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08/06/2023 | FRANCE | N°20/00147

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 08 juin 2023, 20/00147


N° de minute : 101/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 8 juin 2023



Chambre civile









Numéro R.G. : N° RG 20/00147 - N° Portalis DBWF-V-B7E-Q5Z



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 mars 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 18/883)



Saisine de la cour : 24 avril 2020





APPELANTS



Société d'assurances GROUPAMA ASSURANCES,

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Marie-Astrid CAZA

LI de la SELARL M.A.C AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA



Mme [U] [G] [O],

demeurant [Adresse 5]

Représentée par Me Marie-Astrid CAZALI de la SELARL M.A.C AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

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N° de minute : 101/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 8 juin 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 20/00147 - N° Portalis DBWF-V-B7E-Q5Z

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 mars 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 18/883)

Saisine de la cour : 24 avril 2020

APPELANTS

Société d'assurances GROUPAMA ASSURANCES,

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Marie-Astrid CAZALI de la SELARL M.A.C AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [U] [G] [O],

demeurant [Adresse 5]

Représentée par Me Marie-Astrid CAZALI de la SELARL M.A.C AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. [M] [S]

né le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 7],

demeurant [Adresse 8]

Représenté par Me Olivier MAZZOLI de la SELARL OLIVIER MAZZOLI AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

M. [M] [R]

né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 7],

demeurant [Adresse 9]

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES DIT FGAO,

Siège social: [Adresse 6]

Représenté par Me Céline DI LUCCIO de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA

Représenté par Me Jérôme CHARPENTIER, avocat au barreau de PARIS

CAFAT, prise en la personne de son représentant légal,

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Nicolas MILLION, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 6 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 25/05/2023 a été prorogé au 08/06/2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Le 25/08/2013, [M] [S] était victime d'un accident de la circulation sur la commune de Boulouparis. Immédiatement après cet accident, il déclarait être le conducteur du véhicule Peugeot 106 retrouvé dans le fossé.

Atteint d'une paraplégie post-traumatique niveau T5, il affirmait ensuite n'avoir été que passager arrière du véhicule piloté par [M] [R] et encore assuré auprès de la compagnie Groupama par [G] [O], titulaire de la carte grise.

Par requête introductive d'instance déposée le 23/03/2018, [M] [S] a fait citer [M] [R], [G] [O], la société GROUPAMA GAN OUTRE-MER IARD, la CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES (CAFAT) et le FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES (FGAO) afin que le tribunal déclare [M] [R] entièrement responsable de l'accident survenu le 25 août 2013 en sa qualité de conducteur et après expertise médicale à l'indemniser de son préjudice.

A titre subsidiaire, il demandait au tribunal de déclarer la décision opposable au FGAO si le véhicule venait à être déclaré non assuré.

En réponse, la société Groupama Pacifique et [G] [O] ont soulevé une exception de non garantie fondée sur l'article L. 121-11 du code des assurances. Ils exposaient qu'[G] [O] avait cédé son véhicule à son beau-frère en février 2013 ; que même si l'assurée n'avait pas informé l'assurance de cette cession, le contrat était suspendu de plein droit à partir du lendemain du jour de la cession ; qu'en effet, un transfert de propriété effectué sans en informer la compagnie d'assurances entraîne la suspension automatique de plein droit dudit contrat puis au bout de six mois, la résiliation intervient de plein droit de sorte qu'au jour de l'accident, le véhicule n'appartenait plus à Mme [O] et n'était plus assuré par GROUPAMA. Il était également précisé que l'article 12 de la loi du 5 juillet 1985 n'est pas applicable en Nouvelle-Calédonie de même que ne sont pas applicables les articles L 211-9 à L 211-17 et L 211-20 du code des assurances métropolitain ; que la perception des primes d'assurance postérieurement à l'aliénation du véhicule ne constituait aucunement une renonciation à se prévaloir de la suspension de sa garantie car la renonciation à un droit ne peut résulter que d'un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer et que tel n'est pas le cas de l'encaissement fait sans réserve par l'assureur après la date de résiliation.

Subsidiairement, il était également soutenu que [M] [R] était le conducteur du véhicule mais que [M] [S] en était le propriétaire et n'avait pas assuré le véhicule. Il était affirmé par ailleurs que les conditions de l'article R. 421-5 alinéa 1 du code des assurances avaient été respectées et qu'aucun retard de la dénonciation de l'exception ne pouvait être reproché à la compagnie d'assurances puisqu'elle n'avait été avisée du préjudice subi du fait de l'accident que par courrier du 11 septembre 2017. Enfin, les défenderesses concluaient que [M] [S] n'était pas un conducteur autorisé par l'assureur, ce qui excluait tout droit à indemnisation de son préjudice.

Le FGAO soulevait l'irrecevabilité des demandes présentées par [M] [S] en exposant qu'il était manifestement le conducteur du véhicule lors de l'accident ainsi qu'il l'avait avoué spontanément ; qu'en application de l'article R 421-2 du code des assurances, le FGAO n'était pas tenu de garantir les dommages subis par [M] [S] en sa qualité de conducteur du véhicule. Subsidiairement il affirmait que la société GROUPAMA n'avait pas respecté les conditions de l'article R 421-5 alinéa 2 du code des assurances puisque le procès-verbal d'enquête clôturé le 03/09/2013 avait été transmis au comité des assurances et qu'il appartenait à la société GROUPAMA, avisée dans les six mois qui avaient suivi l'accident, ainsi qu'elle le déclare en page quatre de ses conclusions, d'aviser sans délai le FGAO, ce qu'elle s'est abstenue de faire puisqu'elle ne l'a avisé que le 17/12/2017.

Subsidiairement, le FGAO soutenait que [M] [S] demandait à être indemnisé par la compagnie GROUPAMA en sa qualité de passager du véhicule et qu'il n'avait jamais prétendu être le propriétaire de celui-ci alors que Mme [O] avait déclaré aux gendarmes qu'elle était bien propriétaire du véhicule et qu'elle n'avait pas fait le transfert de carte grise. Le FGAO faisait valoir que la compagnie GROUPAMA, qui avait continué à percevoir les primes de son assurée après le sinistre, avait ainsi manifesté sa volonté de maintenir le contrat en toute connaissance de cause puisque Mme [O] l'avait avisée du sinistre le 23/01/2014. Le FGAO soutenait également qu'en application des articles R 211-10, 211-11 et R 211-13 du code des assurances, l'utilisation du véhicule à l'insu de l'assuré faisait partie des exceptions de garantie inopposables à la victime.

Par jugement du 23/03/2020, le tribunal de première instance a :

- déclaré [M] [R] responsable du préjudice subi par [M] [S],

- rejeté l'exception de non garantie présentée par la compagnie GROUPAMA PACIFIQUE,

- ordonné la mise hors de cause du FGAO,

- dit qu'il appartiendrait à la société GROUPAMA PACIFIQUE, assureur de la propriétaire du véhicule, de prendre en charge les conséquences dommageables de l'accident,

- ordonné une expertise, et commis pour y procéder le docteur [J] [T],

- condamné in solidum [M] [R] et le FGAO à verser à [M] [S] une provision de 10 000 000 FCFP et la sommme de 200 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- sursis à statuer sur le surplus des demandes.

Pour se déterminer ainsi, le premier juge a considéré que le contrat d'assurance n'avait pas été résilié et que la compagnie GROUPAMA se devait d'indemniser [M] [S], passager arrière du véhicule accidenté.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 22/04/2020, la société GROUPAMA et [G] [O] ont fait appel de la décision rendue et demandent à la Cour dans leur mémoire ampliatif du 27/07/2020 et leurs dernières écritures (récapitulatives n° 7) de réformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :

in limine litis,

- dire fondée l'exception de non garantie soulevée ;

au fond,

- rejeter toutes demandes visant à voir la société GROUPAMA et [G] [O] condamnées à garantir les conséquences dommageables de l'accident ;

- débouter [M] [S] de toutes de toutes ses demandes ;

- dire la décision opposable au FGAO ;

à titre subsidiaire si la cour estime [G] [O] propriétaire du véhicule,

- constater la qualité de conducteur de [M] [S] lors de l'accident ;

- dire et juger qu'il est seul responsable des suites dommageables de l'accident ;

- juger qu'il n'a pas la qualité de conducteur autorisé et le débouter de toutes ses demandes ;

- condamner [M] [S] à procéder au remboursement de la somme de 10 000 000 Fcfp versée à titre de provision ;

- le condamner à payer la somme de 500 000 Fcfp pour procédure abusive à chacun des appelants et la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société GROUPAMA et celle de 300 000 Fcfp à [G] [O] ;

- le condamner aux dépens.

Par conclusions en réponse n° 6 du 11/01/2023, [M] [S] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a établi que [M] [S] était bien le passager du véhicule accidenté et en ce qu'il a déclaré [M] [R] entièrement responsable des préjudices ; il demande sur évocation de liquider son préjudice définitif et de condamner solidairement [M] [R], conducteur responsable, [G] [O], propriétaire du véhicule impliqué sous la garantie de la société GROUPAMA au paiement des sommes réclamées telles que listées dans son mémoire ;

- dire que la provision de 10 000 000 Fcfp s'imputera sur l'indemnisation de ses préjudices ;

- condamner solidairement [M] [R], conducteur responsable, [G] [O], propriétaire du véhicule impliqué, sous la garantie de la société GROUPAMA à lui payer la somme de 500 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Si la cour s'estimait insuffisamment informée sur les différents chefs de préjudice compte tenu des critiques apportées au rapport du docteur [T], il y aurait lieu d'ordonner un complément d'expertise avec la désignation d'un autre expert.

Il fait valoir que le premier juge a, à bon droit, rejeté l'exception de garantie dans la mesure où [G] [O] dans le cadre de l'enquête a reconnu être propriétaire du véhicule et continuer à en payer les primes. Sur la qualité de conducteur du véhicule, il estime que la version défendue par GROUPAMA est purement fictive et farfelue. Aucune constatation n'a pu être faite par les gendarmes concernant l'identité du conducteur et aucun témoignage direct ne le démontre d'autant que lui-même ne se souvient pas de telles déclarations compte tenu de l'état de choc dans lequel il se trouvait, état décrit dans le compte rendu d'hospitalisation ; que dès le 21/01/2015, il écrivait au procureur de la République en exposant les circonstances de l'accident, mentionnant bien qu'il était passager du véhicule conduit par [M] [R]. Il écrivait pareillement au FGAO, étant constant dans ses déclarations et ses démarches ; que l'ensemble des témoins entendus par sommation interpellative ou ayant attesté sont unanimes à dire qu'il était passager ; qu'enfin, les conclusions de l'expert sur la place de chaque occupant doivent être prises avec précaution, voire écartées dans la mesure où l'expert a outrepassé sa mission alors que de surcroît elles s'avèrent contestables.

Dans son mémoire d'appel incident et ses dernières écritures (n°4) du 01/07/2022, le FGAO demande de :

à titre principal,

- dire l'appel du FGAO sur la qualité de conducteur de [M] [S] bien fondé ;

et en conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré [M] [S] comme passager transporté ;

- dire que [M] [S] est conducteur du véhicule impliqué dans l'accident et ne peut se prévaloir des dispositions de la loi du 05/07/1985, ni être indemnisé selon l'article R 421-2-1° du code des assurances ;

- le condamner à verser la somme de 500 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

subsidiairement si la cour confirmait la qualité de passager,

- rejeter l'exception de non garantie soulevée par la société GROUPAMA ;

- constater que [G] [O] avait elle-même reconnu avoir voulu différer le transfert de carte grise à la date à laquelle le véhicule aurait été réparé ;

- dire que la société GROUPAMA qui ne démontre pas la vente du véhicule avant l'accident ne peut se prévaloir de l'article L 121-12 du code des assurances ;

- confirmer le rejet de l'exception de non garantie ;

- condamner la société GROUPAMA à verser au FGAO la somme de 500 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- en tout état de cause, dire n'y avoir lieu à évocation sur la liquidation du préjudice de [M] [S] et renvoyer l'affaire devant le tribunal de première instance.

La CAFAT demande dans ses écritures de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de donner acte qu'elle sollicitera la liquidation de ses débours devant le tribunal de première instance à la suite du dépôt du rapport d'expertise et de condamner la société GROUPAMA et [G] [O] à lui payer la somme de 120 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

[M] [R], non comparant, ni représenté en première instance, a été convoqué par le greffe de la cour par lettre recommandée qui n'a pas pu être distribuée à l'intéressé. Ce dernier n'a pas valablement été mis en cause dans la présente instance. La cour n'est donc pas saisie à son encontre.

Vu l'ordonnance de clôture

Vu l'ordonnance de fixation,

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel incident de le FGAO

Dès lors que le jugement n'a pas fait droit à la demande du FGAO tendant à dire que [M] [S] était le conducteur du véhicule, son appel incident est bien recevable.

Sur l'exception de non-garantie

L'article L 121-11 du code des assurances, applicable en Nouvelle-Calédonie (dans sa version du 08/01/1981), dispose que :

« En cas d'aliénation d'un véhicule terrestre à moteur ou de ses remorques ou semi-remorques, et seulement en ce qui concerne le véhicule aliéné, le contrat d'assurance est suspendu de plein droit à partir du lendemain, à zéro heure, du jour de l'aliénation ; il peut être résilié, moyennant préavis de dix jours, par chacune des parties.

A défaut de remise en vigueur du contrat par accord des parties ou de résiliation par l'une d'elles, la résiliation intervient de plein droit à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'aliénation.

L'assuré doit informer l'assureur, par lettre recommandée, de la date d'aliénation.

Il peut être stipulé au contrat qu'à défaut de cette notification, l'assureur a droit à une indemnité d'un montant égal à la portion de prime échue ou à échoir correspondant au temps écoulé entre la date de l'aliénation et le jour où il en a eu connaissance. Le montant de cette indemnité ne peut dépasser la moitié d'une prime annuelle.

Il peut également être stipulé une indemnité au profit de l'assureur lorsque la résiliation est le fait de l'assuré ou intervient de plein droit par application du présent article. Le montant maximal de cette indemnité est également fixé à la moitié d'une prime annuelle.

L'ensemble des dispositions du présent article est applicable en cas d'aliénation de navires ou de bateaux de plaisance quel que soit le mode de déplacement ou de propulsion utilisé. »

La société GROUPAMA soutient, en application de cet article, que le véhicule n'était plus assuré au jour de l'accident dans la mesure où [G] [O] l'avait cédé à titre gratuit à son cousin/beau-frère, [F] [E] [V] en février 2013 ; la compagnie en veut pour preuve :

- les déclarations faites par l'intéressée devant les services d'enquête aux termes desquelles elle relatait : « je tiens à vous signaler que mon véhicule était tombé en panne depuis le mois de septembre 2011. Entre temps , j'ai acheté une autre voiture ; celle-là, la Peugeot, je l'avais donnée à mon beau-frère, M. [F] [E] [V], qui habite [Adresse 8]. Nous devions faire le transfert de carte grise pour le mettre à son nom mais ça a tardé (...). Mon beau frère devait réparer la voiture, ensuite on devait faire le transfert de carte grise une fois le véhicule réparé (...). Je n'étais pas au courant que le véhicule roulait. J'étais d'ailleurs étonnée quand les gendarmes m'ont dit qu'il avait été accidenté. »

- l'attestation ultérieure de [G] [O] en date du 28/09/2018 dans laquelle elle ajoute : « je devais faire enlever la voiture du parking de la résidence comme demandé par le Syndic. Comme je ne voulais pas la faire réparer, j'ai demandé à mon beau-frère de la récupérer définitivement. Je lui ai donné la voiture et après il en a fait son affaire. (...) J'ai laissé la carte grise dans le véhicule. Au retour de mes vacances j'ai contacté M. [F] [E] [V] pour lui demander de faire le changement de carte grise. Pour moi je n'étais plus propriétaire. Quand la Peugeot 106 est tombée en panne j'ai demandé à la compagnie de résilier le contrat mais je devais donner le certificat de cession ou de vente. Je ne m'en suis plus occupée. Comme j'ai tous mes contrats chez Groupama (habitation, assurance voiture Opel) et que tout est prélevé je ne me suis pas rendue compte que les échéances pour la Peugeot étaient encore prélevées. »

- la confirmation de l'aliénation par [F] [E] [V] qui, entendu sur procès-verbal du 01/10/2018 par l'enquêteur de la société GROUPAMA, a confirmé que [G] [O] lui avait donné définitivement la voiture : « la parole c'est la parole ». Il confirmait également que sa belle-soeur lui avait donné la carte grise. Sur interrogation de savoir si des papiers avait été rédigés pour la vente, il répondait : « je crois » et sur la question de savoir qui est le propriétaire, il répondait que c'était son neveu, [M] [S], et qu'il ne savait plus si [M] [S] avait versé de l'argent pour acheter le véhicule. Il précisait qu'il est habituel que le véhicule passe entre plusieurs mains, que « M. [M] [S] a réparé le véhicule pour lui même et que chacun doit assumer ses responsabilités ».

- les dires de [M] [R] qui sur procès-verbal d'interpellation du 13/09/2017 a indiqué qu'il était bien le conducteur mais que le véhicule appartenait à [M] [S] qui se trouvait à l'arrière ;

- le comportement de [M] [S] lui même qui a saisi le FGAO.

La cour n'entend pas entériner le raisonnement et la position de la société GROUPAMA.

Il ressort, au contraire, du courrier adressé le 21/01/2015 par [M] [S] au FGAO dans lequel il indiquait qu'il avait été gravement blessé dans un accident alors qu'il était passager d'un véhicule Peugeot piloté par [M] [R] lequel circulait sans assurance, que [M] [S] ne s'est pas identifié comme propriétaire.

Par ailleurs, au cours de son audition devant les gendarmes, [G] [O] a clairement et sans aucune ambiguïté affirmé que le véhicule était sa propriété et était toujours assuré auprès de la société GROUPAMA, ce qui ne laisse aucun doute sur le fait qu'elle savait que les primes étaient toujours réglées par ses soins ; que les attestations postérieures non seulement à l'accident mais également à l'évolution du litige sont à prendre avec précaution voire avec suspicion au vu des déclarations contradictoires des intéressés ; que de surcroît ne peut être écartée la déclaration spontanée de [G] [O] aux termes de laquelle, elle a affirmé que si elle entendait donner définitivement le véhicule à [F] [E] [V], la cession devait se faire avec le transfert de la carte grise une fois les réparations faites. La cour en déduit que la volonté de retarder le transfert permettait très certainement de bénéficier de l'assurance puisque tout véhicule sur la voie publique même en panne doit être assuré.

Par ailleurs, il est curieux que [F] [E] [V] qui a indiqué avoir cédé le véhicule à son neveu, ne veuille ou ne puisse pas répondre à la question de savoir s'il était au courant que [M] [S] avait pris le véhicule, réponse qui est contradictoire avec l'affirmation selon laquelle son neveu était devenu propriétaire, qualité qui suffisait à ce dernier pour utiliser le véhicule sans avoir à demander la permission à son oncle.

Trop de contradictions dans les dires ultérieurs des témoins ne permettent pas de considérer que la propriété du véhicule a été transférée avant l'accident.

Aux termes de l'article L 121-11 du code des assurances, l'assuré doit informer son assureur de la date d'aliénation par lettre recommandée avec accusé de réception, ce que n'a jamais fait [G] [O] qui a continué à payer les primes. Si l'article susvisé prévoit qu'à défaut de résiliation, le contrat est résilié de plein droit à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la vente ou cession, la jurisprudence met à la charge de l'assureur la preuve de l'aliénation.

En l'espèce, la cour relève que la société GROUPAMA est défaillante dans l'admission de cette preuve et ce d'autant qu'elle-même avait exigé de son assurée la preuve du transfert de propriété pour prendre en compte la cession de la voiture.

En effet, non seulement, [G] [O] n'a pas dénoncé le contrat mais encore, elle-même précise dans son attestation postérieure à l'enquête qu'elle avait avisé la compagnie de la cession mais que cette dernière avait exigé qu'elle produise l'acte de cession ce qu'elle n'avait jamais fait, s'étant désintéressé de l'affaire ; qu'elle savait cependant que le véhicule était assuré au moment de l'accident (page 9 de son procès-verbal d'audition) et qu'elle continuait à en payer les primes même après l'accident ; que son intention était de différer le transfert de la carte grise jusqu'à la réalisation des réparations.

Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que le premier juge a jugé que la carte grise au nom de [G] [O], même si elle ne constituait pas un titre de propriété, s'avérait être un commencement de preuve qui, corroboré au paiement des primes par son titulaire et aux déclarations de [G] [O], permettait de juger qu'à la date de l'accident la propriété du véhicule n'avait pas été transférée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de garantie et mis hors de cause le FGAO.

Sur la qualité de conducteur de [M] [S]

A la suite de l'accident, deux types de déclarations ont été faites : celles enregistrées dans le cadre de l'enquête de gendarmerie et celles établies postérieurement pour constituer le dossier civil.

Immédiatement, après l'accident, les enquêteurs ont entendu les personnes sur place, à savoir [P] [K] [S] (en réalité [V]) qui suivait la Peugeot 106 dans une seconde voiture. Celui-ci déclarait être resté sur place pour assister le conducteur [M] [S] gravement blessé et qui ne portait pas la ceinture de sécurité ; il précisait s'être précipité pour sortir son cousin, [M] [S] du véhicule qui occupait la place de conducteur, le second occupant s'était enfui. Il s'agissait de [M] [R]. Le fait que les gendarmes aient mélangé les noms ne suffit pas à rendre l'enquête suspicieuse.

Le gendarme chargé de sécuriser les lieux indiquait que : « la personne allongée s'exprime difficilement en raison de ses blessures ; elle dit être le conducteur du véhicule et s'appeler M. [M] [S], né le [Date naissance 2]/1987 à [Localité 7], demeurant [Adresse 8]. il se plaint du dos et des jambes. Sur interrogation il répondait que d'autres personnes se trouvaient avec lui à bord. »

Le compte rendu de l'hôpital mentionnait également que [M] [S] était le conducteur et qu'un autre occupant qui était passager de la Peugeot, [Z] [S] était également hospitalisé au CHT dans le service des soins intensifs. Entendu à l'initiative de [M] [S], selon procès-verbal d'interpellation du 08/09/2017, [Z] [S] relatait qu'il était passager avant du véhicule conduit par [M] [R], [M] [S] étant passager arrière ; qu'ils revenaient d'un mariage ; qu'au moment de l'accident, [P] [K] [V] qui se trouvait dans un autre véhicule était resté sur place ; que lui-même avait été mis dans la seconde voiture et qu'il avait été conduit à l'hôpital par sa soeur.

La fiche d'intervention du SMUR dont l'expert judiciaire a pu avoir communication mentionne que [M] [S] présentait un score de Glasgow de 15, score qui permet d'affirmer que la victime avait pleine conscience juste après l'accident, ce que confirment les renseignements qu'il a donnés sur son identité. Le fait que postérieurement, il ne s'est plus souvenu de sa place d'occupant du véhicule ne peut donc être pris en compte. Par ailleurs, rien ne permet d'affirmer que l'expert [T] ait pu se tromper entre la fiche de [M] [S] et celle de son cousin [Z].

A ces éléments objectifs du procès-verbal d'enquête s'ajoutent les conclusions de l'expert qui en réponse à un dire, a clairement indiqué que les lésions initiales présentées par [M] [S] n'étaient pas compatibles avec la place de passager arrière mais qu'elles l'étaient, au contraire avec la place de conducteur du véhicule. L'expert a pu écrire notamment :

« M. [M] [S] présente des lésions de chocs à haute cinétique thoracique moyenne occasionnant des lésions du manubrium sternal avec déplacement modéré postérieur et fractures complexes de T4 et T5 (très évocatrices d'un choc antéro postérieur). On peut préciser qu'il ne semblait pas être ceinturé au moment de l'impact. » Le médecin légiste en déduit qu'ainsi en position assise sur la place d'un conducteur, un impact violent est à même d'occasionner, par choc direct et violent contre le volant, de telles blessures au niveau du tronc. Il écarte la position allongée sur la banquette arrière (position alléguée par [M] [S] dans ses déclarations postérieures) qu'il décrit comme peu probable au vu du type d'accident et du bilan lésionnel.

Dans ses conclusions, après avoir relevé que [Z] [S], passager avant avait eu, en moins sévères, le même type de lésions que [M] [S] par choc avant traduisant un traumatisme de décélération avec impact thoraco-abdominal, l'expert affirmait que ces blessures étaient compatibles avec un passager avant projeté sur le tableau de bord sur des éléments rigides non déformables mais dépourvus de relief en forme d'arête comme le tableau de bord. Il estimait - en prenant en compte le fait que [M] [R], qui était présenté comme le conducteur, n'avait subi que des blessures légères - que la configuration la plus vraisemblable au vu des lésions était celle où [M] [S] était conducteur, [Z] [S] passager avant et [M] [R] passager arrière .

[M] [S] remet en cause les conclusions de l'expert considérant d'une part qu'il a outrepassé sa mission et que ses conclusions sont partiales.

Sur le premier point la cour relève que l'expert a pris la précaution de préciser que ce point d'étude n'entrait pas dans sa mission mais que, saisi d'un dire, il se devait d'y répondre ; dans la mesure où le dire émane de [M] [S] lui-même, ce dernier est mal fondé à remettre en question le principe de réponse qui a été apporté à sa requête ; sur le second point, les accusations de partialité ne sont absolument pas étayées, le fait que le médecin ait pu faire référence aux 'déclarations de témoins recueillies plusieurs années après...' ne saurait s'analyser comme une remarque connotée ou partiale, le docteur [T] se contentant de reprendre un fait.

Au vu de ces éléments médicaux particulièrement objectifs et des premiers éléments d'enquête, la cour considère que les parties intéressées ([M] [R], [Z] [S], la victime elle-même et les autres occupants du second véhicule, [A] [H] et [I] [V]) ont fait de fausses attestations pour dissimuler le fait que [M] [S] était bien le conducteur du véhicule accidenté.

En tant que conducteur non autorisé par l'assureur et responsable de l'accident, en l'absence d'autre véhicule impliqué, [M] [S] ne peut pas être indemnisé sur le fondement de la loi du 05/07/1985. Il ne peut non plus se retourner contre le FGAO.

Le jugement sera infirmé de ce chef et [M] [S] sera débouté de toutes ses demandes dirigées tant contre la société GROUPAMA que contre le FGAO.

Sur l'évocation

Elle est sans objet puisque la liquidation des préjudices n'a plus lieu d'être au vu du présent arrêt mettant fin à l'instance.

Sur les demandes reconventionnelles de la société GROUPAMA et de Mme [G] [O]

La société GROUPAMA et [G] [O] estiment que [M] [S] a abusé de son droit d'agir en justice ayant fondé son action sur une invention manifeste de sa position réellement occupée dans le véhicule dans le seul but de battre monnaie.

Dès lors que la cour admet que les déclarations de [M] [S] selon lesquelles il était passager arrière sont inconciliables avec les éléments objectifs du dossier qui démontrent qu'il était en réalité le conducteur à l'origine de l'accident, l'action engagée par l'auteur agissant comme victime est nécessairement abusive et a causé à l'assureur mais aussi à [G] [O] un préjudice moral. [M] [S] sera condamné à leur verser à chacun la somme de 150 000 Fcfp à titre de dommages et intérêts.

Sur l'article 700

Eu égard à la nature du litige, il n'est pas inéquitable d'écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

[M] [S], succombant au principal supportera les dépens de la procédure d'appel et de première instance, en ce compris les frais d'expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit la cour non saisie à l'encontre de [M] [R] ;

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception de garantie soulevée et dit que le véhicule était assuré par la société GROUPAMA au jour de l'accident et mis hors de cause le FGAO ;

Infirmant sur le surplus et statuant à nouveau,

Dit que [M] [S] était conducteur du véhicule accidenté et qu'il est seul responsable des conséquences de l'accident ;

Dit en conséquence qu'il n'a droit à aucune indemnisation ;

Le déboute de toutes ses demandes dirigées contre la société GROUPAMA et le FGAO ;

Condamne [M] [S] à restituer à la société GROUPAMA la provision de 10 000 000 Fcfp qui lui a été réglée ;

Déboute la CAFAT de ses demandes ;

Condamne [M] [S] à payer tant à la société GROUPAMA qu'à [G] [O] la somme de 150 000 Fcfp à titre de dommages et intérêts ;

Ecarte l'application de l'article 700 en cause d'appel et de première instance ;

Dit le présent arrêt opposable au FGAO ;

Condamne [M] [S] aux dépens de première instance et d'appel, en ce inclus les frais d'expertise.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/00147
Date de la décision : 08/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-08;20.00147 ?
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