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25/03/2024 | FRANCE | N°22/00322

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 25 mars 2024, 22/00322


N° de minute : 2024/57



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 25 mars 2024



Chambre civile









N° RG 22/00322 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TNS



Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 28 octobre 2022 par le président du tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 22/316)



Saisine de la cour : 7 novembre 2022



APPELANT



FONDS SOCIAL DE L'HABITAT

Siège social [Adresse 1]

Représenté par Me Franck ROYANEZ de la SELARL D'AVOCAT FR

ANCK ROYANEZ, avocat au barreau de NOUMEA



INTIMÉS



S.A.R.L. ENTREPRISE DE CONSTRUCTIONS TRADITIONNELLES, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social [Adres...

N° de minute : 2024/57

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 25 mars 2024

Chambre civile

N° RG 22/00322 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TNS

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 28 octobre 2022 par le président du tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 22/316)

Saisine de la cour : 7 novembre 2022

APPELANT

FONDS SOCIAL DE L'HABITAT

Siège social [Adresse 1]

Représenté par Me Franck ROYANEZ de la SELARL D'AVOCAT FRANCK ROYANEZ, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

S.A.R.L. ENTREPRISE DE CONSTRUCTIONS TRADITIONNELLES, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social [Adresse 2]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. ACTB, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 6]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. SOCIETE DE CONSTRUCTIONS PIREL, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 5]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

25/03/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me LOUAULT ;

Expéditions - Me ROYANEZ ;

- Copie CA ; Copie TPI

S.A.R.L. SOCIETE DES ENTREPRISES ADIMANNI ET BENEDETTI (ARBE), prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. PONTONI, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 novembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour le 25 mars 2024 après prorogations, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Le 8 octobre 2020, la société mutualiste FONDS SOCIAL DE L'HABITAT (FSH) a fait paraître un avis d'appel d'offres ouvert concernant la construction du siège de cet organisme, de 96 logements locatifs, de locaux commerciaux et de parkings dans la ZAC [Adresse 7], opération dénommée 'Ilot 333' comprenant quatre tranches fermes réalisées concomitamment.

Le règlement particulier d'appel d'offres précisait (art.2.2) que le marché était un marché privé de travaux défini par les articles 1710, 1779-3 du code civil et soumis, sauf dérogation contractuelle, aux dispositions de la norme NFP 03.001.

Trois groupements d'entreprises ont régulièrement soumissionné :

- les SARL ECT, ACB et GTNC,

- les SARL PIREL, PONTONI et ARBE,

- le groupement des SOCIÉTÉS CALÉDONIENNES DE BÂTIMENTS dit SCP-OCR NC.

Le marché ayant été attribué à ce troisième groupement, les sociétés constituant deux premiers groupements ont fait assigner le FSH devant le juge des référés du tribunal de première instance de Nouméa aux fins de le voir ordonner la remise d'une copie certifiée conforme des éléments suivants du dossier d'appel d'offres :

- le règlement de la consultation ;

- le rapport de présentation du marché ;

- les notes, classements et éventuelles appréciations des entreprises lauréates du marché ;

- les lettres et dossiers de candidature ;

- les offres de prix global ;

- la méthode de notation retenue ;

- les règles de pondération appliquées en application de l'article IV du RPAO.

Par ordonnance du 28 octobre 2022, le juge des référés a fait droit à leur demande sous astreinte de 10'000 francs CFP par jour de retard pendant trois mois passé le délai de quinze jours à compter de la signification de sa décision et a condamné le FSH à régler aux sociétés demanderesses la somme de 150'000 francs CFP en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux dépens.

Pour statuer en ce sens, le juge des référés, après avoir rappelé qu'en cas de recours à un appel d'offres, même dans le cadre d'un marché de droit privé, le soumissionnaire était tenu de respecter les règles fixées dans la consultation faute de quoi sa responsabilité pouvait être engagée ; qu'en l'espèce, les sociétés requérantes étaient fondées à obtenir les pièces sollicitées afin de vérifier le respect par le FSH de la procédure qu'il avait lui-même établie et qui l'engageait contractuellement, et ce avant tout éventuel procédure au fond.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête déposée au greffe de la cour le 7 novembre 2022, le FSH a interjeté appel de cette décision.

Au terme de ses dernières écritures communiquées le 10 mai 2023, il demande à la cour de réformer l'ordonnance en toutes ses dispositions et 'notamment en ce que les intimés ne démontrent ni l'existence d'un motif légitime, ni qu'il existe un intérêt disproportionné au regard du secret des affaires en jeu, mais aussi sur l'exécution provisoire et l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens'. Il demande en outre à la cour de condamner les intimées à lui verser la somme de 450'000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles et aux dépens d'instance, dont distraction au profit de son conseil.

En réplique, au terme de leurs dernières écritures communiquées le 4 avril 2023, les sociétés intimées concluent à la confirmation de l'ordonnance entreprise et à la condamnation de l'appelant à leur régler la somme de 350'000 francs CFP au titre de leurs frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de leur conseil.

Pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, la cour se réfère à leurs dernières écritures respectives et aux développements ci-dessous.

SUR CE

Vu les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

Il résulte du règlement particulier d'appel d'offres préalable au marché 'Ilot 333' et en particulier de son article IV que le FSH a entendu détailler, à l'intention des sociétés susceptibles de soumissionner, les différents critères et sous-critères pondérés de sélection des offres qui lui seraient soumises.

Ce faisant, il s'est engagé par avance à l'égard des soumissionnaires à 'tenir compte' de ces critères dans le jugement des offres et il est susceptible d'engager sa responsabilité en cas de manquement.

Le FSH n'est à cet égard pas fondé à soutenir que 'la rédaction du règlement lui permettait d'exercer un pouvoir discrétionnaire quant au choix du soumissionnaire retenu', la discussion quant à l'exclusivité des critères détaillés dans le règlement, indifférente à la résolution de la demande présentée au juge des référés, relevant quant à elle du juge du fond.

Il n'est pas contesté que les entreprises requérantes ont régulièrement soumissionné et n'ont pas été retenu, sans que le FSH ne consente, malgré une sommation interpellative du 27 janvier 2022, à produire le détail de l'analyse menée pour opérer sa sélection.

Le FSH a toutefois donné des informations aux groupement soumissionnaires quant à leurs rangs de classement sur le critère de prix et sur le critère technique.

Ainsi, suivant courrier électronique du 15 décembre 2021, le représentant du FSH a répondu au groupement des SARL ECT, ACB et GTNC qui l'interrogeait que 'sur le critère prix, votre groupement était bien placé, en première position. Cependant, vous vous êtes inscrits en troisième position pour le critère technique.'

Suivant courrier non daté faisant suite à la sommation interpellative du 27 janvier 2022, le représentant du FSH a indiqué à la SARL PONTONI que ' le classement de (son) groupement (était le suivant) : en deuxième position sur le critère prix, en première position pour le critère technique'.

Ces informations permettent de déduire que le groupement finalement retenu n'était arrivé que troisième sur le critère du prix et deuxième sur le critère technique, de sorte qu'il se trouvait moins bien classé sur ces deux critères, pourtant considérés comme déterminants aux termes de l'appel d'offre, que le groupement composé des SARL PIREL, PONTONI et ARBE.

Dès lors, les sociétés soumissionnaires non retenues disposent d'un intérêt légitime à obtenir communication des pièces sollicitées, avant tout procès au fond, aux fins le cas échéant de contester la régularité des conditions d'attribution du marché et d'engager la responsabilité du soumissionnaire.

Le FSH soutient en second lieu, comme en première instance, que l'atteinte au secret des affaires qu'entraînerait la production des pièces sollicitées serait disproportionnée au regard de l'intérêt poursuivi dès lors que les sociétés requérantes, concurrentes des sociétés retenues au titre de l'appel d'offres, pourraient par ce moyen d'avoir accès à un grand nombre de documents confidentiels, notamment des données issues de leur dossier de candidature, leurs appréciations et leur organisation ainsi que les offres de prix global, alors même que l'utilité d'une telle production n'est pas démontrée, les sociétés requérantes disposant déjà de plusieurs documents sollicités.

Les intimés font valoir que les documents sollicités n'ont, à l'exception du règlement de la consultation - à le supposer complet - pas été communiqués, que cette production n'est pas de nature à contrevenir au secret des affaires et qu'elle est indispensable à établir, le cas échéant, que les conditions d'attribution du marché ont été faussées.

Le premier juge s'est abstenu de répondre à ce moyen.

Il convient de rappeler que si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c'est à la condition, outre que les mesures sollicitées procèdent d'un motif légitime, qu'elles soient nécessaires à la protection des droits du demandeur et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie ou des tiers au regard de l'objectif poursuivi.

En l'espèce, il est indéniable que les société requérantes ne sont pas en mesure, en l'absence de production de pièces visées, d'établir que le soumettant a, le cas échéant, manqué à ses obligations contractuelles dans l'appréciation et l'évaluation objective des qualités respectives de chaque soumissionnaire au regard des critères fixés aux termes du règlement d'appel d'offres, de sorte que le rejet de leur demande conduirait nécessairement à les priver de leur droit à faire reconnaître en justice les manquements dont elles s'estiment victimes.

Dans le même temps, la communication litigieuse conduirait ces entreprises à connaître d'une part les moyens humains, techniques et organisationnels que le groupement finalement retenu a entendu proposer pour répondre à l'appel d'offres, d'autre part le prix proposé par ce groupement.

Toutefois, ces informations, si elles relèvent effectivement des données propres aux entreprises appartenant au groupement retenu, sont spécifiquement liées à l'opération objet du marché et n'ont dès lors que peu d'intérêt stratégique, n'étant pas de nature à renseigner, pour l'avenir et de manière générale, les sociétés concurrentes sur des éléments essentiels de leur activité tels que leurs rentabilité, leur clientèle, leurs pratiques commerciales, la structure de leurs coûts, leurs sources ou leurs coûts d'approvisionnements, les rémunérations internes, d'éventuels procédés particuliers, leur organisation interne, leurs parts de marché ou tout autre donnée sensible d'ordre commercial.

Le FSH ne fait valoir quant à lui aucune atteinte propre à des données légitimement protégés par le secret des affaires. Le prix global de l'opération proposé par le groupement finalement retenu ne saurait en lui-même constituer un élément dont la protection serait justifiée par un intérêt supérieur à celui des sociétés requérantes à recueillir la preuve, avant tout procès, de ce que les conditions de passation du marché ont pu être faussées par le soumettant.

Dès lors, la production des pièces sollicitées ne peut en l'espèce être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au secret des affaires.

Il s'ensuit que la décision entreprise mérite confirmation, y compris en ce qu'elle a prononcé une astreinte, mesure rendue nécessaire par la résistance opérée par le FSH dans un dossier similaire.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME l'ordonnance frappée d'appel en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE le FONDS SOCIAL DE L'HABITAT à payer aux sociétés intimées, ensemble, la somme complémentaire de 250'000 francs CFP au titre de leurs frais irrépétibles d'appel non compris dans les dépens ;

CONDAMNE le FONDS SOCIAL DE L'HABITAT aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SELARL JURISCAL.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00322
Date de la décision : 25/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-25;22.00322 ?
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