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11/03/2024 | FRANCE | N°23/00067

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 11 mars 2024, 23/00067


N° de minute : 2024/21



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 11 Mars 2024



Chambre commerciale











N° RG 23/00067 - N° Portalis DBWF-V-B7H-UI7



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Octobre 2023 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG n° :2023/856)



Saisine de la cour : 27 Octobre 2023





APPELANT



S.E.L.A.R.L. [K] [O], représentée par sa gérante en exercice Madame [K] [O],

Siège social : [Adresse 1]

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S.A.S. PROMOCINE prise en la personne de ses représentants légaux, pour ce domiciliée en son siège social sis,

[Adresse 2]

Représentée par Me Marie-astrid CAZALI de la SELARL M.A.C AVOC...

N° de minute : 2024/21

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 11 Mars 2024

Chambre commerciale

N° RG 23/00067 - N° Portalis DBWF-V-B7H-UI7

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Octobre 2023 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG n° :2023/856)

Saisine de la cour : 27 Octobre 2023

APPELANT

S.E.L.A.R.L. [K] [O], représentée par sa gérante en exercice Madame [K] [O],

Siège social : [Adresse 1]

INTIMÉ

S.A.S. PROMOCINE prise en la personne de ses représentants légaux, pour ce domiciliée en son siège social sis,

[Adresse 2]

Représentée par Me Marie-astrid CAZALI de la SELARL M.A.C AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

MINISTERE PUBLIC

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Janvier 2024, en chambre du conseil, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

11/03/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me [O] ;

Expéditions - Me CAZALI ; MP

- Copie TMC ; Copie CA

Greffier lors des débats et de la mise à disposition : M. Petelo GOGO

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

La SAS Promociné est une entreprise de travaux créée le 12 décembre 2016 dans le cadre de la réalisation d'un programme global constitué d'un cinéma, d'une résidence universitaire et de locaux destinés à la restauration à [Localité 3], par Monsieur [U], président jusqu'à sa démission fin mai 2022 et Monsieur [E], président et seul détenteur des parts sociales depuis lors.

Le multiplexe a ouvert le 23 décembre 2021.

Par jugement du 04 mai 2023, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Promociné et a notamment, fixé la date de cessation des paiements au 26 mars 2023, désigné la SELARL Mary-Laure [O] en qualité de mandataire judiciaire et autorisé la poursuite de l'activité pendant une période d'observation ouverte de 6 mois.

Le 1er septembre 2023, la SELARL Mary-Laure [O], ès-qualités de mandataire judiciaire de la SAS Promociné, a déposé une requête aux fins de conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire au visa de l'article L 631-15 Il du code de commerce.

Elle soutenait en première instance que le redressement de la société était manifestement impossible en l'absence d'activité de la société depuis fin 2021 et compte tenu de l'existence d'un passif qui s'élève à la somme de 152.518.388 F.CFP, dont 60.303.180 F.CFP déclarés à titre provisionnel, et qui est essentiellement en lien avec le chantier du MK2. Elle fait valoir que le projet au titre de l'exercice 2022 met en exergue un chiffre d'affaires sur l'année d'un montant de 816.935 F.CFP et qu'il n'y a pas d'emploi à sauvegarder.

En droit, la SELARL [O] considérait que sa demande était bien fondée puisque la conversion de la procédure peut intervenir à tout moment de la période d'observation et donc même avant toute vérification du passif et tout rapport d'activité, que la demande de conversion s'imposait puisque le redressement était manifestement impossible.

Elle relevait à cet égard qu'une personne morale ne peut pas bénéficier d'un plan de redressement permettant d'apurer le règlement du passif sur plusieurs années si elle n'a pas d'activité puisque l'objectif premier d'une procédure collective est de sauvegarder l'entreprise et les emplois et de régler les dettes, le législateur ayant néanmoins donné depuis 2005 la possibilité aux personnes physiques seulement, de présenter un plan d'apurement alors même que leur activité professionnelle serait inexistante et/ou insuffisante pour étayer un plan.

Elle faisait valoir que la SAS Promociné ne contestait pas n'avoir plus d'activité depuis le 23 décembre 2021 hormis la gestion de multiples désordres sur les ouvrages et précisait que le nouveau projet culturel qu'elle invoquait ne commencera pas, dans les meilleurs conditions, avant septembre 2025, alors que ces délais sont incompatibles avec une procédure collective.

Enfin, elle estimait que les autres moyens développés par la SAS Promociné sur le montant du passif, les créances à recouvrer, l'absence de passif postérieur et les éventuelles procédures judiciaires à poursuivre, étaient sans incidence sur le débat qui était de savoir si une personne morale sans activité peut bénéficier d'un plan de redressement dans l'unique objectif d'apurer ses dettes.

En réplique, la SAS Promociné demandait au tribunal d'une part de débouter la SELARL Mary-Laure [O], ès-qualités de mandataire judiciaire, de toutes ses demandes et d'autre part d'autoriser la poursuite de la période d°observation.

Elle rappelait que l'origine de ses difficultés était liée à une fraude d'une grande ampleur de son ancien président, [H] [U], avec lequel elle avait fini par transiger le 30 avril 2022, relevant que si la construction du multiplexe était aujourd'hui terminée, de nombreuses problématiques et désordres liés au chantier demeuraient et devaient être réglés, ce qui nécessitait du temps.

Elle soutenait que la demande du liquidateur judiciaire n'était pas fondée en droit puisque aucune disposition légale ne prévoit qu'une personne morale n'ayant pas d'activité ou de salarié et présentant des capacités à régler son passif devait être placée en liquidation judiciaire.

Elle considérait que si le débiteur, personne physique ou morale de droit privé, n'a pas d'activité à l'ouverture de la procédure ou suite à l'adoption d'un plan de continuation, le seul critère à prendre en compte dans cette hypothèse était la capacité d'apurement du passif.

Elle faisait valoir à cet égard que le passif non encore vérifié et réellement dû qu'elle estimait de l'ordre de 50.000.000 F.CFP, allait pouvoir être apuré grâce aux recouvrements de ses créances dont l'existence est certaine, en particulier celle de 75.000.000 F.CFP due par la société KI Tll RE (KTR), celle de 3.148.200 F.CFP due par la société Altis et celle de 7.646.324 F.CFP due par le groupement ERPBTP-ES2-Exofluide-Socotec.

Elle ajoutait que le passif serait également apuré par une reprise d'activité de promotion immobilière dans le cadre d'un nouveau projet culturel avec la Mairie de [Localité 3] consistant en la construction d'une salle immersive de spectacles vivants qui devait lui permettre de percevoir une marge de 82.000.000 F.CFP, sachant qu'elle était déjà sur le point de signer dans les jours à venir un contrat d'étude d'un montant de 7.000.000 F.CFP avec la société KTR.

Elle faisait valoir qu'elle n'avait aucune dette postérieure et qu'elle n'était donc pas en état de cessation des paiements.

Enfin, elle soutenait qu'une liquidation judiciaire aurait de graves conséquences pour ses créanciers qui entreraient en concurrence directe avec la société KTR puisque la liquidation pourrait entraîner la résiliation de la transaction conclue avec la société KTR laquelle ne serait alors pas en mesure de régler immédiatement 95.000.000 F.CFP ce qui la mettrait en graves difficultés, outre qu`une telle résiliation entraînerait un grèvement du passif de la créance de la société KTR de 60.000.000 F.CFP dont l'exigibilité est actuellement suspendue, la société KTR s`étant en outre engagée à ne pas réclamer cette somme dans le cadre du plan de redressement.

Elle ajoute que si la transaction n'était pas remise en cause et que le délai de 7 ans était maintenu pour le règlement de la créance de KTR, les créanciers devraient néanmoins attendre la fin des opérations de liquidation pour pouvoir être réglés de leurs créances, en ce compris la fin des contentieux à mener.

Par jugement du 25/10/2023, le Tribunal Mixte de Commerce de Nouméa a débouté la Selarl [O] de sa demande de conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire et a ordonné le prolongé de la période d'observation.

Pour se déterminer ainsi, les premiers juges ont considéré pour apprécier l'ouverture d'un redressement d'une entreprise qu'il n'était tiré aucune conséquence légale au regard des conditions exigées par l'article L 631-1 du code de commerce de l'absence de l'un ou l'autre de ces objectifs qui ne sont pas cumulatifs. Qu'en tout état de cause, la société justifiait d'une activité et de capacités de redressement de sorte que le mandataire ne démontrait pas que le redressement de la SAS Promociné était manifestement impossible.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 27/10/2023, la SELARL Mary-Laure [O] a fait appel de la décision rendue et demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 01/12/2023 de réformer la décision et statuant à nouveau, de faire droit à sa demande de conversion.

Elle fait grief au jugement contesté, d'une part de retenir que la gestion des conséquences des désordres affectant les bâtiments livrés constitue une activité alors que la loi entend par poursuite d'une activité, celle susceptible de creer des richesses et d'autre part d'avoir affirmé que la SAS Promociné a des projets à venir alors qu'aucun élément justificatif concret n'est produit.

En droit, elle estime que la seule question qui se pose est celle de savoir si une personne morale peut bénéficier d'un plan lui permettant d'apurer le règlement du passif sur plusieurs années alors qu'elle n'a pas d'activité. Elle développe et reprend les arguments soutenus en première instance.

Par écritures en réponse, la SAS Promociné demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Sur le plan juridique , elle fait valoir qu'elle a bien une activité et qu'en effet étant une société de projet dont le but est de poursuivre la promotion du cinéma en Nouvelle Calédonie, elle prépare le projet de réalisation d'une salle immersive et se penche également sur la possibilité de devenir une société d'importation de films ( négociation et contractualisation) avec la modification des textes qui vient d'être votée par le Territoire et a d'ailleurs deux films en cours en sa qualité de producteur délégué.

Elle soutient enfin que conformément à l'article L631-15 du code de commerce la cour doit seulement vérifier si ses capacités de redressement sont suffisantes ce qui est le cas en l'espèce.

Le Ministère public a requis la confirmation de la décision du tribunal.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu qu'aux termes de l'article L 631-1 du code de commerce, dans sa version applicable à la Nouvelle Calédonie '..la procédure de redressement judiciaire est ouverture au bénéfice du débiteur qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements (. ..) La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif...'

Attendu que l'article L631-15 II du code de commerce précise: 'Au plus tard au terme d'un délai de deux mois à compter du jugement d'ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d'observation s'il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes. Toutefois, lorsque le débiteur exerce une activité agricole, ce délai peut être modifié en fonction de l'année culturale en cours et des usages spécifiques aux productions de cette exploitation (...)'

Attendu que la question posée à la cour est de savoir si une entreprise n'exerçant plus une activité économique est éligible à bénéficier d'un plan de continuation qui suppose nécessairement la poursuite de l'unité économique mariant capital et travail dans le but de produire des biens ou des services ou si cette entreprise est éligible à bénéficier d'un plan d'apurement dont le seul objectif est la poursuite du règlement du passif sur plusieurs années.

Attendu qu'en l'espèce, la SAS Promociné est une société de promotion immobilière qui a été créée dans le but de construire un complexe de cinéma, résidence universitaire et de locaux à destination de restauration à [Localité 3] ; qu'elle ne justifie plus à ce jour d'une activité au sens économique qui s'entend de la poursuite et du développement de richesses en relation avec son objet social.

Attendu qu'en effet, son programme immobilier a été réalisé, le multiplexe ayant été livré en décembre 2021 de sorte que l'activité économique de promotion a pris fin, la gestion des conséquences des désordres affectant l'immeuble construit ne constituant pas une activité au sens économique du terme dès lors que la société ne génère aucune richesse et n'emploie aucun salarié.

Attendu que même si récemment, la SAS Promociné a étendu son objet social à la promotion du cinéma en Nouvelle Calédonie en ajoutant l'activité de production d'oeuvres cinématographiques ainsi qu'en atteste l'extrait Kbis versé aux débats, il n'en reste pas moins que les dettes sont nées de son activité principale de promoteur et non de son activité annexe.

Que les projets présentés sont encore à l'état de phases de conception et d'études et que seule est en cours d'exécution la production d'un long métrage entièrement calédonien étant relevé que la SAS Promociné a obtenu les financements et que le casting est en cours.

Attendu cependant que la production du film ne générera pas de revenus suffisants pour faire face au passif (chiffre d'affaire projeté de 816 935 Fcfp pour l'exercice 2012)

Qu'il ressort des écritures et pièces de la procédure que le passif provisoire peut être estimé à 148 millions de francs dont 60 millions au titre de la créance éventuelle de la société MK2 qui est la société d'exploitation du cinéma ; que si cette dette n'était pas retenue, le passif ne serait plus que de 90 millions ; attendu que ce passif provisoire n'a pas encore fait l'objet d'une vérification des créances et qu'il est partiellement contesté par la SAS Promociné qui affirrne que le passif réellement exigible est de 50.000.000 F.CFP constitué pour l'essentiel par les créances des entreprises de constructions non réglées de la retenue de garantie en raison de l'absence de levée de réserves de sorte que la société promotrice estime détenir une contre créance.

Attendu que si la SAS Promociné affirme détenir des créances pour un montant global de 85.794.524 F.CFP la cour relève que, la créance contre MK2 n'est pas totalement exigible eu égard aux délais de paiement accordés et que les autres créances ne sont pas certaines en l'absence de pièces justificatives ; qu'ainsi, dans l'hypothèse où toutes les contestations seraient accueillies, l'actif disponible à recouvrer n'est pas de nature à apurer le passif exigible de la procédure collective ;

Attendu que l'activité principale de promotion est arrêtée depuis décembre 2021; et que quand bien même la SAS Promociné serait en capacité d'apurer sa dette, ce qui n'est pas démontré, dès lors que le plan à venir n'a pas vocation à permettre la poursuite de l'activité mais seulement à apurer les dettes sans qu'il y ait une activité et des emplois à sauver, il y a lieu de convertir le redressement judiciaire en liquidation .

Attendu que la SAS Promociné succombant supportera les dépens de la procédure d'appel et de 1er instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions ,

Et statuant à nouveau :

PRONONCE la conversion de la procédure de redressement judiciaire ouverte au bénéfice de la SAS Promociné en liquidation judiciaire ;

MET les dépens de l'appel et de 1ère instance à la charge de la SAS Promociné qui seront recouvrés en frais privilégiés de liquidation .

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/00067
Date de la décision : 11/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-11;23.00067 ?
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