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06/07/2023 | FRANCE | N°21/00039

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 06 juillet 2023, 21/00039


N° de minute : 129/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 6 juillet 2023



Chambre civile







Numéro R.G. : N° RG 21/00039 - N° Portalis DBWF-V-B7F-RXS



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 4 janvier 2021 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 17/3813)



Saisine de la cour : 10 février 2021



APPELANTS



M. [E] [D]

né le 11 août 1936 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Philippe O'CONNOR de

la SELARL P.O.C. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NOUMEA



Mme [L] [J] épouse [D]

née le 11 mars 1941 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Philippe O'CONNOR de la SELARL ...

N° de minute : 129/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 6 juillet 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 21/00039 - N° Portalis DBWF-V-B7F-RXS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 4 janvier 2021 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 17/3813)

Saisine de la cour : 10 février 2021

APPELANTS

M. [E] [D]

né le 11 août 1936 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Philippe O'CONNOR de la SELARL P.O.C. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [L] [J] épouse [D]

née le 11 mars 1941 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Philippe O'CONNOR de la SELARL P.O.C. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. [S] [J]

né le 15 mars 1958 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Magali MANUOHALALO, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [W] [J]

née le 10 janvier 1937 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 5]

Représentée par Me Magali MANUOHALALO, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [T] [M] épouse [J]

née le 7 mars 1963 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Magali MANUOHALALO, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 05/06/2023 a été prorogé au 19/06/2029, puis au 6/07/2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Suivant acte de donation du 8 mars 1965, Mme [L] [J] est devenue propriétaire d'un bien immobilier constitué d'une maison d'habitation sur un terrain, situé [Adresse 1], qu'elle occupe avec son époux, M. [E] [D].

Suivant acte authentique du 21 janvier 1993, M. [S] [J] et Mme [T] [M] épouse [J] ont acquis de Mme [W] [J], mère de M. [S] [J], une maison à usage d'habitation bâtie sur un terrain sis [Adresse 2]. Aux termes de l'acte de vente, Mme [W] [J] a fait réserve à son profit de l'usufruit du studio compris dans le bien.

Suivant requête déposée au greffe, le 6 décembre 2017 signifiée à M. [S] [J] le 11 décembre 2007 et assignations en intervention forcée délivrées les 18 et 19 décembre 2018 à Mme [W] [J] et Mme [T] [M], épouse [J], les époux [D] ont saisi le tribunal de première instance de Nouméa aux fins de voir, en l'état de leurs dernières écritures :

- à titre principal et au visa de l'article 544 du code civil, juger que les époux [J] sont entièrement responsables du trouble anormal de voisinage qu'ils subissent à la suite de diverses constructions irrégulières ;

- à titre subsidiaire, au visa des articles 1382 et 13 86 du code civil, juger que les époux [J] sont entièrement responsables de la violation caractérisée des règles d'urbanisme causant un préjudice à leurs intérêts particuliers ;

en conséquence et en tout état de cause,

- ordonner aux époux [J] de faire procéder à la démolition des ouvrages irréguliers et plus particulièrement de la surélévation et de l'extension du garage devenu studio en limite de propriété des époux [D] et ainsi à la remise en état, conformément à la réglementation en vigueur, dans les quatre mois de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 000 Fcfp par jour de retard ;

- condamner solidairement les époux [J] à leur payer la somme de 1 000 000 de Fcfp à titre de dommages-intérêts ;

- juger les époux [J] irrecevables en leur action et en leur demande reconventionnelle aux fins de démolition et de dommages-intérêts pour défaut d'intérêt à agir et, en tout état de cause, mal fondés ;

- débouter les époux [J] de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamner les époux [J] à leur payer la somme de 300 000 Fcfp au titre de leurs frais irrépétibles ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- dire le jugement opposable à Mme [W] [J] ;

- condamner M. [S] [J] aux dépens de l'instance ;

- à titre très infiniment subsidiaire et par jugement avant-dire droit, désigner sur le fondement des articles 256 et 482 du code de procédure civile, un consultant avec pour mission notamment de dire si la clôture édifiée en limite de propriété est conforme au bornage effectué en 2010 par M. [X] [F], géomètre.

En réplique, les époux [J] et Mme [W] [J] ont soulevé à titre principal, la prescription de l'action ; à titre subsidiaire, ils ont conclu à l'absence de preuve du préjudice allégué faute d'établir le lien de causalité entre leurs prétendus préjudices et la présence du studio et du chauffe-eau solaire. Enfin, ils ont soutenu qu'il n'existait pas de trouble anormal de voisinage. A titre reconventionnel, ils ont fait valoir que la clôture des époux [D] empiétait sur leur fonds sur 4 centiares et demandé d'ordonner aux époux [D] de faire effectuer à leurs frais des travaux de démolition de la partie de l'ouvrage (murs, clôture) empiétant sur le fonds voisin à compter du jugement à intervenir et ce sous peine d'une astreinte de 100 000 francs CFP par jour de retard, de dire que les époux [D] devront se conformer aux stipulations du PUD s'agissant de la hauteur de leur clôture en limite séparative avec le fonds [J], d'ordonner la réduction de la hauteur de la clôture en limite séparative, et ce, sous peine d'une astreinte de 100 000 francs CFP par jour de retard, de condamner solidairement les époux [D] à leur payer la somme de 2 000 000 Fcfp à titre de dommages-intérêts pour le trouble de jouissance subi par l'empiètement, de débouter des époux [D] de leur demande d'expertise, en tout état de cause, de condamner solidairement les époux [D] à leur payer la somme de 350 000 Fcfp au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Par jugement du 04/01/2021, le tribunal de première instance de Nouméa, faisant droit à la fin de non-recevoir soulevée par M. [S] [J], a :

- constaté la prescription de l'action initiée par M. [E] [D] et Mme [L] [D] née [J], sur le fondement des articles 544 ou 1382 et 1386 du Code civil,

- écarté la fin de non-recevoir soulevée par les époux [D] et constaté que M. [S] [J], Mme [T] [M], épouse [J] et Mme [W] [J] disposent chacun d'un intérêt à agir,

- condamné M. et Mme [D] à procéder, dans un délai de six mois à compter du jugement, à tous travaux (sur le mur bâti entre le fonds 40 E leur appartenant et le fonds 40 D appartenant à M. et Mme [J]), nécessaires pour mettre fin à l'empiètement relevé,

- condamné M. et Mme [E] [D] à payer à M. [S] [J] la somme de 200 000 Fcfp en réparation de son préjudice de jouissance,

- débouté les parties de toutes leurs demandes additionnelles ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné Mme [L] [J] épouse [D] et M. [E] [D] à payer à M. [S] [J] la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie,

- condamné Mme [L] [J] épouse [D] et M. [E] [D] aux dépens.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 10/02/2021, M. et Mme [D] ont fait appel de la décision rendue et demandent à la Cour dans leur mémoire ampliatif du 10/05/2021 et leurs dernières écritures (récapitulatives n° 2) en date du 29/09/2022, de réformer la décision en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- à titre principal, dire et juger que les époux [J] sont entièrement responsables du trouble anormal de voisinage en raison des constructions irrégulières sur le fondement de l'article 544 du code civil,

- à titre subsidiaire, dire et juger que les époux [J] sont responsables de la violation des régles d'urbanisme causant un préjudice à leur voisins et ce, sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

- en conséquence, ordonner à M. et Mme [J] de faire procéder à la démolition des ouvrages irréguliers et plus particulièrement la surélévation et l'extension du garage devenu studio en limite de propriété et ordonner la remise en état conformément à la réglementation en vigueur dans les quatre mois de la signification de l'arrêt à peine d'une astreint de 100 000 Fcfp par jour de retard,

- condamner solidairement les époux [J] à leur payer la somme de 1 000 000 Fcfp à titre de dommages et intérêts,

- débouter les consorts [J] de toutes leurs demandes.

Sur les demandes des intimés, ils sollicitent de :

- dire M. et Mme [J] irrecevables en leurs demandes reconventionnelles de démolition du mur séparatif et en dommages et intérêts ;

- constater que le mur a été édifié, il y a plus de trente ans et que l'action en démolition des consorts [J] se heurte à la prescription acquisitive ;

- désigner une géomètre expert pour déterminer si le mur sépartif respecte les données de 1985 confirmés par le bornage de 2010 ;

- ordonner la destruction du mur bâti par les consorts [J] sur le lot [D] sur toute la longueur ;

- condamner solidairement les consorts [J] à leur payer la somme de 500 000 Fcfp en réparation du préjudice de jouissance ;

- à titre très subsidiaire et avant-dire droit, désigner un consultant avec la mission préciser dans leur écriture.

Ils font valoir que le premier juge a été induit en erreur par les mensonges et la confusion entretenue par les consorts [J]. Ils rappellent l'historique du litige et notamment le fait que la villa des consorts [J] a été construite en 1965 avec un garage qui sera transformé par étapes en habitation sans permis de construire ; ils versent au dossier des photographies aériennes montrant, selon eux, qu'entre 1985 et 1993, le garage a été transformé en institut de beauté avec un appentis construit à l'arrière du local, lesquels seront transformés en studio indépendant comme en atteste l'acte de vente de Mme [J] [W] à son fils [S] ; toujours selon eux, le jeu de photos établit qu'entre 2012 et 2013, le studio a été agrandi en appartement et en 2014, les services de l'urbanisme ont constaté une extension du garage d'origine sans permis et sans respect des normes de prospect, extension qu'ils datent de 2012/2013 aux termes d'un courrier de la mairie de [Localité 4] du 26/08/2014 qui indique que ces travaux d'extension et de surélévation ont été réalisés sans autorisation à cette période.

Sur le mur séparatif, ils font valoir que la barrière érigée en 1995 a toujours eu la même implantation.

Enfin, ils soutiennent que les consorts [J] ont édifié un mur prenant appui sur leur clôture séparative qui empiète sur leur propre terrain et qu'il convient de démolir.

En réplique, les époux [J] et Mme [W] [J] demandent à la cour aux termes de leurs dernières écritures de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, excepté sur le montant des dommages et intérêts qui ont été alloués (200 000 Fcfp) ; statuant à nouveau de ce chef, ils sollicitent la condamnation solidaire des époux [D] à leur payer la somme de 2 000 000 Fcfp en réparation du trouble de jouissance subi en raison de l'empiétement.

A titre subsidiaire, si la cour estime que l'action n'est pas prescrite, ils demandent de :

- dire que les époux [D] ne rapportent pas la preuve de leur préjudice ;

- dire qu'ils ne démontrent pas le lien de causalité entre la présence du studio et le préjudice allégué ;

- dire irrecevable comme nouvelle la demande tendant au constat d'un empiétement sur leur fonds et à la destruction du mur situé en limite séparative ;

- débouter les époux [D] de leur demande d'expertise ;

- en tout état de cause, condamner solidairement les époux [D] à leur payer la somme de 400 000 Fcfp au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de leur conseil.

Ils font valoir que les appelants ne démontrent pas la réalité des extension et surélévation alléguées, et à les supposer établies, il n'est pas rapporté la preuve qu'elles ont été réalisées dans les cinq ans avant la saisine du tribunal de première instance ; qu'en tout état de cause, il n'est pas justifié de la réalité d'un trouble anormal de voisinage de sorte que le débouté des demandes s'impose. Concernant la clôture séparative, ils produisent un constat d'huissier dressé en présence d'un géomètre expert démontrant l'effectivité de l'empiétement sur leur fonds sur 16 cm.

Vu l'ordonnance de clôture,

Vu l'ordonnance de fixation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription

La cour approuve le premier juge d'avoir considéré que la preuve de la date exacte des modifications (surélévation et agrandissement en 2012/2013), à les supposer établies, n'était pas rapportée.

Les époux [D] soutiennent qu'entre 1985 et 1993 le garage a été transformé en institut de beauté avec un appentis à l'arrière puis en studio et qu'entre 2012 et 2013 une nouvelle transformation a modifié le studio en appartement. Ils produisent comme éléments de preuve :

- des plans esquisses datant de 2011,

- un courrier du 26/08/2014 de la mairie de [Localité 4],

- le plan de bornage du 20/09/2010 aux termes duquel le bâti mesure 9 mètres,

- une photographie aérienne de 2011,

- un courrier du 12/05/2017 de la mairie de [Localité 4],

- des photographes aériennes de 2014,

- une plainte de M. [E] [D] à la ville et la réponse des services d'urbanisme du 26/08/2014,

- le plan du géomètre-expert de mars 2017 aux termes duquel le bâti mesure 17 mètres.

Il est admis qu'au jour de la vente de l'immeuble par Mme [W] [J] à son fils [S], le 21/01/1993, le garage était déjà transformé en studio indépendant dont la mère s'était réservée l'usufruit.

Les photographies aériennes produites de part et d'autre, notamment celles prises en 2010, en 2012 et en 2014 ne permettent pas de constater une extension du bâtiment et encore moins sa surélévation. La cour échoue à apprécier sur ces seules pièces un agrandissement de l'immeuble en longueur ou son extension par création d'un étage. Les vues aériennes ne montrent pas de différence quant à l'aspect extérieur du bâtiment et notamment de la toiture qui a une configuration spéciale et aisément reconnaissable.

La comparaison des deux plans de bornage réalisés par un géomètre sont à des échelles différentes et ne portent pas les valeurs indiquées par les époux [D] de sorte qu'il ne peut en être tiré la preuve d'une extension du bâtiment. De même, les esquisses de plans d'agrandissement du studio ne sont pas susceptibles d'établir en soi que les travaux envisagés sur un plan conceptuel ont été effectivement réalisés sur site. Les consorts [J] reconnaissent qu'ils avaient eu le projet de création d'un appartement mais expliquent qu'ils l'ont abandonné à la suite du refus du permis de construire et des problèmes d'assainissement que le projet posait. Les pièces susvisées ne permettent donc pas de faire la preuve des constructions alléguées.

La lettre de la mairie du 26/08/2014 en réponse à la plainte de M. [S] [D] se borne à répondre à celui-ci que, concernant les travaux de surélévation et d'agrandissement réalisés sans permis par les voisins, le service d'urbanisme effectuera un contrôle prochainement. A l'évidence, il ne peut s'en déduire que les travaux ont été réellement exécutés. Au demeurent si tel avait été le cas, le contrôle aurait constaté la violation des règles d'urbanisme pour avoir procédé à une extension sans permis. Bien au contraire, le second courrier de la mairie en date du 12/05/2017 suite à une nouvelle plainte de M. [D] retrace l'historique du bâtiment pour en conclure que la transformation du garage en institut de beauté avait été autorisée mais que la seconde transformation en studio en 2012-2013 avait été faite sans permis. Le rédacteur concluait que la prescription étant acquise, il ne pouvait rien faire. Manifestement , il y a une erreur sur la date puis qu'en 1993 le studio avait déjà été aménagé. Il ne peut se déduire de cette erreur de date, comme le font à tort les époux [D], que de nouveaux travaux modifiant le studio auraient été réalisés en 2012/2013 sans permis.

De fait, M et Mme [D] procèdent par affirmation et déduction se contentant de produire des pièces non probantes en les ajustant aux faits pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas.

Le jugement qui a constaté que la seule transformation qui était établie, datait de 1993 et que si des travaux d'extension avaient été faits, leur réalisation serait antérieure à 2010, sera confirmé en ce qu'il a dit que la prescription de l'action était acquise pour n'avoir pas été intentée dans le délai quinquennal.

Sur la demande reconventionnelle

A/ Sur l'empiètement de la clôture séparative

Les consorts [J] soutiennent que la clôture séparative érigée par leurs voisins en 2018 à la suite d'intempéries survenues en février a empiété sur leur lot sur une surface de 4 ca et qu'après travaux de remise en état, elle continue d'empiéter sur une distance de 16 cm. Ils lui reprochent également que sa hauteur qui atteint à certains endroits 2,80 m n'est pas conforme aux règles du DTU qui imposent une hauteur de 2 m.

M. et Mme [D] contestent cet empiétement en soulevant d'une part la prescription acquisitive. Ils font valoir à cet égard que la barrière est érigée depuis 1985 et que les consorts [J] ont acquiescé à son emplacement puisque eux-même, après décaissement de leur terrain, ont monté un mur, ont installé des supports métalliques qui sont venus enchâsser les supports métalliques réalisés par les consorts [D] ; qu'ainsi la démolition de la clôture ne pourrait se faire sans entraîner la destruction du mur voisin. D'autre part, ils considèrent que la hauteur de la clôture a toujours été la même depuis 1985 et que, si par endroits, elle dépasse 2 mètres, c'est en raison des décaissements opérés par les consorts [J] sur leur terrain ; enfin, ils estiment que l'empiétement allégué qui serait d'un centimètre sur toute la longueur de la barrière n'est pas probant dans la mesure où le mesurage d'un géomètre est différent d'un autre et que seule une vue des lieux sur site ou une expertise contradictoire pourrait démontrer le dépassement de la limite séparative et la réalité des travaux effectués par les consorts [J] sur les supports de la barrière.

Il est admis en droit que l'action d'un propriétaire victime d'empiétement en vue de faire cesser une atteinte à son droit de propriété est imprescriptible, au même titre que le droit de propriété qui est perpétuel, sauf à rapporter la preuve, par l'auteur de l'empiétement, de l'existence d'une prescription acquisitive trentenaire.

La Cour de Cassation dans son arrêt du 4 mars 2021, pourvoi n°19-17.616, rappelle « qu'un empiétement, fût-il minime » doit être sanctionné par la démolition de l'ouvrage qui empiète.

En l'espèce, il n'appartient pas à la juridiction de pallier la carence des appelants dans l'administration de la preuve. En cours de procédure, les époux [D] qui avaient toute latitude pour produire un constat d'un géomètre afin de combattre les pièces produites par leurs adversaires ne l'ont pas fait.

Sur la base du seul procès-verbal d'huissier du 16/07/2019, dressé à l'initiative des consorts [J] en présence du géomètre M. [G], la cour ne peut que constater comme l'a fait le premier juge, que la barrière litigieuse après reconstruction partielle continue à empiéter sur le fonds [J].

L'huissier relève que « la clôture est en grande partie constituée d'un bardage de tôles fixées sur une structure métallique elle-même fixée sur différents supports en béton (plots , muret ...). L'extrémité Sud Ouest est constituée de rondins de bois encastrés sur une hauteur de 1,70 m dans des poteaux métalliques de type IPE sur une longueur de 8,50 m ; cette dernière partie est implantée en retrait de la précédente. La clôture de rondins est bien positionnée à l'intérieur de la propriété [D] ». Après mesure prise par le géomètre positionnant un premier point d'alignement au pied de la jonction entre les deux clôtures (en rondins et en tôle), matérialisé par un fer à béton peint de couleur fluo, l'huissier à l'aide d'un mètre ruban va mesurer la distance entre ce point d'alignement et l'axe du poteau métallique support du bardage le plus proche. Il constate que « la clôture de tôles empiète approximativement de 16 centimètres sur la propriété [J] ».

Les plans de bornage établis par géomètre en 2010 (plans de M. [F]) et en 2017 (plans de Mme [B]) ne sont pas suffisants d'une part à démontrer que la clôture des époux [D] est bien située à l'intérieur de leur propriété puisqu'il ne s'agit que de dresser des points d'alignement mais encore, à prouver la cessation d'un empiétement qui leur est postérieur. L'empiétement est dès lors démontré.

Les époux [D] se prévalent alors de l'usucapion par prescription trentenaire mais aussi de l'acceptation par les consorts [J] des limites d'implantation de la barrière telles qu'elles existeraient depuis 1985. S'ils ne produisent aucune attestation ou témoignages démontrant que la clôture est érigée au même endroit depuis 1985 et que les consorts [J] ont accepté depuis cette date l'empiétement sur leur fonds, la cour relève que les intimés n'émettent aucune contestation et n'ont pas conclu sur ce point. Il ressort du plan de bornage de 2010 et des photographies aérienne de 1985 (pièce 20 des époux [D]) et de 2010 que la barrière existait déjà à cette première date, étant précisé que les terrains proviennent d'un héritage (acte de donation du 08/03/1965), et que les constructions existent au moins depuis 1985. Les consorts [J] n'ont pas nié que la clôture a été édifiée en 1985. Ils n'ont jamais soutenu que l'implantation de la clôture a été modifiée depuis cette date. Les écritures des parties montrent que la clôture a été partiellement démolie en 2017 et que sa reconstruction s'est faite à l'identique. L'huissier a relevé dans le constat de 2019 que le poteau métallique support de la clôture en tôle, implanté au plus près de la clôture de rondins, avait été découpé au niveau du pied. Interrogé, M. [S] [J] a indiqué que le poteau s'était couché sur son terrain avant d'être redressé par son propriétaire à l'aide d'une sangle dont l'huissier a constaté encore la présence. La cour déduit de cette constatation que la barrière a été rétablie dans la configuration initiale de sorte que l'empiétement existait déjà et qu'il était admis par le fonds voisin depuis l'édification de la clôture séparative.

Cette implantation de la barrière au même emplacement s'est faite de manière continue non interrompue, paisible et non équivoque depuis 1985 et ce, jusqu'au 15/05/2017, date de mise en demeure de remédier à l'empiétement. La possession s'est faite de manière publique et paisible pendant plus de trente ans de sorte que la cour constate que la prescription trentenaire de la limite séparative entre les deux fonds matérialisée par l'emplacement de la clôture est acquise. La décision du premier juge qui a ordonné la démolition de la clôture sera infirmée.

B/ Sur l'indemnisation

En l'absence de faute, il n'existe pas de préjudice de sorte que les consorts [J] seront déboutés de leur demande de ce chef.

Sur la demande nouvelle des époux [D]

M. et Mme [D] font grief pour la première fois en cause d'appel aux consorts [J] d'avoir édifié un mur qui empiéterait sur leur fonds de plusieurs centimètres et ce sur plusieurs dizaines de mètres.

Aux termes de l'article du 564 du code de procédure civile locale, les parties ne peuvent présenter en appel de nouvelles prétentions.

En l'espèce, c'est à juste titre que les consorts [J] concluent à l'irrecevabilité d'une telle demande qui constitue une demande nouvelle pour n'avoir pas été formulée en première instance. Elle sera par conséquent déclarée irrecevable.

Sur l'article 700 et les dépens de première instance

En première instance, les époux [D] à l'origine de la procédure ont obligé les consorts [J] à plaider. Ayant été déboutés de leur demande principale, le jugement qui les a condamnés à payer à leurs adversaires la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens sera confirmé.

Sur l'article 700 et les dépens d'appel

Au vu de l'évolution du litige, il n'est pas inéquitable de débouter les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties succombant chacune partiellement en leurs demandes supporteront leurs propres frais de procédure en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision en ce qu'elle a :

- constaté la prescription de l'action initiée par Mme [L] [J] épouse [D] et M. [E] [D] sur le fondement des articles 544 ou 1382 et 1386 du Code civil,

- condamné Mme [L] [J] épouse [D] et M. [E] [D] à payer à M. [S] [J], Mme [T] [M] épouse [J] et à Mme [W] [J] la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens ;

L'infirme sur le surplus ;

Et statuant à nouveau,

Dit que l'implantation de la clôture séparative érigée par Mme [L] [J] épouse [D] et M. [E] [D] bénéficie de la prescription acquisitive pour avoir été édifiée depuis plus de trente ans au même endroit ;

Dit en conséquence que la limite séparative entre les deux fonds (40 E et 40 D) est désormais matérialisée par l'emplacement de la clôture ;

Déboute les consorts [J] de leur demande de démolition ;

Les déboute de leur demande en dommages et intérêts pour trouble de jouissance ;

Y ajoutant,

Dit irrecevable comme nouvelle la demande formulée par les époux [D] en démolition du mur bâti par les consorts [J] ;

Ecarte l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00039
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.00039 ?
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