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30/05/2024 | FRANCE | N°22/00084

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 30 mai 2024, 22/00084


N° de minute : 2024/15



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 30 Mai 2024



Chambre sociale









N° RG 22/00084 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TNA



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Septembre 2022 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :20/53)



Saisine de la cour : 21 Octobre 2022



APPELANTS



S.A.R.L. ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS (ETSM), représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 4] - [Localité 3]



S.A.R.L. ETSM, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 1] - [Localité 3]



Toutes deux représentées par Me Séverine BEAUMEL membre de la SELARL BEAUMEL SELARL D'AV...

N° de minute : 2024/15

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 Mai 2024

Chambre sociale

N° RG 22/00084 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TNA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Septembre 2022 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :20/53)

Saisine de la cour : 21 Octobre 2022

APPELANTS

S.A.R.L. ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS (ETSM), représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 4] - [Localité 3]

S.A.R.L. ETSM, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 1] - [Localité 3]

Toutes deux représentées par Me Séverine BEAUMEL membre de la SELARL BEAUMEL SELARL D'AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [Y] [T]

né le 21 Novembre 1984 à [Localité 6]

demeurant [Adresse 5] - [Localité 2]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/0001301 du 30/08/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)

Représenté par Me Marie-katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA, substituée par Maître Alexe-Sandra VU, du même barreau

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, devant la cour composée de Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président, Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseillère, Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.

30/05/2024 : Copie revêtue de la forme exécutoire : - Me KAIGRE ;

Expéditions : - Me BEAUMEL ;

- SARL ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS, SARL ETSM, M. [T] (LR/AR)

- Copie CA ; Copie TT

Greffier lors des débats: Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

ARRÊT

contradictoire,

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 16 mai 2024 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 30 mai 2024 , les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

M. [Y] [T] exerce la profession de scaphandrier': après un CDD DU 2 juillet au 2 janvier 2007, il a été recruté le 11 février 2008 en CDI daté du 11 février 2008 par MM. [L] [O] gérant exploitant de la Sarl ETSM et [D] entrepreneur exploitant gérant de la Sarl Entreprise de Travaux Sous-Marins en qualité de scaphandrier, classe 1, pour un salaire brut de 850'851 XPF soit un horaire mensuel de 84.50 heures (piéce N° 3 req).

ll était placé en arrêt maladie du 2 janvier au 12 janvier 2019 puis prolongé plusieurs fois jusqu'au 31 mai 2019 (pièces N°1 a 4 CAFAT, pièces N°20, 24 req ). Or le 17 décembre 2018, il s'était inscrit au RIDET N° 0'697'730 sous le code APE 41 20 A (construction de maisons individuelles).

Suivant LR/AR du 18 janvier 2019, M. [T] était mis en demeure de justifier de son absence depuis le 7 janvier 2019 et informé des éventuelles conséquences contractuelles que risquait d'entrainer une procédure disciplinaire (pièce N°11 req). Et de fait, par courriers des 28 janvier et 29 janvier 2019 adressés en LRAR mais non délivrés, les SARL ETSM et ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS procédaient à des convocations à entretien disciplinaire le 4 février 2019 à 8h15 pour la première et 8h00 pour la seconde (pièces N°7 def) auxquels il ne se présentait pas. Selon courrier LR/AR du 11 février 2019, M. [T] était licencié pour faute grave par les deux sociétés et le 15 février 2019, son solde de tout compte, le certificat de travail et ses bulletins de salaire étaient établis.

Le docteur [S] avait constaté le 7 février 2019 qu'il présentait une forme de «'burn-out'» cyclique depuis 2016 (piéce N° 15 req), diagnostic confirmé par le docteur [N] médecin du SMIT qui écrivait le 14 février 2019 que «''le salarié présent un «'burn-out'» confirmé par test de Maslach. ll a des soucis avec son employeur (il était en arrêt de travail le 02/01, mais il a travaillé le 04/01) Je l'envoie chez le psychologue mais c'est un problème relationnel'»

Le 2 avril 2019, la CAFAT informait le salarié de sa décision de suspendre le versement de ses allocations chômage à compter du 18 mars 2019 (pièce N° 21 req) avant de changer d'avis en procédant au versement de l'assurance chômage à compter du 16 février 2019 pour 270 jours.

Le 3 février 2020, M. [T] rédigeait une déclaration de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie à l'origine de son arrêt (pièce N° 5 CAFAT). La CAFAT refusait néanmoins par courrier du 19 février 2020 de le prendre en charge au titre des accidents du travail en raison de l'absence de communication du certificat médical initial décrivant les blessures causées par l'accident déclaré (pièce N° 6 Cafat).

*****

M. [T] a cité par acte du 06 mars 2020 ses deux employeurs et appelé la CAFAT en intervention volontaire aux fins d'ordonner avant dire droit une expertise médicale pour déterminer si le «'burn-out'» à l'origine de son arrêt de travail le 2 janvier 2019 constituait une maladie professionnelle ou un accident du travail.

Il demandait au principal que soit constatée l'origine professionnelle du dit «'burn out'» et prononcée la nullité du licenciement intervenu.

A titre subsidiaire, il sollicitait que la rupture intervenue soit requalifiée de licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse. Au vu d'une rémunération mensuelle brute qu'il estimait à 372'466 XPF et d'une ancienneté de 12 ans et 5 mois, il demandait que ses employeurs soient condamnés solidairement à lui verser 3'724'660 XPF (indemnité pour licenciement illicite), 1'117'398 XPF (indemnité compensatrice de préavis) outre 111'740 XPF de congés payés afférents, 432'474 XPF (indemnité légale de licenciement), 3'724'660 XPF au titre de son préjudice moral, 2'234'796 XPF (licenciement brutal et vexatoire), 1'303'631 XPF (préjudice financier) outre 250'000 XPF au titre des frais irrépétibles. Il demandait également que fût constatée la faute inexcusable des employeurs et que l'expertise à intervenir déterminât l'étendue précise des préjudices.

Outre la reconnaissance de la solidarité des deux co-employeurs pour lesquels il avait exercé simultanément son activité, l'outil de travail étant commun, il faisait valoir qu'il avait remis ses arrêts maladie à l'employeur (cf témoignages Mme [D], secrétaire comptable (piéce N° 39 req), M. [M] ancien salarié (piéce n° 40 req) Mme [R] [T] (pièce N°13 req) soutenant sur ce point que celui-ci avait retenu illégalement ces documents sans les transmettre à la CAFAT, car ce dernier estimait qu'il se trouvait en congés sans solde du 1°' au 6 janvier 2019 puis en absences injustifiées jusqu'à son licenciement pour fautes graves. Il affirmait que ce faisant, l'employeur avait commis un abus de droit lui causant un grave préjudice financier.

Il relevait que le «'burn out'» cyclique dont il souffrait depuis 2016 avait été constaté le 2 janvier 2019 par le docteur [S] ainsi qu'un syndrome dépressif réactionnel par le médecin du SMIT (Pieces N° 10 et 18 req). Ceci suffisait selon lui à établir l'origine professionnelle de son «'burn out'» conforté par les nombreux certificats médicaux produits à l'instance et ce, quand bien même la CAFAT avait considéré que sa pathologie ne figurait pas sur le tableau des maladies professionnelles de Nouvelle-Calédonie. Ses employeures avaient ainsi manqué à leur obligation de résultat de sécurité.

Pour ce qui concernait son licenciement, il affirmait que c'est la dégradation de ses conditions de travail qui était à l'origine de l'altération de sa santé physique et mentale rappelant que ses employeurs manquant gravement à leur obligation de sécurité car au fait de ses difficultés, avaient exigé qu'il travaille le 4 janvier alors qu'il leur remettait son certificat médical.

ll considère que la faute inexcusable des employeurs est caractérisée en ce qu'il était soumis à un rythme effréné, travaillant parfois un mois sans interruption, ni retour à son domicile, en déplacement les fins de semaine sans que ses heures supplémentaires ne soient récupérées ou que des jours de récupération ne lui soient octroyés, le tout étant à l'origine du syndrome dépressif réactionnel constaté médicalement le 14 février 2019.

A titre subsidiaire, il soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, puisqu'intervenu alors qu'il se trouvait placé en maladie dûment justifiée.

Il indique que le motif avancé par les employeurs (départ volontaire d'un salarié peu consciencieux pour créer sa propre société) devait être écarté rappelant qu'il n'a jamais été sanctionné et ayant toujours respecté les règles. Il demandait également que plusieurs attestations fournies au débat soient écartées car effectuées sous la pression de l'employeur (Pièces req N° 13, 42, 43,44),

*****

La CAFAT expose avoir rejeté la prise en charge du requérant au titre de l'accident du travail car le certificat initial était imprécis sur la nature de la pathologie. Elle précise en outre que le «'burn out'» ne relève pas du tableau des maladies professionnelles et observe d'ailleurs que M. [T] n'a intenté aucun recours conte sa décision.

*****

Dans leurs conclusions en réponse, les employeurs sollicitaient in limine Iitis, que soient déclarées irrecevables 1°) les attestations que s'était faite à lui-même le requérant et son épouse [R] [T] (pièces n°7, 13 et 41), 2°) l'attestation de Mme [W] [P] épouse [D] (pièce N°39) et 3°) les attestations de M. [F] [E], gérant de la Sarl SCADEM, de son épouse [H] [E] et de son employée Mme [K] [U] (Pieces n°42 à 44).

Sur le fond, ils demandaient d'une part que soient rejetées les demandes de M.'[T] tendant à voir qualifier d'accident ou de maladie professionnelle le «'burn-out'» correspondant à l'arrêt de travail du 02 janvier au 31 mars 2019 et d'autre part que soient ordonnées l'audition du demandeur, de M. [L] [O], de M. [A] [M], scaphandrier précisant qu'ils consentaient à toute confrontation avec M. [T] que la juridiction jugerait utile.

Ils exposaient que le licenciement disciplinaire pour faute grave de M. [T] (cf lettre présentée le 13 février 2019) était fondé sur une cause réelle et sérieuse quand bien même il ne lui était reproché qu'une faute simple. Ils fixaient la moyenne de ses salaires à la somme de 267'910 XPF.

M. [T] avait informé ses collègues de sa volonté de s'établir à son compte ainsi qu'en attestent ces derniers (cf pièces N° 13 a à 13'd) tout en volant du matériel de la société (pièces N° 13 c à 13 f), et en exigeant de conduire sans permis le fourgon de la société.

Ils rappelaient que M. [T] avait sollicité tardivement la reconnaissance d'origine professionnelle de son arrêt de travail du 2 janvier 2019 au 31 mars 2019 (absence de déclaration auprès de l'inspection du travail, défaut de dépôt du certificat médical auprès de la CAFAT qui a rejeté cette demande de reconnaissance de MP, défaut de recours devant la commission de conciliation, absence de recours en référé pour solliciter une expertise).

Ils rejetaient toutes les accusations de harcèlement moral, aucun manquement à leur obligation de sécurité n'étant établi, le «'burn out'» évoqué trouvant sa source dans les activités personnelles du salarié': cumul de son activité de futur patenté, réunions religieuses, activité de réparation des véhicules exploitée avec son père, prise de poste matinale pour permettre à son épouse de déposer les enfants à l'école.

Ils indiquaient que le plaignant échouait à démontrer sa surcharge de travail ou un dépassement de la durée légale de travail (pièces N°13 à 13 f def et attestation PADINI n° 19.), les sociétés ne pouvant travailler en continu et M. [T] ayant bénéficié de week-ends et de congés payés réguliers en 2018 ainsi qu'établi par le planning produit (pièce N°3 def).

S'agissant des obligations légales en matière d'évaluation des risques professionnels (pièces N° 17 a) et de règles d'hygiène et de sécurité (pièce N° 17 b et 17 d), il était rappelé que le salarié n'avait jamais sollicité de rendez-vous auprès du SMIT pour faire part de son mal être.

Les deux sociétés demandaient au tribunal de juger irrecevable pour cause de forclusion la demande tardive de leur salarié sollicitant la qualification professionnelle de son accident suite à l'arrêt débuté le 2 janvier 2019 et à défaut, que soit rejetées comme mal fondées les demandes d'expertise médicale et d'indemnisations, dont celle du préjudice distinct, sur la base d'un salaire calculé sur les trois derniers mois fixés à 267'910 XPF.

Au cas de requalification du licenciement en faute simple ou pour invalidité, ils demandaient de limiter le préavis à 3 mois et fixer le montant de l'indemnité légale à 351'249 XPF (dont il conviendra de déduire les cotisations sociales à reverser par l'employeur) outre une réduction conséquente des dommages et intérêts. Elles estimaient avoir été trompées par M. [T] qui a feint de démissionner et n'a pas régularisé sa situation auprès de l'employeur. Elle relevait d'ailleurs que son préjudice financier, ne pouvant se cumuler avec les demandes formées au titre de l'article LP 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie.

Ils concluaient donc au débouté de toutes les demandes et sollicitaient le versement de la somme de 400'000 XPF au titre des frais irrépétibles.

***

Par jugement en date du 09 septembre 2022, le tribunal du travail après avoir écarté des débats les pièces du requérant n°7 et 41 à 44 constatait la régularité des autres attestations versées au débat. Il rejetait les demandes de comparution personnelle du gérant de la SARL ETSM, du requérant et du témoin [M] puis déclarait que les sociétés SARL ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS et SARL ETSM avaient la qualité de co-employeurs de M. [T] et étaient tenus solidairement à l'égard de ce dernier.

Après avoir déclaré recevable l'intervention de la CAFAT, elle ordonnait avant dire droit une expertise médicale du salarié et sursoyait à statuer dans l'attente sur l'ensemble des demandes liées au harcèlement moral, au caractère professionnel ou accidentel de la maladie du requérant et à la faute inexcusable.

Elle prononçait la nullité du licenciement de M. [T], fixait son salaire de référence à la somme de 372'466 XPF et condamnait solidairement la SARL ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS et la SARL ETSM à lui régler les sommes de 432'474 XPF d'indemnité légale de licenciement, 3'724'660 XPF (nullité du licenciement) outre 500'000 XPF (licenciement brutal et vexatoire) outre 150'000 XPF sur le fondement de l'article 700 CPCNC.

Par requête en date du 20 octobre 2022, les SARL ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS MARINS et ETSM relevaient appel de cette décision. Elles précisent que leur appel est cantonné au quantum de deux indemnisations soit «'3'724'660 XPF de dommages et intérêts pour licenciement nul outre 500'000 XPF à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral pour licenciement brutal et vexatoire'» étant observé que M. [T] n'a pas relevé appel incident du jugement du 09 septembre dans les délais qui lui étaient impartis.

SUR QUOI,

Sur les limites du débat d'appel

Par requête d'appel enrôlée le 21 octobre 2022, les deux employeurs ont interjeté appel limité à deux condamnations pécuniaires prononcées par le tribunal indemnisant la nullité du licenciement (3'724'660 XPF) et le préjudice moral pour licenciement brutal et vexatoire (500'000 XPF).

Suite à la communication du mémoire ampliatif d'appel en date du 23 janvier 2023, signifié le 20 juin 2023 et dans de dernières conclusions du 26 juin 2023, le conseil de l'intimé reprend à son compte le débat de première instance sur le «'burn-out'» de M. [T] qui ne saurait être abordé en cause d'appel puisque la décision sur le fond sera rendue par jugement distinct du tribunal du travail. La cour n'est donc saisie que des circonstances et de la cause du licenciement ainsi que des conséquences pécuniaires afférentes à l'exclusion des demandes concernant le harcèlement moral, le caractère professionnel ou accidentel de la maladie du salarié ou la faute inexcusable de l'employeur.

Sur le salaire de référence

Le salaire mensuel servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est le 1/12e de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, le tiers des trois derniers mois (article 88 AIT)

En l'espèce et contrairement au calcul effectué par le tribunal dont le détail n'est pas fourni sauf à avoir repris sans distinction le montant proposé par le conseil de M. [T], il s'avère que la moyenne des douze derniers mois (janvier à décembre 2018) correspond à un salaire de référence de 305'158 XPF (157'787 XPF (1'768 449'XPF/12 pour ETSM) + 147'371 XPF (1'489'248'XPF/ 12 pour Entreprise de travaux sous marins). S'agissant du montant proposé par les employeurs, 267'910 XPF soit la moyenne des trois derniers mois, il est certes exact mais ne sera pas retenu car moins avantageuse pour le salarié.

Le salaire de référence sera donc fixé à la somme de 305'158 XPF

Sur les dommages et intérêts consécutifs au licenciement

Le premier juge a fait droit à la demande d'indemnité de licenciement de M. [T] en lui accordant intégralement le montant de sa demande soit 3'724'660 XPF correspondant à 10 mois sur la base d'un salaire de référence inexact.

Les employeurs font néanmoins valoir que les justificatifs de l'arrêt de travail du 02 janvier 2019 n'ont été remis que le 25 janvier suite à une mise en demeure de reprendre son poste adressée à M. [T] le 18 janvier et citent sur ce point une jurisprudence récente de la cour d'appel de Rennes selon laquelle une justification tardive d'absence constitue une faute du salarié (Rennes 19+ mai 2022, n° 19/0427).

Ils exposent également que sur les deux certificats remis, celui du 24 janvier a été établi pour rétroagir au 13 janvier et qu'il est établi qude leur salarié travaillait pendant son congé maladie ce qui résulte des propres déclarations du salarié à ses collègues selon lesquelles il souhaitait arrêter son emploi pour se consacrer à ses activités de patenté. Or il n'aurait demandé aucune autorisation à ses employeurs ou à son médecin alors que l'activité exercée entrait en concurrence avec celle de l'entreprise où il était toujours salarié. Le décalage avec la date de licenciement (courrier du 11 février 2019) s'expliquerait parce que M. [T] aurait feint de vouloir remettre sa démission pour gagner du temps, l''intéressé n'ayant d'ailleurs jamais régularisé sa situation après le 31 janvier 2023.

Au regard de la «'fourberie'» de son salarié et du fait qu'il a reçu des indemnités journalières jusque fin mai 2019 outre 270 jours d'allocation chômage à 116'252 XPF jusque février 2020, il est sollcité une diminution conséquente de l'indemnisation accordée d'autant que s'il n'avait pas été licencié, il aurait reçu un salaire de 165'472 XPF ce qui, diminué des 116'252 XPF permet d'évaluer le préjudice réel de M. [T] à 49'220 XPF / mois (165'472 ' 116'252) de juin 2019 à février 2020 soit un total de 442'980 XPF.

Dans des écritures du 23 juin 2023, le salarié soutient à juste titre que les sommes accordées ont une nature strictement indemnitaire et rappelle qu'il a travaillé du 02 juillet 2006 au 11 février 2019 soit une ancienneté de 12 ans et 5 mois. Il rappelle qu'il a été licencié alors qu'il se trouvait en arrêt maladie provoquant la nullité de la rupture conformément aux dispositions de l'article Lp 127-3 du CTNC.

La cour à l'instar du tribunal constate sur ce point que le licenciement du requérant est survenu alors qu'il était en arrêt maladie justifié. De même, elle rejette l'existence d'une faute grave de M. [T] pour absence injustifiée depuis le 07 janvier 2019 comme non caractérisée. Les employeurs ne démontrent pas plus en appel qu'en première instance que le licenciement de M. [T] était imposé par l'intérêt de l'entreprise ni que son remplacement en raison de son absence était devenu nécessaire compte tenu de la perturbation apportée à la bonne marche de l'entreprise. Ils n'établissent pas non plus l'avoir remplacé pendant sa période d'absence, ni dans un délai raisonnable après son licenciement.

Au vu de quoi, par des arguments que la cour reprend intégralement à son compte, le licenciement de M. [T] en date du 11 février 2019 a été déclaré nul par application des dispositions précitées mais également dépourvu de fondement, la rupture du contrat de travail du salarié intervenu lors de la suspension de son contrat de travail liée à une maladie dûment justifiée constituant de principe un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié peut donc solliciter l'attribution de l'indemnité de licenciement prévue à l'article 88 de l'AIT égale pour les personnes ayant plus de 10 ans d'ancienneté à 1/10e par année jusqu'à 10 ans outre 1/15e de mois par année au-delà des 10 ans.

Par application des dispositions de l'article Lp. 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie et compte tenu de son ancienneté au moment du licenciement (12 ans et 5 mois) et de son salaire, il lui sera attribué la somme suivante':

3'051'158 XPF (10 X 305'158) + 61'032 XPF (305'158/ 15 X 3) = 3'112'612 XPF

Sur l'indemnisation au titre du licenciement brutal et vexatoire

En cause d'appel M. [T] demande une somme de 2'234'796 XPF soit 6 mois de salaire alors qu'il lui avait été accordé 500'000 XPF en première instance.

Il fait état pour fonder sa demande de ce que les conditions de sa rupture lui ont été extrêmement préjudiciables puisqu'il ne pouvait plus subvenir aux besoins de sa famille alors qu'il se trouvait arrêté à raison d'une maladie professionnelle.

Il est de jurisprudence constante qu'un licenciement même justifié par une cause réelle et sérieuse ne doit pas être vexatoire et qu'a défaut l'employeur peut être condamné à payer au salarié des dommages-intérêts.

Il sera relevé à ce stade d'une part que le caractère professionnel de la maladie n'est pas établi puisqu'en cours d'expertise devant le tribunal, d'autre part que pour ce qui concerne la précarité de sa situation à l'époque de son licenciement, aucune pièce n'illustre les propos qu'il avance sur ce point concernant en particulier les coupures d'eau et d'électricité, l'hébergement chez un tiers, les prêts consentis auprès de ses proches ou le recours à l'aide sociale.

En outre, afin de caractériser le caractère brutal et vexatoire du licenciement de M. [T], le tribunal se contente d'affirmer que celui-ci «'est suffisamment caractérisé au regard des circonstances de la rupture du contrat de travail intervenue au cours de son arrêt maladie'» ou qu'il «'rapporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir son préjudice moral à la suite de la rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail'», sans les citer affirmant derechef que le salarié «'établit avoir été confronté à de graves difficultés à assumer ses charges courantes et notamment le règlement des mensualités de son crédit immobilier ainsi que par la perte de ses droits auprès de son assurance qui n'a pas palier à sa défaillance, ses arrêts de maladie n'ayant pas été adressés par l'employeur a la CAFAT'»

Or il est constant d'une part que la procédure a été respectée par l'envoi d'un courrier de licenciement et une convocation à entretien préalable qu'il n'a pas honoré de sa présence, d'autre part que M. [T] a été mis en demeure de reprendre son poste et travaillait sous patente alors même qu'il était encore en maladie. Il avait également fait connaître à plusieurs autres salariés qu'il envisageait de quitter sous peu l'entreprise pour monter sa propre affaire ce que conforte d'ailleurs son inscription au RIDETle 17 décembre 2018, sous le n° 0'697'730 avec code APE 41 20 A (construction de maisons individuelles). Il est également avéré qu'il a bénéficié d'indemnités journalières et d'une allocation chômage.

Il en résulte que le salarié ne saurait faire état dans ces conditions de la brutalité de ses conditions de licenciement et qu'il sera débouté de sa demande à ce titre, le jugement du tribunal étant infirmé sur ce point.

Sur la dispense des frais irrépétibles

Les appelantes seront dispensées des frais irrépétibles, M. [T] étant assisté au titre de l'aide judiciaire.

Sur les dépens

Les employeurs qui succombent seront condamnés aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement,

DÉCLARE l'appel des SARL ETSM et ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS recevable et limité aux demandes de réduction des quanta de dommages et intérêts

CONFIRME le sursis à statuer prononcé par le tribunal sur l'ensemble des demandes concernant le harcèlement moral, le caractère professionnel ou accidentel de la maladie du salarié ou la faute inexcusable de l'employeur.

DIT que le licenciement de M. [T] est nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse

FIXE le salaire mensuel de référence de Monsieur [Y] [T] à la somme de trois cent cinq mille cen cinquante-huit francs (305'158 XPF)

INFIRME la décision du tribunal en ce qu'il a accordé une somme de 500'000 francs à M. [T] au titre du caractère brutal ou vexatoire de son licenciement

Statuant à nouveau sur l'indemnité accordée,

CONDAMNE solidairement la SARL ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS et la SARL ETSM à payer à Monsieur [Y] [T] la somme de trois millions cent douze mille six cent douze francs (3'112'612 XPF) au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

DÉBOUTE les parties de leur demande de frais irrépétibles

 CONDAMNE solidairement la SARL ENTREPRISE DE TRAVAUX SOUS-MARINS et la SARL ETSM aux dépens

FIXE à 3 (trois) les unités de valeur attribuées à Maître KAIGRE agissant au titre de l'Aide judiciaire

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00084
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.00084 ?
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