Nouméa en date du 21 février 2023, en ce qu'iI a :

- jugé que la SARL PACIFIC CARE a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont a été victime Mme [L] [CC] le 29 décembre 2019,

- jugé que la majoration de rente d'invalidité versée par la CAFAT doit être fixée au maximum,

-En ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise médicale et désigné le Dr [ZN] avec sapiteur psychologue pour y procéder avec Ia mission d'examiner la requérante avec mission habituelle en Ia matière,

- A sursis à statuer sur les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux entraînés par l'accident du travail de Mme [CC] dans l'attente du rapport d'expertise du Dr [ZN],

- A donné acte à Mme [CC] de ce qu'elle réserve ses autres demandes en indemnisation après le dépôt du rapport d'expertise,

- en ce qu'il a désigné le Dr [M](remplacé finalement par le Dr [E]) en qualité de médecin expert psychiatre pour examiner Mme [CC],

- en ce qu'il a jugé que Mme [CC] a été victime d'actes de harcèlement moral ayant entraîné une dégradation de son état de santé et notamment sa dépression telle que constatée médicalement,

- en ce qu'il a sursis à statuer sur le fait que la dépression de Mme [L] [CC] pouvait être prise en charge au titre de Ia législation sur les maladies professionnelles,

- en ce qu'il a jugé que le Iicenciement de Mme [L] [CC] doit être requalifié en Iicenciement sans cause réelle et sérieuse,

- en ce qu'il a condamné la Société PACIFIC CARE à verser à Mme [CC] les sommes suivantes :

* 1 580 000 F CFP à titre de dommages intérêts compte tenu de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement survenu,

* 486 497 F CFP au titre du rappel sur primes de fin d'année ;

DECLARER recevable l'appel incident de Mme [CC] ;

REFORMER le jugement dont appel et :

CONDAMNER la Société PACIFIC CARE à verser à Mme [CC] la somme provisionnelle de :

* 1 000 000 F CFP à titre de provision dans l'attente de l'expertise du Dr [ZN], à valoir sur ses préjudices corporels définitifs,

* 2 500 000 F CFP à titre de provision dans l'attente de l'expertise du Dr [E], à valoir sur son préjudice moral compte tenu du harcèlement moral intervenu ;

SURSEOIR dans I'attente du rapport d'expertise du Dr [E] ;

DIRE ET JUGER que les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires, et à compter de Ia requête introductive pour les créances salariales ;

DIRE ET JUGER que la décision à intervenir sera opposable à la CAFAT régulièrement attraite en la cause ;

CONDAMNER la Société PACIFIC CARE à rembourser à Mme [CC] la somme de 450 000 F CFP au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel qu'elle a ete contrainte d'engager et aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL Virginie BOITEAU avocat aux offres de droit.

***************************

MOTIFS DE LA DÉCISION

De l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur en ce qui concerne l'accident du travail du 29 décembre 2019

Attendu que l'employeur est tenu, à l'égard de ses salariés, d'une obligation de sécurité de résultat et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage ; qu'il s'ensuit que la simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur si la victime apporte la preuve qu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et l'absence de mesures de prévention et de protection ;

Attendu que la SARL PACIFIC CARE fait grief au premier juge d'avoir dit que l'accident de travail dont Mme [CC] avait été victime le 29 décembre 2019 était dû à la faute inexcusable commise par son employeur qui avait manqué à ses obligations de sécurité, en se fondant tout particulièrement sur le non-respect des dispositions des articles Lp. 261-3 et R.261-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie qui prévoient que :

- Art. Lp. 261-3 :'L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.

Il justifie par tout moyen de la mise en 'uvre de cette obligation notamment auprès de l'autorité administrative.

A la suite de cette évaluation, l'employeur met en 'uvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement'.

- Article R. 261-4 : 'L'évaluation des risques réalisée en application de l'article Lp. 261-3 comprend :

- une identification des dangers : le danger est la propriété ou capacité intrinsèque d'un équipement, d'une substance, d'une méthode de travail, de causer un dommage pour la santé des travailleurs ;

- une analyse des risques, résultat de l'étude des conditions d'exposition des travailleurs à ces dangers.'

Attendu que si l'employeur entend s'exonérer de sa responsabilité en soutenant que la salariée avait été formée lors de son embauche par un stage de quatre semaines et qu'elle avait à sa disposition un chariot qu'elle n'a pas cru utile d'utiliser pour déplacer la bouteille d'oxygène d'un poids de 35 kgs, charge qui n'était qu'occasionnelle, ainsi que la fiche des risques professionnels qu'elle avait remplie le mentionnait, il ne justifie cependant pas avoir précisément alerté la salariée des risques dorso-lombaires et l'avoir pleinement informée de la nécessité d'utiliser ce type de matériel pour les charges lourdes ; que l'attestation de Mme [W] fournie par l'employeur pour démontrer qu'une formation avait été donnée à Mme [CC] reste très générale : 'Elle a reçu toute la formation nécessaire à la pratique du métier de technicienne repiratoire. Elle participe aux réunions de service du lundi qui nous permettaient d'évoquer les problèmes techniques et théoriques rencontrés durant la semaine précédente' et n'évoque aucunement qu'une formation aux gestes et postures de charges lourdes ait été dispensée à la salariée ;

Attendu qu'au surplus, l'employeur n'a pas veillé aux dispositions prévues par l'arrêté n° 2009-4271/GNC du 22 septembre 2009 relatif aux prescriptions minimales de sécurité et de santé concernant la manutention manuelle de charges comportant des risques, notamment dorsolombaires pour les travailleurs, et tout particulièrement aux dispositions prévues aux articles 6 et 9 dudit arrêté prévoyant que :

Art. 6 : 'En application des dispositions des articles Lp. 261-16 et R. 261-4 à R. 261-6 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, l'employeur doit veiller à ce que les travailleurs reçoivent, en outre, une formation adéquate à caractère pratique sur les gestes et postures à adopter pour réaliser en sécurité les manutentions manuelles et des informations précises sur les risques qu'ils encourent plus particulièrement lorsque les activités ne sont pas exécutées d'une manière techniquement correcte, en tenant compte de l'annexe I.

L'employeur veille à ce que les travailleurs et/ou leurs représentants reçoivent des indications générales et, chaque fois que cela est possible, des informations précises, concernant :

- le poids d'une charge ;

- Le centre de gravité ou le côté le plus lourd lorsque le contenu d'un emballage est placé de façon excentrée.'

Art. 9 : 'Lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable et que les aides mécaniques prévues à l'article 3 ne peuvent être mises en 'uvre, les jeunes travailleurs et les femmes ne peuvent porter des charges supérieures à (...) :

Dans les conditions d'un port occasionnel :

- personnel masculin de 15 à 18 ans : 15 kgs ;

- personnel féminin de 15 à 18 ans : 12 kgs ;

- personnel féminin de 18 ans et plus : 15 kgs' ;

Attendu en conséquence, que la cour entend se réapproprier les motifs du premier juge, qui a retenu que la société PACIFIC CARE, spécialisée dans l'instalIation, la location, I'assistance et Ie maintien de tout appareil respiratoire et qui avait donc une parfaite connaissance de Ia règlementation en matière de port de charges lourdes, avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait sa salariée, en ne veillant pas à ce qu'elIe soit formée à ce type de manipulation pour assurer en sécurité ses fonctions et ce, en violation de Ia règlementation qui interdisait pour les femmes majeures le port de charges de plus de 15 kgs ; que la faute inexcusable de l'employeur est ainsi caractérisée, sans que la faute inexcusable de la victime sous-entendue par l'entreprise puisse exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable ; que la faute inexcusable du salarié doit en effet être une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience (Cass, 2ème Civile, 27 janvier 2004 n°02-30.693), ce qui n'est aucunement établi en l'espèce, la salariée n'ayant pas été formée aux mesures de sécurité, ni n'ayant fait l'objet de rappel sur le mode opératoire et Ies mesures de sécurité quant au port de charges lourdes ;

Attendu que la majoration de la rente due sera ainsi fixée au taux maximum, tel que prévu à l'article 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur Ia réparation et la prévention des accidents et des maladies professionnelles ;

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 34 du décret précité et des dispositions de I'arrêté du 29 décembre 1958 (article 1er alinéa 1 et 2) :

'Le montant de la majoration est fixé par l'organisme assureur (CAFAT) en accord avec la victime et l'employeur ou, à défaut, par le tribunal du travail, sans que la rente ou le total des rentes allouées puisse dépasser soit la fraction de salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire. La majoration est payée par l'organisme assureur qui en récupère le montant au moyen d'une cotisation suppIémentaire imposée à l'employeur et dont le taux et la durée sont fixés par lui, sauf recours de l'employeur devant le tribunal du travail compétent' ;

Attendu que le premier juge a justement relevé que ni Mme [CC], ni [G] n'ayant produit des éléments pour calculer la majoration de Ia rente, fixée au maximum par la juridiction, qu'il appartiendra aux parties de se rapprocher afin d'en déterminer le montant par application des dispositions précitée, ou à défaut de saisir Ia juridiction avec Ies éléments nécessaires à Ia fixation de la majoration de Ia rente, conformément aux dispositions de I'article de l'article 34 du décret ci-dessus mentionné ; que les droits de Mm [CC] et de [G] seront donc réservés à ce titre ;

Attendu enfin, qu'en présence d'une faute inexcusable ou intentionnelle les préjudices personnels de la victime ou de ses ayants droit non indemnisés par le décret du 24 février 1957 peuvent être retenus dans les conditions du droit commun (Cass. 2ème Civ., 06 déc. 2006 n° 05-12.948) et qu'il sera fait droit à la demande d'expertise de Mme [CC], ainsi que le premier juge l'a déjà ordonné, afin de déterminer le préjudice corporel subi des suites de l'accident du 29 décembre 2019 ;

Du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité quant à Ia santé psychologique de Ia salariée du fait son harcèlement

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article Lp.113-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie :

'Tout salarié a droit à des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence. Toute personne a le devoir de contribuer, par son comportement, au respect de ce droit ' ;

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article Lp.113-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie :

'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels ;

2° des actions d'information et de formation ;

3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte des évolutions du contexte et tendre à l'amélioration des situations existantes' ;

Attendu qu'il appartient au salarié qui invoque un manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, d'établir ce manquement et Ie préjudice qu'il en est resulté ainsi que Ie lien entre ce préjudice et le manquement de l'employeur ;

Attendu qu'en l'espèce, Mme [CC] soutient essentiellement qu'elIe a été harcelée par I'une des gérantes, Mme [B], et que l'employeur n'a pris aucune disposition pour I'en préserver, ce qui constituerait un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et une faute inexcusable ;

Attendu que l'article Lp. 114-1, alinéa 1 du code du travail définit ainsi le harcèlement moral :

'Sont constitutifs de harcèlement moral et interdits les agissements répétés à l'encontre d'une personne, ayant pour objet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

Ces dispositions s'entendent sans préjudice des dispositions du titre III du livre I du code du travail en application desquelles l'employeur détient un pouvoir de direction et de sanction, dans l'exercice normal de son pouvoir disciplinaire' ;

Attendu que l'article Lp. 114-7 du code du travail précise que :

'En cas de litige sur l'application des articles Lp. 1 14-1 à Lp. 1 14-6, le juge, à qui il appartient d'apprécier l'existence d'un harcèlement moral, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties' ;

Attendu que la jurisprudence précise que dès lors qu'un salarié établit les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (Cass, Soc., 24 sept 2008, n° 06-43504) ; qu'en Nouvelle-Calédonie, à la différence de la métropole, l'intention de nuire est exigée par la mention dans l'article Lp.114-1 du code du travail de l'expression : 'ayant pour objet' ;

Attendu que la jurisprudence admet que des agissements reprochés à l'employeur par le salarié peuvent cependant relever du pouvoir de direction; qu'il appartient ainsi au juge d'opérer un tri entre ce qui relève de l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur entraînant des contraintes normales liées au travail, des agissements pouvant présumer l'existence d'un harcèlement moral, le juge devant appréhender les éléments établis par le salarié dans leur ensemble (Cass Soc, 25 janvier 2011,n° 09-42.766), selon une méthode consistant pour le salarié à établir la matérialité des faits qui permettent selon lui de présumer l'existence d'un harcèlement et dans l'hypothèse où ces faits pris en leur ensemble sont retenus par le juge, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ce qui nécessite de réexaminer les faits objectivement justifiés ;

Attendu que la SARL PACIFIC CARE conteste la réalité des faits dénoncés notamment dans le cadre d'une plainte pénale et objecte qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation pénale définitive, un appel ayant été formé contre la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel de Nouméa le 29 août 2023 et que, plus généralement il s'agit de témoignages indirects qui ne peuvent être retenus au vu des exigences de l'article Lp.114-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

Attendu qu'ainsi Mme [CC] a pu déclarer lors de ses différentes auditions par les enquêteurs les 27 août 2021, 26 octobre 2021 et 2 mars 2022, date à laquelle avait lieu une confrontation avec Mme [B] :

- que fin mai, début juin 2019, soit deux mois seulement après son recrutement, suite à une erreur de communication, Mme [B] Ia convoquait et lui hurlait dessus en Ia traitant de "bonne à rien' et en lui disant 'il va falloir te sortir Ies doigts du cul", ce à quoi Mme [B] a pu déclarer ne pas se souvenir de ces propos mais expliquait qu'il s'agissait de remontrances et non de harcèlement, faites à la suite de doléances d'un patient en raison de changement de réglage du matériel opéré par Mme [CC] ;

- que le 14 octobre 2019, alors que Mme [CC] avait été d'astreinte toute Ia semaine et n'avait pas toutes Ies informations nécessaires à l'enregistrement dans Ie logiciel ad hoc concernant une installation en ventilation non invasive, elle est allée voir Mme [D], secrétaire, et que Mme [B], non sans avoir fait sortir cette dernière, s'en est à nouveau pris à elle en lui criant dessus en ces termes :

"C'est ma société, je m'en bas les couilles, je dois passer tout le temps derrière toi, je te paie pas à ne rien foutre, si l'argent ne rentre pas tu seras la première à dégager, t'es bonne à rien, je suis très déçue de t'avoir engagée" ;

- que Mme [CC] ajoute, qu'après cet entretien, elle s'est mise à pleurer, s'était rendue chez un client, M. [U], mais qu'eIIe était dans un état psychologique I'empêchant d'appareiller correctement ce patient auquel elle en avait expliqué la raison ; qu'interpellée par les enquêteurs, Mme [B] a reconnu être '...désolée d'avoir une voie grave, d'avoir les yeux noirs, d'être une méditeranéenne et de parler fort avec les mains et les gestes, excusez-moi d'avoir une attitude qui est imposante mais je suis pour rien c'est comme ça; Peut-être que j'ai dit ça dans la colère mais je ne me rappelle pas avoir dit ça ; le problème est qu'il fallait réorganiser la société (..) , on ne peut pas travailler et discuter en même temps, ce n'est pas possible' ;

- qu'à une autre occasion, suite à une réunion au cours de laquelle Mme [CC] évoquait Ies problèmes qu'elle rencontrait dans son travail, elle était convoquée par Mme [B] dans son bureau qui la traitait de "menteuse", lui disant qu'elle n'en pouvait plus d'eIIe, tapant du poing sur le bureau et la menaçant de son doigt sur son visage et Ia traitant de "nulle", hurlant à un point tel qu'une coordinatrice était entrée dans le bureau pour soutenir Mme [CC] et que Mme [B] s'était alors mise à crier sur la coordinatrice en Ia traitant d'incapabIe de former le personnel ; que lors de la confrontation mise en place par les enquêteurs entre Mme [CC] et Mme [B], cette dernière admettait avoir convoqué à plusieurs reprises Mme [CC] dans son bureau pour ce qu'elle considérait être du 'recadrage et qu'(elle avait été) dans des entreprises où les patrons parlaient comme ça, même plus durement, mais cela ne m'a pas traumatisée au contraire, ça m'a renforcé pour faire mieux mon travail ', tout en indiquant qu'eIle ne se souvenait pas avoir tenu de tels propos mais qu'exaspérée par Ies insuffisances de la salariée, elle avait pu Ies tenir sous le coup de la colère, concluant ses propos en soulignant : '....une fusion c'est vraiment compliqué, on me dit toujours qu'il faut deux ans pour stabiliser une Société. Je peux vous dire que j'ai passé les deux années les plus pires de ma vie. Elle (Mme [CC]) a peut-être dégusté à son niveau mais j'ai dégusté de cette fusion là. Quand il y a une mauvaise ambiance entre femmes, ce n'est pas moi qui fait la nuance non plus' ;

- qu'enfin, différents témoignages de salariés de l'entreprise ont été versés à la procédure, Mme [D], M. [UM], Mme [A] et M. [I], également concernés par des comportements humiliants de Mme [B] à leur égard, attestenat de la réalité de la situation décrite par Mme [CC] et de la charge de travail ; qu'un témoignage d'un patient, M. [U], auquel Mme [CC] s'était confiée, confirme la narration et la souffrance de celle-ci ;

Attendu que la dégradation de l'état de santé de Mme [CC] est établi par les pièces médicales versée au débat et tout particulièrement par le certificat médical du Dr [T] et'examen médical réalisé le 30 septembre 2020 par le Dr [C] lors de l'enquête pénale qui a constaté que Mme [CC] présentait depuis fin 2019 date de son premier arrêt de travail du 29 décembre 2019, un syndrome dépressif majeur, un trouble anxieux et une dépréciation de sol, entrainant une lTT de 4 mois ;

Attendu qu'il résulte de ces différents éléments pris en leur ensemble, que Mme [CC] a subi de la part de son employeur des agissements répétés blâmables qui ne sauraient relever de l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur ; que ces humiliations, injures et menaces répétées commises par un co-gérant de l'entreprise ont eu pour objet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'il sera ainsi retenu que l'employeur a commis des actes de harcèlement et a ce faisant violé son obligation de sécurité, ce qui justifie l'indemnisation du préjudice moral de Mme [CC] lequel est distinct de celui causé par son licenciement ;

Attendu que Mme [CC] demande que la somme de 2 500 000 F CFP retenue par le premier juge au titre de son préjudice moral le soit à titre de provision ; que cependant l'expertise confiée au Dr [E] concerne l'indemnisation d'un éventuel préjudice distinct de celui indemnisé au titre du préjudice moral ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de fixer le préjudice moral à titre de provision ; qu'en revanche, ce préjudice consistant en des actes manifestement vexatoires mais sur une période de temps limitée à quelques mois, sera plus justement fixé à la somme de 2 000 000 F CFP ; que le jugement sera ainsi réformé ;

Du caractère professionnel de la dépression constatée le 6 février 2020

Attendu que la société PACIFIC CARE rappelle que la jurisprudence retient que : '....constitue un accident du travail un événement survenu à une date certaine, par le fait où à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle' (Cass. Soc. 2 avr. 2003, n° 00-21.768) ; qu'elle soutient que tel ne peut être le cas de la situation de harcèlement moral dont se réclame Mme [CC] qui fait référence à un ensemble de faits répétés mais qui n'ont jamais donné lieu à un évènement soudain survenu à une date certaine, seul pouvant caractériser l'accident du travail ;

Attendu cependant qu'il convient de rappeler qu'aux termes des dispositions de la délibération n°8 du 26 décembre 1958 relative aux maladies professionnelles et de la délibération modifiée n°395/CP du 19 avril 1995 relative aux maladies professionnelles applicables en Nouvelle-Calédonie, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles figurant sur une liste fixée par arrêté et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau ; que, par ailleurs, si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux précisées dans le tableau concerné par la maladie ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établl qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime ; que, 'peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causé par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne notamment une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 25%' ; que dans ce cas, la CAFAT doit saisir le Comité territorial de reconnaissance des maladies professionnelles dont l'avis s'impose à la CAFAT ;

Attendu qu'en l'espèce, le premier juge a justement relevé que la dépression n'étant pas inscrite sur un tableau des maladies professionnelles en Nouvelle-Calédonie, il appartenait à Mme [CC] d'établir que la dépression dont elle souffrait, constatée par Ies docteurs [T] et [C], était essentiellement et directement causée par Ie travail habituel de la victime et qu'elle entraînait notamment une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 25% ; qu'en conséquence, une expertise devait être ordonnée afin de déterminer si Ia pathologie dont souffrait Mme [CC] remplissait ces conditions pour que la qualification de maladie professionnelle soit retenue et, dans l'affirmative, que ses éventuels préjudices soient déterminés ;

Attendu que ces dispositions doivent être confirmées ;

Des provisions demandées par Mme [CC]

Attendu que Mme [CC] sollicite que lui soient accordées des provisions à valoir tant sur ses préjudices corporels définitifs que sur son préjudice moral du fait du harcèlement moral qu'elle a subi, formant des demandes à hauteur respectivement de 1 000 000 F CFP et de 2 500 000 F CFP ;

Attendu que ces demandes ne sont pas justifiées et qu'il convient d'attendre le résultat des deux expertises ordonnées ;

Du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Attendu que la jurisprudence affirme qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée ; que dans cette hypothèse, le licenciement même s'il est fondé sur la reconnaissance de l'inaptitude par le médecin du travail et l'incapacité de reclasser le salarié, n'en est pas moins causé initialement par une faute de l'employeur qui aurait dû préserver la santé du salarié ;

Attendu qu'en l'espèce, l'employeur a reconnu dans sa lettre de licenciement du 28 octobre 2020 que l'inaptitude définitive de Mme [CC] à son emploi actuel et son impossibilité de reclassement résultaient du constat médical faisant suite à l'accident du travail du 29 décembre 2019

Attendu que cet accident du travail dont la cause est la faute inexcusable de l'employeur qui n'a pas respecté son obligation de sécurité, le licenciement est par conséquent dépourvu d'une cause réelle et sérieuse

Attendu que les dispositions retenues par le premier juge au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse tenant à l'indemnisation pour une somme de 1 580 000 F CFP, outre la somme de 282 242 F CFP pour non-paiement des primes de fin d'année, ne sont pas critiquées par Mme [CC], la SARL PACIFIC CARE qui ne critique pas le montant fixé pour la prime de fin d'année s'opposant toutefois à toutes autres indemnisations du fait de sa contestation d'une quelconque faute qu'il aurait commise ;

Attendu que ces sommes qui sont adaptées à la cause, doivent être confirmées ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt déposé au greffe,

Confirme le jugement du 21 février 2023 entrepris à l'exception de la disposition suivante :

'Condamne la Société PACIFIC CARE à lui (Mme [CC]) payer 2 500 000 F CFP à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral' et

Statuant à nouveau sur cette disposition :

Condamne la Société PACIFIC CARE à payer à Mme [L] [CC] la somme de 2 000 000 F CFP à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral ;

Y ajoutant :

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SARL PACIFIC CARE à payer à Mme [L] [CC] la somme de 200 000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la SARL PACIFIC CARE aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00015
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;23.00015 ?
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