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26/06/2023 | FRANCE | N°20/00331

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 26 juin 2023, 20/00331


N° de minute : 121/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA





Arrêt du 26 juin 2023



Chambre civile









Numéro R.G. : N° RG 20/00331 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RJM



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 juillet 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 18/424)



Saisine de la cour : 28 août 2020





APPELANTS



S.N.C. VILLAS DU PACIFIQUE,

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Fabien MARIE de la S

ELARL D'AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA



S.E.L.A.R.L. MARY LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire judiciaire de la S.N.C. VILLAS DU PACIFIQUE,

Siège social : [Adresse 1]





INTIMÉS

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N° de minute : 121/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 26 juin 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 20/00331 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RJM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 juillet 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 18/424)

Saisine de la cour : 28 août 2020

APPELANTS

S.N.C. VILLAS DU PACIFIQUE,

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Fabien MARIE de la SELARL D'AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

S.E.L.A.R.L. MARY LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire judiciaire de la S.N.C. VILLAS DU PACIFIQUE,

Siège social : [Adresse 1]

INTIMÉS

S.C.I. MOSALA, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 10]

Représentée par Me Olivier MAZZOLI de la SELARL OLIVIER MAZZOLI AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

S.C.I. ABAKHOZI, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 10]

Représentée par Me Olivier MAZZOLI de la SELARL OLIVIER MAZZOLI AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. BELIMPORT, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Olivier MAZZOLI de la SELARL OLIVIER MAZZOLI AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Siège social : [Adresse 5]

Représentée par Me Olivier MAZZOLI de la SELARL OLIVIER MAZZOLI AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

Société d'assurances QBE INSURANCE LIMITED DELEGATION DE NOUVELLE CALEDONIE,

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Philippe REUTER de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 3 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Selon actes notariés en date des 12 mars 2012, 5 avril 2012 et 18 avril 2012, la SCI MOSALA et la SCI ABAKHOZI ont chacune souscrit 2365 parts de la SCA COMBORCIERE qui possèdait un ensemble immobilier sis à [Adresse 9], sur un terrain formant le lot n° 21 du lotissement « Extension zone I », construit par la SNC VILLAS DU PACIFIQUE.

Par un acte sous seing privé en date du 23 avril 2013, la SCI MOSALA a donné en location à la société BELIMPORT, pour une durée de trois, six, neuf années à compter du 1er mai 2013, les biens suivants situés dans l'ensemble précité, décrits dans le bail comme suit : « zone 1 lot n° 21, Bâtiment A, lot 2 », soit un dock, destinés à la vente d'armes et de matériel de chasse.

Par un autre acte daté du 23 avril 2013, la SCI ABAKHOZI a donné en location à la société BELIMPORT, pour une durée de trois, six, neuf années à compter du 1er mai 2013, les biens suivants situés dans l'ensemble précité, décrits dans le bail comme suit : « zone 1 lot n° 21, Bâtiment A, lot 1 », soit un dock, destinés à la vente d'armes et de matériel de chasse. acquis et la SCI ABAKHOZI

Dès 2013, il a été observé sur le plancher du dock, l'apparition de fissures et M. [N], représentant des SCI MOSALA et ABAKHOZI, a sollicité l'intervention du cabinet EXXCAL.

En 2015, les fissures se sont généralisées et aggravées et M. [N] a rencontré l'entrepreneur, la société VILLAS DU PACIFIQUE, avec l'assistance du bureau SOCOTEC, afin de remédier aux désordres.

Plusieurs réunions se sont tenues en avril 2015, en septembre 2015 et en avril 2016 qui ont mis en évidence une aggravation des fissures, malgré une reprise par couturage des fissures.

Le 16 octobre 2015, le cabinet EXXCAL, mandaté par GROUPAMA, assureur des sociétés civiles, a sollicité des devis de deux entreprises qui ont préconisé, soit la réfection totale du plancher de la mezzanine en béton armé, soit le renforcement par structure métallique en sous-face du plancher défaillant laissé en place.

Face à ce constat, M. [B] du cabinet EXXCAL a requis l'intervention du bureau SOCOTEC à l'effet de connaître le degré de gravité de la fissuration et savoir si des mesures de confortement étaient nécessaires.

Le 13 mai 2016, un procès-verbal de constat a été dressé par Me [X], huissier de justice. Ce procès-verbal a décrit les désordres qui affectaient la mezzanine des docks, dont notamment des fissures en haut des escaliers menant à l'étage, d'importantes fissures sur le rebouchage en béton fait par le constructeur et qui se poursuivaient sur la tranche de la dalle vers le bas, des fissures sur le mur attenant aux escaliers jusqu'au rez-de-chaussée, de multiples fissures sur le sol à l'étage du local et une importante fissure au sol rebouchée par le constructeur dans le premier bureau à l'étage.

Le 1er juillet 2016, une réunion en présence du gérant des SCI, de l'expert amiable, de la SNC VILLAS DU PACIFIQUE et du bureau SOCOTEC, a mis en évidence la gravité de la fissuration de la totalité de la dalle plancher de la mezzanine ainsi que des déformations de la cloison des bureaux implantée sur la largeur de la mezzanine. Un accord est intervenu, validé par la SOCOTEC, consistant à procéder au couturage de la dalle plancher.

La SNC VILLAS DU PACIFIQUE s'est refusée à intervenir dans le délai souhaité par les bailleresses, propriétaires des locaux.

Compte tenu de la généralisation des fissures, les SCI MOSALA et ABAKHOZI ont saisi le juge des référés afin d'obtenir une expertise contradictoire sur l'origine des désordres et sur les travaux à entreprendre pour y remédier.

Par ordonnance en date du 18 novembre 2016, le juge des référés a désigné M. [D] en qualité d'expert judiciaire.

L'expert a déposé son rapport le 18 juillet 2017. Il explique que le dock d'une surface de 170 m² sur deux niveaux, a été construit en béton armé avec des remplissages en maçonnerie, que le rez-de-chaussée a été aménagé en surface commerciale (armurerie), qu'un escalier en béton armé permet d'accéder au plancher R+1, et que c'est ce plancher en béton armé qui est l'objet du litige. Il conclut que les fissures dénaturent de manière importante l'aspect esthétique de la surface de la dalle. La flèche de la dalle B est importante. Elle ne peut pas supporter les charges pour lesquelles elle était destinée. Les désordres proviennent d'une non-conformité aux règles de l'art et d'une exécution défectueuse. Les flèches excessives ont déformé les cloisons et elles ont provoqué leur fissuration. L'expert déconseille de l'utiliser pour du stockage avant que la dalle ne soit renforcée.

Par requête déposée le 2 février 2018, la SCI MOSALA, la SCI ABAKHOZI, la société BELIMPORT et la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] ont saisi le tribunal de première instance de Nouméa sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil concernant les désordres de nature décennale relatifs à la flèche excessive et aux déformations des cloisons et sur le fondement des articles 1134, 1147 et suivants du code civil concernant les désordres relatifs aux fissurations de la dalle, en sollicitant la condamnation solidaire de la société VILLAS DU PACIFIQUE et de la société QBE INSURANCES à les indemniser de leurs divers préjudices.

Par jugement rendu le 20 juillet 2020, le tribunal de première instance de Nouméa a :

- mis hors de cause la société d'assurances QBE INSURANCES INTERNATIONAL ;

- condamné la société VILLAS DU PACIFIQUE à payer à la SCI MOSALA et à la SCI ABAKHOZI la somme de 9.724.272 FCFP à titre de dommages et intérêts au titre des travaux de reprise ;

- condamné la société VILLAS DU PACIFIQUE à payer à la société BELIMPORT la somme de 3 030 305 FCFP à titre de dommages et intérêts pour la perte d'exploitation à subir pendant les travaux de reprise des désordres ;

- condamné la société VILLAS DU PACIFIQUE à payer à la société BELIMPORT et aux SCI MOSALA et ABAKHOZI la somme de 300 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ou de leurs demandes contraires ;

- condamné la société VILLAS DU PACIFIQUE aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 28 août 2020, la société VILLAS DU PACIFIQUE a fait appel de la décision rendue.

Par jugement du 6 juin 2021, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société VILLAS DU PACIFIQUE. Le 17 janvier 2022, il a prononcé la liquidation judiciaire de cette société et désigné la selarl GASTAUD en qualité de liquidateur judiciaire.

Dans ses dernières écritures, la selarl GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur, qui fait siennes les écritures précédemment déposées pour le compte de la société VILLAS DU PACIFIQUE, demande d'infirmer le jugement rendu et, statuant à nouveau, de :

- dire que les désordres ne sont pas de nature décennale mais engagent la responsabilité contractuelle du constructeur prévue aux articles 1134 et 1147 du code civil ;

en conséquence,

- dire que la société QBE devra garantir la société VILLAS DU PACIFIQUE de toutes les condamnations prononcées à l'encontre de l'assurée ;

- rapporter les demandes indemnitaires à de plus justes proportions ;

- condamner la société BELIMPORT, la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6], la SCI MOSALA et la SCI ABAKHOZI à lui payer la somme de 250 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle soutient que le premier juge a considéré à tort que les désordres mettaient en cause la solidité et/ou la destination de l'immeuble alors que, concernant la cause et l'origine des fissures, l'expert n'a relevé qu'un défaut d'exécution dans la mise en place du ferraillage et que les désordres ne portent que sur la mezzanine et non sur la structure de la construction ; qu'il ne s'explique pas sur l'inadaptation des reprises qui pour autant avaient été préconisées et validées par le cabinet SOCOTEC ; qu'il ne ressort pas de l'expertise que les désordres portent atteinte à la solidité de l'ouvrage dans le délai de la garantie ; qu'au surplus, ils n'affectent que la mezzanine et ils relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun de sorte que les réparations doivent être prises en charge par son assureur, la société QBE, dans le cadre de la garantie professionnelle souscrite.

Sur les demandes indemnitaires présentées, l'appelante conclut à leur minoration.

Dans ses dernières écritures récapitulatives, la société QBE conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a mis hors de cause la concluante.

A titre subsidiaire, si la cour considérait que les désordres ne sont pas de nature décennale, elle demande à la cour de dire qu'ils ne sont pas couverts par la police « responsabilité civile » souscrite par la société VILLAS DU PACIFIQUE en vertu de l'exclusion de garantie prévue à l'article 2.3.5 du contrat et de débouter les parties des demandes formées contre l'assureur ;

à titre infiniment subsidiaire, de constater que les SCI reconnaissent la nature décennale des désordres relatifs à la flèche de la dalle et les débouter de leurs demandes contre l'assureur, de dire irrecevables comme nouvelles les demandes de la SARL BELIMPORT ;

en tout état de cause, de condamner solidairement les SCI et la société VILLAS DU PACIFIQUE à lui payer la somme de 450 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans leurs dernières écritures (récapitulatives n° 2), la SCI MOSALA, la SCI ABAKHOZI, la société BELIMPORT et la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] demandent à la cour de confirmer la décision en ce qu'elle a retenu la responsabilité décennale de la société VILLAS DU PACIFIQUE concernant les désordres liés à la flèche excessive et aux déformations des cloisons, de l'infirmer sur le surplus et, statuant à nouveau, de :

- donner acte à la société VILLAS DU PACIFIQUE qu'elle reconnaît ses fautes à l'origine des fissures et dire qu'elles mettent en oeuvre la responsabilité contractuelle de l'entreprise ;

- fixer leurs créances des SCI ABAKHOZI et MOSALA aux sommes suivantes :

* 10 265 417 FCFP au titre des travaux de reprise

* 15 000 000 FCFP au titre de la perte de la valeur du bien immobilier

* 900 000 FCFP au titre de la perte des loyers durant les travaux

* 200 000 FCFP à chacune des sociétés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société QBE INSURANCE à payer aux SCI ABAKHOZI et MOSALA les sommes suivantes :

* 10 265 417 FCFP au titre des travaux de reprise

* 15 000 000 FCFP au titre de la perte de la valeur du bien immobilier

* 900 000 FCFP au titre de la perte des loyers durant les travaux ;

- fixer le montant des créances de la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] au passif de la société VILLAS DU PACIFIQUE aux sommes suivantes :

* 2 209 036 FCFP au titre de la perte d'exploitation durant un mois et demi

* 200 000 FCFP au titre du préjudice moral

* 200 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société QBE INSURANCE à payer à la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] les sommes suivantes :

* 2 209 036 FCFP au titre de la perte d'exploitation durant un mois et demi

* 200 000 FCFP au titre du préjudice moral ;

- fixer le montant des créances de la société BELIMPORT au passif de la société VILLAS DU PACIFIQUE aux sommes suivantes :

* 4 545 457 FCFP au titre de la perte d'exploitation durant un mois et demi

* 6 240 000 FCFP au titre du préjudice financier lié à la location d'un local de remplacement pour le stockage de la marchandise

* 200 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société QBE INSURANCE à payer à la société BELIMPORT :

* 4 545 457 FCFP au titre de la perte d'exploitation durant un mois et demi

* 6 240 000 FCFP au titre du préjudice financier lié à la location d'un local de remplacement pour le stockage de la marchandise .

- condamner la société QBE INSURANCE à payer à chacune des sociétés la somme de 200 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société QBE INSURANCE aux dépens, incluant les frais de référés et d'expertise.

Vu l'ordonnance de clôture,

Vu l'ordonnance de fixation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature des désordres

Le rez-de-chaussée du dock a été aménagé en surface commerciale avec un escalier en béton montant à l'étage. Le plancher du premier étage est également en béton armé et est partagé en deux, une partie côté arrière du bâtiment est destinée au stockage, la partie avant accueille deux bureaux.

L'expert a relevé de multiples fissures affectant la dalle du plancher, fissures qui ont été réparées par un couturage incomplet dans la mesure où toutes les fissures n'ont pas été traitées, et peu efficace car le mortier de scellement est fissuré. L'expert a constaté que les fissures couturées ont continué à s'ouvrir. Il relève également qu'en raison du fléchissement de la dalle, les cloisons sont déformées et que les portes des bureaux s'ouvrent et se ferment mal.

Il explique que certaines fissures sont structurelles, car le béton ne résiste pas à la traction et d'autres sont des fissures de retrait en raison de la quantité trop importante d'eau dans le béton. Il note que les flèches des dalles sont de 16 mm pour la dalle A qui a été réparée et de 30 mm pour la dalle B, flèches trop élevées. Il en conclut que la résistance du béton est insuffisante de même que la section des aciers est insuffisante. La charge maximale est chiffrée à 100 Kg/m², largement inférieure aux valeurs réglementaires qui sont de :

- 150 Kg /m² pour les logements

- 250 Kg/m² pour les bureaux

- 350 Kg/m² pour les aires de stockage,

et prévient que la dalle va continuer à se déformer si elle n'est pas renforcée.

L'article 1792 du code civil dans sa rédaction applicable en Nouvelle Calédonie dispose que « si l'édifice construit à prix fait, périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architecte et entrepreneur en sont responsables pendant dix ans ». Néanmoins, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de 1967, la jurisprudence faisait application de la notion d'impropriété à la destination qui est une création prétorienne. La Cour de cassation considérait déjà que : « Au visa des articles 1792 et 2270 du code civil applicables dans leur rédaction antérieure à la loi du 3 janvier 1967, l'entrepreneur demeure responsable pendant dix ans de toutes les malfaçons, des lors qu'affectant le gros-oeuvre de la construction et même si elles ne portent pas atteinte a la solidité de l'immeuble, elles le rendent impropre à sa destination » (3e Civ., 4 juin 1973, pourvoi n° 72-12.029).

En l'espèce, les principaux désordres sont le fléchissement de la dalle du plancher qui rend celui-ci incapable de supporter les charges et les multiples fissures qui déforment les cloisons rendant l'ouvrage impropre à sa destination. Les deux types de désordres procèdent de la même cause qui est l'insuffisance de résistance du béton sans qu'il y ait lieu à distinguer la présence de fissures du fléchissement de la dalle.

Le jugement sera approuvé qui a considéré que les désordres présentaient tous un caractère décennal.

Sur la responsabilité de la société VILLAS DU PACIFIQUE

En sa qualité de constructeur, la société VILLAS DU PACIFIQUE est tenue des désordres de caractère décennal.

Sur la garantie de la société QBE INSURANCE

Il ressort de la police d'assurance qui est une assurance de responsabilité civile d'exploitation que cet assureur ne garantit pas les désordres à caractère décennal. Le jugement sera approuvé en ce qu'il a mis la compagnie hors de cause.

Sur les demandes indemnitaires

1. Au titre des travaux de reprise

L'expert a chiffré les travaux de reprise comme suit :

- renforcement de la dalle : 6 450 272 FCFP

- ragréage et finition de la dalle : 3 274 000 FCFP

- sécurisation de la trémie de l'escalier : 200 640 FCFP

- reprise des cloisons : 80 000 FCFP

Les sociétés propriétaires estiment que ce dernier poste a été sous-évalué par l'expert et qu'il s'élève en réalité à la somme de 420 505 FCFP selon devis du 14 juin 2017 établi par la société COUP NEUF, devis comprenant notamment le remplacement des carreaux fissurés et le remplacement des portes et cloisons endommagées.

Elle demandent réformation du jugement sur ce point et prise en charge de la sécurisation de la trémie par la société VILLAS DU PACIFIQUE, les désordres lui étant imputables contrairement aux conclusions de l'expert. Elles sollicitent donc la somme de 10 265 417 FCFP, étant rappelé que le tribunal a retenu une somme de 9 724 272 FCFP.

La société VILLAS DU PACIFIQUE répond que le coût de pose d'un garde-corps pour sécuriser la trémie de l'escalier ne faisait pas partie des travaux initiaux ; qu'il n'y donc pas lieu d'en ajouter le coût, ce qui constituerait un enrichissement sans cause. Sur le surplus, elle conclut à la confirmation du jugement.

Sur quoi,

S'agissant de la sécurisation de la trémie de l'escalier, elle est indispensable pour éviter le risque de chute. La norme l'impose, dit l'expert. Pour autant, elle n'était pas prévue au devis qui spécifiait que les travaux ne comprenaient pas les fourniture et pose du garde-corps. Dès lors que la question a été abordée par les parties lors de la signature du contrat d'entreprise, la société VILLAS DU PACIFIQUE a rempli son obligation de conseil ; les SCI MOSALA et ABAKHOZI ayant fait le choix de ne pas inclure ce poste supplémentaire dans les travaux, la responsabilité du constructeur est dégagée. Les frais d'installation de cette protection doivent par conséquent être supportés par les sociétés propriétaires des locaux.

S'agissant de la reprise des cloisons, l'expert a évalué ce poste à la somme de 80 000 FCFP sans solliciter de devis. Eu égard aux constations qu'il avait faites sur l'état déformé des portes et des cloisons et sur l'existence de carreaux fissurés, la reprise à dire d'expert sans recourir à des devis, n'est pas de nature à réparer le préjudice entier des victimes. Au vu du rapport amiable non contradictoire établi à l'initiative des plaignantes, la cour allouera aux SCI MOSALA et ABAKHOZI la somme supplémentaire de 420 505 FCFP à titre indemnitaire.

2. Au titre de la perte de valeur vénale de l'immeuble

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré qu'une fois les travaux de reprise effectués, l'immeuble ne sera pas déprécié, une telle demande étant alors sans objet. La cour ajoute que les sociétés MOSALA et ABAKHOZI ne rapportent aucunement la preuve comme elles le soutiennent, que même une fois renforcée, la dalle resterait fragile sans pouvoir supporter les charges normatives auxquelles elle est destinée ; une telle affirmation est contraire aux conclusions de l'expert.

3. Au titre de la perte de loyers de la SCI MOSALA et de la SCI ABAKHOZI

Le premier juge a débouté les bailleresses de ce chef au vu des contrats de bail produits qui ne mentionnaient pas le prix de la location. En appel, les sociétés bailleresses, sur la base des deux contrats de bail stipulant un loyer de 300 000 FCFP, réclament chacune la somme de 450 000 FCFP au titre du préjudice subi. Elles font état de la perte de loyers qu'elles vont subir pendant la fermeture des commerces qui sera égale à un mois et demi ; elles soutiennent d'une part que si les travaux dureront un mois à dire d'expert, ce dernier n'a pas pris en compte le temps de déménagement et de ré-aménagement qui ne saurait être inférieur à quinze jours en raison des précautions à prendre s'agissant de marchandises dangereuses (armes) ou fragiles (optiques de haute technologie), de sorte qu'elles subiront une perte de loyers d'un mois et demi.

La société VILLAS DU PACIFIQUE s'oppose à la demande, considérant que la perte de loyer ne doit pas aller au-delà de l'estimation d'un mois faite par l'expert.

Sur quoi,

En réponse à un dire (page 37 du rapport), l'expert a clairement indiqué que la durée des travaux (déménagement et réinstallation inclus ) sera d'un mois tenant compte des travaux de déplacement et de remise en place des étagères, des bureaux et du matériel. La perte de loyer pendant un mois sera retenue. Il sera allouée la somme de 300 000 FCFP à chacune des bailleresses de ce chef.

Au titre de la perte d'exploitation par les sociétés exploitantes

La société BELIMPORT sollicite la somme de 4 545 457 FCFP au titre de sa perte d'exploitation sur un mois et demi, en indiquant sur la base d'une attestation de son comptable, le cabinet SOFICAU, que son chiffre d'affaires a été de 131 229 380 FCFP pour l'année 2016 et qu'elle dégage une marge brute de 27,71 %, ce qui représente un bénéfice de 36 363 661 FCFP, avec une marge moyenne mensuelle de 3 030 305 FCFP.

Elle fait grief au premier juge d'avoir limité à la somme de 3 030 305 FCFP son préjudice alors que les locaux devront être fermés un mois et demi.

Pour les raisons sus-indiquées, le jugement qui a retenu une perte d'exploitation basée sur la fermeture de l'entreprise pendant un mois sera entériné.

Par ailleurs, la société BELIMPORT précise qu'elle approvisionne la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6], laquelle a pour activité la vente de matériel de chasse qu'elle revend sur différents sites ([Localité 8], [Localité 6], [Localité 7]) ; que cette dernière exploite son fonds de commerce d'armurerie dans les docks litigieux ; que la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] subira par conséquent une perte d'exploitation pendant la fermeture des locaux, soit la somme de 2 209 306 FCFP sur la base d'une marge brute de 29,14 % représentant un bénéfice annuel de 17 672 316 FCFP, soit d'un montant mensuel à prendre en compte de 1 472 693 FCFP.

Le premier juge a, à bon droit, considéré qu'il avait peine à établir un lien entre les désordres subis sur les docks situés à [Localité 7] avec la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] qui exploite des sites de vente à [Localité 6] et [Localité 8], mais non à [Localité 7]. En effet, d'une part, il n'est pas démontré que cette société exploiterait un fonds de commerce dans les locaux de [Localité 7], les seuls contrats de bail versés au dossier étant ceux signés par la société BELIMPORT qui interdisent la sous-location. D'autre part, aucun lien de causalité direct entre les désordres subis par la société BELIMPORT et la perte d'exploitation invoquée par la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] n'est établi. Le jugement qui a débouté cette dernière sera confirmé.

Enfin, la société BELIMPORT sollicite la somme de 6 240 000 FCFP représentant le total du prix de location d'un dock de stockage qu'elle loue depuis 2006, bail qu'elle entendait résilier à compter de la prise de location du dock de Ducos signé avec les SCI propriétaires.

Elle expose qu'elle subit un préjudice depuis 2013 dès lors que, depuis cette date, elle est dans l'impossibilité de stocker ses marchandises dans le dock litigieux nouvellement aménagé.

La société VILLAS DU PACIFIQUE répond que la demande étant nouvelle est irrecevable.

Sur quoi,

Aux termes de l'article du 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent présenter en appel des nouvelles prétentions.

Mais dès lors, comme en l'espèce, que la demande formulée par la société BELIMPORT pour la première fois en cause d'appel tend aux mêmes fins que les demandes principales qui ont pour objet de réparer le préjudice subi consécutif aux désordres éprouvés, la prétention sera déclarée recevable. Sur le fond, elle sera rejetée ; la cour relève que la société BELIMPORT loue un dock de 50 m² à une société MAREVA depuis le 6 décembre 2006 alors qu'à cette époque, elle disposait déjà de locaux principaux situés au centre commercial de [Localité 7], lieu de son siège social. Lorsqu'elle a occupé les locaux appartenant aux SCI (août 2013), elle n'a pas résilié le bail signé avec la société MAREVA, ce qu'elle aurait dû faire si son intention avait été de modifier son lieu de stockage puisque, lors de la prise à bail, il n'était pas alors établi que la dalle n'était pas capable de supporter une charge importante. La preuve du lien de causalité entre le préjudice allégué et les désordres n'étant pas rapportée, la demande sera rejetée.

Sur les demandes en dommages et intérêts pour préjudice moral

La société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] demande la somme de 200 000 FCFP de ce chef, faisant valoir qu'elle va subir un préjudice lié à la gêne occasionnée pendant les travaux. Pour les mêmes raisons qu'invoquées supra, la demande doit être rejetée en l'absence d'élément permettant de rattacher les locaux à la société demanderesse. La cour observe à cet égard qu'il ne peut y avoir aux termes des deux baux qu'une société qui exerce le commerce des armes et munitions dans les locaux, soit il s'agit de la société BELIMPORT qui peut prétendre à une perte d'exploitation, soit il s'agit de la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6], mais le préjudice né de l'impossibilité d'exercer l'activité désignée aux contrat de location ne peut affecter les deux sociétés s'agissant d'un même fonds de commerce.

Sur l'article 700

L'indemnité allouée de ce chef en première instance aux bailleresses sera entérinée.

En cause d'appel, la société VILLAS DU PACIFIQUE sera condamnée à payer aux intimés, en ce inclus la société QBE, mais à l'exception de la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] qui est entièrement déboutée de ses demandes, la somme de 150 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

La société VILLAS DU PACIFIQUE succombant supportera les dépens des procédures d'appel et de première instance, en ce compris les frais d'expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme la décision en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Fixe les créances des SCI MOSALA et ABAKHOZI au passif de la SNC VILLAS DU PACIFIQUE aux sommes suivantes :

* 9.724.272 FCFP au titre des travaux de reprise du gros oeuvre et celle de 450 000 Fcfp au titre de la reprise des cloisons

* 300 000 FCFP au titre de la perte des loyers subie par la SCI MOSALA durant les travaux

* 300 000 FCFP au titre de la perte des loyers subie par la SCI ABAKHOZI durant les travaux

* 300 000 FCFP au titre des frais irrépétibles globalement alloués aux deux sociétés en première instance

* 855 960 FCFP au titre des honoraires de l'expert judiciaire

* 31 565 FCFP au titre des dépens de première instance ;

Déboute la SCI MOSALA et la SCI ABAKHOZI de leurs demandes de dommages et intérêts au titre de la perte de la valeur du bien immobilier ;

Fixe la créance de la société BELIMPORT au passif de la société VILLAS DU PACIFIQUE à la somme suivante :

* 3 030 305 FCFP à titre de dommages et intérêts au titre de la perte d'exploitation ;

Déboute la société BELIMPORT de sa demande au titre de la location d'un local de remplacement pour le stockage de la marchandise ;

Déboute la société ARMES CHASSES TRADITIONS [Localité 6] de toutes ses demandes ;

Condamne la Selarl GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur de la SNC VILLAS DU PACIFIQUE à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à :

la SARL BELIMPORT une somme de 150 000 FCFP

la SCI MOSALA une somme de 150 000 FCFP

la SCI ABAKHOZI une somme de 150 000 FCFP

la société QBE INSURANCE une somme de 150 000 FCFP ;

Condamne la Selarl GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur, aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/00331
Date de la décision : 26/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-26;20.00331 ?
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