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25/03/2024 | FRANCE | N°22/00187

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 25 mars 2024, 22/00187


N° de minute : 2024/50



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 25 mars 2024



Chambre civile









N° RG 22/00187 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TEU



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 juin 2022 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 19/1486)



Saisine de la cour : 4 juillet 2022





APPELANT



Mme [T] [B]

née le [Date naissance 7] 1958 à [Localité 9],

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Siggrid KLE

IN de la SELARL SIGGRID KLEIN, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉS



CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DE PREVOYANCE (CAFAT),

Siège social : [Adresse 6...

N° de minute : 2024/50

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 25 mars 2024

Chambre civile

N° RG 22/00187 - N° Portalis DBWF-V-B7G-TEU

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 juin 2022 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 19/1486)

Saisine de la cour : 4 juillet 2022

APPELANT

Mme [T] [B]

née le [Date naissance 7] 1958 à [Localité 9],

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Siggrid KLEIN de la SELARL SIGGRID KLEIN, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DE PREVOYANCE (CAFAT),

Siège social : [Adresse 6]

Représenté par Me Nicolas MILLION de la SARL NICOLAS MILLION, avocat au barreau de NOUMEA

FEDERATION 'UNSA SPORTS 35',

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

25/03/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me CHAMBARLHAC ;

Expéditions - Me KLEIN ; Me MILLION ;

- Copie CA ; Copie TPI

M. [R] [G]

né le [Date naissance 4] 1971,

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Fabien CHAMBARLHAC de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

Société d'assurances AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal,

Siège social : [Adresse 5]

Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 février 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Le 15 octobre 2016, Mme [B] a fait une chute lors d'une activité sportive, pratiquée au sein du Parc des grandes fougères à [Localité 8] et organisée par M. [G]. Elle a été transférée au CHT [M] [Y] où un tassement des vertèbres L1 - T12 a été diagnostiqué.

Selon requête introductive d'instance déposée le 23 mai 2019, la CAFAT a formé devant le tribunal de première instance de Nouméa un recours subrogatoire à l'encontre de M. [G] et la fédération UNSA Sports 3S pour obtenir le remboursement d'une somme de 5.721.166 FCFP.

Mme [B] a recherché la responsabilité de M. [G] et, selon assignation délivrée le 19 août 2019, Mme [B] a appelé en intervention forcée la société Axa France IARD, assureur de M. [G].

M. [G], la fédération UNSA Sports 3S et la société Axa France IARD se sont opposés aux prétentions de la victime et de l'organisme social, en l'absence de tout manquement de l'organisateur à son obligation de sécurité de moyen.

Par jugement en date du 27 juin 2022, la juridiction saisie a :

- débouté la CAFAT et Mme [B] de l'intégralité de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la CAFAT aux dépens.

Le premier juge a principalement retenu :

- que la preuve d'une carence d'encadrement, une faute d'imprudence, d'inattention ou de négligence, d'un manquement aux règles de prudence et de sécurité commis par M. [G] n'était pas rapportée ;

- qu'au contraire, la victime avait eu un rôle déterminant en effectuant « une descente en rappel sans avoir l'autre main sur la corde de sécurité ».

Par requête déposée le 4 juillet 2022, Mme [B] a interjeté appel de cette décision.

La CAFAT a formé un appel incident provoqué.

Aux termes de ses conclusions transmises le 12 juillet 2023, Mme [B] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré ;

- donner acte à la CAFAT, demanderesse à l'instance, de ses demandes ;

- dire M. [G] seul et entièrement responsable de l'accident survenu à Mme [B] le 15 octobre 2016 à raison de sa négligence et de ses manquements aux règles élémentaires de prudence et de sécurité et de l'absence de faute de Mme [B] ;

- condamner M. [G] sous la garantie de la société Axa à la réparation de l'entier préjudice souffert par Mme [B] en lien avec cet accident ;

- avant dire droit sur la liquidation de son préjudice corporel, ordonner une mesure d'expertise médicale ;

- débouter M. [G], la fédération UNSA Sports 3S et la société Axa de l'ensemble de leurs demandes ;

- réserver les autres demandes.

- réserver les dépens.

Selon conclusions transmises le 1er septembre 2023, la CAFAT prie la cour de :

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- dire que M. [G] a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de Mme [B], et qu'il doit réparer l'intégralité du préjudice subi par la victime ;

- condamner M. [G], sous la garantie de la société Axa France IARD, à payer à la CAFAT la somme de 5.721.166 FCFP au titre des dépenses de santé actuelles, majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2019 ;

- condamner M. [G], sous la garantie de la société Axa France IARD, à payer à la CAFAT la somme de 150.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la sarl Nicolas Million.

Dans des conclusions transmises le 5 juin 2023, M. [G], la fédération UNSA Sports 3S et la société Axa France IARD demandent à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

- rejeter les appels principaux et incidents interjetés par Mme [B] et par la CAFAT ;

- condamner la CAFAT à payer à M. [G] une somme de 300.000 FCFP en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2023.

Sur ce, la cour,

1) Mme [B] recherche la responsabilité de M. [G] en lui reprochant de :

- ne pas démontrer qu'il avait dispensé un enseignement cohérent, suivant des principes pédagogiques bien définis permettant à sa clientèle d'acquérir un niveau suffisant pour utiliser la tyrolienne,

- ne pas démontrer qu'il avait fourni un « matériel garantissant la sécurité de ses clients » ainsi qu'un encadrement suffisant.

A cet effet, elle dénonce une « absence d'encadrement sur la plate-forme de départ de la tyrolienne », une « absence de détrompeur sur le dispositif de fixation », une « absence d'anti-chute », une absence de « ligne de vie » et une « absence de signalétique de sécurité » et elle se dit créancière d' « une obligation de résultat ».

Elle insiste « sur le fait que le maniement de la poignée de la descente et de la corde de rappel était à la seule gestion des participants, sans aucun contrôle au sol d'une autre personne susceptible de conseiller, orienté ou pallier à toute défaillance, qu'elle soit matérielle, humaine ou liée à un événement extérieur indépendant de la volonté du pratiquant ».

La CAFAT expose que M. [G] a « manqué à son obligation de sécurité » en lui reprochant d'avoir « laissé des débutants descendre seuls en rappel, et en autonomie, le long d'une corde, sans s'assurer qu'il existe un système de sécurité adéquat en cas d'erreur de manipulation de la part de l'utilisateur ».

2) M. [G] décrit comme suit l'activité au cours de laquelle Mme [B] s'est blessée :

« ll s'agit d'un câble installé entre deux points fixes situés à des hauteurs différentes.

Les participants s'élancent tour à tour du point haut, suspendus au câble au moyen d'une poulie, et doivent se rétablir au sol une fois immobilisé au point bas de la tyrolienne.

Pour ce faire, le participant qui se trouve à ce moment de l'activité immobile, assis dans son bordier à un peu moins de 2 mètres du sol, doit utiliser son descendeur GRlGRl pour descendre de cette hauteur. »

La CAFAT propose une description similaire de l'activité :

« Il s'agissait donc pour les participants d'effectuer une descente de tyrolienne, puis, une fois à l'arrêt, de descendre au sol en utilisant un système de rappel, en débloquant une poignée de descente située sur le système gri-gri fixé sur la corde auquel elle était attachée. »

Les attestations établies par Mmes [S] et [C], à savoir les deux camarades qui accompagnaient Mme [B] lors de cette sortie, et sur lesquelles cette dernière appuie sa démonstration, confirment qu'elle venait d'emprunter une tyrolienne descendante et qu'elle a chuté lors de la phase ultime, à savoir lors de la redescente au sol.

Ces attestations sont rédigées en termes identiques, à l'exception de détails complémentaires fournis par Mme [S], tels que l'avertissement donné à celle-ci lors de l'exercice de descente en rappel, l'ordre de passage sur la tyrolienne, Mme [S] exposant que Mme [B] s'était élancée la dernière, ou la prise en charge de l'appareil photo de Mme [B] par Mme [S].

Ces deux témoins expliquent que le passage sur la tyrolienne leur imposait de « manipuler la manette qui (leur) permettrait de descendre en rappel » lorsqu'elles « arriver(aient) en fin de tyrolienne ».

S'agissant du déroulement proprement dit de l'accident, Mme [S] écrit :

« Arrivé au tour de [T] en dernière position, je récupère son appareil photo et [R] l'attache, elle s'élance, arrivé au bout dans le vide, elle ouvre la poignée puis descend un peu, puis subitement tombe d'un coup sur le sol. La chute d'environ 2 mètres est continue sans à coup, le choc au sol est brutal, elle atterrit sur le dos, puis roule sur le côté pour s'immobiliser sur le ventre, sans réaction ni cri ».

Indépendamment de la réserve tenant au fait que les deux témoins ont recopié un modèle, établi par un rédacteur non identifié, ces témoignages ne fournissent pas un réel éclairage sur la manoeuvre opérée par Mme [B] au moment de la chute, si ce n'est qu'elle a débloqué le système d'assurage qui équipait la corde.

3) Il résulte des explications concordantes soumises à la cour que Mme [B] devait contrôler sa descente en actionnant la poignée d'un appareil de freinage, commercialisé par la société Petzl, baptisé Grigri : un rôle actif était ainsi attendu de Mme [B] qui devait maîtriser sa descente.

Compte tenu du rôle actif du participant dans le déroulement de l'activité, M. [G] était tenu, en sa qualité d'organisateur, à une obligation de sécurité de moyens. Il en résulte qu'il appartient à Mme [B] et la CAFAT de démontrer la faute de M. [G]. Contrairement à ce que laissent entendre les conclusions de la victime, ce n'est pas à M. [G] de démontrer qu'il n'a pas commis de faute et que le matériel fourni n'a pas été défaillant.

La circonstance qu'après l'accident, selon les attestations de Mmes [S] et [C], M. [G] aurait déclaré, sous le coup de l'émotion, que « tout était de sa faute » et qu'il se serait ainsi senti moralement responsable de l'accident, ne signifie pas qu'il avait commis une faute civile qui engageait sa responsabilité contractuelle et déclenchait la garantie de son assureur.

A titre liminaire, la cour observe qu'il n'est pas contesté que M. [G] disposait des diplômes d'éducateur sportif spécifiques requis par l'exercice de l'activité.

Pour le surplus, l'activité au cours de laquelle Mme [B] a chuté n'est localement soumise à aucune réglementation particulière.

Mme [B] pratiquait une activité sportive que l'instruction n° DS/DSB2/2019/2014 du 12 septembre 2019 établie par le ministère des sports national désigne comme « la grimpe encadrée d'arbre », qui consiste à « évoluer dans les arbres à l'aide de techniques de corde uniquement ». Cette instruction distingue « la grimpe encadrée d'arbre » du « parcours acrobatique en hauteur » qui suppose des aménagements durables, étant rappelé que le terme « Accrobranche » utilisé par Mme [B] dans ses conclusions est une marque. La nature de l'activité litigieuse est confirmée par la convention conclue le 25 septembre 2014 avec le Syndicat mixte des Grandes Fougères, qui autorise M. [G] à travailler dans le parc des Grandes Fougères : cette convention vise la « pratique de la 'grimpe d'arbre' », traduisant l'intention du syndicat mixte de n'accepter qu'un équipement léger des arbres.

Mme [B] reproche à M. [G] de ne pas avoir mis en place « une 'ligne de vie' qui aurait permis de retenir sa chute » ou encore un « mécanisme anti-chute ».

L'instruction précitée du ministère des sports, qui peut être tenue pour un recueil des bonnes pratiques en matière de « grimpe d'arbre », ne prévoit pas la pose d'un tel équipement. Bien plus, la photographie qui illustre l'annexe 2 de l'instruction, relative à la « grimpe d'arbre », montre un pratiquant qui descend un arbre en rappel : celui-ci n'est tenu que par la seule corde de rappel le long de laquelle il glisse.

Le manquement invoqué n'est pas caractérisé.

Mme [B] dénonce également une « absence d'encadrement sur la plate-forme de départ de la tyrolienne ». Le manquement allégué est contredit par les témoignages invoqués puisque les camarades de Mme [B] ont écrit : « [R] nous accorde au câble suspendu chacun à notre tour ».

Elle reproche à M. [G] de ne pas avoir placé un « moniteur pour réceptionner les clients à la fin du parcours », ce qu'elle tient pour une « insuffisance de l'encadrement ».

Or, aucune norme n'exige la présence d'un encadrant au pied de chaque atelier et un encadrant au sol n'aurait pas été en mesure de contrôler l'usage fait par Mme [B] du système de freinage, ni n'aurait empêché la pratiquante de heurter le sol.

Enfin, Mme [B] reproche à M. [G] de ne pas avoir délivré une information suffisante sur l'utilisation de la tyrolienne. Les témoignages de Mmes [S] et [C] contredisent cette assertion puisqu'un exercice de descente en rappel avait été réalisé par chaque participant avant de s'élancer sur le parcours. M. [G] avait vérifié les conditions dans lesquelles l'exercice était réalisé puisqu'il avait repris Mme [S]. En effet, celle-ci rapporte :

« Lors de mon essai, j'ouvre trop vite la poignée, le moniteur me reprend en m'expliquant qu'il ne faut pas l'ouvrir d'un coup, et qu'il faut mettre la seconde main en rappel derrière nous. »

Il en ressort que M. [G] avait insisté sur les conditions d'une descente en rappel sûre.

Mmes [S] et [C], qui s'étaient élancées sur la tyrolienne avant Mme [B], ne font pas état de la moindre difficulté lors de leur passage sur cet atelier, notamment lors de la descente en rappel, accréditant l'idée que les explications données par le moniteur étaient pertinentes.

En l'état du dossier, la cour ne peut, à l'instar du premier juge, que conclure que la preuve d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de M. [G] n'est pas rapportée.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris ;

Déboute les intimés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [B] et la CAFAT aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00187
Date de la décision : 25/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-25;22.00187 ?
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