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15/06/2023 | FRANCE | N°21/00096

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 15 juin 2023, 21/00096


N° de minute : 37/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 15 juin 2023



Chambre sociale









Numéro R.G. : N° RG 21/00096 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SUK



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° 20/29)



Saisine de la cour : 16 décembre 2021





APPELANT



Mme [H] [I]

née le 25 octobre 1981 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Noémie KOZ

LOWSKI, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉ



S.A.R.L. SOPROTEC EQUIPEMENT, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Annie DI MAIO, membre de la SELARL D'...

N° de minute : 37/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 15 juin 2023

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 21/00096 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SUK

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° 20/29)

Saisine de la cour : 16 décembre 2021

APPELANT

Mme [H] [I]

née le 25 octobre 1981 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Noémie KOZLOWSKI, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

S.A.R.L. SOPROTEC EQUIPEMENT, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Annie DI MAIO, membre de la SELARL D'AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 6 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 novembre 2015, la société Soprotec a recruté Mme [I] en qualité d'assistante commerciale, niveau IV, échelon 3, indice 300 à compter du 2 novembre 2015. La relation de travail a été soumise à la convention collective de la branche commerce et divers

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er janvier 2017, Mme [I] a été embauchée par la société Soprotec équipement en qualité de responsable commerciale, à compter du 1er janvier 2017. Il a été prévu que sa classification serait « agent de maîtrise AM4 », à l'issue d'une période probatoire de trois mois.

Par lettre du 17 septembre 2018, Mme [I] a notifié à son employeur sa « démission » pour les motifs suivants :

« Je ne me trouve malheureusement plus en état de poursuivre notre collaboration.

Depuis plusieurs mois, mes conditions de travail n'ont de cessé de se dégrader (classification professionnelle erronée, absence de paiement de mes heures supplémentaires, non - paiement des primes de fin d'année, pression psychologique exercée par votre direction, etc.), au point d'affecter fortement mon état de santé ; dégradation médicalement constatée, m'ayant contrainte à suivre, pour la première fois, un traitement thérapeutique.

Je me trouve en état de burn - out, décontenancée et fragilisée par ma situation professionnelle actuelle.

Croyez bien que je regrette cette décision. Je me suis toujours beaucoup investie pour votre groupe, y espérant une évolution positive. Je me trouve aujourd'hui contrainte de rompre mon contrat de travail, sans aucune perspective professionnelle nouvelle...

Je vous remercie de prendre acte de ma démission. Etant donné l'état de fragilité dans lequel je me trouve, je souhaite, pour protéger ma santé, être autorisé à être dispensée de l'exécution de mon préavis. »

Selon ordonnance en date du 19 avril 2019, le juge des référés du tribunal du travail a :

- condamné la société Soprotec à verser, à titre provisionnel, à Mme [I] au titre de l'avance sur le préjudice subi par cette dernière pour défaut de paiement des primes conventionnelles de fin d'année 2015 et 2016, la somme de 584.923 FCFP,

- condamné la société Soprotec équipement à verser, à titre provisionnel, au titre de l'avance sur le préjudice subi par Mme [I] pour défaut de paiement des primes conventionnelles de fin d'année 2017 et 2018, la somme de 810.000 FCFP,

- condamné la société Soprotec équipement à verser, à titre provisionnel, au titre de l'avance sur le préjudice subi par Mme [I] pour défaut de paiement des primes contractuelle de l'année 2017, la somme de 202.500 FCFP.

Selon requête introductive d'instance déposé le 5 février 2020, Mme [I] a saisi le tribunal du travail d'une demande de requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnisation de divers préjudices.

Selon jugement en date du 23 novembre 2021, la juridiction saisie a :

- dit n'y avoir lieu à requalifier la démission de Mme [I] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dit que la prime contractuelle 2018 n'était pas due,

- débouté Mme [I] de toutes ses demandes,

- dit que la prime conventionnelle 2018 versée prorata temporis n'était pas due,

- condamné en deniers et quittances Mme [I] à payer la somme de 405.000 FCFP à la société Soprotec équipement à ce titre,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la décision,

- dit n'y avoir lieu à paiement de frais irrépétibles,

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

- condamné Mme [I] aux dépens.

Les premiers juges ont retenu en substance :

- que la demanderesse ne démontrait pas qu'elle avait une autonomie et des responsabilités qui relevaient d'un emploi de cadre ;

- qu'elle ne démontrait pas avoir accompli plus de 39 heures par semaine ;

- que Mme [I] avait droit à des dommages et intérêts en compensation de la prime de fin d'année 2017 qu'elle aurait dû percevoir en vertu de l'article 25 de la convention collective commerce et divers ;

- que Mme [I] ne démontrait pas que l'employeur avait dégradé ses conditions de travail ;

- que le non-paiement de la prime de fin d'année 2017 ne justifiait pas la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par requête d'appel déposée le 16 décembre 2021, Mme [I] a interjeté appel de cette décision. La société Soprotec équipement a formé un appel incident.

Aux termes de ses conclusions déposées le 20 juillet 2022, Mme [I] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- dire et juger que la démission de Mme [I] doit être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse aux torts exclusifs de l'employeur ;

- condamner la société Soprotec équipement à verser à Mme [I] la somme de 1.447.875 FCFP à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ;

- condamner la société Soprotec équipement à lui verser la somme de 336.375 FCFP à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- condamner la société Soprotec équipement à lui verser la somme de 3.510.000 FCFP à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Soprotec équipement à lui verser la somme de 1.755.000 FCFP en réparation du préjudice moral distinct subi du fait des conditions particulièrement brutales et vexatoires de la rupture ;

- condamner la société Soprotec équipement à communiquer, sous astreinte de 25.000 FCFP par jour à compter de la décision à intervenir, le suivi et le décompte du temps de travail de Mme [I] à la semaine, et ce depuis l'embauche de la salarié jusqu'à la rupture effective de la collaboration ;

- condamner la société Soprotec équipement à lui verser la somme de 1.316.250 FCFP à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité et résultat ;

- condamner la société Soprotec équipement à lui verser, pour défaut de paiement de la prime contractuelle de 1'année 2018, la somme totale de 607.500 FCFP ;

en tout état de cause,

- condamner la société Soprotec équipement à payer à Mme [I] la somme de 350.000 FCFP en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon conclusions transmises le 31 octobre 2022, la société Soprotec équipement prie la cour de :

- dire et juger que la démission de Mme [I] n'a pas lieu d'être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- débouter Mme [I] des demandes suivantes :

indemnités compensatrices de préavis et de congés payés y afférents,

indemnité conventionnelle de licenciement,

indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

indemnité pour préjudice moral distinct ;

- débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la société à son obligation de sécurité et de résultat ;

- débouter Mme [I] en sa demande de paiement de prime contractuelle au titre de l'année 2018 ;

en tout état de cause,

- recevoir la société Soprotec équipement en sa demande reconventionnelle ;

- condamner Mme [I] à lui rembourser la somme provisionnelle allouée aux termes

de l'ordonnance de référé en date du 19 avril 2019 pour un montant de 810.000 FCFP pour défaut de paiement des primes conventionnelles de fin d'année 2017 et 2018 et au titre de la provision à valoir sur le préjudice subi par la requérante pour défaut de paiement de la prime contractuelle de l'année 2017 pour un montant de 102.500 FCFP ;

- condamner Mme [I] à payer à la société Soprotec équipement la somme de 877.500 FCFP titre de dommages et intérêts pour non-exécution du préavis ;

- condamner Mme [I] à lui payer la somme de 400.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur ce, la cour,

1) Si dans sa lettre du 17 septembre 2018, Mme [I] a utilisé le vocable « démission », elle a également dénoncé l'inexécution par l'employeur de ses obligations. Cette réponse aux manquements allégués de la société Soprotec équipement est assimilable à une prise d'acte de la rupture du contrat de travail qui produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission.

Les griefs invoqués par la salariée sont :

- une classification professionnelle erronée,

- une absence de paiement des heures supplémentaires,

- un défaut de paiement des primes de fin d'année,

- une pression psychologique exercée par l'employeur à l'origine d'une dépression.

2) Mme [I] qui a été embauchée en qualité d'assistante commerciale, niveau IV, échelon 3, soit d'agent de maîtrise au regard de la convention collective « Commerce et divers », estime que le statut de cadre aurait dû lui être reconnu, compte tenu de son autonomie.

La cour écartera ce grief en reprenant à son compte la motivation des premiers juges, étant observé :

- que Mme [I] ne justifie pas être titulaire d' « un des diplômes de l'enseignement supérieur énumérés » par l'article 1er de l'avenant Ingénieurs, cadres et assimilés à l'accord interprofessionnel territorial auquel renvoie l'article 30 de la convention collective « Commerce et divers »,

- qu'elle ne démontre pas avoir encadré d'autres salariés que le réceptionnaire vendeur qui se tenait au comptoir, la circonstance qu'elle ait ponctuellement validé des demandes de congés ou de récupération (annexe n° 19 de la salariée) ne permettant nullement d'inférer qu'elle encadrait « l'ensemble du personnel » de la société Soprotec équipement,

- que la petite taille de l'entreprise, dont l'effectif était de trois salariés au premier trimestre 2017 puis de neuf salariés au premier trimestre 2018 après une cession partielle d'actifs, suffit à expliquer son « rattachement direct aux gérants / associés », sans que cette proximité suppose que Mme [I] ait tenu un emploi d'encadrement.

Il n'y a pas davantage lieu d'accueillir favorablement la demande « a minima » de repositionnement sur un emploi d'agent de maîtrise niveau V dans la mesure où un tel emploi suppose, selon la convention collective, une « large responsabilités dans les domaines de son secteur d'activité avec dans le cas du personnel d'encadrement, animation professionnelle des hommes qui en dépendent, éventuellement par l'intermédiaire d'un ou plusieurs agents de maîtrise de niveaux III et IV » et où Mme [I] n'avait qu'une activité d'encadrement très réduite.

3) Mme [I] affirme avoir exécuté de « très nombreuses » heures supplémentaires non rémunérées :

- 312 en 2017, dont seulement 31 récupérées

- 29,5 en 2018.

Pour établir ce grief, elle verse :

- un « relevé d'heures mensuel » de février 2017 faisant état de 1'exécution de 29,5 heures supplémentaires et la récupération de 4,5 heures

- un « relevé d'heures mensuel » de mars 2017 faisant état de 1'exécution de 56,5 heures supplémentaires et la récupération de 12 heures

- un « coupon récépissé bénéficiaire » portant validation par la « Direction » (apparemment signé par M. [W], un des gérants de la société Soprotec équipement) de 7 heures de récupération le 23 mars 2017

- une attestation de M . [M] qui explique : « Pour ce qui concerne les heures supplémentaires, je ne me souviens plus exactement combien de samedis nous travaillions par mois, par contre ils ne faisaient pas l'objet d'heures de récupération par la suite. »

Le « coupon récépissé bénéficiaire » démontre que Mme [I] a réalisé des heures supplémentaires au mois de mars 2017. Or, ni le bulletin de salaire de mars 2017, ni les bulletins ultérieurs n'en font mention.

Dans une lettre du 22 février 2018, en réponse à une « demande de récupération » présentée par Mme [I] qui, selon les termes de la lettre, avait « prétexté des temps de travail supérieurs à ceux pour lesquels (elle) estimait être rémunérée », l'employeur a écrit :

« Votre réclamation relative à ces récupérations que vous estimez dues en supplément de vos congés, constitue une nouveauté. Nous vous rappelons à ce sujet que votre rémunération brut a été modifiée de 350.000 FCFP à 405.000 FCFP brut au 1er avril 2017, soit une augmentation de +15,7 % après trois mois d'expérience à votre poste, pour tenir compte de la charge de travail que vous estimiez plus importante que 39 heures par semaine. Vous aviez alors argumenté votre demande par différentes fiches de présence qui s'avéraient difficilement contrôlables à posteriori, mais nous avions alors bien voulu retenir le principe de compenser votre présence accrue par cette disposition et cela vous avait parfaitement convenu.

A présent que, depuis ce mois, vous vous estimez lésée et que vous entendez nous présenter des demandes de récupération pour des heures supplémentaires qui n'auraient pas été préalablement approuvées et contrôlées, nous estimons que la solution la plus sage serait de convenir dorénavant que votre horaire de travail standard soit établi à 42 h/semaine pour votre salaire de 405.000 FCFP, ce qui représente une charge de travail, non pas de + 15,7 %, mais de + 7,7 % par rapport aux 39 h/semaine, et que des dispositions soient prises pour vous faire récupérer vos heures supplémentaires, lorsqu'elles s'avèrent à réaliser, au-delà de ce contingent de 42 h. ».

Il résulte de ce document que lors de la conclusion du contrat de travail, le salaire a été fixé à 405.000 FCFP pour tenir compte d'un temps de travail supérieur à 39 heures. La référence faite par l'article 6 du contrat de travail à un « salaire mensuel forfaitaire brut de 405.000 FCFP » illustre cette volonté d'inclure la rémunération des inévitables heures supplémentaires que réaliserait la salariée dans le salaire de base.

Toutefois, ainsi que l'a rappelé le tribunal du travail, le forfait de salaire suppose une référence à un horaire précis et la convention de forfait, opposée par la société Soprotec équipement dans la réponse précitée à la demande de repos compensateur, était illicite en l'absence de toute précision sur ce point. En conséquence, c'est à bon droit que Mme [I] soutient que la durée hebdomadaire de travail était de 39 heures et que tout dépassement ouvrait droit à une majoration de salaire.

Dès lors que la société Soprotec équipement a reconnu que Mme [I] était censée réaliser un horaire « standard » de 42 heures par semaine, soit au-delà de la durée légale, l'appelante est fondée à soutenir qu'il lui arrivait de travailler plus de 39 heures, ce que confirme la récupération du 23 mars 2017, et à se plaindre d'une violation de la réglementation sur le temps de travail.

4) Mme [I] dénonce une souffrance au travail et une dégradation de son état de santé occasionnées par les pressions de son employeur. Elle affirme avoir été « 'piratée' dans l'exécution de ses fonctions, et ce dans le dessein malhonnête de tenter de nourrir un dossier à son encontre », avoir été abusivement avertie le 5 mars 2018 en réponse à ses revendications sur son temps de travail et dénonce une déstabilisation qui a été à l'origine de l'accident de la circulation dont elle a été victime en sortant du travail.

Aucun élément du dossier n'établit que Mme [I] avait fait l'objet d'une surveillance particulière de son employeur afin de la prendre en défaut.

La lettre du 5 mars 2018, par laquelle Mme [I] a été avertie pour ses « insuffisances et manquements aux responsabilités », a, dans un premier temps, fixé les horaires de travail auxquels la salariée était soumise à compter de cette date et avait « instruction » de se conformer :

- lundi, mardi, mercredi, vendredi : 7 heures - 11 heures 30 / 13 heures - 16 heures 30

- jeudi : 13 heures 30 - 16 heures 30

- samedi 7 heures - 11 heures.

L'avertissement du 5 mars 2018 a été notifié dans un contexte de désaccord entre les parties sur le temps de travail. Il faisait suite à un courriel du 1er mars 2018 dans lequel Mme [I] contestait la décision de son employeur, précédemment examinée, de fixer à 42 heures son horaire hebdomadaire de travail.

La réalité des griefs invoqués pour motiver l'avertissement (absence de reporting de l'activité, absence de suivi du parc locatif, retard dans la facturation) n'étant pas rapportée en l'état du dossier, la cour retiendra que cette sanction, au demeurant mineure, avait pour objectif de faire cesser les revendications de Mme [I]. Celle-ci est dès lors fondée à se plaindre d'un dévoiement du pouvoir disciplinaire de l'employeur.

5) Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les doléances de Mme [I] sur le défaut de paiement des primes de fin d'année, la violation par la société Soprotec équipement de la législation sur le temps de travail, qui avait abouti à priver la salariée de son droit à majoration, constituait, à elle seule, un manquement suffisamment grave pour justifier une rupture imputable à l'employeur. En conséquence, la démission sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

6) Ne formulant aucune demande en paiement d'un rappel au titre des heures supplémentaires, alors qu'elle affirme avoir réalisé 312 heures supplémentaires en 2017 et 29,5 en 2018, Mme [I] sera déboutée de sa demande tendant à la communication sous astreinte d'un décompte de son temps de travail à la semaine.

7) Mme [I] a obtenu du juge des référés la condamnation de la société Soprotec équipement lui payer :

- au titre de l'avance sur le préjudice subi pour défaut de paiement des primes conventionnelles de fin d'année 2017 et 2018, la somme totale de 810.000 FCFP (405.000 FCFP par année),

- au titre de l'avance sur le préjudice subi pour défaut de paiement de la prime contractuelle 2017, la somme de 205.000 FCFP en sus de la somme déjà perçue.

La demande au titre de la prime contractuelle 2018 a, en revanche, été rejetée.

Dans son jugement du 23 novembre 2021, le tribunal du travail a :

- alloué à la salariée une somme de 405.000 FCFP au titre de la prime de fin d'année 2017,

- rejeté la demande au titre de la prime conventionnelle de fin d'année 2018 et condamné Mme [I] à rembourser la somme perçue en exécution de l'ordonnance de référé,

- alloué une somme de 205.000 FCFP au titre de la prime contractuelle 2017, en sus du montant déjà perçu,

- rejeté la demande formulée au titre de la prime contractuelle 2018.

En sus des montants alloués par les premiers juges, Mme [I] revendique le paiement d'une somme de 607.000 FCFP au titre la prime contractuelle 2018.

Pour sa part, la société Soprotec équipement conteste devoir la prime de fin d'année 2017 aux motifs que la salariée a d'ores et déjà perçu une prime contractuelle qui a la même cause et le même objet que la prime conventionnelle et que ces avantages ne se cumulent pas. Elle conteste également devoir un rappel de prime contractuelle pour l'année 2018 aux motifs notamment que ses modalités de versement n'ont pas été fixées pour l'exercice fiscal 2018 et que le sinistre survenu en 2018 n'a autorisé que le versement d'une prime de 15.000 FCFP brut par salarié.

L'article 25 de la convention collective « Commerce et divers », intitulé « prime de fin d'année », prévoit que « les agents relevant des catégories ouvrier, employé, technicien ou agent de maîtrise bénéficieront d'une gratification de fin d'année dont le mode de calcul et de répartition sera déterminé par accord d'établissement. »

L'article 6 du contrat de travail dispose :

« A l'issue de l'exercice fiscal 2017, Madame [H] [I] percevra une prime déterminée en fonction des performances attendues, des attentes de la direction et du bon comportement de celle-ci.

Elle sera appréciée entre 0,5 et 1,5 mois du salaire brut mensuel selon les résultats obtenus et en fonction des dites performances démontrées. »

Contrairement à ce que soutient la société Soprotec équipement, ces deux primes ont des objets distincts : la prime instituée par le contrat de travail était une prime d'objectif, la prime institué par l'accord collectif une gratification. Mme [I] est fondée à obtenir le paiement des primes litigieuses au titre de l'année 2017 pour les motifs exposés par les premiers juges.

S'agissant de l'année 2018, dès lors d'une part, que le contrat de travail n'avait pas envisagé le paiement d'une prime d'objectif pour l'exercice 2017 et qu'il n'est pas démontré qu'il était d'usage dans l'entreprise de verser une telle prime, d'autre part que la salariée avait quitté l'entreprise à la date du versement de la prime de fin d'année et qu'il n'est pas démontré qu'il existait un droit à un paiement prorata temporis en vertu d'un usage dans l'entreprise, Mme [I] ne peut pas prétendre au paiement des primes litigieuses pour l'exercice 2018.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qui concerne les différentes demandes relatives aux primes.

8) Il résulte des bulletins de salaire que l'ancienneté acquise par Mme [I] au sein de la société Soprotec a été reprise par la société Soprotec équipement : elle avait donc une ancienneté de 2 ans et 10,5 mois à la date de la rupture.

Mme [I], qui a subi les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, peut prétendre à :

- une indemnité compensatrice de préavis de 405.000 x 2 = 810.000 FCFP (article Lp 122-22 3° du code du travail)

- une indemnité de congés payés de 81.000 FCFP

- une indemnité de licenciement de 405.000 x (1/10 x 34,5/12) = 116.437 FCFP (articles 88 de l'AIT et R 122-4 du code du travail).

Mme [I] ne verse aucune pièce démontrant qu'elle aurait mis plus de dix mois pour retrouver un emploi stable alors que son adversaire affirme qu'elle a immédiatement retrouvé un emploi.

Mme [I] était âgée de 37 ans à la date de la rupture.

Son préjudice consécutif à la rupture sera fixé à 2.700.000 FCFP.

L'appelante, qui ne caractérise pas les conditions vexatoires qui auraient entouré la rupture, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice moral distinct qu'elle invoque.

9) Enfin, il lui sera alloué une somme de 250.000 FCFP en réparation du préjudice causé par l'inobservation de la réglementation sur le temps de travail et le dévoiement du pouvoir disciplinaire.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'employeur de ses demandes de restitution au titre des primes 2017, débouté Mme [I] de ses demandes en paiement de la prime conventionnelle 2018 et de la prime contractuelle 2018 et condamné Mme [I] à rembourser à la société Soprotec équipement une somme de 405.000 FCFP ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Requalifie la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Soprotec équipement à payer à Mme [I] les sommes suivantes :

- 810.000 FCFP au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 81.000 FCFP au titre des congés payés afférents

- 116.437 FCFP au titre de l'indemnité de licenciement

- 2.700.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 250.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et résultat,

- 300.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

Déboute Mme [I] de sa demande de communication de pièces ;

Condamne la société Soprotec équipement aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00096
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.00096 ?
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