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30/05/2024 | FRANCE | N°22/00061

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 30 mai 2024, 22/00061


N° de minute : 2024/14



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 30 Mai 2024



Chambre sociale









N° RG 22/00061 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TIM



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juillet 2022 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :20/181)



Saisine de la cour : 25 Août 2022



APPELANTS



S.A.R.L. KANNIKA THAI BIEN ETRE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par

Me Nicolas RANSON membre de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA



Mme [B] [T]

née le 02 Septembre 1975 à [Localité 4] (Thailande)

Ayant élu domicile au Cabinet de Me KAIGRE...

N° de minute : 2024/14

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 Mai 2024

Chambre sociale

N° RG 22/00061 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TIM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juillet 2022 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :20/181)

Saisine de la cour : 25 Août 2022

APPELANTS

S.A.R.L. KANNIKA THAI BIEN ETRE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Nicolas RANSON membre de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [B] [T]

née le 02 Septembre 1975 à [Localité 4] (Thailande)

Ayant élu domicile au Cabinet de Me KAIGRE - [Localité 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000823 du 02/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)

Représentée par Me Marie-katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA, substituée par Maître KOZLOWSKI, du même barreau

INTIMÉS

S.A.R.L. KANNIKA THAI BIEN ETRE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Nicolas RANSON membre de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [B] [T] née le 02 Septembre 1975 à [Localité 4] (Thailande)Ayant élu domicile au Cabinet de Me KAIGRE - [Localité 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000823 du 02/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA) Représentée par Me Marie-katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA, substituée par Maître KOZLOWSKI, du même barreau

30/05/2024 : Copie revêtue de la forme exécutoire : - Me KAIGRE ;

Expéditions : - Me RANSON ; SARL KANNIKA et Mme [T] (LR/AR)

- Copie CA ; Copie TT

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique, devant la cour composée de : 

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre,

M. François BILLON, Conseiller,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.

Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

ARRÊT

contradictoire,

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 16 mai 2024 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 30 mai 2024 , les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Mme [B] [T] a été recrutée suivant contrat de travail à durée indéterminée du 26 novembre 2017 par la SARL KANNIKA THAI BIEN ÊTRE (ci-après désignée KANNIKA), en qualité de masseuse, niveau 1, échelon 1 de l'accord de branche esthétique pour 130 heures mensuelles. Son salaire s'élevait à 119'767 XPF brut. Les horaires de travail étaient répartis du lundi au dimanche à raison de 5 heures réalisées par jour sauf mercredi sur une amplitude de 8 h à 20'h.

Le 22 octobre 2018, elle signait un nouveau contrat à durée indéterminée portant sa durée mensuelle de travail à 135.2 heures et son salaire mensuel brut à 124'558 XPF. Une nouvelle répartition des horaires actait 6 heures réalisées le dimanche entre 8'h à 20'h, les autres horaires demeurant identiques.

Le 10 décembre 2018, elle était placée en arrêt maladie et le 12 avril 2019, la salariée rédigeait une déclaration d'accident du travail décrivant un syndrome d'épuisement professionnel. En l'absence de fait accidentel, la CAFAT notifiera par courrier du 13 mai 2019 un refus de reconnaître le caractère professionnel des faits déclarés

Par lettre du 16 avril 2019 rédigée en thaïlandais et adressée par courriel du 26 avril 2019, elle informait l'employeur qu'elle considérait la rupture de son contrat de travail aux torts de celui-ci.

***

Par citation en date du 11 juin 2019, elle assignait en référé son employeur la SARL KANNIKA THAI BIEN ÊTRE (dénommée ci-après SARL KANNIKA) aux fins de lui régler les sommes de 230'498 XPF (salaires non perçus décembre 2017 et janvier 2018, 433'636 XPF (heures complémentaires), 2'609'572 XPF ((heures supplémentaires effectuées non rémunérées), 3'056'660 XPF (rappel de repos compensateur), 500'000 XPF (dépassement de la durée légale du travail) et se fondant sur le fait qu'elle avait été victime de travail dissimulé par dissimulation d'emploi et de harcèlement moral, les sommes de 500'000 XPF (indemnisation du travail dissimulé), 3'464'890 XPF (licenciement sans cause réelle et sérieuse), 346'289 XPF (préjudice moral outre 250'000 XPF au titre des frais irrépétibles. Elle demandait également la remise de son certificat de travail et de ses attestations de perte de salaire rectifiées et que soient effectuées les régularisations afférentes auprès de la CAFAT.

Par ordonnance du 6 septembre 2019, le juge des référés constatait le désistement de la requérante concernant ses demandes relatives a la rupture du contrat de travail et notamment de celles tendant à requalifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour préjudice moral. Quant aux demandes suivantes, il jugeait qu'il demeurait une contestation sérieuse pour les salaires non perçus pour décembre 2017 et janvier 2018, la réparation du préjudice pour travail dissimulé, la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein, les heures complémentaires et les heures supplémentaires, le rappel de repos compensateur et l'indemnisation pour dépassement de la durée maximale légale du travail. ll ordonnait néanmoins à l'employeur d'adresser à sa salariée un certificat de travail mentionnant ses dates d'entrée et sortie, la nature de l'emploi ainsi que les attestations de perte de salaires de décembre 2018 à mars 2019 et d'effectuer les régularisations nécessaires auprès des organismes sociaux. Le 18 septembre 2019, l'employeur établissait son certificat de travail et le 19 septembre 2019, Mme [T] signait son solde de tout compte pour un montant de 130'825 XPF.

Saisie en appel de cette ordonnance, la cour par arrêt du 15 juillet 2021 infirmait l'ordonnance de référé en ce qu'elle avait ordonné la remise d'un certificat de travail mentionnant la date d'entrée et de sortie de la salariée et la nature de l'emploi ainsi que les attestations de perte de salaire sous astreinte mais confirmait l'ordonnance déférée pour le surplus.

Par requête du 1er octobre 2020, Mme [T] a assigné au fond la SARL KANNIKA devant le tribunal du travail aux fins de voir au principal qualifier la rupture intervenue sans formalisme le 6 septembre 2019 en licenciement sans cause réelle et sérieuse, requalifier son contrat de travail en un contrat de 72 heures par semaine. Elle sollicitait qu'il soit constaté que sa rémunération mensuelle brute de référence s'élevait à 346'289 XPF et que lui soient versées les sommes de 433'636 XPF (heures complémentaires effectuées et non rémunérées), 2'609'572 XPF (heures supplémentaires effectuées et non rémunérées), 3'056'660 XPF (rappel du repos compensateur), 500'000 XPF(dépassement de la durée maximale du travail), 221'112 XPF (rappel de salaire pour le travail du dimanche), 1'038'867 XPF (indemnité de rupture abusive), 346'289 XPF (indemnité compensatrice de préavis), 34'628 XPF (congés payés sur le préavis).

A titre subsidiaire, elle demandait que son contrat de travail soit requalifié en contrat à temps plein et que sur une base de rémunération mensuelle de référence de 156 277 XPF, l'employeur soit condamné à lui verser 433'636 XPF (heures complémentaires effectuées et non rémunérées), 492'130 XPF (rappel de salaire pour le travail le dimanche), 156'277'XPF (indemnité compensatrice de préavis) outre 15'627 XPF de congés payés sur le préavis ainsi que 100'000 XPF (indemnité pour violation du repos dominical), 500'000 XPF (préjudice moral lié au travail dissimulé), 346'289 XPF ( préjudice moral pour harcèlement et discrimination) outre 250'000 XPF au titre des frais irrépétibles

Elle demandait également qu'il soit enjoint à son employeur de communiquer la facture et le billet d'avion aller Thaïlande -[Localité 3] en date du 4 décembre 2017 réglé par la société KANNIKA et remboursé par Mme [T] et que l'employeur soit condamné à lui régler les frais d'avion.

***

Par jugement en date du 29 juillet 2022, le tribunal du travail de Nouméa a jugé que le contrat avait été rompu par la prise d'acte du 26 avril 2019 et devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il condamnait en outre l'employeur à régler à Mme [T] 500'000 XPF (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), 125'254 XPF (indemnité compensatrice de préavis) outre 12'525 XPF de congés-payés sur préavis et 180'000 XPF au titre des frais irrépétibles. La SARL KANNIKA était également condamnée à rembourser à Mme [T] le coût du billet d'avion prélevé sur ses salaires et à régulariser la situation de la salariée auprès de la CAFAT. Elle déboutait la salariée du surplus de ces demandes et fixait à 125'254 XPF le salaire de référence sur la base moyenne des trois derniers salaires.

Par requêtes respectives des 25 et 26 août 2022, la Société KANNIKA THAI BIEN ÊTRE et Mme [T] ont relevé appel de cette décision

***

Au terme de ses dernières écritures en date du 24 janvier 2024, Mme [T] soutient pour l'essentiel':

- qu'elle conteste, s'agissant des rappels de salaire, avoir reçu l'intégralité de ce qui lui était dû et réclame de ce chef 1'095'031 XPF soit 1'302'498 XPF que KANNIKA reconnaît devoir moins 207'467 XPF pour décembre 2018, janvier et février 2019 payés en avril 2019.

- concernant le temps de travail effectif, elle indique qu'elle effectuait des semaines de 363 heures 45 soit (8'h/ 20'h six jours par semaine), le contrat de travail validé par le premier juge étant à cet égard imprécis et qu'aucun planning ne lui était remis contrairement à ce qui est indiqué. Sur ce point, les mentions figurant au contrat constituent une présomption d'une durée de travail de 72 heures par semaine. Subsidiairement, elle explique qu'en l'absence de mention sur un temps partiel dans le contrat, ce dernier doit être présumé à temps plein.

- regardant un rappel des heures complémentaires, rémunérées à la différence des heures supplémentaires au taux conventionnel et sans majoration, une somme de 433'636 XPF correspondant à 439,4 heures entre décembre 2017 et février 2019

- quant au paiement des heures supplémentaires, elle demande une somme de 2'609'756 XPF correspondant à 450,32 heures majorées à 25'% et 1405, 56 heures majorées à 50'% sur la base d'un salaire de référence de 346'289 XPF

- qu'elle n'a pas bénéficié de repos compensateur obligatoire au-delà du contingent annuel, justifiant une demande de dommages-intérêts à ce titre compte tenu du préjudice qui en est résulté pour elle, celle-ci ayant subi un épuisement professionnel qu'elle estime à (3300 heures X 50'%) X 926,44 XPF = 3'056'660 XPF

- qu'elle subit un préjudice lié au dépassement de la durée légale du travail quand elle effectuait plus de 10 heures / jour, indemnisation qu'elle chiffre à 500'000 XPF

- qu'elle a travaillé tous les dimanches au mépris des dispositions légales et de l'article 36 de la convention collective applicable, de sorte que sa demande de dommages-intérêts compte tenu du préjudice qu'elle a subi du fait de l'absence de repos de janvier à septembre 2018, soit 40 dimanches, s'élève à 100'000 XPF

- qu'elle a été victime de travail dissimulé par dissimulation d'emploi à compter du 7 décembre 2017, l'employeur ne l'ayant déclarée qu'à compter du 23'janvier2018 et s'abstenant de lui remettre ses bulletins de salaire et son contrat de travail traduits en thaïlandais malgré ses nombreuses demandes réitérées soit un préjudice estimé à 500'000 XPF

- qu'elle a subi un harcèlement moral et une véritable discrimination, l'employeur l'ayant exploitée du fait de la méconnaissance de la langue française ce qui est a l'origine d'un syndrome dépressif lié au surmenage justifiant sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice qui en est résulté chiffré à un mois de salaire soit 346'289 XPF

- que l'employeur devait lui rembourser son billet d'avion soit 136'700 XPF sur le fondement de l'article R 121-1 du CTNC, alors que le coût de celui-ci a été prélevé sur son salaire.

- que le courrier adressé à l'employeur le 26 avril 2019 n'était pas une prise d'acte de la rupture contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal mais une demande de résiliation du contrat, ce qui n'a pas été suivi d'effet de sorte qu'elle sollicite que soit prononcée la résiliation judiciaire de celle-ci aux torts de l'employeur et de dire qu'il doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle demande que l'ensemble de ces sommes produise intérêt au jour de l'assignation initiale en référé - comprendre le 11 juin 2019 - sur le fondement de l'article 1151-1 du code civil outre 250'000 XPF au titre des frais irrépétibles.

Dans des conclusions récapitulatives datées du 26 février 2024, la société KANNIKA s'oppose aux demandes exposant notamment en substance':

- sur la demande requalification du contrat de travail à temps plein, que le contrat écrit de Mme [T] respectait l'article Lp 223-10 du CTNC en mentionnant avec précision les heures mensuellement réalisées (130 heures), celles effectivement réalisées hebdomadairement (31.5 heures) et les heures journalières soit 5 heures par jour et non 12 heures, le tout corroboré par les bulletins de salaires produits par la requérante, la présomption de temps plein invoquée par la requérante n'étant pas corroborée par des éléments établissant le nombre précis d'heures réalisées

- que la salariée n'établit pas avoir été à la disposition permanente de l'employeur de sorte qu'il n'existe aucune présomption de temps plein': elle produit ainsi des attestations en ce sens

- sur la demande de règlement des heures supplémentaires, elle fait valoir que la preuve n'est pas rapportée que des heures ont été effectuées au-delà des 39 heures hebdomadaires sauf à donner du crédit au témoignage très contestable du compagnon de Mme [T], d'ailleurs contredit par le témoignage du concubin de Mme [Z] salariée de la société depuis 2013 laquelle confirme 5 heures de travail journalier selon un planning fixé et transmis à l'avance

-sur le remboursement de son billet d'avion et el repros du dimanche, elle fait valoir que la demande n'est pas fondée et que s'agissant de celle relative au repos dominical, l'employeur pouvait déroger ponctuellement a cette interdiction dans l'année alors que la salariée ne rapporte pas la preuve qu'elle a travaillé tous les dimanches.

KANNIKA conteste avoir manqué à ses obligations déclaratives soutenant avoir recruté Mme [T] à compter du 23 janvier 2018 et avoir déclaré et rémunéré toutes les heures réalisées par elle ainsi que l'établissent ses bulletins de salaire (piéce N°8 def)

Enfin, elle soutient que la requérante ne rapporte pas la preuve d'agissements répétés de l'employeur constitutifs de harcèlement moral, ni d'une dégradation consécutive de sa santé ou de ses conditions de travail et de l'intention de nuire de l'employeur, non plus que d'actes de discrimination, l'ensembIe du personnel étant de nationalité thaïlandaise au sein du salon.

Sur la rupture du contrat de travail, elle soutient que Mme [T] ne saurait solliciter la résolution de son contrat de travail alors qu'elle avait saisi le juge des référés en prenant acte de la rupture le 26 avril 2019 ainsi qu'exposé par son conseil, la société ayant exécuté la décision et débauché la salariée auprès de la CAFAT à cette date.

***

SUR QUOI

Sur la requalification du contrat de travail à temps complet

Aux termes de l'article Lp. 223-10 du code du travail de Nouvelle-Calédonie « Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. ll mentionne notamment :

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle du travail ;

2° La répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou, le cas échéant, les semaines du mois, sauf pour les salariés des associations d'aide a domicile. Le contrat de travail définit en outre les conditions dans lesquelles une modification de cette répartition peut intervenir. Toute modification de cette répartition est notifiée au salarié sept jours au moins avant la date à laquelle elle doit intervenir ;

3° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixé par le contrat, dans le cadre éventuellement prévu par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement'»

Un contrat de travail est présumé à temps plein complet s'il n'est pas écrit ou si les mentions légales ne figurent pas sur le contrat. Mais l'absence d'écrit n'en fait pas pour autant un contrat à temps plein s'agissant d'une présomption simple qui peut être combattue.

La seule exécution d'heures complémentaires au-delà de la limite autorisée n'entraîne pas la requalification du contrat de travail en temps complet et il appartient au salarié de rapporter la preuve qu'il a travaillé à temps plein (Cass. Soc. 17 décembre 2003, N°02.42.044 et Cass. Soc. 25 janvier 2017, N°15-16. 708).

Mme [T] expose que son contrat à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet au motif qu'elle se tenait à la disposition de son employeur sur une amplitude journalière de 12 heures (8'h à 20'h) chaque jour de la semaine à l'exception du mercredi tel que prévu par les dispositions de l'article 5 de son contrat.

Elle en conclut qu'elle effectuait des semaines de 363 heures 45, le contrat de travail étant à cet égard imprécis, aucun planning ne lui étant remis contrairement à ce qui est indiqué dans le contrat. Elle fournit pour preuves les témoignages de son compagnon M. [K] et celui d'anciennes salariées et du concubin de l'une d'entre elles M. [N] l'employeur n'établissant pas le respect du délai de prévenance de 7 jours lors de l'établissement des plannings et de ses éventuelles modifications.

Mme [T] considère sur la base de ces attestations qu'elle est fondée à titre subsidiaire à bénéficier de la présomption d'emploi à temps plein de 39 heures par semaine ainsi que le paiement de ses heures complémentaires au visa de l'article Lp 221-1 du CTNC et de ses heures supplémentaires en application de l'article Lp 221-4 du CTNC.

Il convient en conséquence d'analyser dans un premier temps les contrats signés par les parties'et d'apprécier les témoignages produits au débat .

Le premier contrat conclu le 26 novembre 2017 était rédigé comme suit':

«'Madame [T] [B] est embauchée pour effectuer 130 heures par mois réparties selon le planning suivant': 5 heures le lundi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h, 5 heures le mardi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h, 5 heures le jeudi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h, 5 heures le vendredi avec une amplitude horaire allant de 8 h à 20'h, 5 heures le samedi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20 heures, le dimanche avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h

Dans la semaine, il ne sera pas possible de travailler plus de 31,2 heures réparties ou 135,2 heures par mois.

Les horaires de travail seront déterminés par la Direction en fonction des besoins de l'entreprise. Compte tenu de la nature des prestations proposées, les horaires ne peuvent être déterminés au moment de la signature du présent contrat de travail.

ll est précisé ici que les horaires de travail sont susceptibles d'être modifiés 7 jours avant (Lp 223-10) à la demande de la direction, en fonction des besoins de l'entreprise ce que Madame [T] [B] accepte expressément et sans réserve.

Madame [T] [B] s'engage à respecter les horaires qui lui sont attribués par sa hiérarchie, 6 jours par semaine et un jour de repos par semaine."

L'article 5 du contrat de travail conclu le 22 octobre 2018 entre les parties disposait que Mme [T] était " embauchée pour effectuer 135.2 heures par mois répartie selon le planning suivant':

5 heures le lundi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h

5 heures le mardi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h

5 heures le jeudi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h

5 heures le vendredi avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h

6 heures le dimanche avec une amplitude horaire allant de 8'h à 20'h

('.) dans la semaine, elle effectuera 31.2 heures réparties sur 6 jours ou 135.2 heures par mois, la durée de travail journalière peut varier de 4 heures à 8 heures selon les rendez-vous, Les heures complémentaires seront payées comme heures de travail normales et ne seront en aucun cas majorées, les horaires seront déterminés par la Direction en fonction des besoins de l'entreprise (') compte tenu de la nature des prestations proposées, les horaires ne peuvent être déterminés au moment de la signature du présent contrat de travail (') les horaires de travail sont susceptibles d'être modi'és 7 jours avant (Lp 123-10) à la demande de la direction, en fonction des besoins de l'entreprise ce que Mme [T] [B] accepte expressément et sans réserve (') et s'engage à respecter les horaires qui lui sont attribués par sa hiérarchie 6 jours par semaine et un jour de repos par semaine. Le jour peut varier d'une semaine sur l'autre. " Il était également stipulé qu'elle pouvait être amenée à effectuer des heures complémentaires «'.en fonction des rendez-vous et des besoins de l'entreprise au-delà de 135,2 heures par mois (') la durée du travail totale, heures complémentaires comprises, doit rester inférieure à la durée légale ou conventionnelle de travail...'»

La seule mention de l'amplitude horaire (8 heures à 20 heures) ne suffit pas à établir que Mme [T] travaillait 12 heures par jour d'autant qu'ainsi que relevé par le tribunal, toutes les modalités obligatoires sur la durée du travail figurent au contrat soit':

La répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou, le cas échéant, les semaines du mois soit 5 heures par jour avec un maximum de 31 heures, 2 heures par semaines les jours définis ou 135.5 heures par mois.

Les conditions dans lesquelles une modification de cette répartition peut intervenir et la mention que toute modification de cette répartition est notifiée au salarié sept jours au moins avant la date à laquelle elle doit intervenir ;

les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixé par le contrat ;

La salariée fait cependant valoir qu'aucun planning ne lui était remis sept jours à l'avance ainsi qu'annoncé et maintient avoir travaillé 12 heures par jour. Elle produit au débat plusieurs attestations en ce sens.

L'objectivité de ces témoignages doit être interrogée ainsi que l'a fait le tribunal puisque':

- elles proviennent du compagnon de la requérante (M. [K]) et de celui d'une ancienne salariée Mme [A] (M. [N]), qui est également en litige avec la défenderesse et relatent ce qui leur a été dit

- les témoignages des anciennes salariées, Mmes [R] et [H] évoquent des éléments d'ambiance qui décrivent leurs propres conditions de travail à l'exception du cas de Mme [T], déclarations d'ailleurs contredites concernant cette dernière par trois attestations précises de Mmes [J] et [Y], deux anciennes réceptionnistes et Mme [X] ancienne salariée selon lesquelles la requérante, à l'instar des autres masseuses, travaillait 5 heures par jour au vu d'un planning, pouvait échanger les rendez-vous avec ses collègues et n'avait aucune obligation de rester dans l'appartement où elle était logée ou au salon lorsqu'elle n'avait pas de rendez-vous.

- le contrat prévoyait 130 heures de travail par mois ou 31,2 heures par semaine soit un temps partiel': il n'y a donc aucune absence d'écrit.

Dans ces conditions, la requérante sera déboutée de sa demande de requalification en contrat de travail à temps complet et la décision du tribunal confirmée

Sur le rappel des heures de repos compensateurs et le dépassement de la durée de travail

L'accomplissement d'heures complémentaires est réglementé par les articles Lp. 223-10 et Lp. 223-11 du Code du travail. ll est notamment prévu que le contrat de travail du salarié à temps partiel mentionne les limites dans lesquelles ce dernier peut accomplir des heures complémentaires et que le nombre d'heures accomplies au cours d'un même mois ne peut être supérieur au tiers de la durée mensuelle de travail prévue au contrat. En tout état de cause, l'accomplissement d'heures complémentaires ne peut avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par le salarié au niveau de la durée légale du travail.

La durée légale du travail effectif des salariés est de trente-neuf heures par semaine. (Lp. 221-1du CTNC). Concernant les heures supplémentaires, celles qui sont accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article Lp. 221-1 du Code du travail ouvrent droit à des majorations de salaire et au-delà d'un certain seuil à des repos compensateurs (articles Lp. 221-3 et 221-6 du Code du travail).

La durée quotidienne du travail effectif ne peut excéder dix heures, sauf dérogations accordées par l'inspecteur du travail ou prévues par voie conventionnelle. (Lp. 221-14 du code du travail). Quant aux heures supplémentaires, elles peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel fixé à 130 heures après information de l'inspecteur du travail et, s'il en existe, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. (Lp. 221-10 et R. 221-3 du CTNC)

Dans ses dernières écritures, Mme [T] soutient que le premier juge a inversé la charge de la preuve lorsqu'il indique qu'''..il appartient d'abord au salarié qui soutient avoir exécuté des heures supplémentaires de rapporter la preuve du principe de cette réalité'». Elle fonde son argument sur l'article «'Lp 224-2 du CTNC qui dispose que l'employeur a l'obligation de contrôler les heures de travail effectuées.'» (sic) et au vu du «'commencement de preuve sérieux'» produit au débat.

Or il sera relevé que ce texte dispose en réalité qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné toutes mesures d'instruction utiles le cas échéant. Il s'agit du droit commun de la preuve.

KANNIKA a justifié des horaires contractuels, des modalités d'organisation du service de massage, du partage des taches entre les salariés et de l'organisation du travail annexe (ménage et linge) quand Mme [T] se borne à affirmer qu'elle a effectué les heures réclamées et ne produit pas plus en appel qu'en première instance d'autre élément concret sur ses horaires de travail (décompte ou planning) que les mêmes attestations déjà produites au tribunal lesquelles apparaissent soit d'une objectivité douteuse (celles de son compagnon et celle du compagnon de sa collègue), soit sont contredites par d'autres salariées ainsi qu'il a été déjà exposé supra.

Mme [T] échoue ainsi à prouver qu'elle a effectué les heures complémentaires et des heures supplémentaires en dépassant la durée légale du travail': le premier jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le repos dominical

Le repos hebdomadaire est obligatoire. ll a lieu le dimanche. La durée du repos hebdomadaire est de 24 heures consécutive et par journée entière. Ce repos doit être accolé à un repos journalier d'un minimum de 11 heures.

Conformément à l'article 5 de la délibération modifiée n° 293 du 4 mars 1988 relative au repos hebdomadaire, '...des autorisations peuvent être accordées par l'exécutif du Territoire après avis du Conseil Municipal, de la Chambre du Commerce et d'industrie ou de la Chambre des Métiers et des Syndicats d'employeurs et de travailleurs intéressés de la Commune, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année suivant l'une des modalités ci-après': a) un autre jour que le dimanche à tout le personnel de l'établissement,b) du dimanche midi au lundi midi, c) le dimanche après-midi avec un repos compensateur d'une journée par roulement et par quinzaine, d) par roulement a tout ou partie du personnel. "

Mme [T] devait travailler le dimanche ainsi qu'il résulte des deux contrats signés par l'intéressée. Or l'employeur ne justifie pas avoir obtenu l'autorisation requise pour le travail dominical .

Le fait d'avoir imposé a la salariée de travailler tous les dimanches pour une activité qui ne le nécessitait pas a incontestablement causé un préjudice moral à la salariée qu'il convient d'indemniser à hauteur de la somme demandée soit 100'000 XPF.

Sur le travail dissimulé

Le travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, interdit par l'article Lp. 461-1 du code du travail, est défini comme « le fait pour tout employeur 1) Soit de ne pas remettre a chacun des salariés qu'il emploie, lors du paiement de sa rémunération, un bulletin de paie et de ne pas l'inscrire sur un registre d'embauche. 2) Soit, satisfaisant à ces obligations, de délivrer mème avec l'accord du salarié, un bulletin de paie mentionnant un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli. 3) Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article Lp. 421-3, relatif a la déclaration préalable à l'embauche'» (article Lp. 461-2 du même Code). Il est réprimé par l'article L 462-32 du CTNC s'agissant d'un délit correctionnel.

Il est constant que sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, il est toujours possible d'obtenir une indemnisation, toute infraction pénale étant par hypothèse susceptible de constituer un délit civil': encore convient-il de caractériser ce dernier.

Or, pas plus en appel qu'en première instance, il n'est produit de procédure pénale à l'appui des écritures de l'appelante laquelle se borne à indiquer à cet égard que «'l'enquête'» n'a pas abouti «'n'ayant pas été traitée de manière prioritaire'» par le ministère public. En l'état d'une telle affirmation, il se comprend que le dossier a vraisemblablement été classé par le parquet.

Il reste donc pour caractériser le travail dissimulé, l'affirmation de Mme [T] selon laquelle elle n'a été déclarée à la CAFAT que le 23 janvier 2018 alors quelle a commencé à travailler le 7 décembre 2017, la paye reçue pour cette période correspondant au montant de son billet d'avion, les bulletins de salaires ne lui étant pas remis.

KANNIKA conteste néanmoins ce fait et justifie que Mme [T] a bien été déclarée auprès de la caisse. Elle relève d'ailleurs que lors de la procédure de mise en état et plus particulièrement à l'occasion d'un incident soulevé par la requérante, elle a pu justifier du paiement de sa salariée pour la période du 07 décembre 2017 au 23 janvier 2018 par le versement d'une somme de 1842'€ (70'000 Baths) sur un compte thaïlandais géré par la famille de la salariée à propos duquel cette dernière indiquait qu'elle n'avait aucune idée des montants précis qui avaient pu être payés. Bien plus, elle ne contestait pas le montant indiqué sur les bulletins de salaire lesquels étaient perçus en liquide. La somme de 1842'€ correspond d'ailleurs peu ou prou à un mois et demie de travail (07/12 au 23/01) si on considère que le montant visé sur le premier contrat était de 119'767 XPF mensuel soit 1003,65'€. La requérante a produit au débat ses bulletins de salaire de sorte que ces derniers lui ont bien été remis.

Le fait qu'une procédure pénale dont on ne sait rien ait été diligentée pour travail dissimulé concernant une autre salariée à l'encontre de KANNIKA n'est pas suffisante pour établir que la requérante a travaillé sans avoir été déclarée en décembre 2017.

Dans ces conditions, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur le harcèlement moral et la discrimination

Les agissements répétés à l'encontre d'une personne ayant pour objet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte a ses droits, à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel constituent au sens de l'article Lp 114-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie un harcèlement moral. Ceci suppose l'existence d'actes volontaires répétitifs et blâmables et que les agissements visés aient réellement porté atteinte aux droits et a la dignité des victimes.

Dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers a tout harcèlement. (Cass, Soc.24 sept 2008, n° 06-43504).

Mme [T] soutient avoir été harcelée par son employeur qui l'aurait fait travailler jusque 12 heures par jour en l'empêchant de quitter l'appartement où elle était logée et en ne lui remettant pas son salaire pour se nourrir. De même, elle aurait été victime de discrimination en raison du fait qu'elle ne parlait pas la langue française.

A l'instar de ce qui est exposé supra, elle ne produit à l'appui de ses allégations que l'attestation de son concubin, M. [K] et celle du concubin d'une autre salariée qui a saisi le tribunal, lesquelles se bornent à relater ce que leur ont raconté leur compagne. Il demeure une attestation de Mme [L] [D] selon laquelle l'appelante devait travailler 12 heures par jour et avait interdiction de fréquenter les personnes de sexe opposé et les clients laquelle est cependant contredite par les attestations produites par la défenderesse précises et circonstanciées qui affirment que la requérante et les masseuses pouvaient sortir librement et qu'elles n'effectuaient que 5 heures par jour.

Mme [T] soutient également avoir dénoncé les faits à l'inspection du travail sans en justifier. Quant au certificat médical du Dr [P] produit lequel constate un trouble dépressif caractérisé dont le facteur déclenchant serait d'origine professionnelle à savoir des conditions de travail dégradées décrites par la patiente, il se borne à retranscrire les propos de l'appelante et échoue dans ces conditions à établir qu'elle a subi des actes de harcèlement et de discrimination du fait quelle ne parlait pas la langue française.

Pour ce qui concerne les faits de discrimination, l'article Lp 112-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose qu'il est interdit de prendre en considération l'origine, le sexe, l'état de grossesse, la situation de famille, l'appartenance ou la non-appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, l'opinion politique, l'activité syndicale , le handicap ou les convictions religieuses, tout acte ou disposition contraire étant nuls de plein droit.

Sur ce point, le seul reproche qui ressort des écritures de l'appelante est l'absence de traduction en langue thaïlandaise de son contrat de travail conformément aux termes de l'article L 121-1 alinéa 2 du CTNC lequel dispose que lorsqu'un salarié est étranger et le contrat passé par écrit, une traduction est rédigée «'à la demande du salarié'»' dans la langue de ce dernier.

Or d'une part, Mme [T] ne justifie pas avoir demandé cette traduction, d'autre part, rédiger en français des contrats de travail dans une entreprise française et sur le territoire français, ne saurait constituer une pratique discriminatoire étant en outre observé que l'ensemble des salariées, toutes de nationalité thaïlandaise, n'ont jamais fait état d'aucune difficulté à ce titre.

Dans ces conditions, la requérante n'établit pas en l'état quelle a fait l'objet d'actes répétitifs blâmables de nature à nuire à sa dignité et sa santé ou d'une quelconque discrimination et la décision du tribunal sera confirmée sur ce point.

Sur le paiement des frais de voyage

«'Le salarié engagé hors de la Nouvelle-Calédonie par contrat de travail à durée indéterminée devant recevoir exécution en Nouvelle-Calédonie, a droit a la prise en charge par l'employeur des frais de voyage et de transport des bagages pour lui-même, ainsi que pour son conjoint et ses enfants mineurs vivant habituellement avec lui. Est pris en compte le trajet du lieu de résidence au lieu d'emploi et du lieu d'emploi au lieu antérieur de résidence.' (article R 121-1 CTNC)

Il n'est pas contesté que la requérante a été embauchée en Thaïlande de sorte que la prise en charge de son billet d'avion incombait à l'employeur. Ce dernier ne justifie pas avoir réglé ce billet et ne s'explique pas sur les allégations de la requérante selon lesquelles des retraits ont été effectués sur son salaire pour rembourser celui-ci alors qu'apparaissent deux prélèvements de 68'350 XPF en avril et mai 2018 intitulés «'avantage en nature'» pour lesquels l'employeur ne donne aucune explication.

KANNIKA THAI sera condamné à rembourser à la salariée le coût du billet d'avion sans qu'il y ait lieu d'ordonner la production du billet alors qu'invité à produire la facture correspondante, l'employeur n'a pas obtempéré à cette demande au cours de la procédure.

Le montant réclamé sera ainsi accordé soit 136'700 XPF (68'750 XPF X 2)

Sur la rupture du contrat de travail

Pour qu'une démission ou une prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il convient que les faits invoqués par le salarié soient non seulement établis mais constituent des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur, telle que le non-paiement des salaires (soc, 06/07/2004).

L'écrit par lequel un salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixant pas les limites du litige, le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, y compris en cours d'instance, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Il résulte des pièces produites au débat par la requérante et de la procédure de référé précitée (assignation et écritures de la requérante) que la salariée avait adressé le 26 avril 2019 à son employeur un courrier daté du 16 avril intitulé 'Rupture du contrat de travail à vos torts' était rédigé en thaïlandais comme suit :

'Vous m'avez recrutée depuis [Localité 2] en Thaïlande en qualité de masseuse thaïe au salon de massage KANNIKA THAI BIEN ÊTRE.

Vous m'avez fait venir à [Localité 3] en réglant mon billet d'avion. J'ai commencé à travailler le 07 décembre 2017.

Le rythme de travail a été immédiatement de 12 heures par jour, les horaires étant de 8 h a 20 h tous les jours.

Vous m'avez fait signer un contrat en français sans me remettre de traduction, puis vous m'avez fait signer les bulletins de salaire sans me les remettre.

J'ai d'abord dû vous rembourser mon billet d'avion et ma tenue de travail avant de pouvoir bénéficier de mon "salaire". En fait, je n'ai jamais été payée pour le travail effectivement réalisé.

J'ai ignoré les heures qui m'avaient été payées jusque ce que mon compagnon m'informe.

J'ai été logée dans un appartement de type F1 situé au-dessus du salon. On se partageait le petit espace à quatre. ll y avait deux lits dans la chambre et deux dans l'espace salon-cuisine. On disposait d'une douche et d'un WC se trouvant dans une petite salle d'eau pour quatre.

J'ignore quelles sont les sommes qui ont été versées exactement en paiement de mon travail. Cet argent a été payé directement à ma famille.

Le seul jour non passé à faire des massages, le mercredi, il était interdit de quitter l'appartement. La matinée était consacrée à nettoyer les tenues de travail ainsi que mon propre linge. Quant à l'après-midi, je devais attendre au cas où un client se présentait. Dans ce cas-là, je devais descendre au salon le masser, j'étais rémunérée 1'000'F CFP de l'heure et 1'500'F CFP pour deux heures de massage en continu et payée en liquide.

Vous m'avez accordé 3 jours de congé en une année de travail à votre service, les jours étant le 25 décembre, le 1er janvier et le 1er mai.

Après avoir travaillé de façon harassante pendant un an, j'ai craqué physiquement et développé de l'hypertension artérielle.

Aussi, je sollicite que mon arrêt de travail du 10 décembre 2018 soit reconnu comme un accident du travail auprès de la CAFAT.

J'ai dénoncé à l'inspection du travail et à la Police aux Frontières l'ensemble de ces faits.

ll s'avère que je n'ai pas été déclarée auprès de la CAFAT au début de mon travail le 07 décembre 2017 mais seulement en janvier 2018.

J'ai dû batailler pour récupérer mon titre de séjour et mon autorisation de travail auprès du Haut-Commissariat, car vous n'avez pas voulu me les rendre en main propre.

Mon compagnon a bien voulu m'aider et m'héberger lorsque je suis tombée malade, car vous avez changé les serrures de l'appartement dans lequel je résidais.

À ce jour, le médecin continue de me mettre en arrêt de travail, mais je ne vois pas comment il serait possible de revenir travailler auprès de votre salon de massage.

Par conséquent, je vous informe que je considère le contrat de travail rompu à vos torts."

Mme [T] soutient que son contrat de travail n'a pas été rompu par ce courrier et sollicite la résolution judiciaire du contrat aux torts de l'employeur.

KANNIKA THAI s'oppose à cette demande de résolution en faisant valoir que la requérante avait saisi le juge des référés d'une demande de requalification de sa prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir visé expressément cette lettre notifiée à l'employeur le 26 avril 2019 changeant subitement de position devant la cour d'appel.

Il sera donc examiné si cette lettre a entraîné la rupture de la relation de travail et dans l'affirmative, si les griefs imputés à l'employeur sont établis et suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail.

Le conseil de Mme [T] fait état pour indiquer que la rupture ne pouvait résulter du courrier précité de ce que «'l'usage du thaïlandais et de ses règles de politesse s'avèrent en contradiction avec l'émission de la décision de rompre le contrat par le salarié'», celle-ci ne pouvant ne pouvait «'en respect des règles d'élocution thaïlandaise décider seule de la rupture de son contrat», la traduction réalisée pour le compte de l'employeur mettant «'en évidence le caractère très équivoque des demandes de la salariée'».

Il sera tout d'abord observé que l'appelante avait la possibilité de faire procéder à une traduction dans l'hypothèse où celle-ci ne lui convenait pas.

Pour le reste, ce courrier indique on ne peut plus clairement que compte tenu des manquements de l'employeur, la salariée considère que le contrat est rompu aux torts de ce derrnier. Le conseil de la requérante avait d'ailleurs saisi le juge des référés d'une demande de requalification de cette prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [T] ayant cessé tout travail et ne communiquant pas sa nouvelle adresse après le 26 avril.

KANNIKA THAI soutenant à juste titre en référé qu'il ne pouvait être statué sur l'imputabilité de la rupture, la salariée s'est désistée de sa demande de requalification de prise d'acte en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Or sur interrogation expresse de la présidente, Mme [T] a confirmé que le contrat était rompu à la date de la notification de la prise d'acte soit le 26 avril ce qui a entraîné la remise des documents de fin de contrat par l'employeur afin que la requérante puisse obtenir les indemnités de chômage.

Il s'ensuit que la salariée ne saurait soutenir d'une part que les parties étaient d'accord pour reconnaître que la lettre dont l'objet était "rupture du contrat à vos torts" constituait une demande d'autorisation de rompre le contrat et d'autre part que le contrat n'étant pas rompu au 26 avril 2019, il était toujours en cours au moment où l'employeur lui a remis son solde de tout compte suite à sa demande de requalification de la prise d'acte de la rupture devant le juge des référés.

Son intention a toujours été celle de rompre le contrat tel que cela été traduit en français et que cela résulte des écritures de son conseil devant le juge des référés, ce qu'avait compris la défenderesse en prenant la précaution de lui demander par huissier ce qu'était vraiment son intention ' S'agit-il d'une démission'' D'une prise d'acte'' D'une demande de négociation ' "

Il s'ensuit que le contrat a été rompu le 26 avril 2019 suite à la prise d'acte de la rupture de la salariée et qu'en conséquence, l'employeur n'a commis aucun abus en lui remettant les documents de fin de contrat à cette date d'autant que l'ordonnance de référé évoquée ci-dessus disposait comme suit': «' En l'espèce, il n'est pas contesté que le contrat de travail de Mme [T] a été rompu le 26 avril 2019 et que celle-ci n'a pas reçu de document de fin de contrat. Dans ces conditions, il convient d'ordonner à la Sarl KANNIKA de délivrer un certificat de travail conforme dans le délai de 15 jours à compter de la notification du présent jugement.'»

Les manquements imputés par la requérante à l'employeur sur le non-respect des règles sur la durée du travail à temps partiel, le travail dissimulé, le fait qu'elle travaillait comme une esclave et était retenue dans sa chambre ne sont corroborés par aucun élément objectif sérieux, tel que cela a été analysé ci-dessus à l'exception du travail dominical pendant plus d'un an et de l'absence de prise en charge de son billet d'avion de [Localité 2] à [Localité 3].

Ces violations à la législation du travail sont néanmoins suffisamment conséquentes pour requalifier la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur.

Sur l'indemnisation pour licenciement abusif

Par application des dispositions de l'article Lp. 122-35 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie, si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, a la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure a un mois de sa/aire.

Si ce licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, en cas de deux ans ou plus d'ancienneté. Lorsque l'ancienneté du salarié est inférieure à deux ans dans ce cas de licenciement pour cause non réelle et sérieuse, l'indemnité octroyée par le juge est fonction du préjudice subi et peut de ce fait être inférieure aux salaires de six derniers mois.

En l'espèce, il est avéré que la procédure est irrégulière mais le licenciement étant survenu pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, la demanderesse n'est pas fondée à réclamer l'indemnité pour procédure irrégulière par application des dispositions précitées, cette indemnité n'étant pas cumulable avec celle pour le préjudice subi au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au vu de la durée des relations, (1 an et 4 mois) et du montant moyen de son salaire (125'254 XPF), il lui sera alloué à ce titre la somme 500'000 XPF à titre de dommages-intérêts.

Sur le préavis

En cas d'inexécution par le salarié du préavis, l'employeur est tenu au paiement d'une indemnité compensatrice lorsque cette inexécution lui est imputable. En application de l'article 87 de l'Accord interprofessionnel Territorial applicable en Nouvelle-Calédonie, la durée de ce préavis est de 1 mois correspondant en l'espèce à la somme de 125'254 XPF au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 12'525 XPF au titre des congés-payés sur préavis.

L'employeur sera donc condamné de ce chef

Sur la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux

La SARL KANNIKA doit régulariser la situation de la requérante auprès des organismes sociaux conformément au dispositif de la présente décision.

Sur la production des documents de fins de contrat rectifiés

KANNIKA THAI justifie avoir produit le solde de tout compte et le certificat de travail à la date du 26 avril 2019 date de la rupture.

Sur l'exécution provisoire

ll sera rappelé que l'exécution provisoire est de droit en cause d'appel

Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de la requérante les frais irrépétibles quelle a engagés.

La société défenderesse sera condamnée a lui payer la somme de 100 '000 XPF à ce titre et sera déboutée de sa demande sur ce fondement.

Sur les dépens

Les dépens seront à la charge de KANNIKA THAI qui succombe.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal du travail entrepris notamment en ce qu'il dit que le contrat a été rompu par la prise d'acte de rupture du contrat de travail le 26 avril 2019 laquelle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

FIXE a la somme de cent vingt-cinq mille deux cent cinquante-quatre (125'254) francs la moyenne des trois derniers salaires

CONDAMNE la SARL KANNIKA THAI BIEN ETRE à régler à Mme [B] [T] les sommes suivantes :

-Cinq cent mille (500'000) francs (dommages-intérêts licenciement sans cause réelle et sérieuse)

-Cent vingt-cinq mille deux cent cinquante-quatre (125'254) francs (indemnité compensatrice de préavis) outre douze mille cinq cent vingt-cinq (12'525) francs (congés-payés sur préavis)

-Cent trente-sept mille six cents (137'600) francs coût du billet d'avion prélevé sur ses salaires

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la SARL KANNIKA THAI BIEN ÊTRE à payer a Mme [B] [T] cent mille (100'000) francs au titre des frais irrépétibles ;

DÉBOUTE la SARL KANNIKA THAI BIEN ÊTRE de sa demande en paiement de frais irrépétibles ;

CONDAMNE la SARL KANNIKATHAI BIEN ÊTRE aux dépens de l'instance;

FIXE à 3 les unités de valeurs dû à Me KAIGRE, désigné à l'aide juridictionnelle totale numéro 2021/000823.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00061
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.00061 ?
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